Inter Scaldes - Virée gourmande en Zélande
Inter Scaldes
Virée gourmande en Zélande
Mots : Servane Calmant
Photos : Inter Scaldes
Plantons le décor : la Zélande, séduisante terre de la mer, une villa et ses douze suites hôtelières élégamment rénovées, une table qui a toujours tutoyé les étoiles, un héliport. La proposition est alléchante. Elle l’est d’autant plus qu’Inter Scaldes, nouvellement géré par le chef néerlandais Jeroen Achtien, figure parmi les meilleures tables des Pays-Bas. Récit.
Nous sommes en Zélande, à 50 kilomètres d’Anvers, à Kruiningen plus précisément, dans les vastes polders de cette belle province néerlandaise, entre les estuaires de l’Escaut oriental et de l’Escaut occidental d’où le nom du restaurant, Inter Scaldes en latin. Terrain de jeu du chef Jannis Brevet pendant plus de 20 ans, Inter Scaldes a affiché 3 étoiles Michelin dès 2018. Mais Jannis et son épouse ont décidé de se séparer de leur restaurant début 2023 pour vaquer à d’autres occupations…
Novembre 2023, Inter Scaldes rouvre ses portes après une vaste rénovation et le rachat par la chaîne Pillows Hotels d’une villa au toit de chaume qui abrite 12 suites hôtelières disponibles exclusivement pour les clients du resto. Pas de petite chambre donc, que de grands espaces rénovés par les architectes du Studio Paul Linse, également responsables du design de l’hôtel De Blanke Top à Cadzand et des Pillows Amsterdam et Gand. Drapées d’épure et vêtues d’un blanc ponctué de tableaux contemporains, ces suites ne boudent pas la convivialité pour autant : l’espace salon mettant à la disposition des hôtes, une platine et des vinyles, invitation à lâcher prise avant de prendre le large, à l’occasion d’un voyage de découvertes culinaires en compagnie de Jeroen Achtien, le nouveau chef d’Inter Scaldes.
Jeroen Achtien est loin d’être un inconnu… Le chef a fait ses armes dans le restaurant triplement étoilé de Jonnie Boer, De Librije à Zwolle (où il a rencontré sa femme, Sanne, qui codirige aujourd’hui Inter Scales), avant d’offrir 2 étoiles au Restaurant Sens, au bord du lac des Quatre-Cantons en Suisse. Bref, un chef au parcours brillant. De retour au pays, Jeroen et Sanne Achtien ne cachent d’ailleurs pas leur priorité : perpétuer ce lieu prestigieux (Inter Scaldes reste le seul resto des Pays-Bas à disposer de son propre héliport), tout en imposant leur style, leur signature. Deux mois et demi après sa réouverture, le restaurant figure dans le guide Gault&Millau 2024 avec une note de 16,5 points. L’étoile ne saurait tarder…
Le restaurant, complètement rénové donc, s’ouvre sur un salon intimiste flanqué d’un bar à amuse-bouches, lequel débouche sur une vaste salle à manger baignée de lumière. Des banquettes semi-circulaires d’un élégant bleu pastel offrent une vue dégagée sur le jardin paysager, le jardin d’herbes aromatiques et l’hôtel. Design épuré et classieux.
Après deux mises en bouche délicieusement iodées, le maître d’hôtel, Leroy Pechler, nous invite à rencontrer le chef dans sa cuisine pour y déguster un dernier amuse-bouche. Faut-il y voir une sympathique faveur accordée à une chroniqueuse gastronomique belge ? Point du tout. Jeroen Achtien prend la peine de s’entretenir avec chaque client. L’occasion d’une brève présentation bien rodée de sa philosophie culinaire qu’on se plaît à résumer ainsi : quand le produit est bon, pas la peine d’en faire des caisses pour le sublimer ! S’ensuit un éloge des trésors de la Zélande, poissons, coquillages et crustacés. La cuisine durable tournée vers le circuit-court, les produits locaux des petits producteurs et de saison, n’est pas pour Jeroen un énième effet de mode, elle est au contraire le fruit d’une réelle prise de conscience des enjeux de l’alimentation. Confidences également d’un chef qui affectionne particulièrement le terre-mer qu’il maîtrise à la perfection, la maturation notamment de l’agneau et les herbes aromatiques qu’il cultive au jardin. De retour à table, les atouts de cette Zélande gourmande courtisent le palais : plie, fruits de mer, citron, pour un vibrant hommage à cette terre de la mer. Viennent ensuite l’agneau et l’huître de Zélande pour une combinaison élégante. Coup de cœur pour ce foie gras (sans gavage) harmonieusement escorté d’un sorbet et de dés de betterave et nappé de graines de tournesol. A chaque étape, la sélection de vins opérée par la pétillante sommelière, Tessa van de Wouw, 28 ans, séduit. Les vins blancs minéraux, partenaires privilégiés des produits de la mer, ont de toute évidence ses faveurs. Le festin s’invite ensuite au salon et au bar à mignardises, en compagnie de Jeroen Achtien, pour la dégustation, notamment, d’un délicieux dessert régressif, douceur d’une saveur toute particulière pour le chef puisqu’elle vient saluer la naissance du premier enfant du jeune couple.
Restaurant Le Corbier - Une renaissance signée Gerald Watelet
Restaurant Le Corbier
Une renaissance signée Gerald Watelet
Mots : Servane Calmant
Photos : Luc Viatour
Quand il s’agit de relever des défis passionnants, Gerald Watelet – personnalité médiatique, cuisinier, maître d’hôtel, décorateur – le fait avec panache. Ce fringant sexagénaire aux multiples talents redonne vie au Corbier, table historique du Sablon vouée à reprendre sa place parmi les incontournables de la scène culinaire bruxelloise et à devenir un véritable repaire pour épicuriens …
Le Corbier d’Amin a marqué les esprits pendant de longues années. On venait y déguster des grillades, qui ont établi la renommée de l’endroit, à l’issue d’une pièce de théâtre, d’un film, d’un apéro à rallonge. Il était 23 heures et Amin était toujours ouvert… A la belle époque, les célébrités de passage à Bruxelles s’y pressaient, de Delon à Christopher Lee. On croisait Maurane également, et Adamo. Mais les années ont passé, d’autres bonnes adresses conviviales ont pris le relais, et Amin a fini par cesser ses activités …
Plus qu’une naissance, c’est donc d’une renaissance qu’il faut parler avec la réouverture du Corbier. Renouveau sous la houlette d’un trio complice : Gerald Watelet, personnalité médiatique (« C’est du Belge » et « Un Gars, un Chef », deux émissions phares de la RTBF), Arnaud le Grelle et Delphine Roberti de Winghe, un jeune couple d’épicuriens. «Arnaud et Delphine qui fréquentaient le Corbier depuis une dizaine d’années, ont eu l’opportunité de le racheter, et ils m’ont proposé de les rejoindre dans cette aventure », explique Gerald Watelet.
