Alia Cardyn En quête d’humanité
Alia Cardyn
En quête d’humanité
Mots : Ariane Dufourny
Photos : Astrid di Crollalanza
Alia Cardyn, ancienne avocate bruxelloise, maman de trois enfants, consacre désormais son temps à l’écriture. Ses romans émouvants, écrits avec passion et sincérité, se doivent d’être lu sans modération. Le premier, « Une vie à t’attendre », est lauréat du prix des Lecteurs des magasins belges Club en 2016, quant à « Mademoiselle Papillon », il rend hommage aux femmes qui ont l’audace d’incarner le changement. On peut déjà prédire que son cinquième, « Archie », sera un best-seller. Profond, bouleversant, percutant à l’instar de sa couverture. Mon coup de cœur absolu de la rentrée littéraire belge 2021 !
Vous avez écrit « Archie » en plein confinement. Est-ce la réaction de votre fille face aux devoirs facultatifs qui vous a inspirée ?
Le sujet du roman, je l’avais avant le confinement, mais ce temps de pause octroyé aux enfant était un joli signe de la vie, qui a donné une vitalité supplémentaire à mon expérience de l’école démocratique. Durant six mois, j’ai eu la chance immense de pouvoir adapter mon rythme professionnel à celui de mes enfants, de les voir jouer dans le jardin à et construire leur vie comme ils l’entendaient. Quel enrichissement pour eux et pour moi !
Vous prônez la pédagogie démocratique qui vise à offrir la liberté dans l’apprentissage. Qu’apporte-t-elle de mieux à l’éducation traditionnelle ?
Comme beaucoup de pédagogies, c’est plus en termes d’atouts qu’il faut l’analyser : dans l’approche démocratique, on ignore qui est le maître et qui est l’élève. Les rapports de domination sont gommés, même si c’est compliqué car ils sont présents dans tous les pans de la société. Pourquoi ne fonctionnerait-on pas de façon plus démocratique en donnant la voix à chaque élève ? En écrivant ce livre, j’ai réalisé que pour être heureux il faut savoir faire des choix et avoir confiance en soi, or ce n’est pas forcément au programme de l’éducation traditionnelle !
Qu’espérez-vous pour la nouvelle génération ?
Que la pédagogie se focalise davantage sur le bien-être de l’enfant et de l’enseignant qui fait ce métier par passion. Réinventer notre école pour qu’elle soit en adéquation avec cette génération fabuleuse qui arrive et qu’elle se soucie de l’épanouissement des professeurs. Ca me choque que notre société sous-finance notre enseignement, alors qu’il est prouvé qu’un système scolaire qui fonctionne bien permet de faire des économies, en préservant notamment la santé mentale. C’est en choisissant un métier qui nous plait que l’on peut arriver à le réussir !
Ancienne avocate, ne regrettez-vous jamais votre ancienne profession ?
Vraiment jamais ! Étant hypersensible, autant j’étais passionnée par le jeu intellectuel ; autant sur le plan humain, je n’étais pas à ma place. J’ai même pensé que j’avais fait le mauvais choix d’études, de carrière et que j’avais raté ma vie. Il y a eu tout un cheminement pour arriver au métier d’écrivain que j’adore.
Qu’est-ce que l’écriture vous apporte ?
J’ai toujours voulu faire un métier de défense des droits humains. Je veux aborder dans mes romans des sujets que je trouve essentiels et qui sont trop peu accessibles. Mes interviews d’experts multiplient la richesse des points de vue que j’essaye de transmettre aux lecteurs qui vont lire mes romans.
De manière générale, quels sont les éléments déclencheurs qui inspirent vos romans ?
Il y a toujours, en filigrane, l’importance de l’égalité dans notre société, la volonté d’effacer les rapports de domination et aussi la résilience et le non- jugement.
Pourquoi avoir choisi la Bretagne en toile de fond ?
J’adore la Bretagne que je trouve sublime. J’y étais lorsque j’ai imaginé ce scénario. C’était le cadre parfait pour qu’Archie puisse aller à la rencontre de sa grande beauté. La nature nous permet de nous connecter à toutes nos forces. La beauté extérieure nous renvoie à la beauté intérieure.
Comment se construire quand vous connaissez l’enfer dès votre naissance ? Quel message voulez-vous faire passer ?
S’il y a des puits de lumière dans une vie, elle n’est pas perdue. On peut tous être ces puits de lumière pour quelqu’un d’autre. Ca peut tout changer !
Vous brossez deux portraits de femmes, une mère toxicomane et une infirmière bienveillante. Tout parait les opposer, pourtant chacune lutte comme elle peut contre ses démons. La culpabilité peut-elle détruire un individu ?
La culpabilité est très nocive pour la santé et est contre-productive. Elle bouffe notre énergie au lieu de nous permettre d’avancer. Il faut la remplacer par une saine remise en question.
Archie, votre cinquième roman sort le 14 octobre 2021. Peut-on espérer un sixième roman pour 2022 ?
Certainement ! Même si je ne connais pas encore le mois de sa sortie. D’ici là, en novembre 2021, paraîtra mon premier album jeunesse qui m’a été commandé par une cheffe de service de néonatologie, parce qu’il n’existe pas de livre pour la fratrie des prématurés. Et en février 2022, sortira l’album jeunesse sur « Mademoiselle Papillon », ma plus grande évidence de mon parcours d’écrivain.
La rentrée littéraire belge
La rentrée littéraire belge
Nous nous sommes pris d’amitié pour la littérature belge francophone. Comment pourrait-il en être autrement quand la rentrée invite à découvrir grands auteurs et belles découvertes ? Amélie Nothomb poursuit son exploration des rapports familiaux en rendant hommage à son père, Nicolas Crousse assemble les pièces du puzzle de son enfance, Hakim Benbouchta dévoile son « Tinder City », Aurélie Giustizia surprend avec un véritable ovni littéraire, Sébastien Ministru ouvre la garde-robe intime de son héroïne, Rudy Léonet évoque ses rencontres avec de grands artistes. Sans compter, Archie d’Alia Cardyn, notre coup de cœur ultime, à découvrir dans nos pages Be Culture.
MOTS : ARIANE DUFOURNY

Amélie Nothomb – Premier sang – Sorti le 15 août 2021 chez Albin Michel
Pas de rentrée littéraire sans Amélie Nothomb qui publie avec Premier sang, son trentième roman. Fidèle à elle-même, la romancière belge ne dévoilera aucun résumé ; à peine une phrase accrocheuse qui invite à se plonger dans la lecture : « Il ne faut pas sous-estimer la rage de survivre. ». On retrouve sa plume viscérale et son vocabulaire incantatoire dans ce roman autobiographe écrit à la première personne. Un hommage puissant à son père Patrick Nothomb.

