Juicy

Juicy, « On décide de tout à deux ! »


Doowy

Doowy a tout pour plaire !


Antoine-Wauters

Antoine Wauters, le doute est fondamental

Poète et romancier belge, Antoine Wauters a marqué les esprits avec « Mahmoud ou la montée des eaux » qui a décroché, entre autres, le Prix Marguerite Duras en 2021. Avec  « Le Musée des contradictions », son nouvel opus, il fustige avec la puissance de son verbe, les maux de notre société. « Est-ce un livre désespéré ? Oui ! Est-il également plein d’espoir ? Oui ! »  Rencontre.

A la lecture du « Musée des contradictions », on fait connaissance avec douze protagonistes, leurs vies, leurs questionnements, leurs tiraillements. Vous sentez-vous particulièrement proche de l’un d’entre eux ? Le coup d’envoi du roman, c’est le premier discours, celui des jeunes. J’ai été très sensible à la manière dont le confinement à bouleverser leur vie. Ils ont vu leur horizon se réduire à néant. Ne plus pouvoir se rendre sur la côte belge, se baigner et se régénérer un peu, m’a fait terriblement mal au cœur. Quelle violence ! Le monde fermé à double tour, le trousseau de clés jeter au vent …

« Le Musée des contradictions », un titre accrocheur ! Êtes-vous à l’image de cet intitulé ? C’est un livre très personnel. Je suis présent dans chaque tiraillement, chaque  questionnement, chaque contradiction, de chacun de mes protagonistes. 

Étiez-vous prédestiné à écrire ? Je viens d’une famille où on lisait peu. Mes premiers souvenirs de livres remontent à Tintin, que me racontait mon grand-père, un excellent conteur d’histoires. Mes premières lectures sont tardives. Elles datent de ma rhéto où j’ai découvert Marguerite Duras. J’ai compris à quel point l’écriture est fascinante et la liberté qu’elle offre, notamment celle de choisir des mots parfois incongrus.

Enfant, vous étiez passionné d’athlétisme. Votre accident, un booster ? Bizarrement, il y a des ponts entre l’écriture et l’athlétisme. Comme une grande liberté ! La course, la vitesse, le sprint, le saut en longueur, étaient mes plaisirs d’enfant. Mon frère a été champion de Belgique de sauts en hauteur et comme lui, j’étais un athlète de bon niveau. A l’adolescence, une blessure a mis fin aux compétitions. Je me suis alors désintéressé du sport, privilégiant la musique et le monde de la culture. Un accident de parcours en somme.

Pensez-vous que chacun d’entre nous, hésite, souffre, espère et doute ? On doit tous faire semblant d’avoir des avis assez tranchés, presque choisir son camp et se justifier alors qu’on est plein de tiraillements et pas très sûr de soi. Fondamentalement, douter est important !

Est-il impossible d’accorder nos pensées à nos actes ? C’est la véritable question du livre ! On le remarque chaque matin en se disant « je vais être plus responsable, plus écolo » et une heure plus tard, on n’assume plus forcément. Ou encore : « aujourd’hui, je vais enfin dire ce que je pense  à mon patron !» mais, dans la vraie vie, c’est très difficile d’être cohérent. Tout comme pour la Covid où un matin, on veut se faire vacciner et, le lendemain, on remet tout en question. Avoir la certitude de convertir nos dires en actes, est-ce souhaitable ?  J’aime l’idée de pouvoir être ambivalent et de suspendre son jugement. 

Quelle réaction espérez-vous susciter chez vos lecteurs lorsqu’ils achèveront la lecture de votre livre ? Ce qui me rendrait le plus heureux est qu’on cesse d’opposer l’espoir et le désespoir. Le livre l’évoque. Alors, est-ce un livre désespéré ? Oui ! Est-il plein d’espoir ? Oui ! Le livre raconte les oppositions qui ont été construites selon un système de valeur qui confronte le bien et le mal, la vérité et le mensonge, la lumière et l’opacité. Pour moi, ces principes vont main dans la main, l’un n’empêche pas l’autre.


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Kevin Douillez, l’urgence de peindre

Des œuvres qui transpirent l’énergie, des couleurs qui claquent, une virilité en demi-teintes affichant les contradictions de l’être. Entre la douceur des tons et la brutalité du geste, Kevin prend le risque de se dévoiler pour manifester sa vérité. 