Propriétaire d’une boutique à Uccle qui propose des services de rénovation, décoration et restauration, Gerald a évidemment été sollicité pour la déco, du mobilier au choix de la vaisselle, en passant par l’éclairage. Si le Corbier n’est donc pas, à proprement parler, le restaurant de Gerald Watelet, il porte indéniablement sa patte, notamment à travers une déco bourgeoise, opulente, somptueuse. Mais pas uniquement. Le cuistot d’ « Un Gars, un Chef » a également collaboré à l’élaboration de la carte avec Olivier Chanteux, un chef adepte de la bonne cuisine bourgeoise revisitée.
Qu’ont-ils gardé ? Qu’ont-ils changé ?
« La transformation est totale, vous ne reconnaîtriez pas l’endroit ! », s’exclame Gerald. Le Corbier arbore désormais une façade couleur jade, tandis qu’à l’intérieur, briques, vieilles poutres et cheminée côtoient un puits de lumière qui vient apporter une nouvelle respiration à l’espace. Le velours, omniprésent, tapisse banquettes et murs, le nappage et les serviettes sont en tissu, la vaisselle à fleurs, les verres gravés et l’argenterie brillent. « Nous avons souhaité un luxe feutré, intemporel, à contre-courant des tendances. C’est la revanche du classique, avec un clin d’œil aux grandes heures de l’hôtellerie d’autrefois. Je n’ai pas cherché à être au goût du jour car ce n’est pas dans ma nature. Suivre la mode, c’est déjà être dépassé. Et ne me parlez pas de ces restaurants où l’on commande sur son Smartphone avant d’aller chercher sa commande au comptoir, c’est un non-sens pour moi ! Le service à l’ancienne, c’est mon crédo, et j’y tiens. »
Et dans l’assiette ?
La carte promet d’être généreuse. « Pâté de campagne, côte de bœuf sauce béarnaise avec des frites maison, crêpes Suzette. Des produits frais de chez-nous et une sélection de vins belges. Bref, tout ce que j’aime. Pour les fumeurs, on a prévu un véritable fumoir, cosy, avec banquettes en velours, où savourer un bon cigare après le repas. C’est un restaurant chic certes, mais pas élitiste ».
Peu friand des restaurants étoilés, trop complexes à son goût, Gerald Watelet apprécie beaucoup les brasseries de tradition, à l’instar de la famille Niels où il avoue commander systématiquement la cervelle de veau sauce gribiche. « Si le Corbier arrive à fidéliser la clientèle avec l’un ou l’autre plat, alors la sauce aura pris… »
A l’instar du Corbier d’Amin qui a toujours accueilli les clients tardivement, le trio Gerald/Arnaud/Delphine promet que « les commandes seront encore prises à minuit ». De quoi ravir les Bruxellois qui sortent d’un vernissage et qui ne trouvent plus de tables libres à la tombée de la nuit…
Eat Festival 2024 : Le rendez-vous gourmand qui enchante vos papilles
Eat Festival 2024 : Le rendez-vous gourmand qui enchante vos papilles
Eat Festival 2024 : Le rendez-vous gourmand qui enchante vos papilles
Mots : Ariane Dufourny
Photo Drapeau : Maurine Toussaint
Le Eat Festival, l’événement incontournable de la gastronomie à Bruxelles, revient pour sa 13e édition du 26 au 29 septembre 2024 à la majestueuse Gare Maritime de Tour & Taxis. Cette édition met en lumière un nouveau concept centré sur des menus créatifs et des expériences gastronomiques inédites.
Pour 2024, Eat Festival se réinvente et propose une expérience gastronomique aussi conviviale qu’accessible. Le concept phare de cette année ? Des menus de 3 ou 5 services, conçus en équipe.
L’accent se met sur la nouvelle génération de chefs talentueux qui, avec leurs équipes, réinventent la scène gastronomique bruxelloise. Ensemble, ils brisent les conventions et font la part belle à l’innovation, à la synergie et à la convivialité.
Des créations culinaires exclusives chaque jour
Chaque jour, deux équipes composées de chefs, pâtissiers et fromagers bruxellois unissent leurs talents pour élaborer des menus exclusifs. Ces créations gastronomiques se magnifient par des accords mets et vins méticuleusement choisis, avec en vedette les prestigieux Vins de Bordeaux, partenaires du festival depuis dix ans. Les amateurs de bières artisanales se comblent également grâce à une sélection raffinée proposée par le BXLBeerFest, qui se déroule également à Tour & Taxis.
Programme culinaire :
- Jeudi 26 septembre
Équipe 1 : Racines (Ugo Federico), Vérigoud (Alexandre Pappamikail), Tontons (Valérie Delange & Zoé Vrankenne), Julien Hazard, Nikolas Koulepis
Équipe 2 : Smala (Arth Alvarez & Anaïs Verrijdt), Le Rossini (Bogdan Streinu), Cantina Valentina (Alex Joseph), La Câlinerie (Amandine Bourgueil), Vincent Denis Dessert Bar (Vincent Denis) - Vendredi 27 septembre
Équipe 3 : Fernand Obb Delicatessen (Cédric Mosbeux), Achille (Benjamin Bret & Thomas Gourlet), Bombay BBQ (Pavan Bajwa), Saint-Octave (Octave Laloux), Yasushi Sasaki
Équipe 4 : Titulus (Lyla Bangels), Grabuge (Alexander Duke & Pannawat Wichaiphum), Frank (Mathias Smet), L’Estive (Anne-Sophie Meurin), Julien Othomene - Samedi 28 septembre
Équipe 5 : Barge (Grégoire Gillard), Klok (Jordan Joubert), badi (Maxime Bourdigal & Victoria Merret), La Fruitière (Véronique Socié & Léo Begin), Cokoa (Anaïs Gaudemer)
Équipe 6 : Yoka Tomo (Tomo Ohara), Groseille (Camille Cosnefroy), La Bonne Chère (Alexandru Sapco), From Comptoir (Etienne Boissy & Bénédicte Dartois), Laurent Gerbaud - Dimanche 29 septembre
Équipe 7 : Le Tournant (Denis Delcampe), Kitchen 151 (Simona El-Harar), Entropy Restaurant (Elliott Van de Velde), Sœurs (Lara & Hélène Milan), Ginkgo (Olivier Kasiers)
Équipe 8 : 65 degrés (Antoine Ysaye), Ramen Nobu (Nobutomo Ishii), Kamoun (Georges Baghdi Sar)
Un festival qui célèbre le terroir bruxellois
Outre les menus d’exception, Eat Festival met à l’honneur les talents locaux et les produits artisanaux bruxellois au Marché des Producteurs. Le Brussels Bar met également en avant une sélection de boissons locales alternatives, allant du Brussels Craft Gin aux bières artisanales, en passant par des cocktails sans alcool issus de la scène belge. Par ailleurs, Masalto, autre partenaire fidèle du festival, propose des ateliers café.
