L’architecte belge, Francis Metzger, se définit comme un architecte de situation. Spécialisé tant dans la restauration de hauts lieux du patrimoine que dans la conception contemporaine, on lui doit notammentla renaissance de la Villa Empain, de la Maison Saint-Cyr, de l’Aegidium, de la Bibliothèque Solvay, de la Gare Centrale, de l’Hôtel Astoria ou de la Maison Delune. Des œuvres que son œil bienveillant a l’art de faire basculer dans le XXIe siècle. A la fois architecte-praticien, professeur à la Faculté d’Architecture de l’Université Libre de Bruxelles et vice-président de l’Ordre des Architectes, son curriculum à de quoi impressionner. Rencontre.
MOTS : NICOLAS DE BRUYN
Quelle est votre philosophie de travail ?
Je suis un architecte de situation, de contextualité. Ce qui m’intéresse, c’est de travailler par rapport à des lieux. Soit le lieu est un terrain vague où tout est à imaginer et où l’on va faire de l’architecture contemporaine, soit il s’agit d’un immeuble sans beaucoup d’intérêt et on va intervenir comme il se doit en réinventant et actualisant un bâtiment préexistant, soit encore on travaille sur du patrimoine et on va faire de la restauration. C’est donc le lieu qui dicte notre attitude.
L’architecture est un rapport entre un lieu, un programme et un moment donné. Il s’est toujours passé quelque chose avant, il se passera toujours quelque chose après, ce qu’on a tendance à oublier. L’architecture est donc l’art du temps ; un tempo très différent de ceux de la musique, la littérature ou le cinéma. L’architecte fait des projets qui sont la mise en place de l’identité d’une œuvre. Ainsi, nous devons savoir que nos œuvres sont périssables au point parfois de disparaître mais aussi de s’altérer profondément pour devenir méconnaissables. Dès lors quand on fait de la restauration, tout notre travail, c’est la reconquête de l’identité.
Quelle est votre méthodologie face à un nouveau projet ?
Je dois devenir compétent par rapport au lieu. Je mets en place une stratégie qui me permettra de devenir en un délai très court, compétent et performant. Dans cette perspective, MA2 conjugue plusieurs démarches : l’étude historique au service du patrimoine, l’analyse de l’état pathologique du bâtiment (des fouilles archéologiques qui comprennent des sondages stratigraphiques et chromatiques) et le relevé dimensionnel adapté au projet. Il s’agit de faire parler le bâtiment afin de comprendre son état premier (d’autant plus important quand on dispose de peu d’informations), de trouver les remèdes s’il y avait des fautes structurelles au départ et puis de vérifier si la programmation du maître d’ouvrage est possible par rapport au lieu. Après, on réalise le projet.
Comment penser l’architecture lorsqu’après les fouilles, il vous manque des informations ?
Il faut se poser la question : qu’est-ce qui fait l’identité de ce projet ? Il m’appartient de reconquérir cette identité perdue, de faire basculer l’œuvre dans le XXIe siècle en y apportant « la part manquante », ceci au gré d’un œil humble et bienveillant.
L’archéologue Adolphe-Napoléon Didron disait : « En fait de monuments anciens, il vaut mieux consolider que réparer, mieux réparer que restaurer, mieux restaurer que refaire, mieux refaire qu’embellir ». Qu’est-ce que cette citation évoque pour vous ?
La démarche de MA2 colle complètement avec cette précieuse citation. L’objectif est de laisser en place tout ce qui est authentique et de s’arrêter là où commence l’hypothèse. On restaure tant qu’on peut restaurer. C’est la qualité et la bienveillance de l’architecte qui feront la différence.
Vous militez pour le sauvetage du Palais de Justice de Bruxelles aux côtés de la Fondation Poelaert. Quel sera son avenir ?
C’est une œuvre magistrale. La dernière grande œuvre de l’éclectisme, le plus grand bâtiment au monde construit au XIXe siècle. Il a tellement évolué au cours du temps qu’il y a une perte significative de l’œuvre. Maintenant qu’on a retrouvé les plans originaux de Poelaert, on peut travailler à rendre à l’ensemble sa cohérence. Il appartiendra donc aux auteurs de projet de conserver cette identité et en même temps de faire basculer l’espace dévolu à la justice vers une justice d’aujourd’hui et de demain.
Vous vous décrivez comme un architecte gourmand. Gourmandise assoiffée par l’ancien et le nouveau, comment la digérer ?
L’architecture est une attitude. On se met dans une situation de projet où l’on intervient à un moment de l’histoire sur la ligne du temps par rapport à un lieu. Je dis « gourmand », je veux dire « gourmet » car on fait des choix. « Gourmand » car par rapport à certains de mes confrères, je suis un des rares à faire un peu de tout. « Gourmand », c’est une capacité à prendre en charge une question quel que soit le lieu ; ce qui demande des compétences tant dans la création contemporaine que dans la rénovation. Je trouve cela passionnant !
