Juicy, « On décide de tout à deux ! »
Juicy
« On décide de tout à deux ! »
Juicy
« On décide de tout à deux ! »MOTS : Servane Calmant
PHOTO : Benjamin Vigliotta
Après deux EPs remarqués, le duo féminin Juicy vient de sortir « Mobile », un tout premier album qui combine électro-pop sous influences et sonorités acoustiques. Rencontre avec Sasha Vovk et Julie Rens, deux Bruxelloises (presque) trentenaires bien ancrées dans une époque qui est loin d’être jojo ; ce qui ne les empêche nullement d’avoir de l’énergie à revendre !
Un mélange maîtrisé de compositions électro-pop, d’instruments, d’influences jazz, hip-hop, rock, sur treize titres engagés, frappant de réalisme, écrits avant et produits pendant la pandémie, voilà de quoi nous interpeller. Et espérer en apprendre plus sur Sasha et Julie !
Pourquoi ce titre « Mobile » ? Pour moult raisons ! Nous travaillons avec Gogolplex, un collectif de vidéastes qui s’occupe de tous nos visuels et qui a créé 13 mobiles pour enfants pour illustrer les différentes thématiques de l’album ; « Mobile » encore car on parle beaucoup de la place de la technologie dans nos vies ; « Mobile » toujours, car dans un monde idéal rien n’est figé, tout est mobile…
Comment appréhendez-vous votre époque ? Les sujets abordés dans l’album sont sombres, on y parle de surinformation, de féminicide, de violence …
Comment réussir à éduquer des enfants dans ce monde moderne et néanmoins violent ? A la première écoute/lecture, « Mobile » n’est pas un album réjouissant, mais on préconise justement de se recentrer sur l’essentiel, de conserver son esprit critique, de trouver des solutions tous ensemble.
« Fall Asleep » qui ouvre l’album a des airs de berceuse pour enfants. L’imaginaire au pouvoir, c’est votre réponse à la violence du monde ? En quelque sorte. Oui à l’imaginaire pour se protéger, nous et nos enfants, tout en conservant un esprit critique et en nourrissant notre intelligence. Il faut toujours être aux aguets.
Un premier album est forcément très identitaire. A son écoute, on découvre votre éclectisme musical, de l’électro sous influence rock, hip-hop, jazz, classique aussi, et de nombreuses sonorités acoustiques … Etait-ce un pari de mixer le tout ? « Plutôt un choix. Et peut-être risqué. Car l’album n’est pas forcément lisible pour tous les auditeurs. On n’a pas un style très reconnaissable, comprenez : nous n’entrons pas dans une catégorie musicale précise. Cet album est riche de toutes nos influences. Donc, oui, nous l’avons pensé/conçu sans concession.
Chez le disquaire, vous êtes dans quel bac ? Pas dans le bac folk!
Ni Death Metal ! (rire) Il y a des arrangements rock ! Boutade à part, dans le bac pop en raison des mélodies. Mais de la pop sous multiples influences, dans l’intention et dans les arrangements.
Dans un duo, qui fait quoi ? On décide de tout à deux !
C’est plus rassurant ? Non, c’est parce qu’on s’aime beaucoup ! On s’est rencontrées au Conservatoire de jazz. Une amitié est née. On fonctionne bien à deux : la même envie d’écriture musicale, le même plaisir d’être ensemble sur scène, les mêmes projets d’avenir …
A quoi doit-on s’attendre à un concert de Juicy ? A un show haut en couleur et un voyage à travers plein de styles musicaux ! Nous avons acquis une belle maîtrise de nos instruments. Les productions sont dansantes, avec des moments plus lyriques aussi. Et, surtout, il y a cette énergie qui nous est propre !
CONCERTS
15 avril au Rock & Trolls Festival à Leuze
16 avril au Reflektor à Liège
7 mai au Godifest à Godinne
8 mai à l’Inc’Rock à Incourt
3 juin au Kino Corso à St Vith
21 juillet au Kingdom Festival à Genappe
22 juillet aux Francofolies de Spa
20 janvier 2023 à l’Open Music Jazz Club à Comines
Doowy a tout pour plaire !
Pourquoi on aime le Food Market de la Gare Maritime
Mots : Servane Calmant
Photo : DR
Chanteur, auteur, compositeur, producteur et musicien multi-instrumentiste, le Bruxellois Thibaud Demey alias Doowy, 28 ans, dévoile son projet solo, « Contre-Nuit », un EP 6 titres qui le ramène à ses premiers amours, la chanson française. Rencontre.
Grâce au titre « L’eau du Bain », vous devenez la « Découverte des médias francophones publics » de 2021. Est-ce un bon tremplin ? « A tout vous avouer, je ne connaissais pas ce ‘prix’ avant de le remporter ! Mais il s’agit d’une franche reconnaissance de nouveaux talents francophones. D’une manière très concrète, cette promo a permis à « L’eau du Bain » d’être largement diffusé par les stations participantes… »
Le single « Te plaire », à la sonorité très électro-pop, me semble le plus « radiophonique » du EP… A ce propos, comment on écrit une chanson radiophonique ? « Quand on commence une composition, on ne sait absolument pas si elle sera radiophonique ou non. J’ai l’impression que les titres plus dansants passent plus facilement sur les ondes… En fait, c’est une question que je me pose aussi et à laquelle je n’ai pas de réponse ! (rire) »
Contre-nuit » invite à écouter de la chanson française … « ‘Te Plaire’ est la seule chanson électro-pop, d’un album effectivement orienté chanson française. J’ai des goûts très éclectiques, mais j’adore Serge et Charlotte Gainsbourg, Balavoine, Jacques Dutronc, Julien Doré, Hervé, Tim Dup, l’Impératrice … Ils sont clairement une source d’influence. »
Ce premier EP parle de la nostalgie des vacances, de la vulnérabi-
lité des hommes, du décès de votre mère… Comme une mise à nu ? « C’est peut-être en effet un album très introspectif. Le décès de ma mère m’a fait grandir, mais il m’a rendu peut-être plus nostalgique qu’on ne l’est à 29 ans. Attention, je le vis bien, avec beaucoup de bienveillance avec moi-même. Mon intention de départ n’était d’ailleurs pas d’accoucher d’un album introspectif. Au contraire, il est porteur de thèmes universels qui touchent le plus grand nombre. La nostalgie des vacances que l’on a toutes et tous ressentie pendant la pandémie, les relations à sens unique où on se retrouve coincé entre l’envie de rester et de partir, la mort d’un proche, l’addiction, les brimades au temps de l’adolescence, sont des sujets qui parlent à beaucoup de gens … ».