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Barbara Abel, qui est le véritable meurtrier d’un être qui se suicide ? Lui, sans doute. Et puis tous les autres, aussi.

De Barbara Abel, on est super fan ! On retrouve la reine du thriller belge dans « Les Fêlures » qui nous tient en haleine de la première à la dernière page. Personne n’en sortira indemne ! A quoi reconnait-on un thriller exceptionnel ? C’est celui qu’on regrette de terminer, tellement l’envie de le relire devient obsessionnelle. Plus passionnant qu’une série addictive ou qu’un date !

En 2002, « L’instinct maternel » recevait le Prix du roman policier du festival de Cognac.  20 ans d’écriture teintée de suspense, 14 thrillers psychologiques. Quelle est la recette de votre succès ?  Je suis exigeante. Je dois être ma première fan !

Vos romans, des thrillers psychologiques dans toute leur splendeur. Où trouvez-vous votre inspiration ? Dans la vie de tous les jours, évidemment (rire). Je m’inspire du quotidien, d’un fait divers, de rencontres, d’histoires qu’on me raconte. En découle une réalité crédible. 

Votre nouveau thriller s’intitule « Les Fêlures. Son élément déclencheur ? Un procès d’assises auquel j’ai assisté pour les besoins d’une série que je co-écrivais. Ce procès jugeait un homme qui s’était suicidé avec sa compagne, sauf qu’elle ne s’est jamais réveillée et que lui a survécu. Dans le roman, l’amorce est identique, mais les personnages différents. 

Êtes-vous une personne angoissée ou marquée par un passé chahuté, pour raconter des histoires aussi meurtries ? J’ai vécu des drames comme tout le monde : le divorce de mes parents, la mort de mon papa… Mais aucun drame incroyable. Je ne suis pas une angoissée, mais mon imagination conçoit très vite les catastrophes qui pourraient découler de certaines situations. J’ai une grande capacité à imaginer le pire !  

« Les Fêlures », celles de vos personnages sont profondes. Avez-vous pris conseil auprès de psychiatres ou psychologues pour les dépeindre ? Je fais beaucoup de recherches. Il y a un outil extraordinaire : Internet ! Je fais aussi appel à des professionnels. Pour « Les Fêlures », j’ai notamment contacté mon médecin traitant et un diabétologue. 

L’insuline serait-elle l’arme fatidique pour un crime parfait ? Oui ! Ce fut confirmé par ce diabétologue. Je cherchais un produit qui donne la mort et qui a la caractéristique de disparaître de l’organisme post-mortem. Une arme assez redoutable car les médecins légistes ne la détectent pas lors de l’autopsie. Des overdoses d’insuline pourraient être des meurtres jamais détectés… 

Ne craignez-vous pas de donner des idées ? Quelle horreur ! Dans la majorité des cas, le diabétologue a précisé que les gens ne mourraient pas et pouvaient être sauvés. Une personne n’est pas l’autre. J’avais besoin de gens qui meurent, alors j’ai ajouté de l’alcool et de la morphine. 

En somme, à vous lire, c’est la recette du parfait assassin ? Pour un autre bouquin, j’ai discuté avec mon garagiste. Je voulais trafiquer les freins d’une voiture pour provoquer un accident. Il m’a rétorqué : rassurez-moi, c’est bien pour un roman ? (Rires). 

Au coeur de vos romans, aucun tueur en série mais des familles dysfonctionnelles. Pourquoi les névroses familiales vous inspirent-elles autant ? Car le lecteur peut s’y identifier ! Les familles dysfonctionnelles sont plus proches de moi, de nous, qu’un tueur en série. Un psychopathe est malade, il  ne m’intéresse pas. En revanche, nos fragilités, ce qui nous blesse, nos émotions mises à nu, quel fabuleux terreau pour un roman ! 

Serions-nous tous des assassins qui s’ignorent ? Oui, heureusement la plupart d’entre nous ne passent jamais à l’acte. L’homme jugé pour le meurtre de sa maîtresse était tellement gentil que sa femme, ses enfants, ses parents, ses frères, ses sœurs, ses amis, ses voisins, ont témoigné en sa faveur…. Comment un homme qui ne ferait pas de mal à une mouche en vient à « tuer » ? C’était un suicide, il l’a tuée par amour parce qu’elle souhaitait mourir. 