Vous êtes un peu comme un chirurgien plasticien de l’architecture mais aussi psychanalyste ?
Psychanalyste parce qu’on se retrouve face à des gens qui ont parfois du mal à formuler leurs besoins. Or un bon projet doit tenir compte des acteurs qui vont l’occuper. Notre travail est aussi de faire accoucher les envies. Je crois fort à cette idée de participation, de faire en sorte que les gens pour qui on va construire, contribuent à l’acte de bâtir. L’architecture, c’est modeler de l’espace et de la lumière, c’est aussi tisser du lien social.
Vous avez notamment restauré la Villa Empain de Michel Polak, la Bibliothèque Solvay dessinée par Constant Bosmans et Henri Vandeveld, la Gare centrale de Horta. Quel regard posez-vous sur les architectes dont vous rénovez les œuvres ?
J’ai le plus grand respect pour ces grands maîtres du passé qui ont laissé derrière eux une œuvre magistrale. C’est un vrai bonheur d’appréhender leurs créations car je sais combien l’architecture est difficile. Quand je travaille sur des œuvres de Horta, Balat, Blerot, Polak, Dewin ou d’autres, je sais qu’ils ont mis dans leurs œuvres tout ce qu’ils avaient de meilleur. Pour arriver à ce niveau de qualité et de générosité, il faut vraiment un investissement de l’ordre de la démesure. Il m’appartient de respecter cet investissement passé.
Vous avez rénové la Maison Saint-Cyr de Gustave Strauven. Racontez-nous.
Le bâtiment était à vendre et abandonné depuis une dizaine d’années. Le propriétaire actuel m’a téléphoné m’annonçant qu’il souhaitait l’acheter à condition que j’accepte de le restaurer. Je n’avais jamais travaillé sur Gustave Strauven, un architecte peu documenté. Ce fut un important travail de recherches et de fouilles archéologiques pour faire parler le bâtiment. La façade étant d’une telle promesse, l’intérieur se devait d’avoir des qualités. A chaque réunion, on s’émerveillait de la finesse des associations chromatiques. Ce fut un vrai bonheur au fil du chantier de voir ressurgir une œuvre du passé. Souvent, le plus compliqué n’est pas de trouver les artisans qualifiés mais les matières comme pour les bois ou les pierres manquantes au sol. Par exemple, pour la Villa Empain, les carrières n’étant plus en activité, on a scié les dalles de marbre restantes en deux dans le sens de la hauteur, et on a placé des implants en dessous.
Quel est votre projet de rénovation pour le château Tournay-Solvay, l’œuvre des architectes Bosmans et Vandeveld commandée par Alfred Solvay ?
Ce bâtiment classé situé en zone verte Natura 2000 abritera le BEL (pour Brout-Englert-Lemaitre), un haut lieu de la physique. Certains espaces qui correspondent aux besoins techniques modernes ont pu être intégrés dans le projet via notamment la reconstruction de la toiture disparue, celle-ci faisant l’objet d’une réinterprétation dans un langage contemporain. Au- dessus de la table de réunion, il y a un grand volume de verre d’où on apercevra les étoiles. Une symbolique qui devient juste. Sur la ligne du temps, je trouve que ça vaut la peine que ce projet marque un moment de l’histoire.
Une nouvelle vie pour L’Aegidium, salle mythique du Parvis de Saint-Gilles ?
Bâti en 1905, ce bâtiment étrange a perdu de sa superbe au fil du temps. Les études historiques mentionnaient de l’architecture éclectique, notre premier réflexe a été de retirer toutes les cloisons. Une fois déshabillé, on a retrouvé un joyau ! L’appellation originelle était Diamant-Palace, rebaptisé l’Aegidium lorsqu’il changea de propriétaire en 1929. Notre objectif est de revenir au pristin état du bâtiment. Ne sachant pas ce qu’était une ampoule de 20 watts en 1905, on va travailler avec des fabricants d’ampoules pour définir la lumière ad hoc. Le défi sera de rendre ses lustres à cet incroyable édifice tout en offrant un cadre adapté aux arts de la scène, évènements culturels et autres festivités de la vie bruxelloise actuelle.
Spécialiste de la rénovation, êtes-vous également séduit par vos réalisations contemporaines ?
L’auditoire Nile est un projet coup de cœur. Faisant suite à la construction par nos soins des bâtiments HELB-ULB en 2005, nous avons reçu ordre de mission en 2013 de réaliser à côté un auditoire d’une capacité de minimum 300 places. Célébrant l’esprit de Jean Nile, voilà de la prose technique, très contemporaine.
Un coup de cœur ?
Le prochain ! J’ai un lien affectif avec tous nos projets, même les contemporains. Je voudrais terminer un projet de livre, toujours une question du temps, cet élément qui préside à l’art de l’architecture.
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