En tant que musicien pour Mustii et Lost Frequencies, la scène vous connaissez ! Mais quel a été le déclic pour l’affronter seul ? « L’idée de devenir auteur-compositeur trottait dans ma tête depuis quelques années. Pendant le confinement, j’ai eu du temps pour moi et pour composer. Et la chance de pouvoir faire la première partie d’Hervé – que j’adore – au Reflektor à Liège et au Botanique à Bruxelles. »
Etre auteur/compositeur/arrangeur/producteur, c’est forcément plus de liberté ? « Oui, mais ! (rire). C’est une façon d’être libre, ce n’est pas la seule. Composer en groupe, c’est enrichissant également et surtout plus rassurant. Dans l’aventure en solo, il y a le mood Team Spirit qui fait défaut, personne pour vous mettre en confiance, ou pour la booster.»
Quelle est la première personne à laquelle vous faites entendre vos nouvelles compositions ? « Sans hésiter : ma compagne ! »
Contre-Nuit
« Je me représente la nuit comme cette part d’ombre qu’on a en soi, ces souvenirs, cette part de nostalgie et de mélancolie. Contre-Nuit, c’est l’envie de contrer les moments d’ombres par des morceaux solaires, doux, légers. C’est une façon de regarder nos histoires passées avec de la tendresse, les erreurs qu’on a pu faire, les événements heureux ou tristes qu’on a pu vivre, … et arriver à en rire. Ces parts d’ombre font partie de nous, elles ont forgé ce que nous sommes. » (Doowy)
CONCERTS
21/04 au Martin’s Hotel de Louvain-la-Neuve (showcase)
28/04 à l’Ancienne Belgique – Première partie de Konoba
22/06 au Botanique (Rotonde) – Release party
12/08 au Gedinne Summer Festival
Antoine Wauters, le doute est fondamental
Antoine Wauters
Le doute est fondamental
Antoine Wauters
Le doute est fondamentalMots : Ariane Dufourny
Photo : Bénédicte Roscot
Poète et romancier belge, Antoine Wauters a marqué les esprits avec « Mahmoud ou la montée des eaux » qui a décroché, entre autres, le Prix Marguerite Duras en 2021. Avec « Le Musée des contradictions », son nouvel opus, il fustige avec la puissance de son verbe, les maux de notre société. « Est-ce un livre désespéré ? Oui ! Est-il également plein d’espoir ? Oui ! » Rencontre.
A la lecture du « Musée des contradictions », on fait connaissance avec douze protagonistes, leurs vies, leurs questionnements, leurs tiraillements. Vous sentez-vous particulièrement proche de l’un d’entre eux ? Le coup d’envoi du roman, c’est le premier discours, celui des jeunes. J’ai été très sensible à la manière dont le confinement à bouleverser leur vie. Ils ont vu leur horizon se réduire à néant. Ne plus pouvoir se rendre sur la côte belge, se baigner et se régénérer un peu, m’a fait terriblement mal au cœur. Quelle violence ! Le monde fermé à double tour, le trousseau de clés jeter au vent …
« Le Musée des contradictions », un titre accrocheur ! Êtes-vous à l’image de cet intitulé ? C’est un livre très personnel. Je suis présent dans chaque tiraillement, chaque questionnement, chaque contradiction, de chacun de mes protagonistes.
Étiez-vous prédestiné à écrire ? Je viens d’une famille où on lisait peu. Mes premiers souvenirs de livres remontent à Tintin, que me racontait mon grand-père, un excellent conteur d’histoires. Mes premières lectures sont tardives. Elles datent de ma rhéto où j’ai découvert Marguerite Duras. J’ai compris à quel point l’écriture est fascinante et la liberté qu’elle offre, notamment celle de choisir des mots parfois incongrus.
Enfant, vous étiez passionné d’athlétisme. Votre accident, un booster ? Bizarrement, il y a des ponts entre l’écriture et l’athlétisme. Comme une grande liberté ! La course, la vitesse, le sprint, le saut en longueur, étaient mes plaisirs d’enfant. Mon frère a été champion de Belgique de sauts en hauteur et comme lui, j’étais un athlète de bon niveau. A l’adolescence, une blessure a mis fin aux compétitions. Je me suis alors désintéressé du sport, privilégiant la musique et le monde de la culture. Un accident de parcours en somme.
Pensez-vous que chacun d’entre nous, hésite, souffre, espère et doute ? On doit tous faire semblant d’avoir des avis assez tranchés, presque choisir son camp et se justifier alors qu’on est plein de tiraillements et pas très sûr de soi. Fondamentalement, douter est important !
Est-il impossible d’accorder nos pensées à nos actes ? C’est la véritable question du livre ! On le remarque chaque matin en se disant « je vais être plus responsable, plus écolo » et une heure plus tard, on n’assume plus forcément. Ou encore : « aujourd’hui, je vais enfin dire ce que je pense à mon patron !» mais, dans la vraie vie, c’est très difficile d’être cohérent. Tout comme pour la Covid où un matin, on veut se faire vacciner et, le lendemain, on remet tout en question. Avoir la certitude de convertir nos dires en actes, est-ce souhaitable ? J’aime l’idée de pouvoir être ambivalent et de suspendre son jugement.
Quelle réaction espérez-vous susciter chez vos lecteurs lorsqu’ils achèveront la lecture de votre livre ? Ce qui me rendrait le plus heureux est qu’on cesse d’opposer l’espoir et le désespoir. Le livre l’évoque. Alors, est-ce un livre désespéré ? Oui ! Est-il plein d’espoir ? Oui ! Le livre raconte les oppositions qui ont été construites selon un système de valeur qui confronte le bien et le mal, la vérité et le mensonge, la lumière et l’opacité. Pour moi, ces principes vont main dans la main, l’un n’empêche pas l’autre.
Kevin Douillez, l’urgence de peindre
Kevin Douillez
L’urgence de peindre
Mots : Agnès Zamboni
Photos : Estelle Parewyck
Des œuvres qui transpirent l’énergie, des couleurs qui claquent, une virilité en demi-teintes affichant les contradictions de l’être. Entre la douceur des tons et la brutalité du geste, Kevin prend le risque de se dévoiler pour manifester sa vérité.
