« Beau comme une usine ! »
Mots : Servane Calmant
Photos : Delphine Buxant & Céline Danloy
URBEX, c’est quoi ? Un mot condensé pour désigner l’Exploration Urbaine. Les photographes Delphine Buxant & Céline Danloy prospectent les traces du passé en sites désaffectés, usines, mines, hangars, prisons, hôpitaux psychiatriques, piscines, et aussi, écoles, églises, maisons, voitures … Quelle est l’histoire de ces lieux ? A qui appartenaient ce cheval à bascule, cette robe de bal, ce vinyle, tous ces objets abandonnés là ? Sans jamais intervenir sur les lieux qu’elles visitent, nos compatriotes en capturent des images qui racontent le terrible silence, l’inexorable destruction par la rouille, le bonheur qui s’est fait la malle. Des photos qui suggèrent la vie d’avant également. Et c’est beau comme un récit de voyage.
« L’histoire de certains sites industriels peut nous être aisément accessible. Mais on a beau ‘savoir’, les lieux génèrent des images… », expliquez-vous d’entrée de jeu dans votre livre, « Terminu »s. Que ressentez-vous sur ces lieux abandonnés ? Delphine Buxant : « Imaginez un véritable voyage dans le temps, c’est exactement ça. Des maisons à l’abandon et des objets qui jonchent encore le sol, parfois 50 ans après la dernière occupation. Qui a vécu ici ? Pourquoi cette maison n’a-t-elle pas été vendue, rénovée ? Aux Pays-Bas, par exemple, il n’y a pas d’URBEX, rien – ou si peu – n’est à l’abandon. En France et en Belgique, en revanche… »
N’est-ce pas un peu indiscret de fouiller ces lieux ? « Tout dépend de la manière dont on aborde les choses. Pour moi, l’URBEX est une passion. D’ailleurs, c’est en visitant des lieux abandonnés que je suis devenue photographe, pas l’inverse ! Il y a donc de ma part et de celle de Céline (Danloy – nda) une volonté de partager cette vibrante passion pour l’URBEX à travers la photographie. »
Quelle est votre méthode de travail ? « Il faut d’abord trouver un endroit abandonné via le réseau des urbexeurs ou sur le net ou parfois repéré dans la presse. Ensuite, place à l’immersion dans le lieu pour s’en imprégner. On reste parfois quatre heures sur place ! On ouvre des tiroirs, on fouille les étages. Ce n’est pas de la curiosité, j’insiste. Plutôt l’envie de témoigner, à travers la photographie, d’un passé révolu, mais qui est toujours porteur de sens. Quand on arpente une usine désaffectée des heures durant, on peut presque sentir la sueur des travailleurs… C’est terriblement émouvant. »
Vous citez d’ailleurs les usines métallurgiques parmi vos lieux URBEX préférés … « Oui, notamment, Heavy métal (en langage URBEX – nda), une ancienne aciérie liégeoise condamnée au début des années 2010 en raison du ralentissement économique. On a réussi à prendre cinq photos, dont l’une magnifique où le soleil s’engouffre dans le monstre d’acier… »
Charleroi est donc un terrain de jeu parfait pour l’URBEX ? « Et Liège ! Et l’Italie, pour une tout autre raison : on y trouve beaucoup de sites abandonnés mais très peu ont été vandalisés. Nous avons le projet de nous y rendre. »
L’exploration urbaine consiste à visiter des lieux abandonnés qui ne sont pas forcément libres d’accès ! Si la propriété est abandonnée mais reste privée, que faites-vous ? « Il faut envisager tous les cas de figure : soit on fonce, soit le site a depuis été rénové, soit l’entrée est barricadée, soit les voisins veillent (rire), soit la police risque d’intervenir… On a vécu chacune de ces situations ! »
Quel est l’endroit Urbex photographié qui vous a laissé le souvenir le plus intense ? « Ce sont les prisons. Toutes ces traces, ces mots, ces écrits, ces cris, laissés sur les murs ; ces vies réduites à l’enfermement… C’est un sentiment très difficile à exprimer. Mes photos sont, je l’espère, plus parlantes… »
Terminus
Que s’est-il passé ici ? Pourquoi les occupants sont-ils partis, abandonnant là outils, machines, souvenirs les plus intimes parfois ? Dans « exploration urbaine », il y a exploration. C’est à celle du passé et des traces qu’il laisse que Delphine Buxant & Céline Danloy vouent leur passion pour la photographie. Un livre d’une beauté brute qui s’ouvre le plus souvent sur l’inconnu…
Terminus, aux Editions Racine
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