Dominique Eeman - Créatif par nature
Dominique Eeman
Créatif par nature
Mots : Barbara Wesoly
Photos : Stefano Arcari
Dominique Eeman travaille le vivant comme une sculpture, y apposant ses lignes et sa signature tout en en embrassant la matière. Dans ses jardins suspendus, maritimes ou avant-gardistes, il cultive avec ingéniosité et beauté sa passion de l’organique. Portrait d’un botaniste dans l’âme qui s’accomplit hors des sentiers battus.
Vous définissez vos réalisations comme une quête de symbiose entre habitation et jardin. Comment parvenir à celle-ci selon vous ? En comprenant pleinement le lieu et les éléments qui le composent : son architecture, les bâtiments présents, ainsi que la nature environnante. Mon premier acte est de parcourir les environs pour découvrir les végétaux qui y poussent, la typologie et les spécificités du sol. Œuvrer avec de la matière organique demande de s’adapter à elle et d’accepter de suivre son rythme et ses impératifs. Il est également crucial de connaître ceux qui vont habiter ce lieu. Un jardin doit être comme le prolongement d’un lieu de vie, un espace où l’on mange, savoure et reçoit des amis, où l’on doit se sentir bien. Les plus beaux projets sont ceux en adéquation avec leur propriétaire et ses souhaits. Il faut que cette volonté intérieure infuse vers l’extérieur, créant une véritable symbiose, une unité.
Au-delà de ces premiers critères, abordez-vous chaque lieu comme une étendue vierge prête à être remodelée ? Pas totalement vierge, non, mais résolument nouvelle. Je jette d’ailleurs toujours la première esquisse d’un jardin, car elle sera forcément la plus évidente. Je m’impose d’imaginer plus loin, de concevoir au-delà. Souvent, il s’agit également d’un mariage d’impulsions, surtout lors de missions pour des connaisseurs ou à partir de demandes très spécifiques. Par exemple, pour un projet mené en parallèle avec les architectes Paul Robbrecht et Bruno Moinard, ils avaient conçu une maison blanche monochrome et le jardin devait rehausser l’ensemble d’une touche colorée. Je devais perpétuer leur vision tout en y apposant la mienne.
Enfant, votre fascination pour la nature, vous est venue de la mer du Nord, à proximité de laquelle vous viviez une grande partie de l’année. Comment l’eau vous a-t-elle menée à l’architecture paysagiste ? J’ai toujours ressenti une proximité, un lien avec la nature. Nous habitions à la côte et voyagions beaucoup. J’ai commencé très tôt à dessiner et je rêvais d’un métier qui me permettrait de voir le monde. Ces trois passions m’ont conduit à cette voie. Lors de mes études, j’ai dû réaliser un stage à l’étranger. J’ai choisi le Midi de la France et j’ai été fasciné par la végétation méditerranéenne. Cela a directement éveillé en moi l’envie de me spécialiser dans les jardins côtiers, qui représentent aujourd’hui 90 % de mon travail.
Jardin sur les toits, de sculptures et même jardin maritime : vous osez l’inattendu et le tout terrain. Mais quel type de jardin a votre préférence personnelle ? Je peux me sentir aussi bien dans un endroit sauvage que dans un cadre très travaillé aux formes sculpturales. Mon propre jardin est plutôt singulier. J’habite en plein polder, à côté d’une réserve naturelle. C’est un grand terrain que je fais évoluer progressivement tout en respectant son origine agricole, ainsi que le réchauffement climatique et les changements qui l’accompagnent. Cela nous oblige à évoluer en conscience et à accepter une part d’aléatoire.
Qu’est-ce qui, après plus de 30 ans d’activité, vous fait toujours vibrer dans votre métier ? La création me porte toujours. Je continue d’esquisser mes plans sur papier, au crayon. C’est une des phases les plus enrichissantes d’un projet à mes yeux. La seconde est l’aménagement réel, lorsque les plantes arrivent sur place. Je tiens à les disposer moi-même. Dans la majorité des jardins que j’ai conçus, j’ai tenu en main chaque plante vivace ou d’ornement. J’ai besoin de ressentir l’atmosphère qui se dégage de l’endroit et de recomposer mon puzzle sans plus tenir compte des configurations prévues. Les végétaux ne sont pas des meubles aux proportions exactes. Chacun est différent, unique, et évolue singulièrement, ce qui fait leur magie. Cette réinvention constante est ce qui rend la sculpture du vivant si fascinante.
