LYLAC Des rêves d’ailleurs pour mieux s’ancrer dans le présent
LYLAC
Des rêves d’ailleurs pour mieux s’ancrer dans le présent
Mots : Servane Calmant
Photo : Lincoln Paradox Photography
Depuis une dizaine d’années, l’auteur-compositeur- interprète bruxellois, Amaury Massion, parcourt des contrées lointaines, sa guitare sur le dos, l’esprit ouvert aux rencontres. Sous la bannière Lylac, il chante ses rêves d’ailleurs sur « The Holy And The Free », un cinquième album de folk indie à la sensibilité désarmante. Rencontre avec un quadra attachant au parcours éclectique.
Comment êtes-vous tombé dans le chaudron de la musique ? Chorale dès 12 ans, puis le Conservatoire où j’ai suivi deux cursus différents, jazz et composition classique. Mais je suis un enfant du rock, j’ai eu deux groupes, My TV is Dead et Attica, avant d’entamer le projet solo de Lylac.
Lylac chante de la pop folk nomade. Le voyage forme l’artiste ? Et comment ! Le voyage s’oppose à l’ethnocentrisme. Il est source de découvertes, de rencontres, d’échanges, il enrichit l’homme et lui permet également, à terme, de mieux se connaître.
La guitare sur le dos, pour gagner le cœur des gens ? En quelque sorte. En 2012, je suis parti plusieurs mois en Asie du Sud-Est, Thaïlande, Cambodge, Laos, avec ma guitare sur le dos, en mode backpacker. J’ai assisté au fin fond du Cambodge, près du fleuve Mékong, à une course de pirogues pour la Fête de l’eau. J’ai été invité à me joindre aux villageois pour baptiser les bateaux. Ils ont allumé des feux. J’ai pris ma guitare et j’ai chanté des morceaux que je venais juste de composer. Cette rencontre fut pour moi un déclic. Une voix, une guitare, sans filtre, en toute sobriété, cela suffit pour communiquer et aller vers l’autre, même quand on ne parle pas la même langue. Et j’ai monté le projet Lylac.
Lylac ? Une référence à « Lilac Wine » de Nina Simone, the Queen (rire). Cette chanson évoque un amour doux et amer à la fois. Un peu comme ma musique qui s’apparente à une caresse, mais dont les textes ne sont jamais naïfs. J’aime cette contradiction.
«Outinthewild»et«TheSpiritsof the wild », deux titres de votre nouvel opus font référence à la vie sauvage. Que vous inspire-t-elle ? Le paradis est sur terre. Cela peut paraître cliché à dire, mais j’en suis convaincu. La Terre est un petit bijou que l’on malmène. Chacun de mes albums s’apparente à un carnet de voyage. Celui-ci exalte le retour et la reconnexion à la nature sauvage, à la terre des anciens. Il m’a été inspiré par un voyage dans la province cambodgienne du Mondolkiri au sud-est, à la rencontre des Buongs, une tribu animiste qui vit en symbiose avec la nature sauvage dont ils sont totalement tributaires. C’est une leçon de vie pour « Les Animaux dénaturés » (référence à un roman de Vercors – nda) que nous sommes devenus.
Vous êtes en quête de déconnection. Pour autant, vous vivez à Bruxelles… Je suis un homme de paradoxes. (Rire). J’habite en effet Ixelles, à deux pas du quartier Matongé, où j’ai mon propre studio d’enregistrement. C’est un quartier vivant, sa multiculturalité me stimule énormément. Mais j’ai également besoin de voyager pour nourrir mes compositions, pour me charger en énergie des lieux que je visite et des rencontres qui rythment mes périples. Par exemple, « Buffalo Spirit », mon troisième album, a été composé après un voyage exceptionnel dans l’Ouest américain. Cela dit, le voyage est avant tout un état d’esprit, la micro-aventure est parfois au coin de la rue.
Le titre « California Heaven » s’aventure dans les collines de Los Angeles, à la recherche du mythe ultime : l’âge d’or du Laurel Canyon qui a notamment vu défiler Neil Young, Jim Morrison, les Mamas And The Papas. Etes-vous passéiste ? Je n’espère pas forcément un retour à la vie d’avant. Mais j’aime analyser des éléments du passé pour mieux m’ancrer dans le présent.
Qui accompagne Lylac sur scène ? Merryl Havard, une violoncelliste virtu- ose, Jérôme Van den Bril à la guitare et Didier Van Uytvanck à la batterie. Sur mes précédents albums, j’ai invité Joachim Lacrosse, joueur de sitar indien, Carlo Strazzante, percussionniste, … J’ai joué avec plein d’artistes, au gré de mes envies. Et comme j’ai des goûts éclectiques, mon public s’avère relativement varié.
Eclectisme encore puisqu’après ce cinquième album, une tournée de concerts en 2024, vous remontez sur la scène de la Monnaie en 2025 pour le rôle-phare du dernier volet d’un pop-requiem … C’est le compositeur belge Jean-Luc Fafchamps qui est venu me chercher, après avoir vu un de mes concerts. Il a monté l’opéra « Is this The End ? », un projet ambitieux qui interroge les états de conscience entre la vie et la mort et qui prend la forme d’un triptyque. Sur la scène de la Monnaie : trois solistes, deux chanteuses lyriques et moi, un chanteur populaire. Les deux premiers volets ont été présentés respectivement en 2020 (en pleine pandémie, sous la forme d’un film vidéo – ndr) et 2022. Le dernier volet sera centré sur l’Homme, mon personnage, et présenté en 2025. Je chante avec un orchestre symphonique et un chœur de vingt personnes ! Une expérience extraordinaire.
En live : Fête de la Musique à Namur, Piano-bar à La Spirale à Natoye, Les Francofolies de Spa. La Monnaie pour un pop-requiem en 2025.
VALENTINE DE LE COURT “ Je suis composée d’écriture ”
VALENTINE DE LE COURT
“ Je suis composée d’écriture ”
VALENTINE DE LE COURT
“ Je suis composée d’écriture ”Mots : Barbara Wesoly
Photo : DR
C’est dans les allées d’un jardin à l’atmosphère ésotérique et ensorcelante que nous entraîne Valentine de le Court dans son 5e roman. Une exploration aux allures de quête initiatique, dont les créatures divines entre en résonnance avec notre humanité.
“ Au Jardin des Immortels ”, votre nouvel ouvrage, est imprégné par la mythologie antique. Vous semblez captivée par l’idée d’explorer les failles de ces êtres divins. Cet univers me fascine. Depuis l’enfance, je suis passionnée par les religions et la mythologie gréco-romaine. Ces dieux antiques sont mes amis depuis plus de 30 ans. J’ai beaucoup de tendresse pour eux. Nos croyances monothéistes actuelles célèbrent un créateur angélique et bienveillant, à l’opposé finalement de notre humanité. Les figures divines de la mythologie ont-elles autant, si pas plus, d’imperfections que les humains. Cet aspect m’amuse beaucoup.
Elles donnent aussi le sentiment qu’immortalité rime avec ennui et vacuité. De votre côté, cette éternité serait-elle un fantasme ? Je crois à la vie après la mort. Être voué à cette fin me pose donc moins de problèmes. D’autant que je pense que la perpétuité conduirait à un grand ennui. Plus que l’éternité, c’est le contrôle que nous voudrions conserver. Ce qui est difficile, ce n’est pas l’anéantissement, c’est la perte d’énergie, l’impuissance du corps qui s’enraye, nous qui évoluons dans une société d’extrême maîtrise. C’est plus l’interrogation qui m’anime. Dans mon premier roman, par exemple, je me demandais ce que l’on ressentirait si l’on pouvait assister à son propre enterrement. Dans “ Vacances obligatoires en famille ”, comment l’on réagirait à devoir retomber chaque année, le temps d’un voyage, sous l’autorité parentale. Avec ce nouveau récit, la question fondamentale est qu’est-ce qui se passerait si l’on ne mourait jamais? Alors que cette briéveté sur terre donne toute sa dimension à notre existence.