Quelle est votre secret pour provoquer autant d’émotions ? Je ne raconte pas tout de la vie de mes personnages. Dans « Les Fêlures », à l’image de cet homme conduit jusqu’au banc des accusés dans ce procès d’assises, j’ai construit ce roman avec des anecdotes du passé et du présent, par petites touches. 

Votre roman « Derrière la haine » a été adapté au cinéma par le réalisateur belge Olivier Masset-Depasse en 2019. Son film, « Duelles », interprété par les actrices belges Anne Coesens et Veerle Baetens, a remporté 9 Magritte du Cinéma ! Anne Hathaway et Jessica Chastain ont repris leur rôle dans « Mother’s Instinct », le remake hollywoodien. « Le Diable s’habille en Prada » débarque dans votre univers ! Quel est votre ressenti face à un tel succès ? Quand Olivier m’a parlé de ce projet en 2018, j’ai mis l’info dans un coin de ma tête. Maintenant que je sais que le tournage a lieu du 25 mai au 4 juillet 2022… Oui, c’est fou, incroyable !


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Nathalie Campion, dualité en noir et blanc

Avec une troisième exposition, Nathalie Campion confirme l’originalité de son style qui exprime la puissance et la fragilité du monde naturel, au travers de sculptures en céramique anthropomorphes et organiques. Dans ses œuvres, le corps discret apparaît, refusant l’idée du spectaculaire. 


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Valérie Cohen, Un joli parterre de ronces

Et si les arbres généalogiques comportaient une case pour les amis de toujours, les amours défuntes, les maîtres à penser, les sauveurs ? A quoi ressemblerait le vôtre ? La romancière bruxelloise Valérie Cohen souligne avec brio que le destin de chacun ne tient qu’à un fil. Ou à un mensonge.

Qu’est-ce qui vous a inspiré pour écrire ce roman et le titre afférent ? Fan de développement personnel, je m’intéresse à la psychogénéalogie. Un de mes enfants a voulu faire un test ADN et j’ai adhéré aussi. Comme une écolière attendant ses résultats, j’ai été frustrée de n’apprendre aucune révélation fracassante (rire). Mon roman se penche sur la dynamique sous-jacente à la famille : son système social, ses règles, ses rôles, ses secrets, son système de pouvoir. « Qu’importe la couleur du ciel », dit l’une de mes héroïnes, et ça signifie que la famille reste la famille. On a beau vouloir s’en défaire, on est fait des branches de son arbre généalogique, on est fait de ce bois-là !

Une famille se reconnaît-elle par les liens du cœur ou par les liens du sang ? C’est un subtil mélange des deux et au-delà, il y également tout ce qui est tu : les morts qui sont invisibles mais pas absents, les secrets de famille, les fidélités inconscientes, ce qui ne s’est pas raconté de génération en génération. On fait partie d’une lignée, qu’on le veuille ou non. 

« Vitale et mortelle à la fois, organisme vivant aux multiples facettes. La famille un joli parterre de ronces ». Est-elle la source de nos bonheurs ou celle de nos névroses ? Les deux ! On porte nos propres douleurs et névroses, plus celles non digérées par nos ancêtres. On rêve tous ce cette famille idéale, source d’ancrage et de bonheur, mais ça pique toujours quelque part ! 

Qu’importe les secrets détenus, muselés. Le mensonge a-t-il des vertus ? Toute vérité n’est-elle pas bonne à dire ? Il est plus facile de vivre de façon confortable en taisant un secret qu’en le révélant. Révéler un secret peut être dévastateur pour soi-même et surtout pour notre entourage mais également terriblement libérateur. Pour nous-mêmes et les générations futures, les secrets doivent être partagés. 

Avant de vous consacrer à l’écriture, vous étiez juriste. Qu’est-ce qui a motivé cette reconversion professionnelle ? Être juriste était une erreur de casting et je me suis profondément embêtée durant neuf ans. Écrire a toujours été mon mode de communication le plus facile… Une double fracture de l’épaule et ses six semaines d’arrêt, ont été l’occasion de réfléchir à ce que je voulais faire de ma vie. Avec le recul, c’est la plus belle chose qui me soit arrivée. 