Nicolas Crousse – Retour en pays natal – Sorti le 26 août 2021 chez Castor Astral
Nicolas Crousse assemble ici les pièces éparpillées du puzzle de son enfance. Au fil des pages, il convoque ses souvenirs d’enfant rêveur et solitaire, hypnotisé par les oeuvres de Marc Chagall, et s’interroge sur ses relations familiales. Notamment celle qu’il entretient avec son père, poète égaré, voyageur, souvent absent. À travers cette quête identitaire, l’écrivain interroge la notion de paternité, d’abord en tant que fils, puis dans son rôle de père. Par l’écriture, il parvient à se détacher progressivement de la figure paternelle pour retrouver sa propre identité. Retour en pays natal est l’histoire d’une enfance portée par l’amour d’un fils pour son père.
Nicolas Crousse nous avertit : « ceci n’est pas un roman, pas un livre de nouvelles, pas non plus un recueil de poésies, pas davantage une autobiographie. » Ce qu’il ne nous ne dit pas, c’est son incommensurable talent à mettre des mots justes sur ses propres émotions.

Hakim Benbouchta – Le Pseudo – Sorti le 10 septembre 2021 chez Marque belge
Line, 12 ans, est la fille d’Harold, jeune cinquantenaire, père célibataire à mi-temps. Jules, 13 ans est le fils de Chloé, quarante-quatre ans, mère célibataire à mi-temps. Lassée de ne le voir rencontrer personne depuis sa séparation, Line décide d’inscrire son père sur un site de rencontres et se fait passer pour lui à son insu. Lassé de ne la voir rencontrer personne depuis sa séparation, Jules décide d’inscrire sa mère sur un site de rencontres et se fait passer pour elle à son insu. Par le plus grand des hasards, Jules et Line entrent en contact et finissent par s’avouer leur supercherie. Au fil des discussions, ils réalisent que leurs parents sont faits l’un pour l’autre. Ce qu’ils ignorent c’est que, dans la vraie vie, Harold et Chloé se connaissent très bien.
Un « Tinder City » entre Bruxelles (plutôt sud) et le BW ! Les stéréotypes sont légion et certain-es ne manqueront pas de se reconnaître. Je connais Hakim depuis quarante ans et il continue à me surprendre, par ses qualités humaines évidemment, mais pas uniquement. La lecture de son « feel good » suscite un rire franc et salvateur qui fait un bien fou !

Aurélie Giustizia – Vent debout – Sorti le 1er septembre 2021 chez Cent mille milliards
« Je passe pourtant incognito dans les rues de la ville, j’évite les crottes de chien et les crachats comme si j’étais une grande dame mais je laisse la place libre à qui veut s’asseoir, je dis pardon quand on me bouscule, je rentre en dernier dans le bus. Je ne suis pas faite pour vivre à la surface. Trop de règles à suivre, trop d’exceptions à suivre, trop de gens à suivre, trop de flèches à suivre, trop de marche à suivre. Trop d’alarmes, pour les portes mal fermées, pour la carte oubliée, trop de klaxons pour la voiture mal garée, pour le vélo trop lent dans la montée. Trop d’odeurs en même temps, de camions puants, de pipis flottants. Trop de lumières vertes pour beugler oui, de rouges pour brailler non, trop de marteaux piqueurs qui font trembler le cœur, trop de cris aussi. Vous comprenez, je n’ai pas la force pour feindre, pour arpenter la ville sans apparente blessure. »
L’auteure est née en 1982 et c’est son premier roman écrit avec virtuosité́ et cruauté. Je l’ai lu d’une traite, il est décapant ! Vent debout, c’est une plume acérée au service d’un véritable ovni littéraire.

Sébastien Ministru – La garde-robe – A paraître le 13 octobre 2021 chez Grasset
Vera vient de mourir. Elle avait fui sa famille quand elle était jeune, et deux nièces sont chargées de vider le dressing de cette tante qu’elles n’ont pas connue. De vêtement en vêtement, de tailleur en écharpe et d’écharpe en robe du soir, chaque pièce de la garde-robe de Vera raconte un épisode de sa vie. Chanteuse de variétés dans les années 1970 ayant connu un grand succès puis l’oubli, elle épouse un riche industriel dont les nièces vont découvrir le secret, un secret que Vera a protégé jusqu’à la mort de son mari. Elle-même transporte la blessure de son enfance sans rien pardonner à son milieu d’origine. L’armure des vêtements se fend parfois : quand un réalisateur l’approche pour les besoins d’un film sur les corons de son village natal, les images reviennent, les sens vibrent, et la peau se fait plus tendre.
Auteur de pièces à succès, journaliste et chroniqueur vedette de la RTBF, Sébastien Ministru nous livre le portrait d’une héroïne à la Tennessee Williams. Avec une plume exaltante, l’auteur reconstruit la biographie d’une femme qui a fait de l’élégance un rempart contre la violence du monde. Brillant.

Rudy Léonet- Access All Areas – A paraître le 27 octobre chez Lamiroy
Homme de médias – radio, télévision et de presse écrite -, Rudy Léonet a traversé quatre décennies en promenant son micro dans les coulisses de festivals, les backstages de concerts, les studios d’enregistrement et les rendez-vous codés dans des hôtels confinés. « AAA » – Access All Areas (le laisser-passer qui donne accès aux quartiers privés des célébrités), raconte ses rencontres avec des personnalités surprenantes, excentriques, charismatiques, sous un angle inattendu. Avec « AAA », on assiste à des conversations off, à des échanges recueillis par l’auteur pendant plus de 40 ans. Ces instantanés où l’on croise Björk, Depeche Mode, The Cure, Bowie, Nick Cave, Peter Gabriel, Françoise Hardy, Etienne Daho, INXS, U2 et beaucoup d’autres, sont autant de séquences toujours réjouissantes et jubilatoires, qui éclairent la part d’ombre de célébrités avec un sens particulier de l’observation. Chaque instantané de ces brèves de rencontres est illustré par Clarke.
A force de rencontrer des stars, j’imaginais Rudy Léonet blasé par son « AAA ». Pour la timide que je suis, découvrir que sa première interview commence par la voix de Balavoine qui dit « Une deux test, je crois que c’est bon », c’est cadeau !

Alia Cardyn – Archie – A paraître le 14 octobre chez Robert Laffont
L’histoire bouleversante d’un jeune qui marche mille kilomètres en quête d’humanité. Archie, seize ans, est placé en institution. Sa mère, toxicomane, est incapable de s’occuper de lui. Au lieu de consentir à ce quotidien qui l’enferme, Archie lutte. Un jour, un rêve se dessine. Tout quitter pour rejoindre à pied une école où les enfants sont libres d’apprendre ce qui les intéresse vraiment.
Coup de coeur de la rédaction. Découvrir l’article.
Au suivant ! Non ! Guiz, c’est le phénomène belge qu’on n’a pas envie de quitter !
Guillermo Guiz
Au suivant ! Non ! Guiz, c’est le phénomène belge qu’on n’a pas envie de quitter !