Quoique très différents dans leur cadre et leur contexte, vos récits sont toujours entourés d’un certain mystère. L’énigme vous électrise-t- elle? Je pense qu’on écrit avant tout les ouvrages qu’on rêverait de lire. J’aime les histoires que j’attends fiévreusement de retrouver le soir, que je dévore et ne veux plus quitter. Au-delà de son côté divertissant, un ouvrage doit laisser également une réflexion et des questions, en filigrane dans mon esprit. Je remarque d’ailleurs qu’inconsciemment, trois thèmes sont une constante dans mes romans. Les liens familiaux, qui m’ont toujours passionné. La maison, en tant que personnage central de mes récits, sûrement par son rôle de foyer des émotions et des gens. Et puis la mort, ou dans le cas de “ Au jardin des Immortels ”, son absence. Des sujets qui se retrouveront aussi dans le roman humoristique que je suis en train d’achever. Et qui possèdent leur part de mystère.
Avant la publication de votre premier roman “ Explosion de particules ” en 2014, vous avez été juriste durant 10 ans. Qu’est-ce qui vous a donné l’impulsion de vous changer de voie? Je suis composée d’écriture, c’est toute ma vie. J’ai toujours écrit. Petite, je composais des poèmes, puis plus tard des pièces de théâtre. Je griffonnais des mots d’amour pour les garçons de ma classe, afin qu’ils les offrent à leurs copines et en échange me fassent mes devoirs de latin. À 15 ans, je voulais être comédienne de théâtre et écrire mais mes parents pensaient que je mourrais de faim si j’empruntais cette voie. J’ai donc suivi celle du droit. Et puis, à la naissance de mon deuxième enfant, j’ai pris une année sabbatique pour m’occuper de mes deux touts petits qui n’étaient pas encore scolarisés. Je me suis dit que c’était le moment parfait pour écrire. Deux fois par semaine, je confiais mes enfants à mes deux tantes adorées et j’allais commander une crêpe dans un café tout en rédigeant mon roman. “ Explosion de particules ” a été publié dans la foulée de l’écriture et je ne suis plus jamais retournée au barreau.
Qu’est-ce qui vous guide aujourd’hui ? La fierté de pouvoir dire à l’adolescente que j’étais que j’ai accompli ses rêves. Que j’ai suivi sa voie. J’ai d’ailleurs repris le théâtre et je serai sur les planches en avril et en juin. J’ai également écrit une pièce de théâtre avec trois autres femmes, que nous jouerons au théâtre Mercelis en novembre. Et puis une véritable quête de sens, des deuils et de la peine comme des joies. Je crois très fort à l’histoire du colibri minuscule qui de son bec jette quelques gouttes d’eau pour tenter d’éteindre l’incendie de la forêt. Je m’efforce, à mon niveau, de contribuer au monde. En étant en paix avec les autres, en élevant des enfants dans une vraie humanité, en partageant la bonté et la culture et en propageant la philanthropie, en allant dans les écoles pour communiquer ma passion de la lecture et de l’écriture. Eveiller, protéger, trans- mettre. C’est ce qui fait sens.
Au jardin des Immortels, de Valentine de le Court, Editions Mols.
PUGGY « Nous avons poussé le curseur plus loin, bien au-delà de nos acquis... »
PUGGY
« Nous avons poussé le curseur plus loin, bien au-delà de nos acquis... »
Mots : Servane Calmant
Photos : Victor Pattyn
Pour écouter Radio Kitchen, leur nouvel EP, il nous aura fallu patienter sept ans. Matthew Irons, Romain Descampe et Egil ‘Ziggy’ Franzen n’ont pas chômé pour autant. Au menu de cette rencontre : leur nouvel opus évidemment, mais aussi leur studio d’enregistrement, lieu d’échanges avec d’autres artistes, et la confirmation de nombreux concerts et festivals où les voir cet été …
Sept ans entre deux albums. Elle fut longue l’attente. Pourtant, vous n’avez pas cessé de turbiner… Matthew. Exactement. Le nom de Puggy était moins présent dans les médias, mais nous n’avons jamais arrêté de composer pour le groupe. Parallèlement, nous avons saisi d’autres opportunités artistiques : nous avons composé quatre musiques de films (notamment Bigfoot Family du Liégeois Ben Stassen – nda), moi j’ai participé à une émission de télé (coach à The Voice Belgique et The Voice Kids – nda), Romain et Ziggy se sont occupés de la production d’artistes belges, nous avons également coécrit pour d’autres et nous avons acquis et investi, à nous trois, notre propre studio et créé notre propre maison de disque…
Je lance un pavé dans la mare : Puggy, sous la forme du trio, aurait-il pu ne jamais revenir au devant de la scène ? Romain. Oh non. Nous nous voyons tous les jours, dans notre nouveau studio. Nous avons diversifié nos activités certes, mais le besoin de remonter sur scène s’est fait ressentir petit à petit … D’où ce nouveau EP et ce retour en force.
Pensez-vous parfois que c’était mieux avant ? Romain. Jamais. (rire) Sincèrement, nous préférons aller de l’avant. Nous sommes des curieux, tou- jours tentés par de nouvelles expériences. Sur ce Radio Kitchen, nous avons poussé le curseur plus loin, bien au-delà de nos acquis, en exploitant la liberté créative que nous offre ce nouveau studio d’enregistrement.
Radio Kitchen, c’est le nom de votre EP, de votre label et de ce studio d’enregistrement dont la cuisine, une véritable cuisine avec casseroles, machine à laver et frigo, est devenu le centre
névralgique. Cet endroit, vous l’avez pensé comme un lieu de vie ? Ziggy. Pas forcément. Au début, nous cherchions un endroit où répéter et poser tout le matériel du live. Mais petit à petit, la cuisine qui servait tout naturellement d’endroit où luncher entre nous, a pris une autre dimension. C’est devenu un terrain de jeu créatif où entre le frigo et la machine à café, nous créons de nouveaux morceaux et enregistrons de manière décomplexée, indépendante et forcément spontanée.
Ce studio, c’est un labo inclusif…
Romain. Oui et non. Ce n’est pas un studio d’enregistrement classique disponible à la location, nous ne sommes pas des ingénieurs du son. Je préfère le définir comme un laboratoire qui accueille également des collaborations entre Puggy et d’autres artistes.
Les Puggy plus indépendants que jamais ? Romain. Oui, en créant notre propre label, nous nous sommes offert beaucoup de liberté. Mais cela exige de savoir prendre du recul, pour ne pas nous précipiter et sortir n’importe quel morceau dans le feu de la spontanéité. Par chance, nous sommes bien entourés !
Parlons de vos collaborations. Vous avez travaillé avec Angèle, Noé Preszow, Charles, Alice on the Roof, Yseult. Que vous a-t-elle apporté cette nouvelle génération d’artistes ? Matthew. Ils nous ont apporté leur connaissance des nouvelles technologies, des nouveaux modes de communication. Une connaissance intuitive, naturelle, puisqu’ils ont grandi avec internet et les réseaux sociaux. Cette génération « Do It Yourself » a beaucoup à nous apprendre car le métier d’artiste implique désormais d’utiliser de la technologie, d’intégrer les nouveaux codes de la diffusion musicale, de se diversifier. Chez les plus jeunes, cette orientation est quasi innée…
Quand Puggy n’écoute pas Puggy, qu’écoute chaque membre du groupe ? Matthew. Mais Puggy n’écoute jamais Puggy. (Rire). La scène musicale belge est très active et très éclectique. Nous aimons beaucoup Stromae, Angèle, Noé Preszow, Illiona, Charles, Rori… Ils sont tous incroyables.