« Mettre de la lumière sur nos ombres », un trait caractéristique de votre plume ? C’est très lié à ce que je suis. Mes enfants vous diront que je suis allumée parce que j’adore les formations de développement personnel et de spiritualité. J’aime infiniment le travail que ça me fait faire sur moi-même. Cela m’aide à transmuter les ombres et les blessures en quelque chose de positif ou de plus léger à vivre. 

« Ma légende familiale raconte que dès mon premier cri, je me suis illustrée par un tempérament d’acier mêlé à une grande douceur ». Est-ce que votre histoire personnelle intervient dans vos romans ?  Je suis dans tous les personnages, non par rapport à ce qu’ils ont vécu mais dans des émotions qu’ils peuvent ressentir. Celui-ci, je l’ai dédié à Sybille Bauwer qui est une prostituée qui a sauvé mes grands-parents pendant la Shoah. Tenancière d’une maison close, elle les avait cachés dans son grenier où ma grand-mère a accouché. Appeler un de mes personnages Sybille, c’est ma manière de lui rendre hommage et d’en faire une « juste parmi les nations ». 

« Une phrase dans un livre peut questionner, faire sourire et ouvrir des portes en nous » ? J’espère que mes livres provoquent du bien et invitent les personnes à se questionner. (NDLR – Ce fut mon cas ! Roman coup de cœur).

La famille parfaite existe-t-elle ? Non, heureusement ! Qu’est-ce qu’on s’ennuierait. En revanche, si on pouvait arriver à cheminer parfaitement avec cette famille en nous, le monde serait magnifique ou du moins plus sage. 


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Bouli Lanners, par amour des Femmes et de la Terre

Visage familier du cinéma belge et français, Bouli Lanners, 57 ans, nous reçoit chez lui, sur les hauteurs de Liège, pour nous parler d’une histoire d’amour à fleur de peau où il arbore la triple casquette de scénariste, acteur et réalisateur. « Nobody has to know », love-story tournée en Ecosse et en anglais, amorce un véritable virage dans la carrière du Liégeois. Et dire qu’on croyait que Bouli n’aimait que la Wallonie !

Avec « Nobody has to Know », au cinéma dès le 23 mars, vous sortez de votre zone de confort, pour nous offrir une histoire d’amour, en Ecosse, en anglais… Quelle a été la motivation principale de ce triple virage ? Avec les « Premiers, les Derniers »,  mon précédent film, j’ai volontairement clôturé un cycle auteuriste amorcé avec “Ultranova”. Parallèlement à cette décision, j’avais envie de réaliser un vieux fantasme : tourner un film en Ecosse, pays où je me rends depuis 30 ans. J’avais lu un roman qui pouvait potentiellement être adapté sur l’Ile de Lewis, au nord de l’Ecosse… J’ai alors travaillé au corps mon producteur pour qu’il en obtienne les droits d’adaptation. Mais une fois installé sur l’île de Lewis, j’ai relu ce bouquin, un polar, et je me suis rendu compte qu’il était franchement mauvais ! (Rire). Grand malaise évidemment. J’ai tourné en rond, culpabilisé aussi… Et le déclic a été musical. Le « Wise Blood » de Soulsavers dans les oreilles, j’ai compris que c’était ici, en Ecosse, sur cette île, dans ce relief rude recouvert de tourbe, que je voulais réaliser une histoire d’amour ! A 57 ans, c’était le moment, l’instant … 

L’âge ? L’amour, c’est une question d’âge ? Non, au contraire. Mais plus jeune, j’avais peur de dire des bêtises. J’ai toujours souffert du syndrome de l’imposteur : il m’a fallu faire un long travail d’introspection pour me sentir légitime, pour être convaincu d’avoir le savoir-faire nécessaire pour tourner une histoire d’amour. A mes yeux, une histoire d’amour ratée, c’est pire qu’une comédie loupée ! 