Mots : Ariane Dufourny
Photos : Anthony Dehez
Attention, cet avis n’engage que nous : Guy Verstraeten, alias Guillermo Guiz, devrait être prescrit contre la morosité ambiante, voire remboursé par la sécurité sociale ! Son humour vif et foncièrement dark, sa sincérité désarmante, son accent bruxellois assumé et son débit de mitraillette dérident l’âme chagrine plus vite qu’un shoot d’Epicure ! Rencontre avec un beau gosse, plus timide à la ville qu’à la scène, qui se raconte dans « Au suivant ! », spectacle irrésistiblement décapant.
Comment doit-on vous appeler ? Guy, Guillermo ou Guiz ?
Mes amis m’appellent Guiz. L’administration : Guy. Et ceux qui ne me connaissent qu’ à travers mon travail me nomme Guillermo.
Dans votre précédent spectacle « Guillermo Guiz a bon fond », vous avez consacré un sketch à votre prénom. Pourquoi ne vous plaît-il pas ?
Je suis né en 1981, à l’époque ce n’était pas un prénom dans le vent. J’ai donc grandi avec un prénom de… vieux !, que le timide que je suis a assumé comme il pouvait ! Ne pas être fier de son prénom, c’est compliqué quand on est ado. A 39 ans, je commence à accepter mon prénom. Plus je vais vieillir, plus ça va aller. Théoriquement, quand j’aurai 60 ans, je le trouverai super !
Avis aux futurs parents ! En quoi le prénom est-il constitutif de la personnalité?
On vit au quotidien avec son apparence physique et avec son prénom. J’ai la chance de faire un métier artistique et de pouvoir choisir comment j’ai envie qu’on m’appelle. Le nom et le prénom, on nous l’attribue à la naissance. Bébé, on n’a pas des masses d’influence. Il y en a peu qui disent : Matis, ça ne me va pas du tout ! Il faut faire confiance à la bienveillance des parents. Les miens, à ce niveau-là n’ont pas été très inspirés ! (Rire).
Quel est votre Guy célèbre préféré ? Guy de Maupassant, Guy Béart , Guy Bedos ou Guy Verhofstadt ?
Guy Bedos ! Il se situait clairement dans le haut du panier de l’humour des années 70, 80, 90.
On dit des « Guy » que ce sont des hommes qui ne dissimulent pas leurs pensées et que leurs franchises font leur charme. Est-ce la clé de votre succès ?
Je ne suis pas tout le temps franc, mais je suis sincère. Je ne vais pas dire frontalement ce que je pense de peur de gêner l’autre, mais je dissimule assez peu ce que je ressens réellement. Sur scène, ma force, c’est vraiment la sincérité.
On dit aussi des « Guy » qu’ils sont très généreux. Ce n’est donc pas une chimère puisque vous avez proposé de faire une deuxième représentation au Royal Festival de Spa de votre spectacle « Au suivant ! » dont la recette est entièrement reversée aux sinistrés des inondations dans la région. Que pensez-vous de l’élan de solidarité nationale ?
Curieusement en période de crise, on découvre le meilleur des gens. On peut être fier de la manière dont les Belges ont réagi face aux inondations partout dans le pays.
Vous êtes originaire de la commune d’Anderlecht tout comme Guy d’Anderlecht plus connu comme Saint Guidon d’Anderlecht et parfois surnommé « le pauvre d’Anderlecht ». Dans un de vos sketchs, vous avez parlé de votre commune en vous définissant comme un plouc intérieur. Pourquoi ce ressenti ?
J’ai beaucoup de tendresse pour Anderlecht, j’y ai grandi. Ce n’est clairement pas la commune la plus branchée du monde. Anderlecht, n’est pas Brooklyn ! Mais ce n’est pas grave (rien n’est grave, hein avec Guillermo – nda). Quand je repense à ma période anderlechtoise, avec ma coupe mulet, je n’ai pas honte du tout.
« Mon phantasme ultime sur Dieu… J’arrive au paradis et Saint-Pierre m’annonce : il n’osera pas te le dire car il sa fierté mais il aimerait bien prendre une photo avec toi. ». Vous êtes plutôt BG physiquement et sympathique au demeurant. Si vous deviez-vous décrire en adjectifs ?
Réservé, bon copain et alcoolique ! (Rire). Je suis plutôt gentil. J’essaye si possible de ne pas faire de mal autour de moi.
Vous avez 39 ans. Difficile à imaginer quand on vous regarde, pourtant on dirait que vous avez déjà eu mille vies : ancien espoir de l’équipe de football d’Anderlecht, patron de boîte de nuit, journaliste, chroniqueur sur France Inter et humoriste. Quel fut l’élément déclencheur qui vous a fait monter seul en scène?
J’ai vu la série « Louie » de l’humoriste américain Louis C.K et j’ai été conquis par cette manière de s’exprimer sur scène, devant un mur en briques avec un micro, tout simplement. Ce qu’il disait m’a bouleversé. A l’époque, je faisais déjà beaucoup de blagues. C’était pour moi une manière de dire au monde ce que j’avais envie d’exprimer. Il a fallu un an et demi voire deux ans, pour que j’écrive des petits textes et que j’ose les jouer. A mes 31 ans, j’étais professionnellement un peu en rade, je n’avais plus rien à perdre. Je suis monté sur une scène, pour la première fois, en juillet 2013. A partir de là, progressivement, j’en ai fait mon métier.
Comment qualifieriez-vous votre style d’humour ?
Absurdement noir ! Dans le spectacle, il y a des blagues très dark, très absurdes, très potaches, très fines.
Avez-vous déjà pris un bide ? Dans l’affirmative, comment rebondissez-vous ?
Bien sûr, j’ai pris des bides. Des tonnes. Quand j’étais un humoriste inexpérimenté, j’étais tétanisé, je regardais mes chaussures et je parlais encore plus vite que d’habitude. J’expédiais mon texte pour rentrer chez moi et mettre ma tête sous un coussin le plus vite possible. Aujourd’hui, avec l’expérience, je gère mieux. Mais les textes qui ne sont pas encore rodés continuent à m’affoler car je ne sais jamais si ils vont faire rire, faire rire un peu, beaucoup, sourire à peine, ou ne pas faire rire du tout ! Un spectacle, c’est toujours une loterie. Quand les gens ne rient pas, il me faut rebondir et rigoler de la situation.
« Au suivant ! » Pourquoi avoir nommé ainsi votre nouveau spectacle ?
J’avais un premier spectacle qui avait beaucoup tourné, il fallait en faire un deuxième : Au suivant ! ma paru un titre logique. Le spectacle parle de la transmission. Du coup, c’est un double sens. Qu’est-ce qu’on transmet à la génération suivante ?
Quel effet cela fait d’avoir reçu le Prix Maeterlinck de la critique 2020 dans la catégorie Meilleur spectacle d’humour pour « Au suivant » ?
En raison du Covid, j’avais l’impression d’avoir été le seul spectacle de la saison … Et j’ai pensé : bah, c’est pour cette raison que j’ai raflé le prix ! Gagner dans un domaine artistique n’a pas vraiment de valeur objective, mais je suis content de la subjectivité des membres du jury.