On l’a dit, entre ce nouvel EP et les précédents albums de Puggy, de l’eau a coulé sous les ponts. Pourtant, la fraîcheur de votre pop est restée intacte. Comment conserve-t-on cet éclat, tout en prenant de la bouteille ? Matthew. Tout musicien reste en contact avec sa part d’enfance. Ensuite, la curiosité, l’en- vie d’apprendre, l’ouverture aux autres et au monde influencent forcément la capacité d’observation et de créativité du groupe et nous stimulent à aller de l’avant.
Je devine que vous avez hâte de remonter sur scène … Romain. Oui, c’est la principale raison de ce EP : retrouver le public pour revivre des moments de partage avec, notamment, ces nouveaux titres. Le studio est plus studieux ; la scène, en revanche, c’est la folie, le lâcher-prise, la liberté, les rencontres, les voyages. Oui, le live nous a manqué.
A voir : Forest National, Dour Festival, Francofolies de Spa, Les Solidarités à Namur, AB Bruxelles …
NICOLAS LACROIX Humoriste humaniste 2.0
NICOLAS LACROIX
Humoriste humaniste 2.0
Mots : Olivia Roks
Photos : Thomas Leonard, Romain Garcin
Alors qu’on déprimait durant la pandémie, Nicolas Lacroix, alias Nico en vrai, ne cessait de nous divertir et de nous faire rire via ses réseaux sociaux qui comptent désormais des millions d’abonnés. Ce jeune Namurois a concrétisé son rêve : faire rire et en vivre. Actuellement, il sillonne le Belgique et la France pour son spectacle « Nicolas trop gentil ». Une merveilleuse success-story.
Nico en vrai nous fait rire sans répit, mais du haut de vos 27 ans, qui est Nicolas Lacroix ? C’est quelqu’un qui a toujours aimé faire rire les gens. Je puise mon énergie là-dedans. J’adore aussi rendre service. J’aime rendre la personne heureuse et si elle est heureuse, je le suis également. Si il y existait un génie, je ferais le vœu de ne jamais être fatigué de tout cela et faire plaisir à tout le monde. Je me rends compte que faire rire est une arme, c’est d’ailleurs la seule que j’aie. Avant l’humour, j’ai fait des études d’infographie mais en parallèle je faisais partie de la ligue d’impro, j’ai également fait un petit conservatoire dans la région de Ciney, des stages… Le graphisme m’a amené à travailler avec les frères Taloche durant près de cinq ans. J’ai effectué à leurs côtés d’autres missions comme de la production, de la promotion, etc. J’ai commencé un peu à toucher à tout… Je connais donc la scène mais tout aussi bien l’envers du décor.
L’humour, j’ai entendu dire que vous l’aviez déjà très jeune… Saviez-vous déjà ce que vous vouliez faire plus tard ? Oui, vers 6 ans, je savais déjà que je voulais faire cela de ma vie. Tout a commencé en classe, les vendredis après-midi je pouvais faire des sketchs au tableau devant la classe. Des sketchs de François Pirette. Pourtant, j’étais un enfant timide et je le suis encore. Et quand il y avait une mauvaise ambiance, je cherchais à faire rire pour désamorcer cette négativité, très souvent j’y arrivais. C’est important pour moi que tout le monde se sente bien.
Tout a commencé pendant la pandémie Covid et le confinement… J’avais envie de faire de la scène mais je trouvais ça délicat de me lancer sur un coup de tête. Le confinement était là et je me suis dit que c’était l’occasion d’essayer de faire rire à distance. J’ai posté une vidéo sur TikTok car peu de monde utilisait ce réseau, surtout dans mes connaissances. Personne ne me connaissait et ça m’arrangeait. Si ça fonctionnait tant mieux, si pas, tant pis personne ne le saurait. Cette vidéo a fait 60000 vues. Une vidéo basique avec un filtre d’enfant où je faisais Claude François dans le « Téléphone pleure ». Et de fil en aiguille ma communauté s’est agrandie et les capsules ont eu de plus en plus de succès.
Et aujourd’hui, après avoir enflammé les réseaux sociaux, vous nous livrez un premier one-man show « Nicolas trop gentil », à quoi peut-on s’attendre ? Si vous êtes trop gentil, vous allez vous reconnaître ! Autant faire une thérapie tous ensemble (rires). Je parle de ce qu’il m’arrive dans la vie de tous les jours, des situations farfelues dans lesquelles je me trouve car je ne sais pas dire non. J’aime aussi parler de la jeunesse d’aujourd’hui et des générations passées. J’assume mon côté un peu vieux jeu façon « c’était mieux avant ». Un jeune homme finalement un peu nostalgique dans un monde trop rapide. C’est un spectacle d’1h30 où je suis en stand-up mais j’incarne également parfois des personnages. Je parcours la Belgique et la France dans les deux années à venir. Et cet été, je serai au Festival d’Avignon !
Vous êtes vraiment trop gentil ?
Il paraît. C’est Guillaume (ndlr : GuiHome vous détend, autre jeune humoriste belge) avec qui j’ai écrit le spectacle qui me disait que ma vie était un vaudeville, que j’étais trop gentil… Le titre du spectacle se trouvait sous nos yeux. Guillaume est devenu un véritable ami, il est le producteur de mon spectacle, on a tout mis en place ensemble.
Comment décririez-vous votre style d’humour, vos sketchs ? Je dirais que c’est un peu potache mais bien vendu ! Un peu old school me dit-on parfois. L’air de rien j’en dis beaucoup sur le monde actuel, sur la nouvelle génération. Je souhaite sortir les gens de leur quotidien, c’est si difficile aujourd’hui ! Avec ce spectacle, je remarque que j’attire d’ailleurs aussi bien les jeunes que les plus âgés, c’est chouette !
Un humoriste que vous aimez particulièrement ? Virginie Hocq ! Je suis tombé amoureux artistiquement. Cela fait douze ans que je la suis un peu partout. Je l’adore, elle a un pouvoir comique énorme, c’est une bulle de fraîcheur, un vrai talent. Ses personnages, les situations dans lesquelles elle les met, tout me plaît !
Une question que l’on doit vous poser souvent : peut-on rire de tout ? Je dirais non, mais c’est dommage, j’aimerais bien. Je pense qu’on ne peut pas rire de tout sur les réseaux sociaux par contre bien sur scène. Sur scène, on vient pour moi, le spectateur se déplace, on connaît mon humour, mon univers. Or, sur les réseaux, souvent on n’a pas choisi de voir ma tête. C’est pour ça que parfois, dans mes vidéos, je ne parle pas, je fais mon sketch avec des gestes ou un montage vidéo.
Comment voyez-vous l’avenir ? Des nouveautés, des rêves ? Mon rêve, il est là, il est en train de se produire. J’ai adoré participer à deux courts-métrages, donc un jour, pourquoi ne pas faire du cinéma, mais ce n’est pas ma priorité. Mais quitte à choisir, pour- quoi pas un film de Philippe Lacheau, j’adore !