Jusqu’ici, dans le cinéma de Bouli Lanners, il y avait peu de places pour les femmes ! On me l’a souvent reproché. Mais c’est une analyse à nuancer. Certes, il y a peu de femmes dans mon cinéma, mais tous mes personnages en souffrent. Dans Les “Géants”, les ados cherchent une mère; dans “Eldorado”, une compagne de vie …  

Millie, une femme, est le personnage central de votre nouveau film. Et quelle femme ! J’ai voulu faire un portrait de femme dans une communauté presbytérienne où les non-dits, les dogmes, les silences, sont lourds de sens. Cette histoire d’amour va offrir à Millie rien de moins que son émancipation !  

Une histoire d’amour qui se fiche des diktats sociaux… Sur cette terre, la plupart des gens s’aiment. Mais au cinéma, seuls ceux qui sont jeunes et beaux ont le droit de vivre une histoire d’amour. C’est absolument ridicule ! Je rends donc hommage à tous les autres, à vous, à moi, pas aux freaks de Cronenberg, non, juste aux gens ordinaires.

Le choix de la comédienne nord-irlandaise Michelle Fairley, qui a incarné le personnage de Catelyn Stark dans la série Game of Thrones, était-il une évidence ? Oui, car elle a une certaine austérité physique qui pouvait convenir au rôle, doublée d’une sensualité à fleur de peau. Puis, elle a cette voix tendue, bouleversante, cassée parfois. Une femme dont on tombe amoureux. 

Une femme, un homme, pas de chabadabada pour autant. C’est un film d’amour intense et discret à la fois. L’univers pictural y est fort, le verbe mesuré…  J’ai en effet un cinéma très peu verbeux. Dans ma famille, on s’aimait beaucoup, mais on ne se le disait pas forcément. Par pudeur ou méfiance, pour ne pas montrer ses failles.  

L’île de Lewis, au cœur du film, n’est pas un choix innocent …  J’ai toujours aimé les endroits reculés, car on y croise des gens que l’on ne rencontre nulle part ailleurs. La communauté presbytérienne, très importante sur cette île, rythme la vie sociale. Cette île, le fief de la langue gaélique, c’est un peu un pied de nez à l’uniformisation de l’Europe. Or j’aime l’Europe de la diversité, de la spécificité. 

Un élément clé dans la progression narrative, c’est le mensonge ! Un mensonge bien intentionné. Est-ce le Bouli philosophe que l’on découvre-là ? Rire. Oui, un peu. Quand j’ai décidé, in situ, d’écrire une histoire d’amour, il fallait que je perce l’intimité culturelle de cette île. La communauté presbytérienne est prisonnière de dogmes très stricts et chaque fois qu’il y a un schisme, les fractions séparées se radicalisent encore plus. Les presbytériens sont créationnistes. Pour eux, raconter une histoire, c’est mentir, la seule vérité étant la bible. Je vous donne un exemple saisissant : j’ai demandé l’autorisation pour garer nos camions, devant une église, un jour où il n’y avait pas de messe, et j’ai reçu un refus par mail, un refus motivé qui plus est. Puisque nous racontions une histoire à travers ce film, nous étions The Devil, le diable ! 

La religion et Bouli, ça fait trois ? Détrompez-vous. Je viens d’un milieu catholique pratiquant. Mais… Les trois religions abrahamiques font toutes du prosélytisme – ça m’énerve, vous n’avez pas idée ! -, elles sont ethnocentristes et oublient la Terre. Ces religions, plus le capitalisme, ont engendré le monde d’aujourd’hui : une planète exsangue à force d’être pillée par des hommes qui se croient supérieurs à la nature et aux animaux. Je ne veux plus et ne peux plus être abrahamiste ! Je penche, au contraire, vers un animisme de plus en plus radical.

A l’image de Phil, votre personnage, vous avez connu des problèmes de santé. Qu’en avez-vous tiré comme enseignement ? Qu’en avançant en âge, le temps qui reste à vivre est une question de plus en plus pressante ! 

 

Pour « Nobody has to know », vous cumulez les casquettes, scénariste, acteur, réalisateur. Pouvoir gérer ces trois postes, est-ce la recette de la liberté ? Au contraire, cette triple casquette m’a emprisonné. Au départ, je n’étais même pas pressenti pour jouer le rôle de Phil et, dorénavant, je ne jouerai plus dans mes propres films. Dans ceux des autres, oui… J’ai acquis, avec le temps, une certaine légitimité à être acteur : on me propose aujourd’hui de plus beaux rôles qu’il y a quelques années… Il ne faut pas oublier que je suis devenu acteur parce que j’étais gros et, qu’à l’époque, il n’y avait pas beaucoup de gros au cinéma !