« Il faut toujours laisser à son enfant une marge de progression pour qu’il te dépasse professionnellement. Pour ça, mon père a été nickel ! ». Vos parents, votre père en particulier, sont le fil rouge de votre spectacle. Si on fait abstraction de l’humour, votre jeunesse ne semble pas avoir été très particulièrement dorée ?
Très peu de gens ont une jeunesse parfaite. J’avais un père qui était très présent et qui avait plein de défauts mais beaucoup de qualités aussi. C’est ce que je raconte dans le spectacle : tout n’est pas blanc ou noir. Mon père m’a donné envie de lire et d’apprendre, c’est déjà beaucoup. Gamin, le foot était toute ma vie. Tout ce qui était un peu compliqué était contrebalancé par cette passion pour le football. En définitive, j’ai connu autant de problèmes et autant de moments de joie que les autres.
« Je ne dis pas que je suis un bon coup mais au moins quand je couche avec une femme, ça l’occupe ». Vous n’hésitez pas à parler de vos expériences sexuelles ratées. Vous êtes vraiment le roi de l’autodérision !
Je suis le roi de rien du tout. Je ne suis pas sur scène pour dire que je suis un étalon. De un, ce n’est pas vrai. De deux, ça n’a pas d’intérêt. De trois, ça ne fait pas rire les gens. Ce qui fait marrer les gens et leur permettent de s’identifier à ce que je raconte, sont les échecs. Les foirages !
« J’aime trop les seins, ma mère était alcoolique, du coup quand elle me donnait le sein, il y avait forcément un petit truc en plus, sensation Baileys ». Peut-on rire de tout ? Rien n’est tabou ?
On peut rire de tout, à condition de rester subtil, élégant et pertinent à la fois. Il faut aussi avancer avec son temps et comprendre qu’on ne peut plus rigoler aujourd’hui comme on le faisait en 1985 des blagues de Michel Leeb. L’époque change, les sensibilités sont différentes, il faut en tenir compte et s’adapter. Comprendre la société dans laquelle on vit est un challenge intéressant.
L’humour est-il le parfait exutoire ?
Ouais ! Il l’a toujours été pour moi. Je me suis psychologiquement sorti des situations les plus compliquées en racontant des conneries, en dédramatisant, en essayant d’en rire. Si on arrive à rire de ses drames personnels, c’est autant de pris sur l’ennemi !
La réalité sublimée de Sébastien Nagy
La réalité sublimée de Sébastien Nagy
Mots : Agnès Zamboni
Photos : Sébastien Nagy
Il a voyagé dans un nombre de pays équivalent à celui de ses années. En remportant le concours de l’Aerial Photography Awards of the Year 2020, Sébastien Nagy, jeune trentenaire, s’est hissé dans la cour des grands mais garde toujours les pieds sur terre. Car c’est son appareil photo qui vole et ramène, sous ses instructions précises, des clichés étonnants. Pour réaliser de si belles images, cet autodidacte associe passion, organisation, talent de graphiste et patience de l’artiste pour délivrer sa vision inédite de lieux souvent touristiques. L’instant décisif ne lui fait pas croire au hasard et la géométrie de ses cadrages fait son œuvre.
Pourquoi avoir associé photographie et voyage ?
Avant de m’intéresser à la photo, je voyageais une fois par an avec mes potes pour surtout faire la fête. En 2015, lorsque j’ai démarré la photo à Bruxelles et en Belgique, j’explorais des endroits pour ramener des images, avec des points de vue différents, qui se démarquaient des photos classiques connues, en montant sur les rooftops. Puis j’ai débuté mes premiers citytrips à Stockholm, Copenhague, Paris, Amsterdam en débusquant des billets d’avion pas chers et des bons tuyaux. La photo m’a ouvert à des cultures différentes. J’ai eu envie de continuer. La plupart du temps, mes voyages sont très organisés pour ne pas perdre de temps. Je repère les lieux, qui me semblent posséder un potentiel, sur Google Earth ou sur Instagram. Mots clés et articles me permettent de faire un premier repérage.
Vous ne laissez rien au hasard ?
Au cours d’un voyage, je peux aussi découvrir un endroit que je n’avais pas remarqué sur internet, comme l’hôtel Park Royal à Singapour, avec sa façade végétalisée, plantée de palmiers. Récemment, je suis allé dans les Pouilles en Italie et finalement je suis resté plus longtemps que prévu en explorant 4 régions. Je réalise un travail de photos commerciales pour un client et j’en profite pour explorer la région et produire mes propres images.
Techniquement comment procédez-vous ?
Mon appareil photo est fixé sur le drone que je pilote avec une télécommande. Grâce à une application téléchargée, je peux obtenir le retour vidéo des images capturées. Les réglages sont possibles comme lorsque vous tenez un appareil dans vos mains. Ensuite, le travail de postproduction sur mon ordinateur me permet de recadrer les photos, d’intensifier les couleurs et la lumière, d’accentuer les ombres. La partie consacrée à la retouche numérique, où je mets ma pâte, est essentielle et peut durer des heures. Le cadrage donne cette notion d’infini et fait ressortir la beauté du paysage qui devient surnaturel. Ainsi pour la photo des deux pyramides, capturée dans la brume et le même alignement, j’ai joué avec les couleurs qui étaient fades et grises, en accentuant le ton rose orangé et les ombres. J’ai gommé les personnages présents sur les clichés d’origine. Mais l’architecture et le paysage n’ont pas été transformés.
Lorsqu’on isole un élément avec un cadrage particulier et différent, la perception du lieu change. Le parti-pris de cet élément devient un tout avec l’imagination du spectateur. Par contre, aux Emirats arabes unis, j’ai photographié des habitations avec une typologie identique et la photo laisse croire qu’elles se multiplient à l’infini alors que l’image reproduit seulement un pâté de maisons… En accentuant les caractéristiques graphiques de l’image et en choisissant un angle différent, le lieu est transcendé voire méconnaissable par rapport aux images de carte postale.
Comment voyez-vous l’avenir de cette activité ?
Aujourd’hui, je voudrais passer à une autre étape. Mon travail commence à être connu grâce aux réseaux sociaux et à la prospection spontanée que j’ai faite auprès des marques. En envoyant 100 mails, on reçoit parfois 10 réponses. Je travaille régulièrement pour des chaînes d’hôtel. Mais désormais, je voudrais obtenir aussi des budgets pour financer mon travail personnel avec d’autres voyages.
Arne Quinze réinvente l'espace public
Arne Quinze réinvente l'espace public
Mots : Servane Calmant
Photos : Dave Bruel
Arne Quinze s’installe au BAM à Mons jusqu’au 29 août. My Secret Garden, exposition rétrospective de ses œuvres ces 25 dernières années, invite à voir des dessins, esquisses, maquettes de sculptures réalisées dans le monde entier, grands tableaux impressionnistes et installations qui prennent racine dans le monde végétal. Rencontre avec un artiste qui n’a pas peur de susciter des réactions. Bien au contraire.