Quel a été votre parcours avant la peinture ? Je suis né en 1990 près de Binche. J’ai développé une connexion très forte avec mon frère jumeau. Nous ne nous sommes jamais séparés durant notre adolescence. Sur les bancs de l’école, où l’ennui s’est très vite installé, une seule chose était capable de retenir mon attention : la création. Hypersensible, je développe depuis toujours une sensibilité au monde de l’art et à la majesté culturelle qui en émane. Je me suis refusé aux sports virils propres à ma génération pour commencer la poterie et ensuite la peinture qui m’ont amené à une maîtrise du geste et à son lien avec le mental. Le goût de la liberté l’a emporté sur mes études et, très vite, j’ai commencé à travailler dans l’entreprise familiale comme paysagiste, un métier qui utilise les 5 sens. Puis j’ai déménagé à Bruxelles pour me lancer dans l’entrepreneuriat, j’ai ouvert un restaurant à Bruxelles. Très rapidement, le côté créatif de mes activités a disparu pour laisser place au stress lié à la recherche de la rentabilité et j’ai décidé de revendre l’établissement. Aujourd’hui, je prends conscience de l’importance de ma rencontre avec l’antiquaire Stéphane Cauchies qui m’a appris à chiner les beaux objets, à les repérer place du Jeu de Balle et à les revendre sur un second marché. Au courant de mes ambitions de revenir à la conception, c’est lui qui m’a proposé de partager un atelier à Forest…
Comment se sont déroulés vos débuts ? Autodidacte, j’ai commencé à peindre car c’était, pour moi, comme une forme de thérapie. Chaque coup de pinceau, chaque tableau commencé et terminé me permettait d’extérioriser. D’une certaine façon, je n’avais rien à perdre puisque j’avais tout perdu. De toute mon âme de toutes mes forces, j’ai commencé à peindre avec rage et détermination. Mon entourage unanime m’a poussé à me surpasser et à me diriger dans cette voie. En janvier 2020, j’ai été remarqué par l’agent d’artistes Ohana Nkulufa avec laquelle j’ai organisé ma première exposition dans une galerie bruxelloise rue Saint-Georges. Elle s’intitulait Thérapie : tout était dit. Et le succès était au rendez-vous. Puis il y a eu la pandémie et le premier confinement qui m’ont poussé à renforcer ma maîtrise dans les réseaux sociaux pour permettre à mes toiles de rencontrer leur public. 40 % de mes toiles sont désormais dans des collections à l’étranger. En mars 2021, la galerie Nardone m’a proposé un solo show, avec 23 de mes toiles, qui s’est terminé par un sold out. Pris dans cette dynamique, j’ai monté ma société et engagé une équipe. Puis j’ai été remarqué par l’agent et marchand d’art Nathan Wisniec Brachot qui me représente aujourd’hui et notamment dans le cadre de l’exposition « The Colorful Thruth ».
Quelles sont les particularités de votre technique ? Je mixe les techniques et les outils, peinture à l’huile, à l’acrylique, crayon, pastel. Je travaille avec des chiffons, des bouts de bois, des pinceaux, tout ce que je trouve sous la main… Je peins dans l’amour et la haine. Je laisse parler mes émotions, mon ressenti et mon intuition et laisse ma vérité se déclarer. Je construis et je déconstruis en permanence. J’accroche et décroche mes émotions sur la toile, j’explore plusieurs approches picturales qui ont toutes un point commun avec ma démarche : l’authenticité. Je gratte, j’enlève, je rajoute des morceaux. Je retourne la toile tout en travaillant avant de lui donner son sens définitif. J’exprime ainsi toute la difficulté intérieure, de faire des choix et d’assumer notre vulnérabilité. J’interroge les tiraillements et les questionnements inconscients qui nous rallient au principe de décision et d’acceptation dans une quête d’équilibre. Je suis porteur d’une particularité neurologique rare, la synesthésie. Elle permet d’associer plusieurs sens, des couleurs à des goûts, des sons à des formes géométriques, et vice versa. On aperçoit d’ailleurs, dans certaines de mes toiles, des personnages, des formes géométriques qui s’élèvent, nés de cette combinaison des facteurs sensoriels…
Quelle a été votre évolution esthétique en 2 ans ? J’ai peint plus d’une centaine de toiles à ce jour et cette pratique est désormais une philosophie thérapeutique. Au début, mes tableaux se dirigeaient plus vers un style figuratif comme les portraits de mon frère jumeau et de moi-même, parmi mes premières œuvres, vendues aussi à un homme qui avait une jumelle. Aujourd’hui, je trouve cela trop plat car je suis à la recherche de matières, de textures. Je rêve de manier un jet à haute pression ou de brûler mes toiles au chalumeau pour aller plus loin. Toujours rien à perdre, j’ai envie de tester plein de choses, la sculpture, la performance. Mon absence d’enseignement théorique me donne toute la liberté d’aller où j’ai envie et de me lâcher. J’écoute les conseils pour ne pas les suivre, je fais le tri dans les critiques. Mes œuvres sont d’abord appréciées pour le dynamisme et la joie de vivre qu’elles véhiculent et cela doit rester important.
Barbara Abel, qui est le véritable meurtrier d’un être qui se suicide ? Lui, sans doute. Et puis tous les autres, aussi.
Barbara Abel
Qui est le véritable meurtrier d’un être qui se suicide ? Lui, sans doute. Et puis tous les autres, aussi.
Mots : Ariane Dufourny
Photo : Melania Avanzato
De Barbara Abel, on est super fan ! On retrouve la reine du thriller belge dans « Les Fêlures » qui nous tient en haleine de la première à la dernière page. Personne n’en sortira indemne ! A quoi reconnait-on un thriller exceptionnel ? C’est celui qu’on regrette de terminer, tellement l’envie de le relire devient obsessionnelle. Plus passionnant qu’une série addictive ou qu’un date !
En 2002, « L’instinct maternel » recevait le Prix du roman policier du festival de Cognac. 20 ans d’écriture teintée de suspense, 14 thrillers psychologiques. Quelle est la recette de votre succès ? Je suis exigeante. Je dois être ma première fan !
Vos romans, des thrillers psychologiques dans toute leur splendeur. Où trouvez-vous votre inspiration ? Dans la vie de tous les jours, évidemment (rire). Je m’inspire du quotidien, d’un fait divers, de rencontres, d’histoires qu’on me raconte. En découle une réalité crédible.
Votre nouveau thriller s’intitule « Les Fêlures. Son élément déclencheur ? Un procès d’assises auquel j’ai assisté pour les besoins d’une série que je co-écrivais. Ce procès jugeait un homme qui s’était suicidé avec sa compagne, sauf qu’elle ne s’est jamais réveillée et que lui a survécu. Dans le roman, l’amorce est identique, mais les personnages différents.