Des moments forts à ne pas manquer
En plus des expériences gastronomiques, plusieurs événements phares rythment ce festival gourmand, notamment le Concours National du Premier Fromager, en partenariat avec la Fédération des Fromagers de Belgique, qui met en lumière les meilleurs artisans du pays, ainsi que le concours de la meilleure croquette aux crevettes qui sacre le maître incontesté de cette spécialité bruxelloise tant appréciée. Le tout se déroule dans une ambiance festive, animée par des DJ locaux qui insufflent à l’événement une atmosphère chaleureuse et conviviale.
L’Orchidée Blanche de Katia Nguyen - « Restauratrice, c’est en quelque sorte apprendre à monter sur scène … »
L’Orchidée Blanche de Katia Nguyen
« Restauratrice, c’est en quelque sorte apprendre à monter sur scène … »
Mots : Servane Calmant
Photos : DR
Ouvert depuis 1986, le restaurant L’Orchidée Blanche témoigne d’une édifiante longévité, affiche souvent complet, enchante toujours et a même été couronné du prix de l’Asiatique de l’année 2015 par le Gault & Millau Belgique. Le mérite en revient à la patronne, Katia Nguyen, restauratrice pleine d’entrain, qui invite chaque client à un véritable voyage de saveurs au pays du sourire.
Originaire de Saïgon, vous êtes arrivée en Belgique en 1972 pour faire des études en sciences politiques à l’ULB. Et vous êtes restée chez nous. La Belgique est-elle devenue votre deuxième patrie ? Oui, tout à fait, c’est mon pays d’adoption. Après la Guerre du Vietnam, je n’ai pas pu rentrer au pays et je me suis lancée dans la restauration à Ixelles, dans le quartier de l’université. C’était il y a 38 ans… J’ai acquis la nationalité belge, pour autant, je n’ai pas oublié mon pays d’origine. Ni le respect des traditions, ni le sens de l’accuei, ni la politesse qui le caractérisent si bien.
Retournez-vous parfois au Vietnam ? Chaque année. J’y fais notamment confectionner l’áo dài, la robe brodée traditionnelle vietnamienne que portent toutes les serveuses de L’Orchidée Blanche. J’y achète également de la vaisselle et d’autres accessoires de la table. Ces voyages au Vietnam sont également l’occasion de rencontres et d’échanges avec de grands chefs de restaurants gastronomiques locaux, que j’espère pouvoir inviter un jour à L’Orchidée Blanche.
Le sens de l’accueil est-il une des clés de l’exemplaire longévité de votre enseigne ? En 38 ans, L’Orchidée Blanche a en effet acquis une belle notoriété. J’ai vu défiler dans mon établissement quatre générations d’une même famille et des clients de toutes les strates sociales. Cela fait plaisir, évidemment. A quoi je dois ce succès ? Il n’y a pas de miracle ni de mystère. Il faut rester humble. Je n’ai jamais eu la prétention de faire la meilleure cuisine du monde, mais j’ai à cœur de proposer une excellente cuisine à prix raisonnable. Il faut également préserver une stabilité dans le personnel : le client aime être accueilli par une figure familière. L’accueil et le sourire, qui définissent mon pays, participent évidemment au succès du restaurant. Restauratrice, c’est en quelque sorte apprendre à monter sur scène. Chaque soir, je revêts un bel habit, je fais des sourires. Le client vient pour passer un bon moment, pas pour écouter les malheurs de mes serveuses ni les miens !
Côté déco, il y a deux fois L’Orchidée Blanche… en une. Le rez-de-chaussée à l’ambiance zen et épurée, et l’étage à l’atmosphère ‘coloniale’ qui évoque certains romans de Margueritte Duras. Quelle salle rencontre le plus de succès ? L’exotisme plaît beaucoup. Certains clients me disent qu’ils ont l’impression de manger dans une maison au cœur du delta du Mékong. Mais le style plus épuré du rez-de-chaussée a ses inconditionnels. Quand j’ai imaginé ces deux ambiances, je n’ai pas pensé plaire aux uns et aux autres, mais finalement j’ai satisfait tout le monde !
Katia, quel est votre plat vietnamien préféré ? J’adore les raviolis à la vapeur, un plat très populaire à Saigon que vendent notamment les marchands ambulants, et les scampis grillés à la citronnelle fraîche servis avec des vermicelles. J’aime beaucoup également les nems. On en trouve dans beaucoup de restaurants asiatiques, mais sincèrement les nôtres sont fameux et très appréciés des clients.
Et votre plat belge favori ? Il y a de très grands chefs en Belgique, notamment Pascal Devalkeneer dont j’apprécie beaucoup la cuisine. Mais, à tout vous avouer, je suis une inconditionnelle du stoemp carottes et du pain de viande. De bons plats tout simples. (rires).
Forte du succès de L’Orchidée Blanche, avez-vous déjà pensé ouvrir une deuxième enseigne ? Sincèrement, non. Je ne recherche pas la gloire. Mon métier de restauratrice, c’est ma passion. Mieux vaut un resto bien tenu que deux bâclés ! Et j’ai déjà beaucoup de travail, d’autant que j’organise également des fêtes et des banquets à L’Orchidée Blanche et ailleurs, sur demande.
Il Giardino de Gatien Thiry - « Le quartier du Fort-Jaco à Uccle mérite de beaux établissements »
Il Giardino de Gatien Thiry
« Le quartier du Fort-Jaco à Uccle mérite de beaux établissements »
Mots : Servane Calmant
Photos : DR
Le restaurant italien Il Giardino a fait l’objet d’une rénovation inspirée à l’élégance résolument contemporaine. Tons et matériaux naturels, arches, plafond de vagues en bois, terrasse avec pergola in/out, pour une parenthèse sereine et ressourçante qui protège de l’agitation urbaine. L’invitation reste gourmande avec ce plat de luiguine citron burratina jambon de parme et le voyage à travers les terroirs les plus prestigieux de la Botte, enivrant. Rencontre avec Gatien Thiry, l’âme de cette véritable institution uccloise depuis 14 années déjà.
Il est élégant, soyeux même, le nouveau Il Giardino. L’architecte d’intérieur, Caroline Nava, Belge d’origine italienne qui a longtemps collaboré avec le bureau d’architecture et d’architecture d’intérieur de Guy Stapels, a insufflé au lieu une douce sérénité quasi enveloppante qui tranche avec la frénésie urbaine du quartier. Tout est pensé pour contribuer à créer à table, un véritable moment de détente. Tons clairs, matériaux naturels et espaces baignés de lumière pour une sensation de calme, plafond de vagues en bois et arches (préférés aux angles) pour la douceur, banquettes cintrées et claustras pour créer toujours plus d’intimité, luminaires en terre cuite pour une ambiance délicate et chaleureuse, terrasse avec pergola modulable pour profiter de l’extérieur été comme hiver… Dans nos assiettes, délicates tranches de saumon balik (la Rolls du saumon fumé), salade de pommes de terre et caviar Sevruga à la franche saveur iodée, suivies d’un incontournable, la tagliata de bœuf Simmental accompagnée de roquette et parmesan. Honneur évidemment aux cépages italiens. Comme un air de vacances.