Le public belge connaît vos constructions organiques monumentales, notamment Cityscape qui était dans le quartier Louise à Bruxelles ou encore The Passenger qui est restée six ans au cœur de la ville de Mons, avant d’être démontée en avril dernier. My Secret Garden, l’expo que le BAM vous consacre ne se résume pas à vos œuvres urbaines, mais invite surtout à découvrir un artiste aux multiples facettes, graffeur, peintre, plasticien… « Oui (un oui enthousiaste ! nda), c’est une magnifique rétrospective qui présente une sélection d’œuvres de ces 25 dernières années. J’en ai rouvert des cartons ! Et cette expo m’a même permis d’en apprendre davantage sur ma propre évolution artistique. Je remercie Xavier (Xavier Roland, le directeur du BAM, nda) qui m’a ouvert les yeux ! De fait, regardez les Nymphéas, ma série de tableaux inspirés de Monet, les toiles sont serties d’un cadre. Les tableaux que je peins aujourd’hui n’ont plus de cadre, je ne restitue plus des fleurs mais tout le jardin. C’est la nature qui m’inspire ce débordement, cette liberté sans aucune entrave ni restriction. »
Vous avez grandi à la campagne mais gamin, vous aviez déjà une idée bien précise de la ville. Quand vous avez finalement déménagé en ville, à Bruxelles, à 9 ans, vous avez dû être sacrément déçu ! « Ah oui ! Gamin, j’avais imaginé que les villes ressemblaient à un film comme Avatar. J’ai fait plusieurs fois le tour du monde et c’est partout pareil : l’homme détruit la nature pour vivre enfermé entre quatre murs, il naît à la maternité entre quatre murs, évolue à l’école entre quatre murs, se loge entre quatre murs, travaille entre quatre murs, termine sa vie entre quatre planches. Son horizon ? Quatre murs ! Il faut absolument réinventer l’espace public, nos villes, notre monde en y incluant la nature, sa beauté à travers son incroyable diversité ! »
Mais Bruxelles est une ville verte ! « Non, c’est une ville terne ! »
Le village de Laethem-Saint-Martin (pas loin de Gand, nda) où vous vivez et travaillez est nettement plus vert, c’est incontestable ! « Où je vis, je travaille et où, tôt le matin, après avoir fait une heure de sport, je prends racine dans mon jardin pour observer ce que les plantes et les fleurs ont à raconter… »
A vos yeux, quelle est la ville la plus verte, humaine, inspirante ? « Le village que je construis actuellement en Espagne : des maisons bâties autour des arbres – on ne rasera aucun arbre ; au contraire, on va en planter des milliers -, des toits végétalisés, un énorme potager, une école à la forme organique… J’y installerai ma fondation et un atelier. C’est un chantier qui va durer au moins dix ans … »
On l’a compris, le monde végétal est votre source principale d’inspiration. Son caractère éphémère, celui des fleurs notamment, ne vous dérange pas ? « Absolument pas. Mon père est décédé il y a peu. Lui, l’homme fort de la maison, était devenu, la veille de sa mort, fragile, son corps tout rabougris… Même cette fragilité-là me semblait belle. Les fleurs, même fanées, je les aime. Je suis très sensible au concept Mono No Aware, un terme japonais qui décrit la prise de conscience de l’éphémère, et inspire mon travail actuel. Je recherche en effet la fragilité visuelle de la puissante bataille que livre la nature au quotidien pour maintenir la diversité. »
En proposant des sculptures dans l’espace public, vous transformez la ville. Avez-vous rencontré des réticences voire de la résistance de la part des instances publiques ? « Evidemment. Les gens ont peur du changement, de la couleur, des projets innovants. Pourtant je note que les mentalités évoluent : il y a 25 ans, mes installations en 3D n’intéressaient personne mais j’ai continué à me battre. Aujourd’hui ce sont les grandes villes, Rio de Janeiro, Mumbai, New York, Shanghai, Moscou, Paris, qui viennent à moi ! Il y a une prise de conscience de l’importance de ramener la nature dans la ville, mais ce réveil est trop tardif et trop lent ! »
Vos œuvres urbaines sont le plus souvent éphémères… « Oui, on a fait beaucoup d’études et de recherches sur le vide que l’installation laisse quand on la démonte. Et souvent, le vide est encore plus interpellant que l’œuvre, même si je n’ai pas pour vocation de créer du vide ! Je suis par ailleurs bien conscient que tout le monde n’aime pas mon travail mais le plus important c’est de créer un dialogue et une interaction avec l’œuvre. Cela dit, je tends aujourd’hui à créer de plus en plus d’installations qui n’ont plus pour vocation d’être démontées… »
Combien de temps faut-il pour construire une œuvre comme The Passenger ? « Si on fait la somme du temps à réfléchir, à faire des recherches, à construire la maquette, à former les équipes, je dirais près de 20 ans ! »
Vos projets actuels et à venir ? « Des installations au Caire, au Brésil, à Shanghai, au Mexique… »
Un ouvrage monographique sur votre carrière est prévu pour fin juillet… « Oui, il s’inscrit dans l’expo du BAM, retracera 25 années de ma carrière et sera illustré avec plus de 500 images. »
Fin de l’entretien. Pause jardin bien méritée ? « (Rire) Non, je vais travailler dans mon atelier ! »
Les pages blanches de Catherine Grasser
Les pages blanches de Catherine Grasser
Mots : Agnès Zamboni
Photo : Justin Paquay
Cette artiste liégeoise inclassable revendique sa liberté de créer, sans barrières ni limites, pour offrir un message positif, rassembleur et unificateur. Elle a rapporté de ses voyages dans les Caraïbes, des images de plages de rêve mais aussi des souvenirs de rencontres humaines où la bienveillance et l’amour dessinent un fil conducteur.
Quelle est votre formation ?
« C’est mon grand-père autodidacte qui m’a appris à dessiner. Depuis l’âge de 14 ans, j’ai suivi des études en arts plastiques avant d’entrer dans l’atelier de peinture de l’Institut Saint-Luc de Liège. Toujours à Saint-Luc, j’ai ensuite entrepris une formation de restauratrice d’objets d’art, avec une spécialisation en verre et céramique. C’est là que j’ai appris à travailler la feuille d’or. J’aimais beaucoup cette technique mais je n’avais pas envie de la pratiquer dans le cadre de la copie d’ancien. Mon langage d’aujourd’hui, qui se construit depuis 6 ans, témoigne du mixage de tous mes apprentissages. Objets, sculptures, toiles sur châssis… le choix de différents supports me permet de briser les codes pour réinterpréter la matière. »
Mais pourquoi avoir choisi le blanc ?