JÉRÉMIE CLAES D’ombre et d’humanité
JÉRÉMIE CLAES
D’ombre et d’humanité
Mots : Barbara Wesoly
Photo : Philippe Matsas
Enchevêtrant les époques, croisant les lieux et les identités, L’Horloger s’affirme comme un thriller étourdissant et singulier mais aussi telle une fresque nous plongeant dans les rouages du fanatisme. Un premier roman signé avec un talent et une précision d’orfèvre par Jérémie Claes.
Ce livre, votre premier, mûrissait-il depuis longtemps ? J’y cogitais depuis vingt ans. Les thématiques du nazisme et de l’extrémisme m’ont toujours touché et passionné. Au lycée, nous avions eu la chance de recevoir la visite d’anciens déportés. Leur témoignage m’avait profondément marqué. Mais c’est la campagne ayant précédé l’élection de Donald Trump en 2015, qui en aura véritablement été le déclencheur. J’y ai perçu un réel point de bascule de nos démocraties occidentales. Une montée en puissance de la haine et des théories conspirationnistes, qui depuis, ont infusé toutes les couches de la société, y compris en Europe exacerbant les préjugés, la peur et l’aveuglement. Dans des périodes de trouble comme celle que nous vivons aujourd’hui, l’on assiste toujours au même phénomène, où l’émotion irrationnelle prend le pas sur la tolérance.
D’où l’importance, pour moi, chacun à notre modeste mesure, d’apporter notre pièce à l’édifice du souvenir comme à l’éveil des consciences. C’était mon objectif avec L’Horloger.
Votre récit parcourt les chemins de Provence comme les paysages américains, passe par Bruxelles et même la Patagonie. Ces lieux racontaient-ils une part de votre histoire ? C’est ce qui est drôle. On parle d’un thriller international, qui se déroule sur plusieurs continents et qui pourtant contient une grande part d’intime. A deux points de vue particulièrement. Le premier, c’est un petit village de Provence, appelé Gourdon. Celui où ma grand-mère est née et où j’ai passé toutes mes vacances étant enfant et adolescent. J’ai des liens très fort avec ce lieu. Des racines même. J’y suis d’ailleurs retourné pendant l’écriture du livre, en me disant que j’espérais modestement que les habitants le verraient comme une sorte de cadeau. Une déclaration d’amour à ses paysages. Le deuxième, ce sont les personnages. Par des aspects différents, je me retrouve en chacun d’entre eux. En Jacob Dreyfus, dont j’ai mis longtemps à admettre partager une part de l’obscurité, du côté torturé. Mais également en Bernard Solane, épicurien, bon vivant, féru de vin aussi, un rappel de mon ancien métier de caviste, pratiqué durant plus de 15 ans. C’est d’ailleurs grâce à cet emploi que j’ai découvert la Bodega Chacra à Neuquen, en Patagonie, que j’évoque dans le roman. Un lieu incroyable, possédant une vibration tellurique et dès lors parfait pour développer l’aspect plus mystique de cet ouvrage. J’aime explorer le côté immersif de l’écriture, l’imprégner d’odeurs, d’atmosphères palpables, habiter le récit de sensations.
Si Jacob Dreyfus en est le héros, c’est la force de vie et de mort qui en est sont au final les principaux protagonistes. Quel est votre rapport à celles- ci ? Nous évoquions Trump, mais il y a aussi le contexte climatique, l’avenir de l’humanité dans sa globalité. Je ne le réalisais pas encore en écrivant ce livre, mais je suis désormais convaincu, plus que jamais, qu’à la noirceur il faut opposer une dose de lumière. Une forme d’émergence d’espoir. C’est le rôle que j’espère jouer aujourd’hui.
Profond, haletant, bouleversant, L’Horloger est aussi dur et même douloureux, brutal. Après un tel plongeon, avez-vous le sentiment d’en être ressorti le même ? Stephen King recommande d’écrire sur ce que l’on connaît viscéralement. Et je pense que c’est le meilleur conseil que l’on puisse donner. Cet ouvrage n’était pas une forme de thérapie, mais certains éléments s’y sont inscrits naturellement. Des échos à ce que j’ai pu vivre. Je n’en suis donc pas sorti et je pense que je n’en sortirai sans doute jamais vraiment.
Ce travail d’écriture vous a-t-il plu au point de réitérer l’expérience? J’ai adoré cela. Cela a été un plaisir et au-delà, une forme d’évidence. Depuis l’âge de 12 ans, je rêvais d’être écrivain. Pour la première fois de mon existence, devant mon écran, je me sentais vraiment à ma place. Il n’y a pas de retour en arrière possible. D’ailleurs mon second roman est en voie de finition, en tout cas le premier jet de celui-ci. Il sera un peu plus local et son histoire totalement indépendante de celle de L’Horloger, même s’il marquera le retour de l’un ou l’autre des personnages. J’espère pouvoir le publier au printemps 2025.
L’Horloger de Jérémie Claes
Editions Héloïse d’Ormesson.
VICTOIRE DE CHANGY Face à l’immensité
VICTOIRE DE CHANGY
Face à l’immensité
Mots : Barbara Wesoly
Photo : Morgane Delfosse
Au gré des pages, elle effleure mais aussi ébranle les instants de vie et les individus. Et touche du doigt leur essence la plus volatile comme la plus concrète. Avec Immensità, Victoire de Changy évoque la reconstruction d’une terre imaginaire, dévastée par un séisme, avec une écriture à la poésie toujours sensorielle. Et nous laisse à bout de souffle.
Qu’est-ce qui vous a mené à Immensità, cette cité utopique où la nature tient un rôle prégnant ? Comme à chaque fois que j’écris un texte de fiction, le propos m’échappe rapidement. Je n’ai pas de plan, je me laisse guider par un point de départ, un titre ou une scène. Pour l’île longue, c’était la vision d’une jeune fille lançant rageusement un répondeur sur le mur, qui contient un message de sa mère défunte, qui se fracasse sur le mur en perdant cette trace à jamais. Pour Immensità, je me suis réveillée un matin avec l’envie d’imaginer les sensations qui s’imposent à nous lorsqu’on se retrouve coincé sous les gravats. Je ne sais pas exactement d’où m’est venue cette idée. En réfléchissant bien après à la genèse de ce projet, je me suis rappelé un voyage au Japon, il y a quelques années. J’y avais lu un article racontant l’exode d’habitants, déplacés en masse suite à une catastrophe et relogés dans des préfabriqués. Inconsciemment, les idées et les influences suivent leur chemin dans mon esprit. Quant à cette évocation de la nature, elle est, je pense, reliée à mes appétences actuelles, et précisément au moment de l’écriture du texte. J’ai énormément lu et écouté le paysagiste et botaniste Gilles Clément, ainsi que l’incroyable poète et jardinier Marco Martella, beaucoup lu sur le jardin. L’architecture est un sujet qui me passionne particulièrement en ce moment ; elle est devenue partie intégrante de la construction d’Immensità.
Le jardin revêt d’ailleurs une dimension très philosophique dans ce récit. Oui, aussi bien du vivant des habitants que dans leur mort. Cela lui donne une symbolique à part et un double visage. C’est le principe même de l’utopie et de la dystopie ouvrant sur un univers fantasmé. Et puis, prendre tous ensemble soin d’un territoire commun fait sens. J’ai commencé ce roman il y a trois ans et si les questions environnementales étaient évidemment très présentes à l’époque, j’ai l’impression que nous conscientisons aujourd’hui un effondrement global, mondial, qui amène cette histoire à résonner autrement.
