JÉRÉMIE CLAES
D’ombre et d’humanité
Mots : Barbara Wesoly
Photo : Philippe Matsas
Enchevêtrant les époques, croisant les lieux et les identités, L’Horloger s’affirme comme un thriller étourdissant et singulier mais aussi telle une fresque nous plongeant dans les rouages du fanatisme. Un premier roman signé avec un talent et une précision d’orfèvre par Jérémie Claes.
Ce livre, votre premier, mûrissait-il depuis longtemps ? J’y cogitais depuis vingt ans. Les thématiques du nazisme et de l’extrémisme m’ont toujours touché et passionné. Au lycée, nous avions eu la chance de recevoir la visite d’anciens déportés. Leur témoignage m’avait profondément marqué. Mais c’est la campagne ayant précédé l’élection de Donald Trump en 2015, qui en aura véritablement été le déclencheur. J’y ai perçu un réel point de bascule de nos démocraties occidentales. Une montée en puissance de la haine et des théories conspirationnistes, qui depuis, ont infusé toutes les couches de la société, y compris en Europe exacerbant les préjugés, la peur et l’aveuglement. Dans des périodes de trouble comme celle que nous vivons aujourd’hui, l’on assiste toujours au même phénomène, où l’émotion irrationnelle prend le pas sur la tolérance.
D’où l’importance, pour moi, chacun à notre modeste mesure, d’apporter notre pièce à l’édifice du souvenir comme à l’éveil des consciences. C’était mon objectif avec L’Horloger.
Votre récit parcourt les chemins de Provence comme les paysages américains, passe par Bruxelles et même la Patagonie. Ces lieux racontaient-ils une part de votre histoire ? C’est ce qui est drôle. On parle d’un thriller international, qui se déroule sur plusieurs continents et qui pourtant contient une grande part d’intime. A deux points de vue particulièrement. Le premier, c’est un petit village de Provence, appelé Gourdon. Celui où ma grand-mère est née et où j’ai passé toutes mes vacances étant enfant et adolescent. J’ai des liens très fort avec ce lieu. Des racines même. J’y suis d’ailleurs retourné pendant l’écriture du livre, en me disant que j’espérais modestement que les habitants le verraient comme une sorte de cadeau. Une déclaration d’amour à ses paysages. Le deuxième, ce sont les personnages. Par des aspects différents, je me retrouve en chacun d’entre eux. En Jacob Dreyfus, dont j’ai mis longtemps à admettre partager une part de l’obscurité, du côté torturé. Mais également en Bernard Solane, épicurien, bon vivant, féru de vin aussi, un rappel de mon ancien métier de caviste, pratiqué durant plus de 15 ans. C’est d’ailleurs grâce à cet emploi que j’ai découvert la Bodega Chacra à Neuquen, en Patagonie, que j’évoque dans le roman. Un lieu incroyable, possédant une vibration tellurique et dès lors parfait pour développer l’aspect plus mystique de cet ouvrage. J’aime explorer le côté immersif de l’écriture, l’imprégner d’odeurs, d’atmosphères palpables, habiter le récit de sensations.
Si Jacob Dreyfus en est le héros, c’est la force de vie et de mort qui en est sont au final les principaux protagonistes. Quel est votre rapport à celles- ci ? Nous évoquions Trump, mais il y a aussi le contexte climatique, l’avenir de l’humanité dans sa globalité. Je ne le réalisais pas encore en écrivant ce livre, mais je suis désormais convaincu, plus que jamais, qu’à la noirceur il faut opposer une dose de lumière. Une forme d’émergence d’espoir. C’est le rôle que j’espère jouer aujourd’hui.
Profond, haletant, bouleversant, L’Horloger est aussi dur et même douloureux, brutal. Après un tel plongeon, avez-vous le sentiment d’en être ressorti le même ? Stephen King recommande d’écrire sur ce que l’on connaît viscéralement. Et je pense que c’est le meilleur conseil que l’on puisse donner. Cet ouvrage n’était pas une forme de thérapie, mais certains éléments s’y sont inscrits naturellement. Des échos à ce que j’ai pu vivre. Je n’en suis donc pas sorti et je pense que je n’en sortirai sans doute jamais vraiment.
Ce travail d’écriture vous a-t-il plu au point de réitérer l’expérience? J’ai adoré cela. Cela a été un plaisir et au-delà, une forme d’évidence. Depuis l’âge de 12 ans, je rêvais d’être écrivain. Pour la première fois de mon existence, devant mon écran, je me sentais vraiment à ma place. Il n’y a pas de retour en arrière possible. D’ailleurs mon second roman est en voie de finition, en tout cas le premier jet de celui-ci. Il sera un peu plus local et son histoire totalement indépendante de celle de L’Horloger, même s’il marquera le retour de l’un ou l’autre des personnages. J’espère pouvoir le publier au printemps 2025.
L’Horloger de Jérémie Claes
Editions Héloïse d’Ormesson.
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