Êtes-vous une personne angoissée ou marquée par un passé chahuté, pour raconter des histoires aussi meurtries ? J’ai vécu des drames comme tout le monde : le divorce de mes parents, la mort de mon papa… Mais aucun drame incroyable. Je ne suis pas une angoissée, mais mon imagination conçoit très vite les catastrophes qui pourraient découler de certaines situations. J’ai une grande capacité à imaginer le pire !
« Les Fêlures », celles de vos personnages sont profondes. Avez-vous pris conseil auprès de psychiatres ou psychologues pour les dépeindre ? Je fais beaucoup de recherches. Il y a un outil extraordinaire : Internet ! Je fais aussi appel à des professionnels. Pour « Les Fêlures », j’ai notamment contacté mon médecin traitant et un diabétologue.
L’insuline serait-elle l’arme fatidique pour un crime parfait ? Oui ! Ce fut confirmé par ce diabétologue. Je cherchais un produit qui donne la mort et qui a la caractéristique de disparaître de l’organisme post-mortem. Une arme assez redoutable car les médecins légistes ne la détectent pas lors de l’autopsie. Des overdoses d’insuline pourraient être des meurtres jamais détectés…
Ne craignez-vous pas de donner des idées ? Quelle horreur ! Dans la majorité des cas, le diabétologue a précisé que les gens ne mourraient pas et pouvaient être sauvés. Une personne n’est pas l’autre. J’avais besoin de gens qui meurent, alors j’ai ajouté de l’alcool et de la morphine.
En somme, à vous lire, c’est la recette du parfait assassin ? Pour un autre bouquin, j’ai discuté avec mon garagiste. Je voulais trafiquer les freins d’une voiture pour provoquer un accident. Il m’a rétorqué : rassurez-moi, c’est bien pour un roman ? (Rires).
Au coeur de vos romans, aucun tueur en série mais des familles dysfonctionnelles. Pourquoi les névroses familiales vous inspirent-elles autant ? Car le lecteur peut s’y identifier ! Les familles dysfonctionnelles sont plus proches de moi, de nous, qu’un tueur en série. Un psychopathe est malade, il ne m’intéresse pas. En revanche, nos fragilités, ce qui nous blesse, nos émotions mises à nu, quel fabuleux terreau pour un roman !
Serions-nous tous des assassins qui s’ignorent ? Oui, heureusement la plupart d’entre nous ne passent jamais à l’acte. L’homme jugé pour le meurtre de sa maîtresse était tellement gentil que sa femme, ses enfants, ses parents, ses frères, ses sœurs, ses amis, ses voisins, ont témoigné en sa faveur…. Comment un homme qui ne ferait pas de mal à une mouche en vient à « tuer » ? C’était un suicide, il l’a tuée par amour parce qu’elle souhaitait mourir.
Quelle est votre secret pour provoquer autant d’émotions ? Je ne raconte pas tout de la vie de mes personnages. Dans « Les Fêlures », à l’image de cet homme conduit jusqu’au banc des accusés dans ce procès d’assises, j’ai construit ce roman avec des anecdotes du passé et du présent, par petites touches.
Votre roman « Derrière la haine » a été adapté au cinéma par le réalisateur belge Olivier Masset-Depasse en 2019. Son film, « Duelles », interprété par les actrices belges Anne Coesens et Veerle Baetens, a remporté 9 Magritte du Cinéma ! Anne Hathaway et Jessica Chastain ont repris leur rôle dans « Mother’s Instinct », le remake hollywoodien. « Le Diable s’habille en Prada » débarque dans votre univers ! Quel est votre ressenti face à un tel succès ? Quand Olivier m’a parlé de ce projet en 2018, j’ai mis l’info dans un coin de ma tête. Maintenant que je sais que le tournage a lieu du 25 mai au 4 juillet 2022… Oui, c’est fou, incroyable !
Nathalie Campion, dualité en noir et blanc
Nathalie Campion
Dualité en noir et blanc
Mots : Agnès Zamboni
Photo : DR
Avec une troisième exposition, Nathalie Campion confirme l’originalité de son style qui exprime la puissance et la fragilité du monde naturel, au travers de sculptures en céramique anthropomorphes et organiques. Dans ses œuvres, le corps discret apparaît, refusant l’idée du spectaculaire.
Comment la céramique est-elle entrée dans votre vie ? Après une carrière professionnelle très active entre Paris et Bruxelles, elle y est entrée tardivement et instinctivement, presque de façon primaire voire primitive, comme une envie de toucher la terre, un retour aux sources. Bien qu’ayant suivi quelques cours et participé à des résidences, je me considère comme autodidacte. J’ai d’abord emprunté les chemins exploratoires avec les frustrations et les incertitudes qui les accompagnent et j’ai passé beaucoup de temps à mettre au point mes propres émaux. En tant que céramiste, on se doit de les développer soi-même. Aujourd’hui, mon travail dépasse cette notion et ce complexe de « non » couleur. Grâce à Joseph Culot, fils du célèbre céramiste belge Pierre Culot, j’ai eu la chance de pouvoir bénéficier de l’atelier, ce qui m’a donné le besoin d’entreprendre un travail artistique. Il y a 3 ans, j’ai exposé pour la première fois chez OV Project et à Art Brussels, puis, l’année dernière, chez Spazio Nobile, dans le cadre d’un show collectif.
Pourquoi le noir et le blanc ? Mes pièces sont toujours noires ou blanches, quoique …, j’ai rajouté très discrètement une touche de vert/bleu. C’est une dualité et un contraste qui correspondent à mon caractère entier, le miroir de ma personnalité. Je suis noire ou blanche, je ne fais jamais dans la demi-mesure comme dans la demi-teinte. J’avance sans doute trop vite. Je peux mener une vie rustique dans mon atelier chauffé au feu de bois et me retrouver, le lendemain, en talons aiguilles, dans une soirée.
Le noir, comme le blanc, c’est franc, c’est la pureté, la transparence, l’honnêteté. Ce sont des couleurs exigeantes qui permettent un territoire infini, ne se limitant pas au monochrome ou aux symboliques qu’elles véhiculent, telles la mort et la lumière. Intransigeantes, elles ne laissent rien passer au niveau de la structure. Je les travaille avec plusieurs niveaux et superpositions ou techniques d’application différentes ; en céramique, quand on ouvre le four, on n’a aucune certitude. On retrouve ce concept de forces antagonistes dans mon travail de la terre. Ma technique est particulière : un modelage brut et sculptural, auquel j’associe des lamelles de terre finement découpées comme un orfèvre. Je façonne des plaques dans lesquelles je les découpe, une à une, avec précision et délicatesse. Les lamelles recouvrent le corps central de la pièce, telle une écorce dont elles protègent le tronc.