Par certains aspects, vous retrouvez-vous en Mauve, héroïne de cet ouvrage ? Je ne me suis pas identifiée à elle, non. En revanche, la dimension sensorielle du texte m’a, en quelque sorte, obligée à me mettre dans sa peau. Je me suis donc vrai- ment imprégnée de ces évènements, de cet ébranlement. Avec le temps, j’ai compris que je suis moins une cérébrale qu’une passeuse de sensations, dans tout ce qui compose mes personnages et ce qu’ils vivent, mais aussi à travers les éléments du récit, ce qui le touche, le frôle. C’est intimement lié à la personne que je suis, pour qui les sens sont fondamentaux. Par la vue en particulier, avec le besoin obsessionnel de regarder, d’admirer, de collectionner les images. Mais aussi les parfums, les sons, le toucher ; j’ai une obsession des mains, parce que c’est avec elles qu’on appréhende le monde en tout premier.
Vous citez, en début de livre, la chanson Immensità d’Andrea Laszlo De Simone. A-t-elle été source d’inspiration du roman ? Cette chanson m’a bouleversée dès la première écoute, et je l’écoutais en boucle au moment de l’écriture du texte. Son refrain dit “dès demain, commencera une nouvelle immensité”. J’ai trouvé ça porteur, prometteur. Immensité, à lui tout seul, est un mot puissant. En italien, Immensità sonne comme un mantra.
L’autrice d’Immensità est-elle toujours la même que celle d’Une dose de douleur nécessaire ? Fondamentalement la même, en beaucoup plus sereine et assurée. Je ne demande aujourd’hui qu’à pouvoir continuer à faire ce que je préfère, écrire.
Vous penchez-vous déjà sur de nouveaux projets ? Oui, plusieurs. Notamment un ouvrage pour adultes, qui sortira du cadre de la fiction, à la manière de Subvenir aux miracles, le livre que j’ai préféré écrire, une déambulation entre expériences et connaissances. Il sera cette fois question du corps, un sujet devenu très prégnant en moi aujourd’hui. Je prépare également un second recueil de poèmes. Et plusieurs projets jeunesse : un de mes créneaux préférés, pour sa grande liberté, notamment parce que la vraisemblance n’y est jamais questionnée.
Immensità de Victoire de Changy
Éditions Cambourakis
BARBARA ABEL « Comment aurais-je réagi à la place du personnage ? »
BARBARA ABEL
« Comment aurais-je réagi à la place du personnage ? »
BARBARA ABEL
« Comment aurais-je réagi à la place du personnage ? »Mots : Servane Calmant
Photo : Melania Avanzato
La reine du polar belge excelle dans l’art de mettre en scène des gens ordinaires dont le destin bascule. « Comme si de rien n’était », son nouveau roman, le 15e, interroge une famille sans histoire, contrainte d’affronter les conséquences d’un mensonge. À la lecture de ce seul pitch, on sent poindre le drame domestique. Il sera implacable, funeste, pur et dur, comme toujours chez Barbara Abel qui s’amuse à entortiller le lecteur …
Choisir des héros ordinaires permet aux lecteurs de s’identifier facilement aux personnages … Est-ce là une des clés de votre succès ? Effectivement. Lors des séances de dédicaces de mes romans, les lecteurs m’avouent être affectés émotionnellement par mes personnages, parce qu’ils ont le sentiment de les connaître, de les comprendre. Et souvent, ils s’interrogent : « comment aurais-je réagi à la place de tel ou tel protagoniste ? » Quand j’écris, c’est la question que je me pose également.
Comment un homme sans histoire peut- il se transformer en bête sanguinaire ? Cette question, vous la posez régulièrement aux lecteurs. Mais vous, Barbara, avez-vous trouvé la réponse ? Non. (rire). Je reste fascinée par les faits divers qui se passent près de chez nous. A quel moment un être humain, mon voisin, ce monsieur, cette madame Tout-le-monde que je croise chaque matin, que je salue, bascule-t-il/elle dans l’horreur ? J’aime travailler des personnages complexes, qui cachent des secrets enfouis et renferment une part d’ombre.
Votre source d’inspiration, ce sont donc les faits divers ? Non. Seul mon roman « Et les vivants autour » est inspiré d’un fait divers survenu aux Etats-Unis. Quand je me mets en quête d’une idée de livre, je lis effectivement des faits divers mais le plus souvent, ils s’avèrent d’une affligeante banalité. Et je dois bien admettre qu’il n’ y a pas là matière à roman. Pour rédiger une fiction palpitante, il faut pousser le curseur plus loin : croiser des gens ordinaires certes, mais avec des événements tragiques et néanmoins connectés à la réalité.
L’homme est-il un loup pour l’homme, par nature ? Je mets en scène les failles de l’être humain et je n’écris pas du « feel good », voilà deux certitudes. Pour autant, je dois vous avouer que j’ai rarement rencontré des gens méchants, vraiment méchants. En revanche, j’ai croisé des cons. La bêtise est peut-être pire que la méchanceté !
Dans « Comme si de rien n’était », il est question de mensonge, de manipu- lation, de femme sous influence… Si Barbara Abel n’avait pas été romancière, aurait-elle pu devenir psychologue ? La psychologie est une discipline qui me plaît beaucoup et, par chance, j’ai moi-même trouvé un bon équilibre psychologique qui me permet d’être solide par rapport aux épreuves de la vie. Mais aurais-je pu en faire un métier ? Sincèrement, je ne sais pas.
Votre personnage apprend sur le tard qu’il est père. Mais… La solitude affec- tive est également au cœur de votre nouveau roman. Cette solitude, elle va en effet dévorer le protagoniste de chapitre en chapitre, jusqu’à le pousser à revendiquer sa place, à s’imposer aux côtés d’un enfant qui a déjà une famille. La solitude est une maladie sociale. Dans nos sociétés hyper connectées, on se rapproche de ceux qui sont loin et on s’éloigne de ceux qui nous sont proches.
Votre premier livre s’intitulait « L’instinct maternel ». Cette fois, il est question d’instinct paternel … À la lecture des 150 premières pages, mon éditrice me dit en riant : on va appeler ton nouveau roman « L’instinct paternel ». J’avais envie d’abandonner la maternité, qui est un thème récurrent chez moi, pour montrer le parcours semé d’embûches d’un homme qui entreprend la reconnaissance d’un enfant qui a déjà une filiation établie…
Vous excellez une fois de plus dans le jeu des fausses pistes, des cartes brouillées, des rebondissements avec, en bonus, un prologue et un épilogue en forme de pirouettes narratives. Comment met-on au point pareil mécanisme ? Si seulement je connaissais la recette (rire). Dans ce nouveau roman par exemple, prologue et épilogue sont arrivés en fin de récit. Chaque histoire, c’est une nouvelle aven- ture où il faut travailler l’intensité, trouver la pirouette finale, boucler la boucle.
Un 15e roman se rédige-t-il plus facile- ment qu’un premier ? Au contraire, c’est de plus en plus difficile ! À chaque roman, je me dois d’être originale, de surprendre le lecteur avec des trouvailles narratives et scénaristiques. Chaque roman est un nouveau défi.
Vous êtes romancière et scénariste. Laura Sepul (en cover du Be Perfect) a notamment joué dans Attraction, mini-série télévisée belge que vous avez scénarisée avec Sophia Perlé. Roman vs scénario : le travail d’écriture est-il différent ? Radicalement même. L’écrire scénaristique est factuelle, elle décrit l’action, les personnages, le décor ; l’écriture romanesque implique de communiquer des émotions aux lecteurs. Ecrire un roman est également un travail solitaire, alors que la série « Attraction » a été nourrie de nombreux échanges et brainstormings entre moi et la scénariste Sophia Perié.