Le ballet des lumières de Nico de Nys
Le ballet des lumières de Nico de Nys
Mots : BARBARA WESOLy
Photos : DR
Un rayon du soleil qui transparaît à travers les branches d’un arbre, des lueurs jouant sur les vagues ou la lente danse des nuages. Les œuvres de Nico de Nys défient l’éphémère et domptent le mouvement de ces instants fugitifs. Elles nous offrent de contempler indéfiniment ces heures dorées.
Ni peintures, ni vidéos, vos créations baptisées « Moments » se transforment et bougent sur une toile pour-tant immobile. Que sont-elles exactement ? Une forme d’œuvre vivante, de mélodie visuelle obtenue par une succession de photos qui capturent l’essence lumineuse d’un moment. Comme la caresse des ombres sur un mur en crépi ou les ondulations d’une piscine. Ce projet m’est venu alors que j’étais alité à cause du Covid, contemplant les reflets scintillants sur le plafond de ma chambre. Je rêvais de créer une œuvre capable de les représenter. Mais la lumière est fugace et changeante, il n’était pas question pour moi de la figer. Je voulais capturer sa trajectoire.
Ce résultat saisissant, proche d’une danse flamboyante, est rendu possible grâce à une technique d’entrelacement d’images. Comment fonctionne-t-elle ? En réfléchissant à la manière de matérialiser cette idée, je me suis souvenu d’un principe utilisé au début des années 2000 : l’impression lenticulaire, qui permettait d’obtenir un effet de relief 3D. À l’époque, cette technique était peu aboutie, mais elle a depuis évolué, permettant aujourd’hui de créer des séquences de 2 à 21 images en les entrelaçant pour obtenir un véritable mouvement. C’est devenu le cœur de mon projet artistique. Ces clichés, pris à la suite, forment une boucle temporelle, donnant l’illusion de contempler une vidéo ou un écran.
Pourquoi la lumière vous fascine-t-elle ? Je suis très sensible à la lumière depuis toujours. Elle m’apaise et j’y perçois une forme de poésie. Lors de mes études d’architecture d’intérieur à Saint-Luc, j’ai rapidement remarqué que l’éclairage d’un lieu était central pour moi. Je pouvais passer des heures à observer les ombres et les lueurs en mouvement. Je voulais permettre à chacun de ressentir les émotions qu’elles me procurent. C’est ainsi que j’ai créé mon tout premier tableau, “Light Blinds”, un suivi des stores lumineux qui apparaissaient de 6 heures à 10 heures du matin sur les murs de mes bureaux à Waterloo à l’époque. Ensuite, mon second tableau était “Sparkling Waves”, capturé à Marbella. Ce tableau représente un mouvement beaucoup plus rapide, rappelant les scintillements de la mer à l’heure de l’apéro durant les vacances.
Vous avez d’ailleurs aussi cofondé Ponctuel, une marque de montres, avec votre frère Robin. Une trajectoire qui tient de l’héritage puisque votre famille a bâti Pontiac Tic-Tac dans les années 30, avant que votre père ne crée ses propres marques. Et vous avez également lancé une griffe de t-shirts baptisée 22h:22. Une ligne du temps relie donc tous vos projets. Oui, en effet, même si c’est de manière totalement inconsciente. Je me suis toujours interrogé sur le temps. J’ai un rapport assez ambivalent avec lui. Je suis bien plus en paix avec la mort qu’avec la naissance, même si je ne me l’explique pas. Par ailleurs, il est très important pour moi de laisser une trace, d’avoir un impact. L’art m’apporte ce sentiment d’alignement avec moi-même, j’y puise une paix intérieure.