Un nouvel agencement, une nouvelle déco, un nouveau mobilier, une terrasse avec une nouvelle pergola modulable. C’était de toute évidence l’heure de faire peau neuve… J’ai fermé trois mois en ce début d’année 2024 pour une rénovation que j’estimais en effet nécessaire. Cela fait 14 ans que je suis à la tête de Il Giardino, dans ce beau quartier du Fort-Jaco qui mérite de beaux établissements. Il était grand temps de redonner un coup de peps au restaurant, d’être plus en phase avec son époque.
Le design d’intérieur, vous l’avez confié à Caroline Nava, architecte d’intérieur belge d’origine italienne, qui avait déjà transformé Il Giardino il y a 14 ans… Exactement. Je lui ai donné quelques pistes, le beige, des tons clairs, un intérieur baigné de lumière, pour un cadre plus apaisant et une atmosphère plus zen. J’avais également à cœur de commander du mobilier chez des fabricants belges et italiens. Caroline a ensuite élaboré le projet qui a largement répondu à tous mes souhaits.
Caroline Nava pour une deuxième collaboration, Eric Beretta, votre chef depuis le début, Tijani et Farid, les mêmes pizzaïolos depuis 14 ans. Vous êtes un patron fidèle ! La plupart de mes collaborateurs m’accompagnent depuis au moins 10 ans. Je dois être un bon patron ! (rires)
Quelle est la recette pour transformer un restaurant en une adresse incontournable ? Il faut demeurer fidèle à son ADN. Il Giardino est, et reste, un restaurant de quartier familial où il n’est pas rare de voir plusieurs générations autour d’une même table. On a d’ailleurs préservé la grande table familiale, qui est très demandée. On a gardé évidemment notre atout séduction : la pizza au feu de bois qui fédère jeunes et moins jeunes. Mais ce qui fait également la particularité de la maison, c’est notre cuisine italienne teintée de belgitude. La cuisine propose pizzas et pâtes traditionnelles mais aussi un filet de bœuf au poivre ou une blanquette de volaille fermière. On avait supprimé les fondues au fromage. A la demande pressante des clients, nous allons les rajouter !
C’est bientôt l’été, mais en Belgique le temps est souvent incertain. Cela ne vous a pas échappé… En effet. La terrasse, privatisable, est désormais accessible été comme hiver, grâce à une pergola aux cloisons et au toit vitrés totalement amovible. Pour profiter de la lumière 7 jours sur 7, à défaut de soleil…
Fort du succès de Il Giardino, avez-vous eu l’idée d’en ouvrir un deuxième ? Depuis la Covid, l’horeca souffre malheureusement d’un manque criant de personnel. Ouvrir un Il Giardino 2 en Belgique ou à l’étranger ne m’aurait pourtant pas fait peur… Pour l’heure, je continue à veiller sur Il Giardino qui d’ailleurs perdurera après moi, car c’est devenu une véritable institution.
Le Chalet de la Forêt (**) de Pascal Devalkeneer - 25 ans d’un projet de vie
Le Chalet de la Forêt (**) de Pascal Devalkeneer
25 ans d’un projet de vie
Mots : Servane Calmant
Photos : DR
Pascal Devalkeneer inaugurait le Chalet de la Forêt en 1999. Un quart de siècle plus tard, ce charmant passeur d’émotions n’a jamais dérivé de l’ADN de sa Maison : le goût de l’aliment comme source de plaisir. Pourtant, en 25 ans, il s’en est passé des choses ! Retour sur les étapes qui ont marqué la vie du chef doublement étoilé.
Chef, vous souvenez-vous du premier jour d’ouverture du Chalet de la Forêt ? Oh oui, c’était en 1999, un 2 décembre, le jour de mon anniversaire ! Mon souhait était d’ouvrir le Chalet de la Forêt pour le réveillon de l’an 2000, mais quand j’ai vu que les travaux de rénovation avançaient vite, j’ai convaincu tous les corps de métier d’être prêts pour cette date.
Dans quel était d’esprit étiez-vous ? Très très ému. Avant l’ouverture, j’ai passé mes journées derrière les fourneaux afin que la mise en place soit nickel le jour J. J’ai donc découvert la salle à 19h, quelques minutes avant l’ouverture officielle. Que d’émotions ! D’autant que je savais déjà à l’époque que le projet du Chalet de la Forêt allait m’accompagner pendant des années. Les deux premiers soirs, j’ai invité toutes les personnes qui m’avaient aidé, des amis, les fidèles du Bistro du Mail, l’entrepreneur, les responsables des chantiers …
Ce 2 décembre 1999, quel était le plat principal ? Une volaille rôtie, sauce foie gras, avec des chicons sautés aux noisettes. A l’époque, nous étions 3 en cuisine; aujourd’hui, entre 12 et 14, et nous faisons moins de couverts.
Qu’est-ce qui a changé ? Tout. On a modifié la disposition des tables et volontairement réduit le nombre de couverts afin d’être à la hauteur de nos 2 étoiles.
Avez-vous pris rapidement votre envol ? Non. Avant le Chalet de la Forêt, j’avais ouvert avec mon associé, Didier Plasch, le Bistro du Mail. En salle, les clients sympathisaient avec Didier qui avait un réseau incroyable. Moi, j’étais en cuisine et personne ne me connaissait. Quand j’ai ouvert le Chalet de la Forêt, j’étais donc un parfait inconnu et le Michelin m’a véritablement boudé. Les premières années n’ont pas été faciles.
2008, première étoile Michelin. Où et avec qui avez-vous fait la fête ce soir-là ? Au Chalet de la Forêt évidemment. Champagne ! J’ai invité mes anciens cuisiniers à venir me rejoindre. Chaque année, je perdais les meilleurs éléments, ceux que j’avais formés, car ils préféraient faire carrière dans des étoilés. J’ai passé huit ans à former des cuisiniers, huit ans à espérer l’étoile, huit ans à ressentir la même déception. Puis, 2008, la récompense Michelin, la consécration et, pour nous tous, en cuisine et en salle, une véritable libération.
2012, deuxième étoile Michelin. Qu’avez-vous ressenti ? Cette deuxième étoile est arrivée plus rapidement que la première. Pour la petite anecdote : en 2011, les inspecteurs du Michelin ont commandé un risotto aux courgettes et ils m’ont dit : « c’est merveilleux, mais on ne peut pas octroyer 2 étoiles à un risotto… ». Ils sont revenus en 2012 (mais je ne les ai pas vus) et m’ont octroyé une 2e étoile, une formidable surprise !