Plusieurs de vos romans ont été adaptés à la TV ou au cinéma. C’est le cas de « Derrière la haine », adapté par le Belge Olivier Masset-Depasse (Duelles) qui s’offre également une version holly- woodienne, « Mothers’ Instinct ». Y a-t-il une date à annoncer ? Des personnages qui sortent de ma tête vont être interprétés par Jessica Chastain et Anne Hathaway, c’est formidable ! J’ai vu « Mothers’ Intinct » il y a un an et depuis j’attends, comme vous, sa date de sortie en Belgique, annoncée pour 2024.
Comme si de rien n’était de Barbara Abel, Editions Récamier à paraître le 11 avril.
Sophie Wouters - Vibre à l’instinct
Sophie Wouters
Vibre à l’instinct
Mots : Barbara Wesoly
Photo : Johanna de Tessières
Après Célestine, un premier ouvrage bouleversant sur fond de dramatique affaire judiciaire, Sophie Wouters dresse le portrait croisé de deux familles antinomiques mais au destin partagé, de même que celui de toute une époque.
Pendant plus de vingt ans, vous avez raconté l’humain via l’art et la peinture. Ce travail d’écriture, entrepris avec Célestine en est-il le prolongement ? Ou un nouveau chapitre ? Mes peintures et collages ont en effet longtemps abordé l’individu et l’intemporalité des sentiments. Je m’y livrais également beaucoup. Mais juste avant de débuter l’écriture, je suis passée durant une année, par une phase d’abstraction. Je pense que j’avais besoin de me libérer de ces influences pour entamer un vrai recommencement. J’avais été au bout d’un processus et je ressentais le désir de m’exprimer autrement. La toile laisse une vaste place à l’interprétation, là où l’écriture est intrépide, audacieuse tant elle nous révèle. Même si un jour, un scénariste m’a affirmé que chacun de mes tableaux pourrait être une couverture de roman. Et aujourd’hui sa réflexion prend tout son sens.
Après avoir établi votre premier ouvrage dans un village de la France profonde, Esprits de Famille raconte l’arrivée dans la grisaille belge d’une famille exilée de Sicile et le réapprentissage du quotidien. Entretenez-vous un lien affectif avec l’île méditérannéenne ? Je n’ai en réalité jamais été en Sicile, mais elle m’est venue naturellement. Viscéralement. L’écriture passe pour moi par un processus très mystérieux. Des idées de romans, j’en ai eu des dizaines. Quand certains comptent les moutons pour s’endormir, je commence des histoires, tout en sachant que je ne passerai pas à l’acte et que je ne les écrirai sans doute jamais. Et puis il y a celles qui s’imposent à moi et que je ne m’explique pas. Un matin, je me suis assise devant mon ordinateur et j’ai formé sur mon clavier les mots “Antonia est morte! Antonia est morte!”, les premières phrases de ce qui est devenu Esprits de famille. Et rapidement tout m’a mené du début à la chute. Il en avait été de même pour Célestine. Je ne suis pas mystique, mais je me suis sentie guidée, instinctivement. Quant à la Sicile, elle m’évoquait la convivialité, les liens familiaux fusionnels et chaleureux, propres à mes personnages.
La famille y est en effet au coeur de l’intrigue. Ce socle qui nous construit ou au contraire nous brise. C’est le principe d’Anna Karénine. “Toutes les familles heureuses se ressemblent, mais chaque famille malheureuse l’est à sa façon.” J’adore cette phrase. Elle raconte ce sujet si universel. Et ce livre en évoque les deux pendants. La tendresse qui guérit le déracinement et la jalousie qui consume et submerge le rapport aux autres, y compris à ses proches.
Les années 60-70 sont un lieu commun à vos deux ouvrages. Pourquoi avoir choisi de situer vos histoires à cette époque ? C’est une période que j’adore et que je trouve incroyablement photogénique. Et puis c’est celle de mon enfance. Je suis née dans un univers très machiste. Pour l’un comme pour l’autre, c’était dès lors la possibilité d’évoquer une époque où les droits des femmes étaient quasi inexistants, ce qui a façonné le destin de mes héroïnes. C’était aussi une évidence pour aborder l’immigration italienne en Belgique. Mais sans pour autant m’enfermer dans un carcan temporel. C’est pourquoi Esprits de famille se déroule entre 1969 et 1993.
Célestine a été largement encensé par la critique et complimenté, notamment par Amélie Nothomb qui affirmait vous devoir une nuit blanche, tant elle avait été bouleversée par votre texte. Si c’était une très belle consécration, a-t-elle compliqué l’écriture d’un second livre ? J’ai eu la chance d’entamer et de travailler à ce nouveau livre en parallèle à la promotion de Célestine. J’étais donc dans l’euphorie du moment, si heureuse qu’il trouve un écho auprès de la presse et des lecteurs. Cela m’a, d’une certaine façon, protégée de la peur. Alors que sort Esprits de famille, je ne sais s’il y aura un troisième, un quatrième ou un dixième roman sur ma route. Et cela me va, car c’est une part de l’authenticité de ma démarche. Je refuse toute forme de pression créative, tout comme il n’est pas question de me restreindre à une case. Je n’écrirai pas sur commande. Au-delà de l’écriture et des mots, mon adrénaline, c’est avant tout la création. Un besoin vital.
Esprits de famille de Sophie Wouters, éditions Hervé Chopin
Laura Sepul - « J’ajoute un grain de beauté aux visages de mes personnages pour maintenir une relation à distance »
Laura Sepul
« J’ajoute un grain de beauté aux visages de mes personnages pour maintenir une relation à distance »
Mots : Servane Calmant
Photos : Jon Verhoeft
Les fans d’excellentes séries TV belges ont fait connaissance avec Judith (dans Ennemi public), Cynthia (Baraki), Agathe (Attraction), Elisabeth (Quartier des banques). Mais qui est Laura ? La Liégeoise d’origine à la blondeur hitchcockienne avoue adorer les séries – qui le lui rendent bien ! – et s’impose également dans le téléfilm El Correo, à voir sur Netflix en avril.
On sait peu de choses de vous … Je suis née à Liège. A 3 ans, mes parents se sont séparés. C’est ma mère qui m’a élevée. à 9 ans, je suis partie vivre à Ciney avec elle et mon beau-père. A 18 ans, je me suis inscrite au Conservatoire royal de Liège. Je vis depuis 15 ans entre Bruxelles (avec mes deux enfants) et Anvers où réside mon amoureux, Geert Van Rampelberg (acteur, vu notamment dans Knokke Off dans le rôle du père d’Alex – nda). Nous nous sommes rencontrés en 2017 sur le tournage d’un court-métrage belge. Ce fut un véritable coup de foudre. Depuis, nous nous soutenons énormément au quotidien et professionnellement.
De 2005 à 2015, on vous voit beaucoup sur les planches du Théâtre National, notamment. Puis, en 2016, Ennemi Public, série belge, triomphe sur La Une. La création du fonds Fédération Wallonie Bruxelles-RTBF qui impose à la chaîne de « participer à l’objectif d’accroître la production de séries télévisuelles belges francophones » a-t-elle changé votre vie professionnelle ? Oh oui, complètement. J’ai joué dans le premier court-métrage de Matthieu Frances, réalisateur de la série Ennemi Public. Il m’a téléphoné pour m’annoncer que la RTBF lançait un fonds séries… C’était parti ! J’ai enchaîné deux saisons d’Ennemi public, deux saisons de Quartier des banques qui est une série belgo-suisse – je rempile pour la 3e saison dont le tournage est prévu fin de cette année – , deux saisons de Baraki également, et Attraction, mini-série scénarisée par Barbara Abel et Sophia Perié.