Quelle évolution se dessine dans vos dernières pièces ? J’ai voulu me confronter aux grands formats et travailler autour du corps, l’associer à la nature qui est salvatrice et indissociable de l’homme.
La pièce majeure est « Le Gisant », une œuvre qui mesure 1,65 m de long, un travail anthropomorphe complexe, réalisé en 3 morceaux. Je suis partie de mon corps. Lorsqu’un corps est enseveli dans la terre, il l’enrichit et provoque un renouvellement, une renaissance, une repousse. Dans cela, il n’y a rien de morbide, la mort est une continuité pas une fin en soi car la nature est la plus forte. C’est aussi une métaphore de ma vie. Toutes mes nouvelles pièces sont des corps mis à nus, à peine enveloppés, la révélation d’une vérité sans déguisement.
Quelle est la prochaine étape ? J’avais envie d’appréhender d’autres médiums et l’espace, c’est pourquoi j’ai entrepris une nouvelle formation à l’Académie de sculpture. Je peins, je fais de l’aquarelle, pour l’instant, j’apprends. Là-bas, je ne touche plus la terre. J’ai fait une vidéo, je me suis mise en scène dans les bois, une femme dénudée qui se métamorphose en argile… un retour à la terre. Paradoxalement, je veux sortir, de la terre, je veux aller ailleurs, plus loin à la recherche d’absolu. J’accepte la prise de risque et prends conscience de toute la joie que cela lui procure. Une nouvelle résidence au Mexique m’attend dès le second trimestre 2022. Peut-être que ce voyage me donnera envie de couleurs ?
En collaboration avec l’atelier Jespers :
The Solo Project-Contemporary Air Fair 22
Circularium, Liverpool Hall 1
Liverpool Street – 1070 Bruxelles
Du 28 avril au 1er mai 2022
(mercredi 27 avril de 17h à 22h, VIP)
Instagram : nathalie.campion
Valérie Cohen, Un joli parterre de ronces
Valérie Cohen
Un joli parterre de ronces
Mots : Ariane dufourny
Photo : Eric Matheron-Balaÿ © Flammarion
Et si les arbres généalogiques comportaient une case pour les amis de toujours, les amours défuntes, les maîtres à penser, les sauveurs ? A quoi ressemblerait le vôtre ? La romancière bruxelloise Valérie Cohen souligne avec brio que le destin de chacun ne tient qu’à un fil. Ou à un mensonge.
Qu’est-ce qui vous a inspiré pour écrire ce roman et le titre afférent ? Fan de développement personnel, je m’intéresse à la psychogénéalogie. Un de mes enfants a voulu faire un test ADN et j’ai adhéré aussi. Comme une écolière attendant ses résultats, j’ai été frustrée de n’apprendre aucune révélation fracassante (rire). Mon roman se penche sur la dynamique sous-jacente à la famille : son système social, ses règles, ses rôles, ses secrets, son système de pouvoir. « Qu’importe la couleur du ciel », dit l’une de mes héroïnes, et ça signifie que la famille reste la famille. On a beau vouloir s’en défaire, on est fait des branches de son arbre généalogique, on est fait de ce bois-là !
Une famille se reconnaît-elle par les liens du cœur ou par les liens du sang ? C’est un subtil mélange des deux et au-delà, il y également tout ce qui est tu : les morts qui sont invisibles mais pas absents, les secrets de famille, les fidélités inconscientes, ce qui ne s’est pas raconté de génération en génération. On fait partie d’une lignée, qu’on le veuille ou non.
« Vitale et mortelle à la fois, organisme vivant aux multiples facettes. La famille un joli parterre de ronces ». Est-elle la source de nos bonheurs ou celle de nos névroses ? Les deux ! On porte nos propres douleurs et névroses, plus celles non digérées par nos ancêtres. On rêve tous ce cette famille idéale, source d’ancrage et de bonheur, mais ça pique toujours quelque part !
Qu’importe les secrets détenus, muselés. Le mensonge a-t-il des vertus ? Toute vérité n’est-elle pas bonne à dire ? Il est plus facile de vivre de façon confortable en taisant un secret qu’en le révélant. Révéler un secret peut être dévastateur pour soi-même et surtout pour notre entourage mais également terriblement libérateur. Pour nous-mêmes et les générations futures, les secrets doivent être partagés.
Avant de vous consacrer à l’écriture, vous étiez juriste. Qu’est-ce qui a motivé cette reconversion professionnelle ? Être juriste était une erreur de casting et je me suis profondément embêtée durant neuf ans. Écrire a toujours été mon mode de communication le plus facile… Une double fracture de l’épaule et ses six semaines d’arrêt, ont été l’occasion de réfléchir à ce que je voulais faire de ma vie. Avec le recul, c’est la plus belle chose qui me soit arrivée.
« Mettre de la lumière sur nos ombres », un trait caractéristique de votre plume ? C’est très lié à ce que je suis. Mes enfants vous diront que je suis allumée parce que j’adore les formations de développement personnel et de spiritualité. J’aime infiniment le travail que ça me fait faire sur moi-même. Cela m’aide à transmuter les ombres et les blessures en quelque chose de positif ou de plus léger à vivre.
« Ma légende familiale raconte que dès mon premier cri, je me suis illustrée par un tempérament d’acier mêlé à une grande douceur ». Est-ce que votre histoire personnelle intervient dans vos romans ? Je suis dans tous les personnages, non par rapport à ce qu’ils ont vécu mais dans des émotions qu’ils peuvent ressentir. Celui-ci, je l’ai dédié à Sybille Bauwer qui est une prostituée qui a sauvé mes grands-parents pendant la Shoah. Tenancière d’une maison close, elle les avait cachés dans son grenier où ma grand-mère a accouché. Appeler un de mes personnages Sybille, c’est ma manière de lui rendre hommage et d’en faire une « juste parmi les nations ».
« Une phrase dans un livre peut questionner, faire sourire et ouvrir des portes en nous » ? J’espère que mes livres provoquent du bien et invitent les personnes à se questionner. (NDLR – Ce fut mon cas ! Roman coup de cœur).
