BARBARA ABEL
« Comment aurais-je réagi à la place du personnage ? »
BARBARA ABEL
« Comment aurais-je réagi à la place du personnage ? »Mots : Servane Calmant
Photo : Melania Avanzato
La reine du polar belge excelle dans l’art de mettre en scène des gens ordinaires dont le destin bascule. « Comme si de rien n’était », son nouveau roman, le 15e, interroge une famille sans histoire, contrainte d’affronter les conséquences d’un mensonge. À la lecture de ce seul pitch, on sent poindre le drame domestique. Il sera implacable, funeste, pur et dur, comme toujours chez Barbara Abel qui s’amuse à entortiller le lecteur …
Choisir des héros ordinaires permet aux lecteurs de s’identifier facilement aux personnages … Est-ce là une des clés de votre succès ? Effectivement. Lors des séances de dédicaces de mes romans, les lecteurs m’avouent être affectés émotionnellement par mes personnages, parce qu’ils ont le sentiment de les connaître, de les comprendre. Et souvent, ils s’interrogent : « comment aurais-je réagi à la place de tel ou tel protagoniste ? » Quand j’écris, c’est la question que je me pose également.
Comment un homme sans histoire peut- il se transformer en bête sanguinaire ? Cette question, vous la posez régulièrement aux lecteurs. Mais vous, Barbara, avez-vous trouvé la réponse ? Non. (rire). Je reste fascinée par les faits divers qui se passent près de chez nous. A quel moment un être humain, mon voisin, ce monsieur, cette madame Tout-le-monde que je croise chaque matin, que je salue, bascule-t-il/elle dans l’horreur ? J’aime travailler des personnages complexes, qui cachent des secrets enfouis et renferment une part d’ombre.
Votre source d’inspiration, ce sont donc les faits divers ? Non. Seul mon roman « Et les vivants autour » est inspiré d’un fait divers survenu aux Etats-Unis. Quand je me mets en quête d’une idée de livre, je lis effectivement des faits divers mais le plus souvent, ils s’avèrent d’une affligeante banalité. Et je dois bien admettre qu’il n’ y a pas là matière à roman. Pour rédiger une fiction palpitante, il faut pousser le curseur plus loin : croiser des gens ordinaires certes, mais avec des événements tragiques et néanmoins connectés à la réalité.
L’homme est-il un loup pour l’homme, par nature ? Je mets en scène les failles de l’être humain et je n’écris pas du « feel good », voilà deux certitudes. Pour autant, je dois vous avouer que j’ai rarement rencontré des gens méchants, vraiment méchants. En revanche, j’ai croisé des cons. La bêtise est peut-être pire que la méchanceté !
Dans « Comme si de rien n’était », il est question de mensonge, de manipu- lation, de femme sous influence… Si Barbara Abel n’avait pas été romancière, aurait-elle pu devenir psychologue ? La psychologie est une discipline qui me plaît beaucoup et, par chance, j’ai moi-même trouvé un bon équilibre psychologique qui me permet d’être solide par rapport aux épreuves de la vie. Mais aurais-je pu en faire un métier ? Sincèrement, je ne sais pas.
Votre personnage apprend sur le tard qu’il est père. Mais… La solitude affec- tive est également au cœur de votre nouveau roman. Cette solitude, elle va en effet dévorer le protagoniste de chapitre en chapitre, jusqu’à le pousser à revendiquer sa place, à s’imposer aux côtés d’un enfant qui a déjà une famille. La solitude est une maladie sociale. Dans nos sociétés hyper connectées, on se rapproche de ceux qui sont loin et on s’éloigne de ceux qui nous sont proches.
Votre premier livre s’intitulait « L’instinct maternel ». Cette fois, il est question d’instinct paternel … À la lecture des 150 premières pages, mon éditrice me dit en riant : on va appeler ton nouveau roman « L’instinct paternel ». J’avais envie d’abandonner la maternité, qui est un thème récurrent chez moi, pour montrer le parcours semé d’embûches d’un homme qui entreprend la reconnaissance d’un enfant qui a déjà une filiation établie…
Vous excellez une fois de plus dans le jeu des fausses pistes, des cartes brouillées, des rebondissements avec, en bonus, un prologue et un épilogue en forme de pirouettes narratives. Comment met-on au point pareil mécanisme ? Si seulement je connaissais la recette (rire). Dans ce nouveau roman par exemple, prologue et épilogue sont arrivés en fin de récit. Chaque histoire, c’est une nouvelle aven- ture où il faut travailler l’intensité, trouver la pirouette finale, boucler la boucle.
Un 15e roman se rédige-t-il plus facile- ment qu’un premier ? Au contraire, c’est de plus en plus difficile ! À chaque roman, je me dois d’être originale, de surprendre le lecteur avec des trouvailles narratives et scénaristiques. Chaque roman est un nouveau défi.
Vous êtes romancière et scénariste. Laura Sepul (en cover du Be Perfect) a notamment joué dans Attraction, mini-série télévisée belge que vous avez scénarisée avec Sophia Perlé. Roman vs scénario : le travail d’écriture est-il différent ? Radicalement même. L’écrire scénaristique est factuelle, elle décrit l’action, les personnages, le décor ; l’écriture romanesque implique de communiquer des émotions aux lecteurs. Ecrire un roman est également un travail solitaire, alors que la série « Attraction » a été nourrie de nombreux échanges et brainstormings entre moi et la scénariste Sophia Perié.
Plusieurs de vos romans ont été adaptés à la TV ou au cinéma. C’est le cas de « Derrière la haine », adapté par le Belge Olivier Masset-Depasse (Duelles) qui s’offre également une version holly- woodienne, « Mothers’ Instinct ». Y a-t-il une date à annoncer ? Des personnages qui sortent de ma tête vont être interprétés par Jessica Chastain et Anne Hathaway, c’est formidable ! J’ai vu « Mothers’ Intinct » il y a un an et depuis j’attends, comme vous, sa date de sortie en Belgique, annoncée pour 2024.
Comme si de rien n’était de Barbara Abel, Editions Récamier à paraître le 11 avril.
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