« Le blanc symbolise tous les possibles. Sa dimension infinie et son rayonnement me parlent directement. En étudiant les différentes croyances africaines, indiennes… caribéennes, j’ai constaté que cette couleur était un élément central. Dans la tradition vaudou, on trace des signes sur le sol avec une craie blanche pour appeler l’énergie positive. L’or, quant à lui, est très utilisé dans l’iconographie catholique et sacrée. Je l’associe au blanc pour exprimer la richesse de l’esprit, l’énergie solaire et la lumière de l’union des cultures. »
Que vous ont appris vos voyages ?
« A Saint-Barth, Saint-Martin et dans l’îlet de Pinel, j’ai côtoyé la population locale. Ces îles paradisiaques ne sont pas seulement le repaire de la jet-set et d’une certaine superficialité mais regorgent de personnalités à la richesse de cœur qui témoignent d’une réelle tolérance pour le vivre ensemble. Ce qui n’empêche pas d’apprécier le côté sensuel de la plage, la magie des fonds marins. Mais j’ai été envoutée par le côté terrestre et énergétique des cultures et des hommes qui cohabitent en belle intelligence sur ces territoires. J’ai notamment échangé avec une artisane qui perpétue la tradition du tissage de la paille. Des moments merveilleux où j’ai découvert son savoir-faire…séculaire. »
Quelles matières aimez-vous travailler ?
« Les matières naturelles, bien sûr, comme la porcelaine que je choisis à l’état brut, sans émaillage pour favoriser son côté tactile, poreux. J’apprécie d’ailleurs que l’on touche mes pièces pour ressentir l’importance des textures. Lorsque je pose la feuille d’or, je ne rajoute jamais de vernis protecteur pour que la matière se patine spontanément avec le temps. Le fil de coton de mes broderies, qui sont instinctives, provient de ma grand-mère, un acte qui me relie aussi à mes origines. »
Depuis vos premières pièces, quelle évolution ?
« Aujourd’hui, je travaille sur le thème des rites, des bijoux et des talismans pour rendre hommage à la magie blanche de ces cultures. Dans toutes les ethnies, on retrouve aussi la présence du végétal qui fait partie de l’âme du bouddhisme comme des pratiques vaudous. Mais ma première œuvre, c’était la grande table Links qui, comme son nom l’indique, signifie liens. Pour cette création et d’autres modèles de tables, j’ai travaillé en collaboration avec un ferronnier. Aujourd’hui, je préfère réaliser entièrement mes œuvres même si ma balançoire Bliss a été fabriquée avec la participation d’une entreprise de réinsertion. J’aime les projets qui me permettent de développer le sens du partage. En préparation, bientôt une collaboration avec leRiad Maison Anaroze, de Marrackech. Mes pièces y seront exposées, en plus d’être réalisées avec leur participation. Mais aussi plusieurs idées de co-créations avec Amah Ayivi, créateur de la marque Marché Noir Lomé-Paris. L’une d’entre elles s’articulera autour de la balançoire Bliss, d’autres encore concernent les porcelaines. Le tout se déroulant entre Paris et l’Afrique. Les énergies se rencontres autour de projets communs, c’est très excitant et inspirant. En prévision cette année, une exposition à la YOKO UHODA GALLERY de Liège… »
Catherine Thiry, à fleur de bronze
Catherine Thiry
À fleur de bronze
Mots : Nicolas De Bruyn
Photo : DR
La force, l’énergie et la poigne, sont les premiers mots qui viennent à l’esprit pour parler des sculptures, souvent monumentales de Catherine Thiry. Dans son œuvre, c’est pourtant le frémissement des surfaces qui nous atteint, et l’émoi indicible que vit chaque être ébauché de ses mains.
J’ai pris le temps de vivre l’expérience et de rencontrer l’artiste et son travail impressionnant, chez elle. Situé à Lasne, c’est un lieu plein de charme où les frontières entre maison, atelier, jardin, n’existent plus. Partout des sculptures, miniatures ou gigantesques, se livrent à cœur ouvert.
J’aimerais savoir comment vous êtes devenue artiste… L’avez-vous décidé ?
Je ne sais pas si cela se décide, ni même comment définir l’art… Pour ma part, c’est une action qui permet d’accepter le réel. J’essaye de répondre par le geste, aux interrogations qui me traversent et de chercher sans fin la forme absolue.
Au début de mon parcours de peintre, je voulais simplement utiliser une habileté que j’avais à dessiner, pour me créer une vie meilleure. En effet, dès mes 16 ans, dans le but d’être autonome, je travaillais dans le milieu équestre. Du poney club aux écuries de courses, j’y ai passé près de 10 années. Et un jour je me suis souvenue que je savais dessiner. Alors j’ai proposé aux gens autour de moi, des portraits de leurs animaux. Sans intention ni prétention artistique, j’y trouvais un moyen de subvenir à mes besoins. Ça marchait très bien pendant des années et au fil du temps, j’ai appris à mieux peindre.
Tout doucement, les couleurs de ma palette sont devenues le carburant de mon imaginaire. Tenter des expériences sur la toile me donnait une telle énergie, que j’ai fini par rechercher uniquement cette source de joie ! Par chance, un public m’a suivie, et grâce à ce soutien j’ai pu arrêter de faire des portraits, et écouter réellement mes aspirations. Le modelage découle naturellement de cette évolution. Je retrouve d’ailleurs ma touche de peintre dans la texture de mes sculptures.
Parlons justement de cette texture étonnante et singulière, ce mouvement que vous imprimez dans la terre, comme un souvenir vivant. L’empreinte est touchante, elle relie le spectateur à ses propres sensations d’enfant. C’est un témoignage qui revient souvent à propos de votre travail. Il donne envie de plonger les mains dans la terre, tant ce geste semble spontané et joyeux dans vos œuvres.
Oui, c’est un plaisir et un jeu avec la lumière. J’ai besoin de la texture pour qu’elle s’y accroche. Comme un peintre cherche une trace toute simple qui peut évoquer le sentiment juste ! A l’atelier, je valide uniquement des sculptures qui me bouleversent, la seule référence est ma propre émotion.
Tout au long de votre progression, quels sont les artistes qui vous ont le plus émue ?
J’ai toujours adoré des peintres comme Rik Wouters, Vincent Van Gogh… mais j’ai été réellement transportée par la peinture de Marc Rothko. Comme si chaque infime nuance de ses toiles me parlait directement de ce que je vivais. La vibration qui s’en dégage m’atteint au plus profond de mon être. Francis Bacon a aussi été une découverte extraordinaire. Un peu comme si je pouvais entrer dans ses tableaux et voyager dans la conscience.
J’ai rarement été touchée par la sculpture, jusqu’au jour où j’ai aperçu une œuvre de Henry Moore. Je me souviens être au milieu d’une foule à la TEFAF, et ne pas parvenir à quitter cette sculpture des yeux. J’ai compris comment des formes pouvaient se parler entre elles et l’air qui les entoure. Émue aux larmes, je me suis sentie devenir ces formes. A cet instant j’ai su que le chemin de la création serait long et passionnant !