Vous avez déjà un nouveau projet sur la table ?  J’aimerais jouer en Allemagne, en allemand, une langue que je parle couramment (Bouli est né à la Calamine, en Communauté germanophone, nda)… Je travaille également à l’adaptation de « Nature humaine » du romancier français Serge Joncour, film que je co-écris et que je réaliserai… C’est une commande, pas forcément mon truc. Mais, cette fois, le sujet touche à mon âme et parle à mes idéaux philosophiques, écologiques, politiques. Le roman explore 30 ans d’effondrement du monde paysan, le divorce entre l’homme et la nature, à travers l’histoire d’une famille française… Ce sera un film politique, pas pamphlétaire, mais il suscitera néanmoins une véritable réflexion politique. Un genre que je n’ai pas encore exploré, même si j’ai bien conscience d’être un militant.

Bouli, rassurez-nous, vous êtes toujours amoureux de la Wallonie ? L’Ecosse est très ardennaise (rire). Je pourrais y vivre, mais je suis bien à Liège. Mes vacances, je les passe en Belgique, à arpenter les sentiers et les rivières de Wallonie. Oui,  la Wallonie, ma ville, mon jardin, mon bois, mes chiens, les chauves-souris, suffisent largement à mon bonheur !


Nobody has to know 

Phil, un ouvrier agricole, s’est exilé dans une petite communauté presbytérienne sur l’Île de Lewis, au nord de l’Ecosse. Une nuit, il est victime d’une attaque qui lui fait perdre la mémoire. Alors qu’il reprend peu à peu le chemin du travail, Millie, une voisine presbytérienne qui s’occupe de lui, prétend qu’ils s’aimaient en secret avant son accident … 

Le 5e long métrage de Bouli Lanners amorce un véritable virage dans la carrière du Liégeois. « J’ai toujours souffert du syndrome de l’imposteur : il m’a fallu faire un long travail d’introspection pour me sentir légitime, pour être convaincu d’avoir le savoir-faire nécessaire pour tourner une histoire d’amour. » Bien lui fasse, car son « Nobody has to know » raconte une histoire d’amour où les protagonistes vibrent de tout leur être. Pour longtemps. Et dans le cœur du spectateur, bien après le dernier plan.

Notre coup de cœur printanier.

Au cinéma dès le 23 mars 2022.


Booshra-mastour

Dans l’Atelier de Booshra Mastour

Femme attachante, peintre atypique, artiste apaisée, Booshra Mastour a toujours défini ses peintures comme un refuge. Mais un refuge qui s’ouvre à l’autre. Ainsi ses nouveaux projets riches d’échanges : l’«Atelier », une galerie d’art permanente qui lui ressemble, des vernissages dînatoires entre intimes et l’expérimentation d’une rencontre artistique dans le noir. On en parle avec elle.

La première fois que l’on a vu le travail de Booshra Mastour, c’était en 2019, à Strokar Inside, l’ancien Delhaize Molière à Bruxelles. On était restée de longues minutes admirative devant un monumental portrait tribal au regard d’une rare intensité, d’une vibration invisible, aux textures et au relief étonnants, peint par l’artiste belge née au Maroc. Booshra y dévoilait la nature humaine dans ce qu’elle a de plus brut et invitait à une étonnante introspection de la part de la visiteuse ébahie que nous étions. Pour elle, « tout, de la gastronomie à la science, en incluant les fourmis et les arbres, oui, tout participe à la co-création de notre évolution et compose le véritable Enseignement Artistique »