Vous reconnaît-on dans la rue ? Oui, parfois. Les séries belges connaissent un véritable succès, elles marquent les esprits et dépassent les frontières grâce aux festivals et aux plateformes de streaming.
Quel personnage a le plus marqué les téléspectateurs ? Je pencherais pour Cynthia dans Baraki, qui est bien plus qu’une comédie déjantée. Il y a une dimension sociale dans cette “dramédie” qui est très intéressante. Sur papier, le personnage était d’ailleurs différent. Pour ce rôle, j’ai profité d’un espace de liberté immense et proposé une Cynthia à mille lieues de la potiche. Cynthia se révèle une femme forte qui défend de belles valeurs : le travail, l’honnêteté, l’amour, la fraternité, la tolérance. C’est un personnage résolument bienveillant qui fait preuve d’une grande intelligence émotionnelle. Quand les gens, dans la rue, me confondent avec Cynthia, je dois leur dire que je suis moins sympathique que mon personnage ! (rire).
Le personnage qui vous a le plus troublée ? Agathe dans Attraction (à revoir sur TF1 en mai 2024), l’histoire d’une femme ordinaire qui est en couple depuis 15 ans. Elle n’a aucune raison de se méfier de son conjoint. Et pourtant… Sur le tournage, les scènes de violences morales et physiques étaient très intenses. Après le bouclage de cette mini-série belge, il m’a véritablement fallu faire le deuil d’Agathe. Pour la petite anecdote : mon compagnon, Geert Van Rampelberg, était pressenti pour jouer le mari d’Agathe. Mais la coproduction française lui a préféré un acteur français, Lannick Gautry. Tant mieux, car je n’avais pas envie de prendre le risque d’exporter de la tension dans notre vie. Geert fait néanmoins partie de l’aventure, puisqu’il joue le rôle du procureur.
Y a-t-il assez de passerelles cultu-relles entre les productions francophones et néerlandophones ? Non. à regret. Il y a bien eu la série 1985 sur les tueries du Brabant créée conjointement par la RTBF et la VRT mais la RTBF a choisi de la doubler en français – une hérésie ! – contrairement à la VRT qui l’a diffusée en version originale. Pour ma part, je joue un petit rôle dans une mini-série flamande remarquable, Albatros, du réalisateur Wannes Destoop (prix Europa de la meilleure série télévisée européenne 2021 – nda). Albatros étant le nom d’un camp de perte de poids auquel participent 10 personnes obèses. Je regarde beaucoup de séries flamandes pour savoir ce qui se produit de l’autre côté de la barrière linguistique…
Une série dans laquelle vous n’avez pas joué, à nous recommander ? Tout va bien, avec notamment Virginie Elfira et Sara Giraudeau. Comment une famille ordinaire traverse-elle les peines de la vie, dans ce cas précis le cancer d’une enfant ? C’est souvent drôle voire fantasque, malgré un sujet douloureux. A voir absolument.
Nouveauté ! Dans le téléfilm espa-gnol El Correo, diffusé en avril sur Netflix, vous partagez l’affiche avec Aron Piper, la star espagnole aux 13 millions de followers. Dans ce thriller, ce sex-symbol révélé par la série Elite s’emmourache de votre personnage. Waouh. (Rire). Aron Piper (26 ans – nda) est un grand professionnel et un véritable gentleman. Par chance, il parle anglais ! Car dans la série (coproduite par la Belgique et Netflix – nda), je suis censée avoir vécu plusieurs années au Mexique et parler plusieurs langues. Pour ce téléfilm, j’ai évidemment suivi un coaching en espagnol mais le premier jour de tournage, j’étais complètement larguée. Les Espagnols parlent beaucoup trop vite. Ce n’est vraiment pas facile de jouer dans une autre langue que la sienne. Merci à Aaron d’avoir été extrêmement bienveillant avec moi !
Quel est votre petit secret pour endosser parfaitement un rôle ? L’observation, ma règle de base. Observation de la démarche, de la gestuelle, de la posture, des tics de personnes, que je fais peu à peu miens, en y apportant une petite touche personnelle évidemment.
Et pour sortir d’un rôle ? Je vous révèle mon petit secret : je demande à la maquilleuse d’ajouter des grains de beauté à mes personnages. Cynthia, Agathe, Elisabeth ont toutes un grain de beauté sur le visage. Ces grains de beauté appartiennent à mes personnages et me permettent de maintenir une relation à distance.
Quelles scènes vous mettent particulièrement mal à l’aise ? Les scènes de nudité et de sexe. Dans le jeu d’acteur/trice, j’essaie d’exprimer des émotions sincères, honnêtes, de ne pas tricher. Or, dans les scènes de sexe, on dissimule toujours, on n’éprouve aucun désir, aucun plaisir, et on se sent parfois ridicule.
Qu’aimez-vous dans le jeu d’actrice ? Je me sens à ma place dans ce métier. C’est le meilleur vecteur que j’ai trouvé pour parler du monde qui m’entoure. Ainsi le téléfilm, Elle m’a sauvée, qui entrecroise les histoires vraies de Julie Douib (le personnage de Laura – nda), abattue par arme à feu et celle de Laura Rapp, laissée pour morte par son compagnon. La mort de Julie sera le déclic pour Laura qui va utiliser les réseaux sociaux pour se faire entendre, et c’est l’embrassement. Ce téléfilm fort dans lequel joue également Lio, dénonce les violences faites aux femmes. Il faut raconter l’histoire des féminicides pour sensibiliser un maximum de gens aux violences dont les femmes sont victimes.
Etes-vous désormais bankable ? Oh non, pas encore. Je tourne beaucoup, mais je pourrais travailler davantage si de belles propositions venaient à moi.
Le cinéma préfère-t-il toujours les blondes ? Plus forcément aujourd’hui, malheureusement pour moi. Les blondes et l’homme blanc hétérosexuel de plus de 50 ans, n’ont plus le monopole. (Rire). La question de la diversité dans le cinéma a incité les productions à être le reflet de la société, et a notamment permis de donner plus de paroles aux femmes. Je m’en réjouis sincèrement.
STEPHAN VANFLETEREN - « Parce qu’elle est immobile, la photographie apporte la paix de l’esprit »
STEPHAN VANFLETEREN
« Parce qu’elle est immobile, la photographie apporte la paix de l’esprit »
MOTS : SERVANE CALMANT
PHOTOS : STEPHAN VANFLETEREN
Atelier, c’est un huis clos intime où Stephan Vanfleteren, photographe multi récompensé, façonne la lumière du jour. Atelier, c’est également le titre de son nouveau livre, une monographie retraçant 12 ans de création dans son propre studio. Comment ce formidable artiste qui est né et qui a grandi sous un ciel de plomb belge, est-il arrivé à modeler la lumière ? Confidences.
Stephan, vous souvenez-vous de votre première photo ? Non, pas vraiment. Peut-être une photo de mon chat ou des dunes de Ostdunkerque où j’ai grandi. En revanche, je me souviens très bien du jour où mon père m’a offert son appareil photo, un Pentax Spotmatic. Je n’oublierai jamais le son de l’obturateur, envoûtant !
A vos débuts, aviez-vous un photo-graphe de référence ? Je pense à l’Américain Irving Penn pour l’intimité qu’il est parvenu à créer avec son modèle. Intimité que vous mettez également brillamment en lumière … J’ai en effet découvert le travail incommensurable et inégalable d’Irving Penn, pendant mes études. Et il ne m’a jamais quitté. Il reste une source d’inspiration, dans mon travail de photographe et dans la vie. J’ai failli faire le portrait de ce maître intemporel ; malheureusement, il est décédé peu de temps avant notre rencontre.