Vous trouverez les œuvres de Catherine Thiry au SCULPTURACT Studio à Lasne. Renseignements et rendez-vous via l’adresse mail info@sculpturact.be
Et également lors d’expositions dans différentes galeries indiquées sur le site de l’artiste www.catherinethiry.be
Griet Van Malderen, La passion du monde animal
Griet Van Malderen,
La passion du monde animal
Griet Van Malderen,
La passion du monde animalMots : Ariane Dufourny
Photos : Griet Van Malderen
Dans un domaine dominé par les hommes, rares sont les femmes photographes animalières. Mais rien n’arrête notre compatriote, Griet Van Malderen ! Ardente défenseuse de la conservation de la faune et de l’environnement, ses photographies sont riches en émotions. Et une partie des bénéfices de la vente est reversée à des associations de défense des animaux.
Rien ne vous prédestinait à la photographie animalière, quel fut l’élément déclencheur ?
En famille, j’ai eu de la chance de visiter le Parc national Kruger en Afrique du Sud. En découvrant la faune africaine, j’ai développé mon intérêt pour la photographie animalière. Ce hobby est devenu une passion en 2008 mais c’est la rencontre avec les gorilles, dans la forêt de Bwindi en Ouganda, qui m’a fait basculer dans le métier.
Quels animaux vous fascinent particulièrement ?
Il y a huit ans, je suis tombée amoureuse d’une famille de gorilles que je continue à visiter chaque printemps. L’an passé, j’ai pleuré : Rafiki, un gorille mâle à dos argenté, a été tué par un braconnier. J’ai été la dernière à l’avoir vu ! C’était la première année qu’il était aussi détendu avec moi ; j’imagine qu’il faut construire des liens avec ces animaux qui ont une réelle mémoire.
Les éléphants me fascinent également tout comme les baleines ! Quand vous vous mettez à l’eau avec un animal plus grand qu’un bus, la paix et la douceur que l’on ressent sont extraordinaires.
Quels sont les animaux les plus photogéniques ?
Le public adore spontanément les fauves, les lions notamment. Voir une maman et ses petits est toujours exceptionnel. Les mâles sont très impressionnants, il y a des icônes dans les parcs. Je ne me lasse pas du lion car il ne pose jamais. Le capter autrement que couché est un défi !
Quels sont vos pays de prédilection ?
L’Afrique du Sud, la Tanzanie, le Botswana, la Namibie. L’Éthiopie pour les loups en danger d’extinction, le Canada pour les ours polaires, les Iles Tonga et la République dominicaine pour les baleines, l’Ouganda et le Rwanda d’où je reviens pour les gorilles mais aussi le Kenya pour les derniers éléphants aux défenses géantes.
Les éléphants, les plus grands animaux terrestres, sont-ils trop menacés ?
Les braconniers les recherchent pour leur ivoire et en font leur cible privilégiée. J’ai eu la chance de photographier Tim, l’un des plus grands éléphants d’Afrique dont les défenses touchaient le sol. Il est décédé, l’an dernier, de cause naturelle, à l’âge de 50 ans. Je veux montrer la beauté extraordinaire de ces pachydermes et l’importance de les protéger. Leur patrimoine génétique se trouvant réduit, certains éléphants naissent sans défenses. Ne pas en avoir s’avère pour eux un avantage de survie face aux braconniers, un comble !
Quelles sont les qualités nécessaires pour photographier des animaux sauvages ?
La patience ! Il faut aussi avoir la chance de saisir le bon moment. La lumière est également très importante ainsi que l’environnement. Je cherche à capter un mouvement, une tendresse, des petits moments d’intimité.
Quelle est votre griffe ?
Mère de deux enfants, je cherche peut-être plus la tendresse du sujet, là où un homme capte plus la bestialité de l’animal. Je veux traduire l’émotion ressentie lors de la prise de l’image.
En quoi consiste le procédé photographique collodion qui vous singularise ?
Inventé à la fin du XIX siècle, ce procédé remplace l’albumine par le collodion pour fixer l’émulsion sur le verre. Je crois être la première et la seule à réutiliser cette technique dans l’animalier. Chaque pièce est unique et les tailles de ces clichés se jouent de votre lumière. Les formats carrés sont des 30 et 50 centimètres. Et très bientôt, ils existeront aussi en un mètre de large !
En tant que femme, comment vivre dans le monde animal, apanage de l’homme ?
L’Afrique est masculine, les femmes sortent peu de chez elles ou avec des rôles préétablis. Se faire respecter est un challenge. Mais aujourd’hui, avec mon expérience et mon écoute, les rangers me respectent. Je peux compter sur eux pour capter le meilleur du bush.
Certaines de vos photos ont pour but de nous conscientiser ? Quelles sont les associations que vous soutenez ?
J’essaie de donner un témoignage de ce qui est beau et de qu’il faut préserver. L’homme et l’animal doivent perdurer ensemble sinon, on va les perdre. Je verse personnellement des fonds à des associations, des fondations, à la condition de voir le produit de ces dons, comme pour l’Ouganda Wildlife Authority – www.ugandawildlife.org – et le Mara Elephant Project –www.maraelephantproject.org.
Un message à faire passer ?
Défendons la nature, regardons-en la beauté et préservons-la ! Chaque marque de respect, chaque petit geste est vital et efficient.
Le poing levé
Le poing levé
Mots : Servane Calmant
Photos : Victor Pattyn
Sous le charme d’ « À nous », premier album à la mélancolie brute du Bruxellois Noé Preszow qui, à 25 ans, réinvente la chanson à texte sur des notes électro-pop entrainantes…
Treize titres chantés le poing levé viennent de paraître sur le label français Tôt ou Tard (Delerm, Tiersen, Vianney …). Treize chansons qui parlent de la violence des gens, de la violence du monde. Une plume trempée dans la rage et des rythmes dansant qui font le tour de la toile. Des premiers titres (« Que tout s’dance » et « A nous ») porteurs d’espoir et une nomination dans la catégorie Révélation masculine des Victoires de la musique 2021. A 25 ans, chapeau Noé !