A l’époque déjà, Booshra exposait partout dans le monde, Miami, New York, Johannesbourg, Hong Kong, Shanghai, Bangkok, Casablanca. Mais c’était la première fois que cette autodidacte rendait son art public à Bruxelles. « J’ai commencé la peinture très jeune. Longtemps, je me suis méfiée des galeries, de peur qu’elles me dénaturent. Certaines m’ont demandé de faire des toiles plus petites ou moins tribal, etc. Ce scénario ne me plaisait pas : j’étais jeune, j’avais envie d’explorer et de créer à ma façon. Mes premières ventes, je les ai faites à l’âge de 20 ans au cours de mes nombreux voyages, une quête nomade en solitaire qui a duré douze ans. En 2016, j’ai posté mes tableaux pour la première fois sur les réseaux sociaux. Très vite, j’ai été contactée par des galeries. Travailler et exposer à l’étranger, c’est fabuleux, ça m’a permis d’ajuster mon regard sur le vaste monde de l’art, d’affiner ma vision personnelle, et de m’ancrer plus encore dans ma créativité. 2022 s’annonce formidable : avec un street art dans les Barbades, une expo en Afrique du Sud et plusieurs projets au Maroc. Enfin, il y a « L’Atelier » pour découvrir l’expérience pleine et complète d’un portrait, d’une création, d’une co-création même, mais autrement…»

 

Ici où tout se meut pour prendre vie

Il y a peu, Booshra nous recevait dans le Brabant wallon, dans son Atelier. « Mais on est chez vous ! », lui lance-t-on. « Oh Merci ! C’est fou ! C’est l’une des premières questions que l’on me pose en entrant ici… ». L’Atelier est une galerie d’art permanente vraiment à part, en ce sens qu’elle a été aménagée par l’artiste elle-même. « J’ai dessiné la cuisine, imaginé le salon, chiné les meubles … » Cet Atelier, c’est son refuge, forcément chaleureux et réconfortant que Booshra, peintre généreuse, invite donc à partager. « Cet Atelier permanent, je l’ai voulu comme le lieu qui porte et voit naître les œuvres, le lieu ‘d’être’ indissociable de l’artiste que je suis, une galerie intime où tout se conscientise, se dessine, se manifeste et se meut pour prendre vie ».. Booshra Mastour souhaite y organiser des vernissages dînatoires en petit comité, 12 personnes au maximum. « Des vernissages dînatoires qui seront le fruit d’une co-création en symbiose avec un ou une chef(fe), un/e céramiste, et une peinture dévoilée ce jour-là. Leurs choix de textures, d’associations, de couleurs, etc., exprimeront leur propre expérience.

 

Que se passe-t-il dans le noir ?

C’est à une véritable expérience sensorielle que Booshra Mastour nous invite ce soir-là. « Es-tu capable de lâcher prise ? De ne penser à rien ? De ne rien imaginer, de ne rien attendre. D’observer pleinement ? Il n’y a rien d’ésotérique ou de spirituel, rien de mental ou d’intellectuel, rien n’est à croire, rien n’est à connaître. Tout est à observer, à expérimenter soi-même. Il fera noir mais je te conseille de ne pas parler, d’observer un silence absolu, pendant une dizaine de minutes. Je reste à tes côtés… »

Impossible évidemment de vous en dire plus sous peine de gâcher votre ressenti lorsque vous participerez à votre tour à cette incroyable rencontre artistique avec une toile. Une chose est sûre : les tableaux intimes que Booshra Mastour peint donnent à vivre bien plus dans l’obscurité et dans le silence, que sous l’éclairage !


www.booshra.com

Les dates des vernissages (max. 12 personnes) seront communiquées sur le site et les réseaux de l’artiste. L’Expérience d’une œuvre (jusqu’à quatre personnes) à réserver.


Stephan-Streker

Stephan Streker ou l’art de la conversation

Stephan Streker a plus d’une passion dans la vie. Parmi elles, le 7e art. Et le foot, qui lui vaut aujourd’hui d’être consultant sur l’émission de la RTBF consacrée au ballon rond, La Tribune. Ancien journaliste fou de cinéma, Stephan Streker est passé d’intervieweur à interviewé, quand en 2004 il réalise Michael Blanco, son premier long-métrage. Suivra neuf ans plus tard  Le Monde nous appartient et en 2016, Noces, succès critique et public. Il revient aujourd’hui avec L’Ennemi (en salle le 26 janvier), avec dans les rôles principaux Jérémie Renier et Alma Jodorowsky, librement inspiré de l’affaire Bernard Wesphael, cet homme politique wallon qui défraya la chronique, quand accusé d’avoir assassiné sa femme, Véronique Pirotton, à Ostende en 2013, il est acquitté trois ans plus tard.