La famille parfaite existe-t-elle ? Non, heureusement ! Qu’est-ce qu’on s’ennuierait. En revanche, si on pouvait arriver à cheminer parfaitement avec cette famille en nous, le monde serait magnifique ou du moins plus sage.
Bouli Lanners, par amour des Femmes et de la Terre
Bouli Lanners
Par amour des Femmes et de la Terre
Mots : Servane Calmant
Photos : Anthony Dehez
Visage familier du cinéma belge et français, Bouli Lanners, 57 ans, nous reçoit chez lui, sur les hauteurs de Liège, pour nous parler d’une histoire d’amour à fleur de peau où il arbore la triple casquette de scénariste, acteur et réalisateur. « Nobody has to know », love-story tournée en Ecosse et en anglais, amorce un véritable virage dans la carrière du Liégeois. Et dire qu’on croyait que Bouli n’aimait que la Wallonie !
Avec « Nobody has to Know », au cinéma dès le 23 mars, vous sortez de votre zone de confort, pour nous offrir une histoire d’amour, en Ecosse, en anglais… Quelle a été la motivation principale de ce triple virage ? Avec les « Premiers, les Derniers », mon précédent film, j’ai volontairement clôturé un cycle auteuriste amorcé avec “Ultranova”. Parallèlement à cette décision, j’avais envie de réaliser un vieux fantasme : tourner un film en Ecosse, pays où je me rends depuis 30 ans. J’avais lu un roman qui pouvait potentiellement être adapté sur l’Ile de Lewis, au nord de l’Ecosse… J’ai alors travaillé au corps mon producteur pour qu’il en obtienne les droits d’adaptation. Mais une fois installé sur l’île de Lewis, j’ai relu ce bouquin, un polar, et je me suis rendu compte qu’il était franchement mauvais ! (Rire). Grand malaise évidemment. J’ai tourné en rond, culpabilisé aussi… Et le déclic a été musical. Le « Wise Blood » de Soulsavers dans les oreilles, j’ai compris que c’était ici, en Ecosse, sur cette île, dans ce relief rude recouvert de tourbe, que je voulais réaliser une histoire d’amour ! A 57 ans, c’était le moment, l’instant …
L’âge ? L’amour, c’est une question d’âge ? Non, au contraire. Mais plus jeune, j’avais peur de dire des bêtises. J’ai toujours souffert du syndrome de l’imposteur : il m’a fallu faire un long travail d’introspection pour me sentir légitime, pour être convaincu d’avoir le savoir-faire nécessaire pour tourner une histoire d’amour. A mes yeux, une histoire d’amour ratée, c’est pire qu’une comédie loupée !
Jusqu’ici, dans le cinéma de Bouli Lanners, il y avait peu de places pour les femmes ! On me l’a souvent reproché. Mais c’est une analyse à nuancer. Certes, il y a peu de femmes dans mon cinéma, mais tous mes personnages en souffrent. Dans Les “Géants”, les ados cherchent une mère; dans “Eldorado”, une compagne de vie …
Millie, une femme, est le personnage central de votre nouveau film. Et quelle femme ! J’ai voulu faire un portrait de femme dans une communauté presbytérienne où les non-dits, les dogmes, les silences, sont lourds de sens. Cette histoire d’amour va offrir à Millie rien de moins que son émancipation !
Une histoire d’amour qui se fiche des diktats sociaux… Sur cette terre, la plupart des gens s’aiment. Mais au cinéma, seuls ceux qui sont jeunes et beaux ont le droit de vivre une histoire d’amour. C’est absolument ridicule ! Je rends donc hommage à tous les autres, à vous, à moi, pas aux freaks de Cronenberg, non, juste aux gens ordinaires.
Le choix de la comédienne nord-irlandaise Michelle Fairley, qui a incarné le personnage de Catelyn Stark dans la série Game of Thrones, était-il une évidence ? Oui, car elle a une certaine austérité physique qui pouvait convenir au rôle, doublée d’une sensualité à fleur de peau. Puis, elle a cette voix tendue, bouleversante, cassée parfois. Une femme dont on tombe amoureux.
Une femme, un homme, pas de chabadabada pour autant. C’est un film d’amour intense et discret à la fois. L’univers pictural y est fort, le verbe mesuré… J’ai en effet un cinéma très peu verbeux. Dans ma famille, on s’aimait beaucoup, mais on ne se le disait pas forcément. Par pudeur ou méfiance, pour ne pas montrer ses failles.
L’île de Lewis, au cœur du film, n’est pas un choix innocent … J’ai toujours aimé les endroits reculés, car on y croise des gens que l’on ne rencontre nulle part ailleurs. La communauté presbytérienne, très importante sur cette île, rythme la vie sociale. Cette île, le fief de la langue gaélique, c’est un peu un pied de nez à l’uniformisation de l’Europe. Or j’aime l’Europe de la diversité, de la spécificité.
Un élément clé dans la progression narrative, c’est le mensonge ! Un mensonge bien intentionné. Est-ce le Bouli philosophe que l’on découvre-là ? Rire. Oui, un peu. Quand j’ai décidé, in situ, d’écrire une histoire d’amour, il fallait que je perce l’intimité culturelle de cette île. La communauté presbytérienne est prisonnière de dogmes très stricts et chaque fois qu’il y a un schisme, les fractions séparées se radicalisent encore plus. Les presbytériens sont créationnistes. Pour eux, raconter une histoire, c’est mentir, la seule vérité étant la bible. Je vous donne un exemple saisissant : j’ai demandé l’autorisation pour garer nos camions, devant une église, un jour où il n’y avait pas de messe, et j’ai reçu un refus par mail, un refus motivé qui plus est. Puisque nous racontions une histoire à travers ce film, nous étions The Devil, le diable !
La religion et Bouli, ça fait trois ? Détrompez-vous. Je viens d’un milieu catholique pratiquant. Mais… Les trois religions abrahamiques font toutes du prosélytisme – ça m’énerve, vous n’avez pas idée ! -, elles sont ethnocentristes et oublient la Terre. Ces religions, plus le capitalisme, ont engendré le monde d’aujourd’hui : une planète exsangue à force d’être pillée par des hommes qui se croient supérieurs à la nature et aux animaux. Je ne veux plus et ne peux plus être abrahamiste ! Je penche, au contraire, vers un animisme de plus en plus radical.
A l’image de Phil, votre personnage, vous avez connu des problèmes de santé. Qu’en avez-vous tiré comme enseignement ? Qu’en avançant en âge, le temps qui reste à vivre est une question de plus en plus pressante !