Quels conseils continuez-vous à dispenser au quotidien à vos seconds et chefs de partie ? Je n’ai plus de sous-chef. Je travaille en direct avec mes chefs de partie. Je demande à chacun d’être exigeant, rigoureux, curieux, cultivé, de conscientiser chaque acte, chaque geste et surtout, de préserver l’identité, l’ADN, de l’établissement. Ne jamais copier.
Quelles sont les limites de l’inventivité culinaire ? Aucune. Mais chaque plat doit raconter une histoire, avoir un ancrage, un souvenir d’enfance, un voyage, une rencontre… Chaque mets doit exprimer quelque chose et véhiculer des émotions. Associer une pomme pour l’acidité, un espuma pour le côté aérien et une tuile pour le croquant, ne suffit pas à me convaincre ! La créativité naît du travail, de beaucoup de travail, c’est la base, et d’une enrichissante curiosité. Sans cesse, il faut se cultiver.
En 25 ans, l’identité de la cuisine de Pascal Devalkeneer a-t-elle évolué ? Oui, mais je ne me sens pas obligé de réinventer la roue ! Ce qui fonctionne, je le conserve. Je m’amuse évidemment à expérimenter de nouveaux ingrédients et de nouvelles techniques, notamment japonaises, mais, à l’instar de la mode et de la musique, la cuisine est faite de cycles qui se répètent encore et encore.
Après un quart de siècle à la tête du Chalet de la Forêt, quel regard portez-vous sur l’évolution du secteur de la restauration ? Le monde a changé et avec lui, la restauration. La Covid a modifié le rapport au travail. J’ai été formé il y a 38 ans « à la dure », ce ne serait plus possible aujourd’hui. En revanche, la gastronomie impliquera toujours du travail, beaucoup de travail et encore du travail !
Que dirait Pascal Devalkeneer aujourd’hui au jeune chef qu’il a été hier ? Quand je fais ma propre introspection, je note que j’ai vraiment beaucoup travaillé. Et parallèlement, je sais aussi que je n’ai pas encore bossé assez ! J’aurais pu aller plus loin, faire plus de recherches.
Il reste 25 ans devant… (rires) Non ! Dans 25 ans, je ne serai plus au Chalet de la Forêt même si j’adore mon métier. C’est ma passion. Mais j’ai d’autres envies, de voyages notamment…
Où serez-vous dans 25 ans ? Je suis incapable de me projeter aussi loin.
Avez-vous des regrets ? A force de rester derrière les fourneaux, je n’ai pas passé assez de temps avec les producteurs, les éleveurs, les maraîchers, les mareyeurs… Je ne connais pas suffisamment leur travail.
Comment vont vos 80 000 abeilles ? Elles attendent, comme moi, le soleil.
Le mot de la fin ? La gastronomie a tendance à viser une perfection, par peur de décevoir le client, qui peut parfois être ennuyeuse. J’essaye à travers une cuisine intuitive et sensible, et donc pas toujours parfaite, d’éviter ce piège.
Poncho - En mode « caliente »
Poncho
En mode « caliente »
Mots : Servane Calmant
Photos : DR
Le groupe horeca Art Blanc, fondé par les frères Blanchart, vient d’ouvrir à Waterloo, le restaurant Poncho, en collaboration avec Yves Mattagne, célèbre chef doublement étoilé. Au menu, spécialités latino-américaines pimentées d’élégance, cuisine Nikkei trait d’union entre le Japon et le Pérou, vin de là-bas et pisco péruvien, déco luxuriante. Une symphonie de couleurs et de saveurs vives pour une soirée résolument caliente.
On attendait sa réouverture avec impatience. Et, le 27 mai dernier, l’enthousiasme était au rendez-vous. Transformé de fond en comble, l’emblématique La Pomme, à Waterloo, est devenu Poncho, un restaurant latino-américain dont la carte est signée Yves Mattagne. L’illustre chef collabore en effet à ce nouveau projet des frères Blanchart en tant que chef consultant étoilé extérieur, gage évidemment de créativité et d’excellence.
Présent à l’ouverture, Yves Mattagne qui a conçu la carte, formé la brigade, défini les arts de la table, et qui accompagnera les équipes pendant les premiers mois de rodage, a le propos joyeux. « J’ai puisé dans les richesses de la nature latino-américaine, mêlant les épices relevées de la cuisine mexi-caine avec les nuances subtiles de la cuisine Nikkei (la fusion culinaire entre le Japon et le Pérou – nda). Chaque bouchée est un voyage au cœur de cette diversité, entre le feu du chili et la douceur du miel, entre la force de la viande et la fraîcheur des herbes… ».
Les inconditionnels de Mattagne se souviennent forcément du Yu Me, où le chef doublement étoilé avait déjà régalé nos palais en jouant la carte des saveurs asiatiques et, d’une manière plus générale, ils savent que ses nombreux voyages au bout du monde ont inspiré les plus surprenantes de ses assiettes… A leur tour, les frères Blanchart ont fait le pari du dépaysement total, et il est réussi. Si le nom, Poncho, se veut une référence explicite au Mexique, la déco (du velours, du bois exotique, du cannage, de la végétation en abondance) renvoie également à la richesse multicolore, à l’exubérance baroque des cultures latino-américaines.
L’aménagement, chaleureux, bénéficie d’un éclairage tamisé qui vient délicatement intimiser un élégant bar central et deux grandes salles avec mezzanine de 130 places (100 de plus quand la terrasse est ouverte). La carte, étoffée, invite à déguster des cocktails ensoleillés. Poncho’s Touch pour ce Mai Tai exotique et ce surprenant Popcorn à l’espuma de maïs rouge. En accompagnement, le guacamole Nikkei pillé dans un mortier à table et ses chips totopos à base de maïs, séduisent. La carte propose plats à combiner pour un food-sharing toujours en vogue. Nous aimons le partage mais pas celui de l’assiette. Qu’à cela ne tienne, le classique entrée-plat-dessert est également de mise. Le cru est à l’honneur avec plusieurs ceviches à la carte et cette préparation aux saveurs audacieuses et addictives de lieu jaune, sauce tartare, algues nori, concombre et glace coco. Grillade à gogo également avec, notamment, un savoureux filet pur d’Argentine, que nous avons choisi d’agrémenter de maïs grillé, de frites de manioc et d’une sauce rocoto, du nom du piment éponyme, typique de la cuisine péruvienne. Enfin, coup de saveur absolu pour, en dessert, l’ananas parilla rôti entier avec sa mousse d’avocat brûlé (une véritable tuerie !), sa glace yaourt rafraichissante et son Pisco sour, cocktail à base d’eau-de-vie péruvienne et de jus de citron vert. Vins du sud du continent américain et assortiment de Pisco, participent également de l’exotisme ambiant de ce Poncho, véritable symphonie de couleurs et de saveurs vives.