Rencontre avec Stephan Streker dans les bureaux de ses producteurs de toujours, Michaël Goldberg et Boris Van Gils, dont le compagnonnage lui est précieux.

Vos films s’inspirent souvent de faits divers, le cas encore pour L’Ennemi. Qu’est-ce qui vous attire tant dans le fait divers ?

J’aime les films qui partent de faits réels, car cela rappelle souvent que dans l’art, ce qui compte c’est le point de vue, le regard. Confiez un même fait divers à trois cinéastes différents et vous aurez trois œuvres différentes.

Ce qui m’intéressait dans l’affaire Bernard Wesphael, c’est le substrat. Je pense que le film est né le jour où j’ai rencontré deux êtres humains, que j’aime et que je respecte énormément, qui m’ont défendu bec ongle et leur position. L’un persuadé de l’innocence du personnage de cette histoire réelle, l’autre de sa culpabilité. Je me suis rendu compte que leur point de vue en disait plus sur eux-mêmes que la réalité.

 

Pas de musique sur le générique de fin, mais le bruit des vagues. Pourquoi ce choix ?

Pour une raison évidente, le film commence à la mer et il se finit à la mer.  Par ailleurs, j’adore le bruit des vagues, c’est un son très apaisant. Surtout, c’est un son mouvant. Il n’y a rien d’arrêté… le doute reste.

Et je préférerai toujours les films qui posent des questions aux films qui apportent des réponses. La question ouvre, là où la réponse ferme. La question idiote n’existe pas, la réponse idiote… il y en a quantité !

 

Vous avez été journaliste cinéma, qu’est-ce qu’il vous reste de cette activité et de cette époque de votre vie ?

Tout d’abord, j’ai adoré faire ça. Je trouvais que je faisais le plus beau métier du monde. Quand je travaillais pour le journal Moustique, je faisais très peu de critiques, mais énormément d’interviews. J’ai pu rencontrer des réalisateurs dans des conditions incroyablement privilégiées : James Cameron, Francis Ford Coppola, Michael Mann, Claude Chabrol, Terry Gilliam, David Lynch, Sergio Leone …

Je suis un vrai cinéphile au sens premier : j’aime le cinéma. Ma nature est de plutôt fait que je vais retenir et célébrer les films que j’aime, plutôt que de critiquer ou de dire du mal des films que je n’aime pas.

Ce métier a été totalement décisif dans la carrière de cinéaste que j’ai embrassé.

 

Entre écouter par passion les cinéastes parler de leur travail et en devenir un soi-même, il y a une marge ! Comment on saute le pas ?  

Il y a eu un peu d’inconscience. Si j’osais un conseil, ce serait : action, décision… dans cet ordre-là.

Il faut d’abord sauter de la falaise pour se construire des ailes pendant la chute, plutôt que de se construire des ailes avant de se lancer.

 

Et si on s’écrase ?

Ça n’est pas grave !  C’est moins grave que de ne pas avoir sauté… parce qu’il n’y a pas la mort au bout. Il y a un problème, quelque chose… mais la vie c’est comme ça !

 

Une autre passion vous anime : le football. Y a-t-il un lien entre ces deux passions ?

Le lien le plus important, c’est de considérer que le football est aussi une expression artistique et que l’on peut dire des plus grands joueurs, qu’ils ont une indiscutable part de créativité. Une passe de Kevin De Bruyne envisagée et exécutée techniquement à la perfection, est à n’en pas douter un geste d’artiste. Les joueurs que j’admire le plus sont des joueurs créatifs et je leur reconnais un statut d’artiste.

Il est d’ailleurs intéressant de voir que bon nombre de cinéastes sont des passionnés de foot… Stanley Kubrick en tête.

 

Des projets ?

J’ai écrit le scénario d’un polar : Du sang sur les mains, une tragédie grecque déguisée en polar. Ça n’a rien à voir avec ce que j’ai pu écrire précédemment, et ça m’excite énormément.

J’ai toujours adoré le polar au cinéma. C’est une façon à la fois spectaculaire et plus légère de traiter de grands sujets.