Pour « Nobody has to know », vous cumulez les casquettes, scénariste, acteur, réalisateur. Pouvoir gérer ces trois postes, est-ce la recette de la liberté ? Au contraire, cette triple casquette m’a emprisonné. Au départ, je n’étais même pas pressenti pour jouer le rôle de Phil et, dorénavant, je ne jouerai plus dans mes propres films. Dans ceux des autres, oui… J’ai acquis, avec le temps, une certaine légitimité à être acteur : on me propose aujourd’hui de plus beaux rôles qu’il y a quelques années… Il ne faut pas oublier que je suis devenu acteur parce que j’étais gros et, qu’à l’époque, il n’y avait pas beaucoup de gros au cinéma !
Vous avez déjà un nouveau projet sur la table ? J’aimerais jouer en Allemagne, en allemand, une langue que je parle couramment (Bouli est né à la Calamine, en Communauté germanophone, nda)… Je travaille également à l’adaptation de « Nature humaine » du romancier français Serge Joncour, film que je co-écris et que je réaliserai… C’est une commande, pas forcément mon truc. Mais, cette fois, le sujet touche à mon âme et parle à mes idéaux philosophiques, écologiques, politiques. Le roman explore 30 ans d’effondrement du monde paysan, le divorce entre l’homme et la nature, à travers l’histoire d’une famille française… Ce sera un film politique, pas pamphlétaire, mais il suscitera néanmoins une véritable réflexion politique. Un genre que je n’ai pas encore exploré, même si j’ai bien conscience d’être un militant.
Bouli, rassurez-nous, vous êtes toujours amoureux de la Wallonie ? L’Ecosse est très ardennaise (rire). Je pourrais y vivre, mais je suis bien à Liège. Mes vacances, je les passe en Belgique, à arpenter les sentiers et les rivières de Wallonie. Oui, la Wallonie, ma ville, mon jardin, mon bois, mes chiens, les chauves-souris, suffisent largement à mon bonheur !
Nobody has to know
Phil, un ouvrier agricole, s’est exilé dans une petite communauté presbytérienne sur l’Île de Lewis, au nord de l’Ecosse. Une nuit, il est victime d’une attaque qui lui fait perdre la mémoire. Alors qu’il reprend peu à peu le chemin du travail, Millie, une voisine presbytérienne qui s’occupe de lui, prétend qu’ils s’aimaient en secret avant son accident …
Le 5e long métrage de Bouli Lanners amorce un véritable virage dans la carrière du Liégeois. « J’ai toujours souffert du syndrome de l’imposteur : il m’a fallu faire un long travail d’introspection pour me sentir légitime, pour être convaincu d’avoir le savoir-faire nécessaire pour tourner une histoire d’amour. » Bien lui fasse, car son « Nobody has to know » raconte une histoire d’amour où les protagonistes vibrent de tout leur être. Pour longtemps. Et dans le cœur du spectateur, bien après le dernier plan.
Notre coup de cœur printanier.
Au cinéma dès le 23 mars 2022.
Dans l’Atelier de Booshra Mastour
Dans l’Atelier de Booshra Mastour
Mots : Servane Calmant
Photos : Anthony Dehez
Femme attachante, peintre atypique, artiste apaisée, Booshra Mastour a toujours défini ses peintures comme un refuge. Mais un refuge qui s’ouvre à l’autre. Ainsi ses nouveaux projets riches d’échanges : l’«Atelier », une galerie d’art permanente qui lui ressemble, des vernissages dînatoires entre intimes et l’expérimentation d’une rencontre artistique dans le noir. On en parle avec elle.
La première fois que l’on a vu le travail de Booshra Mastour, c’était en 2019, à Strokar Inside, l’ancien Delhaize Molière à Bruxelles. On était restée de longues minutes admirative devant un monumental portrait tribal au regard d’une rare intensité, d’une vibration invisible, aux textures et au relief étonnants, peint par l’artiste belge née au Maroc. Booshra y dévoilait la nature humaine dans ce qu’elle a de plus brut et invitait à une étonnante introspection de la part de la visiteuse ébahie que nous étions. Pour elle, « tout, de la gastronomie à la science, en incluant les fourmis et les arbres, oui, tout participe à la co-création de notre évolution et compose le véritable Enseignement Artistique »
A l’époque déjà, Booshra exposait partout dans le monde, Miami, New York, Johannesbourg, Hong Kong, Shanghai, Bangkok, Casablanca. Mais c’était la première fois que cette autodidacte rendait son art public à Bruxelles. « J’ai commencé la peinture très jeune. Longtemps, je me suis méfiée des galeries, de peur qu’elles me dénaturent. Certaines m’ont demandé de faire des toiles plus petites ou moins tribal, etc. Ce scénario ne me plaisait pas : j’étais jeune, j’avais envie d’explorer et de créer à ma façon. Mes premières ventes, je les ai faites à l’âge de 20 ans au cours de mes nombreux voyages, une quête nomade en solitaire qui a duré douze ans. En 2016, j’ai posté mes tableaux pour la première fois sur les réseaux sociaux. Très vite, j’ai été contactée par des galeries. Travailler et exposer à l’étranger, c’est fabuleux, ça m’a permis d’ajuster mon regard sur le vaste monde de l’art, d’affiner ma vision personnelle, et de m’ancrer plus encore dans ma créativité. 2022 s’annonce formidable : avec un street art dans les Barbades, une expo en Afrique du Sud et plusieurs projets au Maroc. Enfin, il y a « L’Atelier » pour découvrir l’expérience pleine et complète d’un portrait, d’une création, d’une co-création même, mais autrement…»
Ici où tout se meut pour prendre vie
Il y a peu, Booshra nous recevait dans le Brabant wallon, dans son Atelier. « Mais on est chez vous ! », lui lance-t-on. « Oh Merci ! C’est fou ! C’est l’une des premières questions que l’on me pose en entrant ici… ». L’Atelier est une galerie d’art permanente vraiment à part, en ce sens qu’elle a été aménagée par l’artiste elle-même. « J’ai dessiné la cuisine, imaginé le salon, chiné les meubles … » Cet Atelier, c’est son refuge, forcément chaleureux et réconfortant que Booshra, peintre généreuse, invite donc à partager. « Cet Atelier permanent, je l’ai voulu comme le lieu qui porte et voit naître les œuvres, le lieu ‘d’être’ indissociable de l’artiste que je suis, une galerie intime où tout se conscientise, se dessine, se manifeste et se meut pour prendre vie ».. Booshra Mastour souhaite y organiser des vernissages dînatoires en petit comité, 12 personnes au maximum. « Des vernissages dînatoires qui seront le fruit d’une co-création en symbiose avec un ou une chef(fe), un/e céramiste, et une peinture dévoilée ce jour-là. Leurs choix de textures, d’associations, de couleurs, etc., exprimeront leur propre expérience.