Trois questions à Jérôme Blanchart, co-CEO de Art Blanc
Poncho s’appuie de toute évidence sur l’expertise du chef Yves Mattagne… De fait. Nous ne souhaitions pas, mon frère et moi, ouvrir une brasserie de plus à Waterloo. Au contraire, nous cherchions à nous démarquer avec une proposition nouvelle et accessible, pas du gastronomique donc. Dès que le concept de restaurant latino-américain a été arrêté, nous avons donc cherché des consultants extérieurs pour la cuisine, la carte des vins. Au même moment, Yves Mattagne m’a contacté pour me dire qu’il souhaitait louer l’ex-Pomme pour lancer un restaurant latino-américain … C’était exactement notre concept. Je lui ai dès lors proposé un partenariat sur le projet Poncho.
L’Amusoir, son Bar et son Chalet, La Cocotte Belge à Waterloo, La Maison Basse à Lasne, Chez Eddy à Rhode-St-Genèse, Les Brasseries Georges et La Bécasse à Bruxelles (réouverture prévue en automne 2024), les nightclubs Mirano et Spirito et même un hôtel, Le 20° Sud, à l’île Maurice… Comment s’opère le choix des lieux que vous et votre frère Jonathan, prenez sous votre aile ? Art Blanc n’est pas un groupe qui cherche à démultiplier une adresse. Nous cherchons des lieux qui se distinguent par leur emplacement et leur caractère, et nous les transformons pour offrir une expérience client 360° où la cuisine, la déco, le service, l’art de la table doivent apporter satisfaction…
Vous cultivez (déjà) d’autres projets ? Oui, moi, je suis un peu le cheval fou du groupe, toujours à l’affût de nouvelles opportunités. En 2023, Art Blanc a repris La Bécasse, une brasserie populaire du cimetière d’Ixelles, qui va devenir une trattoria italienne où les pizzas ne devraient pas dépasser 10 euros. Ouverture prévue à l’automne 2024. Prochain chantier : l’ancien Stamp, à Waterloo, que nous allons transformer en brasserie familiale avec une aire de +- 1000 m2 de jeux intégrés, façon Marie Siska, pour permettre aux parents de garder un œil sur les enfants. Ouverture de Capucine (nom provisoire – nda) prévue fin 2025, début 2026.
L’Eau Vive - Pierre Résimont, 30 ans d’étoiles au compteur
L’Eau Vive
Pierre Résimont, 30 ans d’étoiles au compteur
Mots : Servane Calmant
Photos : DR
Pierre Résimont, c’est l’un des meilleurs chefs de Wallonie, presque une légende. En 1994, à 25 ans à peine, il offre à son Eau Vive sa première étoile Michelin. La 2e, il la décrochera en 2012. 30 ans qu’il est étoilé ! 30 ans de partage d’une passion pour une cuisine riche, avec une exceptionnelle régularité dans le temps. Au reste, il construit un véritable empire : L’Espace Medissey, une maison d’hôtes à quelques minutes de son restaurant, Le Comptoir de l’eau vive, une table gourmande à Erpent et, la petite dernière, La Table du Tribeca, une brasserie à Gerpinnes. Rencontre avec un chef-entrepreneur sympa en diable.
Royalement installés à Profondeville, dans un moulin du 17e romantique à souhait, Pierre et Anne Résimont nous reçoivent chez eux, à L’Eau Vive. L’art de recevoir, ils en maîtrisent les codes. La convivialité et une bonhomie toute wallonne faisant partie de leur ADN. Chez les Résimont, le client est choyé. Et cela fait 30 ans que ça dure.
En 1994, à 25 ans, vous devenez le plus jeune chef étoilé de Belgique. En 2012, vous décrochez 2 étoiles Michelin. En quoi ces récompenses ont-elles changé votre vie professionnelle ? Je vais vous raconter une anecdote, amusante. En 1994, quand vous receviez une étoile Michelin, on vous envoyait simplement un fax de félicitations. A l’époque, je skiais avec des amis en Suisse. De retour dans l’appartement que je louais, je découvre une enveloppe glissée sous la porte, avec ces mots : téléphonez d’urgence en Belgique. Il n’y avait pas de GSM en 94. Imaginez mon angoisse, je pensais qu’il était arrivé un malheur à un proche. D’une cabine téléphonique donc, j’appelle ma femme restée en Belgique qui m’annonce… ma première étoile Michelin ! La 2e étoile, c’est Peter Goossens qui me l’a communiquée.Ont-elles changé ma vie ? Et comment ! On a doublé nos réservations. Et il a fallu engager pour renforcer l’équipe…
30 ans sous les étoiles Michelin. Cette régularité dans l’excellence, comment la maintenez-vous ? En me remettant sans cesse en question, pour ne pas perdre la flamme. Me reposer sur mes lauriers, ce n’est pas mon style. Mais pour perdurer dans ce métier, il faut proposer une offre complète, sans faille, au niveau de l’assiette et du vin évidemment, mais aussi de l’accueil, de l’infrastructure, parking, terrasse, nuitées… L’été, notre terrasse pavée qui jouxte une cascade et une rivière, est un atout considérable. La verrière inondée de lumière également…
Vous avez également pensé aux gourmets qui souhaiteraient ne pas reprendre la route à l’issue du repas… Nous proposons effectivement des chambres d’hôtes dans le Cube, posé à côté de L’Eau Vive, le long du ruisseau, et dans l’Espace Medissey, à trois kilomètres du restaurant, qui bénéficie également de chambres et même d’une piscine en plein air…
Revenons à l’assiette. Cuisine de produits et/ou cuisine technique. Où vous situez-vous ? Cuisine de produit. La technique, elle existe pour magnifier le produit. En fait, je n’aime pas les artifices. En revanche, les sauces…
Parlons-en. La tourte farcie de filet de pigeon et de foie gras, accompagnée de trois condiments de chou-fleur, est l’un de vos plats signatures. Le jus de cuisson du pigeon est carrément affolant. Vous êtes le roi des sauces ! Merci. à tout vous avouer, je passe tellement de temps à parfaire une sauce, qu’elle me coûte aussi chère que le produit. En revanche, garnir les assiettes de fleurs, ce n’est pas ma tasse de thé.
Les produits, forcément locaux ? Le plus souvent. Mon souhait serait de cuisiner 100% belge. Mais sans pression aucune : si tel produit est meilleur ailleurs, il aura mes faveurs.
Quel est le mot d’ordre le plus fréquent que vous adressez à votre brigade en cuisine ? Ponctualité et bonne humeur.
L’Eau vive, c’est votre bébé mais aussi celui de votre épouse, Anne. Cette complicité entre vous participe-t-elle également à votre succès ? En effet. En 30 ans de service, aucune dispute. Moi en cuisine, mon épouse en salle. C’est un TGV, Anne. (rire). Moi, je suis plus calme. Et chacun est parfaitement à sa place.