Pourtant, derrière le succès de Noé Preszow (prononce Prèchof, nous glisse à l’oreille l’attachée de presse …), auteur-compositeur-interprète belge aux origines polonaises, grecques et moldaves (ah, la mélancolie slave…), on sent poindre le désarroi de l’écorché vif et la rage dicible, car écrite et chantée, du révolté. « Oui, je suis né comme ça : à fleur de peau et fragile, toujours un peu à côté. Mon premier choc ? La rencontre avec les gens. La violence des rapports humains, j’y ai été confronté tout jeune, à l’école d’abord. Alors, pour me protéger, j’ai créé une bulle où me réfugier. Mais qu’on ne s’y trompe pas : je ne suis ni amer ni aigri. Au contraire, je suis plein de vie mais révolté. Oui, j’ai la rage… ». Quand on lui demande ce qu’il reproche précisément à notre société, la réponse ne se fait pas attendre : « A peu près tout ! (rires) Je ne dis pas que rien ne me convient, mais les rapports de pouvoir et de domination, les violences policières, l’exil forcé qui sépare les familles et qui me rappelle ma propre histoire familiale. Je mets en perspective le passé avec l’actualité des migrants, des naufragés, rien ne change et ça me révolte ! »
Du rock dans les veines
Pourquoi a-t-il préféré une électro-pop à la mélodie harmonieuse plutôt qu’un rock âpre pour habiller ses mots ? Noé Preszow s’amuse de la question : « Vous m’avez percé au grand jour ! Le rock coule davantage dans mes veines que l’électro-pop, mais sur ce premier album, « A nous », j’avais envie de me surprendre et de mélanger plusieurs textures musicales. Mais quand je branche ma guitare électrique… ». On l’interrompt : « … c’est pour livrer une interprétation brute de décoffrage ! Il rit. « Exactement ! ». Ses références ? Multiples. Et de citer pêle-mêle Bowie, MC Solaar, Cure, Bob Dylan, Brigitte Fontaine, Léonard Cohen, Hubert-Félix Thiéfaine, … Pas vraiment sa génération ! « Ahaha, vous avez raison ! Pourtant je me défends d’être passéiste, mais j’aime les chanteurs qui ont un parcours. Je flashe rarement sur un premier album ou sur une révélation, j’ai besoin d’une accumulation de matière pour plonger dans l’univers d’un artiste. »
Faire sa place dans ce monde de la tyrannie de l’apparence avec « les armes que j’ai »… « Oui, la question de l’apparence et des normes fait partie intégrante de mon parcours. C’est notamment parce que le monde est cruel envers ceux qui ont du mal à trouver leur place, que j’ai commencé à m’exprimer en chanson, j’en avais besoin pour sortir de mon coin. Questionner le monde en musique, c’est ma thérapie personnelle, je n’en fais pas pour autant un combat universel … » La reconnaissance, d’abord française ? « J’ai en effet très rapidement reçu du respect et de la considération des pros, de la presse et du public français. En Belgique, on a une exigence différente : on attend des artistes une forme de fantaisie, de second degré, que je n’affiche absolument pas dans mes chansons. Mais je ne suis pas qu’un chanteur à textes, j’aime marier les mots et les sons. »
Jonathan Zaccaï, est-on propriétaire du souvenir d'un être aimé ?
Jonathan Zaccaï
Est-on propriétaire du souvenir d'un être aimé ?
Mots : Ariane Dufourny
Photos : Pamela Berkovic
Comédien belge renommé, scénariste et réalisateur, Jonathan Zaccaï peut désormais ajouter écrivain à son illustre palmarès. S’immisçant dans sa propre vie, son premier roman, « Ma femme écrit », se révèle à la fois drôle et percutant. Coup de cœur !
Jonathan Zaccaï est notamment connu sous le nom de Raymond Sisteron dans la célèbre série « Le Bureau des Légendes ». Dans son premier livre, « Ma femme écrit », son héros décide d’écrire un roman consacré à sa mère décédée avec laquelle il partageait une relation passionnée. Celui-ci découvre avec stupeur que sa femme, actrice comme lui, l’a précédé. Mais pour lui, nul n’a le droit de s’exprimer sur celle qui lui a donné son ADN. In fine, qu’en pense-t-il après coup ?
Votre héros est acteur de série. Vous aussi. Son épouse est actrice et écrivaine. La vôtre également. Sa mère décédée est une peintre. La vôtre aussi. Votre roman est-il une pure fiction ou une autofiction ?
Ce qui m’a intéressé était d’écrire une autofiction où le lecteur pense être dans la réalité mais qu’au fur et à mesure, l’aventure dérape de trop pour y rester.
Somme toute, vous préférez écrire ou jouer la comédie ?
Les deux m’alimentent différemment et me plaisent. L’écriture est une aventure intérieure. Étonnamment, je m’y expose plus que sur un rôle où je suis protégé par un personnage.
« Disparition… Peu de mots expriment à ce point notre impuissance, comme si la langue essayait elle aussi de ne pas perdre la face. » Votre livre est-il avant tout un puissant hommage à la vie de l’artiste belge, Sarah Kaliski ?
L’écriture est une forme de mégalomanie exceptionnelle où je peux donner envie au lecteur de découvrir qui était ma mère. Mon personnage, tel un Don Quichotte bobo parisien, se bat contre des moulins à vent pour redonner vie à sa mère. Désespérément.
Qu’est-ce qui caractérise le style artistique de votre mère, Sarah Kaliski ?
Un mélange de douceur, de violence très forte et de crudité absolument dingue. Ma mère était une « punk » sans compromis ! Son intransigeance était dure à suivre, à vivre mais au final exceptionnelle. Elle n’est plus là depuis plus de 10 ans et des gens sont fous de son art.
Où peut-on re-découvrir ses œuvres ?
Les cofondateurs de Loeve & Co, à Paris, défendent le travail de ma mère. Pour la 14e édition de Drawing Now Art Fair, la galerie présentera une sélection de dessins inédits réalisés au cours des années 1990, jusqu’à sa disparition en 2010 à Paris. www.drawingnowartfair.com/portfolio/loeveco/
« Ma propriété́, ma matière première, mon sang, mon héritage, ma foi, merde quoi, ma religion, mon avenir, ma vérité́, ma mère bordel. C’est ma mère ! Bordel ! » Votre femme compte-t-elle réellement écrire sur votre mère ?
J’ai injecté beaucoup de vérité dans du mensonge. Ce postulat de départ est vraiment réel, mais n’a pas duré comme dans le livre. J’ai ressenti de façon épidermique et intense, le sentiment d’être dépossédé de ma mère comme d’un magot qu’on ne partage pas.
Votre épouse, Elodie Hesme, a écrit un roman « Mes chers fantômes » paru en novembre dernier. Dans votre roman, vous conversez avec des zombies. Vos soirées de couple sont d’enfer ?
Je n’y crois pas du tout, mais c’est elle qui m’a fait remarquer que j’avais un reflet sur mon portable, en ajoutant qu’il devait s’agir de ma mère. Comme mon personnage est très paranoïaque, c’était intéressant qu’il soit dépassé par la réalité. La fiction est devenue plus folle que ce qu’il avait prévu !
Êtes-vous aussi paranoïaque que votre personnage ?
Ce personnage sommeille en moi et là j’ai voulu, une fois dans ma vie, lui laisser faire une promenade. J’ai lâché le malade ! Mais dans la vie, le thermostat n’est pas à dix !
« Ma femme écrit » est une comédie. Pensez-vous l’adapter au cinéma ? Votre femme et vous-même dans vos rôles respectifs ?
Grasset, ma maison d’édition m’en a déjà parlé. Pour la mise en habits, j’aimerais de la distance et voir d’autres personnages nous interpréter. Mais, j’espère que Catherine Deneuve jouera le rôle de ma mère.
In fine, est-on propriétaire du souvenir d’un être aimé ?
Ma mère était beaucoup plus « free style » que moi et généreuse sur son image. Depuis ce livre, elle est libre de droits.