Que se passe-t-il dans le noir ?
C’est à une véritable expérience sensorielle que Booshra Mastour nous invite ce soir-là. « Es-tu capable de lâcher prise ? De ne penser à rien ? De ne rien imaginer, de ne rien attendre. D’observer pleinement ? Il n’y a rien d’ésotérique ou de spirituel, rien de mental ou d’intellectuel, rien n’est à croire, rien n’est à connaître. Tout est à observer, à expérimenter soi-même. Il fera noir mais je te conseille de ne pas parler, d’observer un silence absolu, pendant une dizaine de minutes. Je reste à tes côtés… »
Impossible évidemment de vous en dire plus sous peine de gâcher votre ressenti lorsque vous participerez à votre tour à cette incroyable rencontre artistique avec une toile. Une chose est sûre : les tableaux intimes que Booshra Mastour peint donnent à vivre bien plus dans l’obscurité et dans le silence, que sous l’éclairage !
Les dates des vernissages (max. 12 personnes) seront communiquées sur le site et les réseaux de l’artiste. L’Expérience d’une œuvre (jusqu’à quatre personnes) à réserver.
Stephan Streker ou l’art de la conversation
Stephan Streker ou l’art de la conversation
Mots : Frédérique Morin
Photos : DR
Stephan Streker a plus d’une passion dans la vie. Parmi elles, le 7e art. Et le foot, qui lui vaut aujourd’hui d’être consultant sur l’émission de la RTBF consacrée au ballon rond, La Tribune. Ancien journaliste fou de cinéma, Stephan Streker est passé d’intervieweur à interviewé, quand en 2004 il réalise Michael Blanco, son premier long-métrage. Suivra neuf ans plus tard Le Monde nous appartient et en 2016, Noces, succès critique et public. Il revient aujourd’hui avec L’Ennemi (en salle le 26 janvier), avec dans les rôles principaux Jérémie Renier et Alma Jodorowsky, librement inspiré de l’affaire Bernard Wesphael, cet homme politique wallon qui défraya la chronique, quand accusé d’avoir assassiné sa femme, Véronique Pirotton, à Ostende en 2013, il est acquitté trois ans plus tard.
Rencontre avec Stephan Streker dans les bureaux de ses producteurs de toujours, Michaël Goldberg et Boris Van Gils, dont le compagnonnage lui est précieux.
Vos films s’inspirent souvent de faits divers, le cas encore pour L’Ennemi. Qu’est-ce qui vous attire tant dans le fait divers ?
J’aime les films qui partent de faits réels, car cela rappelle souvent que dans l’art, ce qui compte c’est le point de vue, le regard. Confiez un même fait divers à trois cinéastes différents et vous aurez trois œuvres différentes.
Ce qui m’intéressait dans l’affaire Bernard Wesphael, c’est le substrat. Je pense que le film est né le jour où j’ai rencontré deux êtres humains, que j’aime et que je respecte énormément, qui m’ont défendu bec ongle et leur position. L’un persuadé de l’innocence du personnage de cette histoire réelle, l’autre de sa culpabilité. Je me suis rendu compte que leur point de vue en disait plus sur eux-mêmes que la réalité.
Pas de musique sur le générique de fin, mais le bruit des vagues. Pourquoi ce choix ?
Pour une raison évidente, le film commence à la mer et il se finit à la mer. Par ailleurs, j’adore le bruit des vagues, c’est un son très apaisant. Surtout, c’est un son mouvant. Il n’y a rien d’arrêté… le doute reste.
Et je préférerai toujours les films qui posent des questions aux films qui apportent des réponses. La question ouvre, là où la réponse ferme. La question idiote n’existe pas, la réponse idiote… il y en a quantité !
Vous avez été journaliste cinéma, qu’est-ce qu’il vous reste de cette activité et de cette époque de votre vie ?
Tout d’abord, j’ai adoré faire ça. Je trouvais que je faisais le plus beau métier du monde. Quand je travaillais pour le journal Moustique, je faisais très peu de critiques, mais énormément d’interviews. J’ai pu rencontrer des réalisateurs dans des conditions incroyablement privilégiées : James Cameron, Francis Ford Coppola, Michael Mann, Claude Chabrol, Terry Gilliam, David Lynch, Sergio Leone …
Je suis un vrai cinéphile au sens premier : j’aime le cinéma. Ma nature est de plutôt fait que je vais retenir et célébrer les films que j’aime, plutôt que de critiquer ou de dire du mal des films que je n’aime pas.
Ce métier a été totalement décisif dans la carrière de cinéaste que j’ai embrassé.
Entre écouter par passion les cinéastes parler de leur travail et en devenir un soi-même, il y a une marge ! Comment on saute le pas ?
Il y a eu un peu d’inconscience. Si j’osais un conseil, ce serait : action, décision… dans cet ordre-là.
Il faut d’abord sauter de la falaise pour se construire des ailes pendant la chute, plutôt que de se construire des ailes avant de se lancer.
Et si on s’écrase ?
Ça n’est pas grave ! C’est moins grave que de ne pas avoir sauté… parce qu’il n’y a pas la mort au bout. Il y a un problème, quelque chose… mais la vie c’est comme ça !
Une autre passion vous anime : le football. Y a-t-il un lien entre ces deux passions ?
Le lien le plus important, c’est de considérer que le football est aussi une expression artistique et que l’on peut dire des plus grands joueurs, qu’ils ont une indiscutable part de créativité. Une passe de Kevin De Bruyne envisagée et exécutée techniquement à la perfection, est à n’en pas douter un geste d’artiste. Les joueurs que j’admire le plus sont des joueurs créatifs et je leur reconnais un statut d’artiste.
Il est d’ailleurs intéressant de voir que bon nombre de cinéastes sont des passionnés de foot… Stanley Kubrick en tête.
Des projets ?
J’ai écrit le scénario d’un polar : Du sang sur les mains, une tragédie grecque déguisée en polar. Ça n’a rien à voir avec ce que j’ai pu écrire précédemment, et ça m’excite énormément.
J’ai toujours adoré le polar au cinéma. C’est une façon à la fois spectaculaire et plus légère de traiter de grands sujets.