En 2012, vous surprenez agréablement avec Le Comptoir de l’eau vive, à Erpent … J’avais envie d’un lieu qui soit à la fois table gourmande et épicerie, pour que les clients puissent voir et acheter les produits avec lesquels je travaille.
Le 13 mars dernier, vous avez inauguré La Table du Tribeca, à Gerpinnes, dans un quartier résidentiel des hauteurs de Charleroi … Avec mon associé Laurent Wagner, entrepreneur gerpinois, nous avons donné une suite à l’histoire du restaurant Tribeca, qui devient La Table du Tribeca. à la carte, je propose une cuisine de brasserie authentique et généreuse, agrémentée de deux ou trois classiques de L’Eau Vive dont le mijoté d’asperge au vin muscat, croûtons et lardons.
Si Pierre Résimont a l’âme d’un entrepreneur, L’Eau Vive reste-t-elle sa priorité ? Oui, oui ! Je suis en permanence derrière les fourneaux de L’Eau Vive et je viens saluer les convives en salle plusieurs fois pendant le service. Cette proximité avec le client, j’y tiens énormément.
Christophe Hardiquest - Menssa, où tous les goûts sont permis
Christophe Hardiquest
Menssa, où tous les goûts sont permis
Mots : Servane Calmant
Photos : DR
Avec Christophe Hardiquest, on ne voit pas le temps passer. Au printemps 2023, Be Perfect vous annonçait qu’à 46 ans, il laissait derrière lui Bon-Bon, 2 étoiles Michelin, pour ouvrir Menssa, un comptoir gastronomique de franche complicité avec le client. Printemps 2024, Menssa est gratifié d’1 étoile Michelin. L’occasion est trop belle, trop bonne, de redécouvrir la symphonie culinaire d’un chef qui, affranchi de toutes les injonctions du monde gastronomique, fonctionne au coup de foudre pour sublimer l’infini des saveurs. Voyage au cœur de la créativité, de l’innovation et de l’audace belges.
C’est notre deuxième visite chez Menssa, et le constat est inchangé : quelle déco ! L’architecte belge, Anne-Catherine Lalmand, a frappé fort avec son arbre de vie monumental et ce comptoir central ondulé, porteur d’une belle énergie, d’une incroyable dynamique, au travers des échanges entre le chef, sa brigade, les clients, qu’il suscite et avive. Rien n’a donc vraiment changé en un an ? Si, et l’on s’en réjouit. Le 26 février dernier, le Michelin a en effet rendu son verdict et octroyé 1 étoile à Menssa du chef Christophe Hardiquest, venant récompenser « un vrai spectacle » et un chef qui « partage dès votre arrivée sa vision durable de la gastronomie, avec un respect des producteurs et de la nature ».
Si un chef porte souvent seul l’avenir de son entreprise, Christophe Hardiquest n’oublie jamais de saluer le dévouement sans faille de sa brigade. « Recevoir 1 étoile, un an après l’ouverture de Menssa, c’est une belle reconnaissance pour toute mon équipe qui travaille d’arrache-pied, au quotidien, pour porter ce restaurant au firmament. à tout vous avouer, maintenant que j’ai une étoile, je travaille déjà comme si nous en avions deux ! Il reste à affi-ner le projet, à régler des détails de chorégraphie du service et à améliorer encore et toujours l’accompagnement du client. La modernité de la table d’aujourd’hui réside en un équilibre complexe entre la qualité de l’assiette et l’expérience client. L’idée n’étant pas d’être démonstratif, mais de transmettre aux clients des émotions. »
Quand on lui demande s’il ne regrette pas d’avoir tourné la page Bon-Bon, la réponse du chef est sans équivoque. « Non, après 20 ans à la tête de Bon-Bon, je n’étais plus en phase avec ma vision du restaurant de demain. Si j’ai un bon conseil à donner à tout entrepreneur, c’est de se laisser guider par ses envies, d’oser se mettre en danger pour aller de l’avant. Se mettre en danger ne signifie pas être inconscient, mais il faut parfois s’enhardir pour retrouver un nouveau souffle et réaliser ses rêves. Suivre son instinct, c’est ma ligne de conduite. »
Instinct, le mot est lâché. Instinct, inspiration, intuition, liberté, voyages nourrissent la quête sans relâche de Christophe Hardiquest pour atteindre l’excellence et offrir à ses clients un voyage gustatif au cœur des saveurs et de la créativité belge. « Je ramène beaucoup de techniques de mes voyages, que j’applique à des produits locaux. Il n’y a pas de grandes cuisines sans beaux produits, c’est d’ailleurs la raison pour laquelle Menssa joue la transparence avec ce comptoir ouvert sur la cuisine, mais la précision des techniques permet d’appréhender le produit autrement. La naissance d’une nouvelle recette qui va marquer les esprits, qui va devenir un plat signature, durable dans le temps, est hautement gratifiante, jouissive même. »
Pour l’heure, laissons-nous choyer. Face à nous, au cœur du comptoir central, deux jeunes commis subliment les assiettes, le geste est méticuleux, la pince à dresser l’allié. Nicolas Simon, sommelier et directeur de salle, vient nous saluer. Le verbe est éloquent. Comme nous ne souhaitons pas l’accord mets/vins, il nous propose une élégante Syrah d’Ogier, « elle est signée Stéphane, le fils de Michel Ogier, icône de la nouvelle génération montante des vignerons en Vallée du Rhône »… A chacun, sa partition. Du coin de l’œil, Christophe joue son rôle de chef d’orchestre, discret et vigilant à la fois. « Au sein de Menssa, j’aime l’idée que chacun puisse se réali-ser même si, in fine, c’est moi qui valide chaque nouvelle proposition. »
Cornet épicé au curry, tartare de veau pimenté, émulsion à la moelle de boeuf, tempura de câpre de sureau. Cette mise en bouche est une oeuvre d’art, la rétine jubile, le palais frétille. Tartare d’encornet à l’huile citron, savarin léger de topinambour, toum libanais, extraction de chou-fleur, on reconnaît ce plat signature qui met tous les sens en émoi. L’aventure intuitive se poursuit avec un affolant marbré d’anguille au tabac de romarin, rémoulade de légumes racines au dashi de rhum, une combinaison subtile de saveurs où chaque ingrédient est valorisé. Coup de cœur coup de saveurs avec le chawanmushi (un flanc japonais) de céleri boule en vinaigrette de lentilles vertes… Le chef pâtissier est disponible, il faut absolument que nous le félicitions pour son inoubliable tarte-lette de pain caramélisée, pain d’épices maison, crème de coing, segment de clémentine, glace de gingembre vanillée. « Je suis partisan d’une proximité entre mes chefs de cuisine et les clients. Je les ai préparés à parler de leur travail et à exprimer leurs émotions. »
Chez Menssa, laboratoire culinaire instinctif, joyeusement délivré de toutes les injonctions du monde gastronomique, tous les coups extrêmement techniques et tous les goûts sont permis. « Mon métier sert aussi à bousculer les codes », nous avoue Christophe. Chapeau.
