Le Chalet de la Forêt (**) de Pascal Devalkeneer
25 ans d’un projet de vie
Mots : Servane Calmant
Photos : DR
Pascal Devalkeneer inaugurait le Chalet de la Forêt en 1999. Un quart de siècle plus tard, ce charmant passeur d’émotions n’a jamais dérivé de l’ADN de sa Maison : le goût de l’aliment comme source de plaisir. Pourtant, en 25 ans, il s’en est passé des choses ! Retour sur les étapes qui ont marqué la vie du chef doublement étoilé.
Chef, vous souvenez-vous du premier jour d’ouverture du Chalet de la Forêt ? Oh oui, c’était en 1999, un 2 décembre, le jour de mon anniversaire ! Mon souhait était d’ouvrir le Chalet de la Forêt pour le réveillon de l’an 2000, mais quand j’ai vu que les travaux de rénovation avançaient vite, j’ai convaincu tous les corps de métier d’être prêts pour cette date.
Dans quel était d’esprit étiez-vous ? Très très ému. Avant l’ouverture, j’ai passé mes journées derrière les fourneaux afin que la mise en place soit nickel le jour J. J’ai donc découvert la salle à 19h, quelques minutes avant l’ouverture officielle. Que d’émotions ! D’autant que je savais déjà à l’époque que le projet du Chalet de la Forêt allait m’accompagner pendant des années. Les deux premiers soirs, j’ai invité toutes les personnes qui m’avaient aidé, des amis, les fidèles du Bistro du Mail, l’entrepreneur, les responsables des chantiers …
Ce 2 décembre 1999, quel était le plat principal ? Une volaille rôtie, sauce foie gras, avec des chicons sautés aux noisettes. A l’époque, nous étions 3 en cuisine; aujourd’hui, entre 12 et 14, et nous faisons moins de couverts.
Qu’est-ce qui a changé ? Tout. On a modifié la disposition des tables et volontairement réduit le nombre de couverts afin d’être à la hauteur de nos 2 étoiles.
Avez-vous pris rapidement votre envol ? Non. Avant le Chalet de la Forêt, j’avais ouvert avec mon associé, Didier Plasch, le Bistro du Mail. En salle, les clients sympathisaient avec Didier qui avait un réseau incroyable. Moi, j’étais en cuisine et personne ne me connaissait. Quand j’ai ouvert le Chalet de la Forêt, j’étais donc un parfait inconnu et le Michelin m’a véritablement boudé. Les premières années n’ont pas été faciles.
2008, première étoile Michelin. Où et avec qui avez-vous fait la fête ce soir-là ? Au Chalet de la Forêt évidemment. Champagne ! J’ai invité mes anciens cuisiniers à venir me rejoindre. Chaque année, je perdais les meilleurs éléments, ceux que j’avais formés, car ils préféraient faire carrière dans des étoilés. J’ai passé huit ans à former des cuisiniers, huit ans à espérer l’étoile, huit ans à ressentir la même déception. Puis, 2008, la récompense Michelin, la consécration et, pour nous tous, en cuisine et en salle, une véritable libération.
2012, deuxième étoile Michelin. Qu’avez-vous ressenti ? Cette deuxième étoile est arrivée plus rapidement que la première. Pour la petite anecdote : en 2011, les inspecteurs du Michelin ont commandé un risotto aux courgettes et ils m’ont dit : « c’est merveilleux, mais on ne peut pas octroyer 2 étoiles à un risotto… ». Ils sont revenus en 2012 (mais je ne les ai pas vus) et m’ont octroyé une 2e étoile, une formidable surprise !
Quels conseils continuez-vous à dispenser au quotidien à vos seconds et chefs de partie ? Je n’ai plus de sous-chef. Je travaille en direct avec mes chefs de partie. Je demande à chacun d’être exigeant, rigoureux, curieux, cultivé, de conscientiser chaque acte, chaque geste et surtout, de préserver l’identité, l’ADN, de l’établissement. Ne jamais copier.
Quelles sont les limites de l’inventivité culinaire ? Aucune. Mais chaque plat doit raconter une histoire, avoir un ancrage, un souvenir d’enfance, un voyage, une rencontre… Chaque mets doit exprimer quelque chose et véhiculer des émotions. Associer une pomme pour l’acidité, un espuma pour le côté aérien et une tuile pour le croquant, ne suffit pas à me convaincre ! La créativité naît du travail, de beaucoup de travail, c’est la base, et d’une enrichissante curiosité. Sans cesse, il faut se cultiver.
En 25 ans, l’identité de la cuisine de Pascal Devalkeneer a-t-elle évolué ? Oui, mais je ne me sens pas obligé de réinventer la roue ! Ce qui fonctionne, je le conserve. Je m’amuse évidemment à expérimenter de nouveaux ingrédients et de nouvelles techniques, notamment japonaises, mais, à l’instar de la mode et de la musique, la cuisine est faite de cycles qui se répètent encore et encore.
Après un quart de siècle à la tête du Chalet de la Forêt, quel regard portez-vous sur l’évolution du secteur de la restauration ? Le monde a changé et avec lui, la restauration. La Covid a modifié le rapport au travail. J’ai été formé il y a 38 ans « à la dure », ce ne serait plus possible aujourd’hui. En revanche, la gastronomie impliquera toujours du travail, beaucoup de travail et encore du travail !
Que dirait Pascal Devalkeneer aujourd’hui au jeune chef qu’il a été hier ? Quand je fais ma propre introspection, je note que j’ai vraiment beaucoup travaillé. Et parallèlement, je sais aussi que je n’ai pas encore bossé assez ! J’aurais pu aller plus loin, faire plus de recherches.
Il reste 25 ans devant… (rires) Non ! Dans 25 ans, je ne serai plus au Chalet de la Forêt même si j’adore mon métier. C’est ma passion. Mais j’ai d’autres envies, de voyages notamment…
Où serez-vous dans 25 ans ? Je suis incapable de me projeter aussi loin.
Avez-vous des regrets ? A force de rester derrière les fourneaux, je n’ai pas passé assez de temps avec les producteurs, les éleveurs, les maraîchers, les mareyeurs… Je ne connais pas suffisamment leur travail.
Comment vont vos 80 000 abeilles ? Elles attendent, comme moi, le soleil.
Le mot de la fin ? La gastronomie a tendance à viser une perfection, par peur de décevoir le client, qui peut parfois être ennuyeuse. J’essaye à travers une cuisine intuitive et sensible, et donc pas toujours parfaite, d’éviter ce piège.
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