Comment arrivez-vous à créer ce cadre d’intimité avec vos modèles ? J’aime l’idée d’aller à la rencontre de l’autre et de créer un moment suspendu. Je m’y consacre entièrement, pleinement, avec beaucoup d’empathie également. Les modèles ressentent cet abandon, cette passion, et offrent souvent beaucoup en retour.
Pour Steve McCurry, il est important de photographier le monde tel qu’il est, donc en couleur. Vous, en revanche, vous avez rapidement opté pour une photographie en noir et blanc. Pourquoi ce choix ? La photographie ne montre jamais le monde tel qu’il est. C’est au photographe de choisir ce qu’il veut montrer ou ne pas montrer, et comment il veut le faire. Tel est le paradoxe de la photographie. Photographier, c’est forcément faire un choix. Et un choix, c’est subjectif. N’oubliez jamais que la photographie convertit un monde trimental en un monde bidimensionnel. On y perd beaucoup, mais on y gagne parfois plus. C’est le moyen ultime pour saisir l’immobi-
lité de la vie. Parce qu’elle est immobile, dans un monde dansant, vibrant et fou, une photographie apporte la paix de l’esprit.
Vous êtes né à Courtrai, et vous vivez aujourd’hui à Furnes, près de La Panne. En tant que Belge, un ciel plombé par la grisaille ou la pluie, vous connaissez ! La photographie de Stephan Vanfleteren aurait-elle été différente sous le soleil ? Le soleil est idéal… en vacances. Mais en tant que photographe, je préfère la lumière douce. « Avec un ciel si gris, qu’un canal s’est pendu » : Jacques Brel n’est jamais bien loin !
Vos photos reflètent une certaine mélancolie. Je me trompe ? Je place en effet beaucoup de mélancolie dans la photographie, pour pouvoir ensuite me sentir joyeux et décomplexé de l’être. La photographie me soulage de ma lourdeur mélancolique. C’est une bénédiction qui me permet de fonctionner dans ce monde.
Nouveau tournant dans votre carrière. En 2015, avec la série « Nature morte », vous décidez d’abandonner le monde extérieur pour travailler en atelier. « Atelier », c’est également le titre de votre nouvel ouvrage. Cet atelier, cet espace clos, est devenu le théâtre de nouvelles collections de photos. Parlez-moi de ce lieu et de la lumière envoûtante qui le pénètre… J’ai beaucoup voyagé dans le monde au cours de ma vie, mais depuis la pandémie, je me consacre pleinement à des sujets qui me tiennent à cœur. L’Atelier est l’un d’entre eux. Pour autant, je ne m’enferme pas dans mon petit monde. La grande contradiction, c’est qu’ici, dans le petit espace de mon atelier, je peux observer tout simplement comment la lumière évolue au cours de la journée et comment une saison naît ou prend fin. Quand la lumière, qui se trouve à 500 secondes du soleil, s’installe petit à petit dans mon atelier, c’est merveilleux. La lumière qui tombe contre les murs ou sur le sol est le terminus d’un long voyage. Jamais, je n’ai autant réfléchi à la lumière. Dans cet atelier, je me rends compte que le monde tourne autour du soleil et que nous sommes tout petits dans ce grand cosmos. Un constat qui permet de s’affranchir de son égo !
Comment apprivoisez-vous la lumière entrante ? Au fil des ans, je suis devenu plus habile pour trouver la lumière nécessaire à la réalisation d’un bon portrait. Mais la lumière ne se laisse jamais totalement apprivoiser. Elle reste parfois insaisissable. Tant mieux, car cela permet de ne jamais maîtriser la situation. La lumière du jour n’est pas un danseur classique prévisible mais un fantôme imprévisible.
Ce travail en atelier est-il le fruit d’une certaine maturité ? La maturité n’explique pas tout. Mon principal moteur, c’est l’envie, le désir, la curiosité. J’aime le changement, aller vers l’inconnu, prendre des risques. Je n’aurais pas pu, pas voulu, rester photographe de presse toute ma vie. Parfois, on me demande pourquoi je photographie une feuille séchée dans mon atelier. Ma réponse : car les choses simples sont les plus difficiles à saisir. Dans la vie également, la simplicité est souvent compliquée à atteindre.
Vous sentez-vous plus serein aujourd’hui qu’hier ? Non. Je ne suis plus l’homme que j’étais à 22 ans ; au-
jourd’hui, à 54 ans, j’ai besoin de porter des lunettes et j’ai parfois mal au dos.(rire). J’ai toujours réalisé ce que je souhaitais faire au moment où je le faisais. Aucun regret. Désormais, je travaille moins la vitesse d’obturation, c’est vrai. Je m’adapte, j’évolue. Dans mon travail et dans ma vie.
La série « Nature morte » présente dans votre livre, se rattache à la tradition d’un Rembrandt, notamment … Est-ce une référence pleinement consciente ? Bien sûr, je connais la lumière des vieux maîtres. Pas seulement Rembrandt ou Vermeer, mais aussi Irving Penn ou Paolo Roversi. Cette lumière est universelle et intemporelle. C’est dans cette tradition que je m’inscris. Cette « vieille lumière », elle me fascine et me séduit.
Cette série, « Nature morte » donne à voir des corps d’animaux morts. Quel est votre rapport à la mort ? Je n’ai aucun tabou concernant la mort. Plus nous approchons de la mort, plus nous réalisons que la vie est précieuse, fragile et si extraordinaire. Malheureusement, les gens en prennent souvent conscience lorsqu’ils tombent gravement malades. J’essaie de contourner ce problème et de regarder la mort droit dans les yeux. Mes Natures Mortes ne sont pas une glorification de la mort, au contraire, elles sont un hommage à la vie !
Combien d’heures intenses passez-vous dans votre atelier à attendre une lumière parfaite à vos yeux ? Tant que le modèle dans la lumière le permet. Je suis un chercheur et j’ai un esprit douteur, alors quand on m’offre du temps, je le saisis jusqu’à pleine satisfaction. L’attente n’occasionne aucune lassitude ; en revanche, après la séance photo, la fatigue s’abat sur moi comme un lourd manteau. Bah, cela me permet de bien dormir !
Atelier, le livre, retrace 12 ans de création. Y figurent notamment les séries Nature Morte, Corpus, ainsi que des portraits de personnalités connues du monde de la musique ou du cinéma (Arno, Warren Ellis, Rutger Hauer, Gregory Porter, Mads Mikkelsen, Terry Gilliam, Matthias Schoenaerts, etc.). Une singularité m’intrigue : la main de Nick Cave…Je suis un grand fan de Nick Cave. Je connais un peu Warren Ellis, son ami et âme sœur musicale. Quand Nick Cave est en tournée, il refuse de se laisser photographier. Et c’était le cas. Alors, j’ai demandé à photographier sa seule main droite… « The Red Right Hand » de Cave est emblématique. J’aime les choses atypiques. Un visage parle. Une main aussi. À moi de la saisir avec mon œil et mon objectif.
Y’en aura-t-il une expo en Belgique à l’issue du livre ? Une exposition inti-tulée « Nature morte/Still Life » a lieu à Paris, à la Galerie Rabouan Moussion, jusqu’au 31 décembre. En Belgique, rien n’est encore prévu. Si quelqu’un connaît un espace d’expo formidable en Wallonie ou à Bruxelles, qu’il n’hésite pas à m’appeler. Expo et livre dégagent deux énergies différentes. Le livre a sa propre vie, il se suffit à lui-même. Je crois en la puissance des pages, au rythme propre au livre, à l’intensité au coeur de la relation auteur-lecteur.
Atelier, monographie,
Editions Hannibal Books