YVES JADOT - Du rêve américain au succès bruxellois
YVES JADOT
Du rêve américain au succès bruxellois
Mots : Servane Calmant
Photos : Anthonin Weber
Le rêve américain, il l’a vécu. L’entrepreneur belge Yves Jadot a exploité une flopée de restos à Manhattan où il est toujours propriétaire de plusieurs bars hype. Pour autant, il n’a pas oublié Bruxelles. Avec son associé Nicolas Vignals, maître mixologiste, il vient en effet d’y ouvrir Confessions, un élégant bar à cocktails et canapés gourmands. Rencontre avec Yves, un soir de novembre pluvieux, un « Generosity » (gin/safran/cannelle) réconfortant, à portée de lèvres.
A 18 ans, 100 dollars et de la niaque à revendre en poche, notre compatriote Yves Jadot saisit la promesse d’un job à La Crémaillère, un restaurant étoilé français à Bedford, dans l’Etat de New York. Pendant deux ans, il va se faire la main, comme on dit. 20 ans, l’âge de tous les défis. Yves monte à Manhattan où il gravit tous les échelons de l’horeca : serveur, bartender, manager, general manager même, de plusieurs restaurants et bars. Ça roule pour Yves ! Courage, détermination, prospérité, il vit pleinement le rêve américain. Qui lui laisse cependant peu de temps pour avoir une véritable vie privée. Or Yves tombe amoureux, se marie, fonde une famille. « Cette nouvelle étape dans ma vie était difficilement conciliable avec un travail de nuit », nous avoue-t-il. Alors Yves décide de se lancer à son propre compte. Il ouvre Petite Abeille, un restaurant belge à New York, qu’il essaime, il en gèrera quatre sur Manhattan. Suivront un restaurant mexicain, deux anglais, un vegan, et même une maison du croque-monsieur… Yves, entrepreneur visionnaire, a de (bonnes) idées à revendre. Quand on lui demande quel trait de caractère principal il faut pour survivre à New York, il réplique : « la polyvalence ». Et pour devenir un winner à NY ? « Ne pas voir peur de se retrousser les manches, ne pas craindre de ne rien gagner les premières années de labeur, travailler 7 jours/semaine, établir un business plan solide, se doter d’un bon réseau professionnel… ». Le message est clair : devenir un winner se mérite ! Yves Jadot, a-t-il croisé des stars dans ses bars ? « A l’époque de Titanic, Leonardo DiCaprio s’est installé à la table de « Petite Abeille » et il s’y est fait photographier. Quelle pub ! J’ai également rencontré pas mal de vedettes et politiques belges, qui étaient désireux de découvrir mes bars à cocktails. ». Comme chantait Frank Sinatra : « I want to be a part of it… New York, New York ». Rien n’a (vraiment) changé.
2020, la pandémie s’étend au monde entier. « Mon groupe comptait plus de 350 employés et 11 établissements performants. Mais les baux à New York ont une durée de 10 ans ; en fin de bail, un loyer peut bondir de 3000 dollars à 13 000. Il faut avoir les reins solides pour se développer à NY ! J’ai préféré me concentrer sur les bars à cocktails haut de gamme. »
Aujourd’hui, Yves Jadot est toujours propriétaire de quatre bars à cocktails new-yorkais (notamment Raines Law Room dans le quartier huppé de Chelsea et Dear Irving, du côté de Gramercy, tout aussi chic), il a décidé d’en lancer un 5e (ouverture en mars 2024) et il vient de miser sur un projet d’ecoresort à 1h30 de Manhattan. Des projets plein la tête mais les pieds bien sur terre, il nous confie : « Gérer un bar est nettement plus facile qu’un resto, et la marge bénéficiaire plus importante ». Il rit.
Et à Bruxelles ?
Pour l’heure, on fait la rencontre d’Yves Jadot dans son nouveau bar à cocktails, Confessions, situé à Ixelles, rue du Bailli, en face de l’Eglise de la Sante-Trinité.
Yves, pourquoi, diable, ouvrir un bar à Bruxelles quand on habite New York ? « Pendant la Covid, j’ai trouvé le temps long. Bruxelles où je retournais deux fois l’an, me manquait. Alors, j’ai cogité longuement : ouvrir un bar à cocktails m’a semblé une bonne idée pour y revenir plus souvent. (rire). La visite d’un espace libre à Ixelles, à deux pas de la place du Châtelain, dans un quartier multiculturel et aisé, a balayé mes dernières hésitations. A tout vous avouer : je compte bien en ouvrir un deuxième dans un avenir proche, avec mon associé ».
De fait, si derrière Confessions, on retrouve l’esprit visionnaire d’Yves Jadot, le savoir-faire de son associé dans cette nouvelle aventure, Nicolas Vignals, un maître mixologiste que tous les amateurs bruxellois de cocktails signatures connaissent bien, confère à l’adresse toute sa particularité et son caractère. C’est que Nicolas a déjà séduit les amateurs de cocktails dans de belles maisons : Arthur Orlans, le temple du gin à Bruxelles (auréolé par Gault&Millau d’un «Best cocktail bar of the Year 2022 »), et La Villa Lorraine, table étoilée où il officiait comme barman en chef. C’est d’ailleurs à la Villa que Nicolas a rencontré Basil Huvelle, alors chef de partie de l’institution étoilée.
Car c’est là toute l’originalité du concept de Confessions : mixer cocktails (8 créations et 20 classiques), bouchées gastronomiques délicieusement raffinées (brioche coppa bonite séchée sauce miso, sando au tartare de bœuf condiment à l’ail noir, on a tout apprécié !), atmosphère singulière (Anno Defeche pour le design d’intérieur et Adeline, la fille d’Yves, une jeune artiste émergente, qui signe ici des fresques murales) et musique (Jabeau, le fils de Yves, compositeur, a imaginé une expérience unique en associant musique et cocktails via des écouteurs audio mis à la disposition du client, soit une variation des accords mets-vins qui devient cocktails-mets-musique). « Servane, vous serez étonnée de voir à quel point les sons, la musique, peuvent éveiller des sensations gustatives », s’emballe Yves Jadot.
On l’aura compris, Confessions se profile comme un bar à cocktails bruxellois à la signature affirmée, d’autant que Yves Jadot a appelé 10 investisseurs belges issus de tous les milieux (sportifs, showbiz, horeca) pour soutenir son projet et attirer des happy few sur ses canapés soyeux. « C’est une formule que j’ai expertisée à New York. Mais je préfère que le client vienne pour l’excellence du lieu, que pour voir et être vu ! »