L’été dernier, vous exposiez à l’Art Unity Gallery de Knokke et ce 2 juin vous étiez présent à La Terrasse O2 à Bruxelles. D’autres rendez-vous sont-ils déjà prévus ? Mon objectif principal actuellement est de continuer cette expérimentation lumineuse et d’y intégrer de nouvelles approches. Je viens de dévoiler deux œuvres imprégnées de l’atmosphère de Marrakech, « Majorblue » et « Marracotta », qui seront suivies par un triptyque ainsi qu’un tableau scindé en deux sur la French Riviera, où apparaîtront des mots en filigrane, toujours par entrelacement d’images. Je lancerai également une collection inspirée de Berlin, suivie de New York, et je partirai prochainement capturer la lumière du Brésil.
L’aventure Jam à Lisbonne
L’aventure Jam à Lisbonne
Mots : Olivia Roks
Photos : Mireille Roobaert et Philippe Boutefeu
Un ancien bâtiment, tel un navire navire abandonné sur les rives du Tage face aux docks, renaît de ses cendres pour devenir le Jam Lisbonne. Cet hôtel passif industriel, coloré et hautement créatif, propose des chambres idéales pour les séjours entre amis ou en famille, un rooftop avec piscine ainsi qu’un restaurant exceptionnel. Le tout dans une optique abordable et fun. Après Bruxelles, retour sur l’aventure Jam à Lisbonne avec Lionel Jadot, l’architecte d’intérieur des lieux.
Aujourd’hui, honneur au Jam et à son concept ! Rappelez-nous les prémices. Le Jam est tout d’abord arrivé à Bruxelles. L’aventure débute en octobre 2014. Jean-Michel André me contacte pour un projet. Je visite le bâtiment situé chaussée de Charleroi, complètement vide, et il me demande de lui faire un projet pour le restaurant (les chambres étaient imaginées par Olivia Gustot). Il me donne un moodboard que son équipe a préparé. Je ne l’ai pas suivi… et on a inventé un nouveau concept basé sur le constructivisme et le travail de Kurt Schwitters afin d’imaginer en quelque sorte un collage abstrait.
A quoi ressemblait votre moodboard ? Comment décririez-vous ce premier Jam ? Le moodboard, axé vintage et mobilier de récupération, leur a plu. On a dessiné dans cet esprit le lobby d’entrée, la réception, le bar, le restaurant et le bar rooftop. Une aventure incroyable ! Avec Sophie Coucke, nous avons trouvé le nom de l’hôtel : le JAM. Nous avons pensé à « jam session » qui reflète un lieu d’échange mais aussi à « traffic jam » pour la touche plus urbaine.
Quelle est la ligne directrice, le fil conducteur de la ligne d’hôtels Jam en termes de concept mais aussi de décoration ? Après ce premier JAM, le groupe Nelson a pris les commandes et nous avons participé au JAM Lisbonne. Ce groupe, dirigé par Jean-Paul Putz, initie un chemin « green » pour leurs hôtels. Leur but ? Construire pour durer. A Lisbonne, nous avons poussé le concept encore plus loin en collaboration avec le bureau d’architecture A2M pour un projet le plus durable possible.
C’est-à-dire ? Comment ça s’est passé à Lisbonne ? L’aventure de Lisbonne a été longue car l’administration est lourde. Mais le voyage a été beau, agrémenté d’étonnantes rencontres comme mon ami designer Mircea Anghel. En ce qui concerne la décoration d’intérieure, l’accent a été mis sur des collaborations avec des designers locaux que nous avons curatés, ainsi que sur de nombreux matériaux de récupération issus de la région. En parallèle, nous avons eu une vraie réflexion sur l’aspect démontable de ce que l’on installait. Nous nous projetons dans une vie future où le bâtiment pourrait être transformé en autre chose. Par exemple, pour les lits, nous avons récupéré des troncs d’arbres venant d’une forêt incendiée près de Lisbonne. Chacune de ces poutres en bois peut être réutilisée comme élément dans une construction future. Pour le sol, les tablettes de lavabo et les étagères, nous avons réutilisé énormément de chutes de marbre provenant des carrières locales. C’est ça le projet Jam : un ancrage contemporain, artistique, durable et honnête, une créativité débordante et un projet qui offre une expérience client généreuse pour un hôtel 3 étoiles.
Qu’est-ce que vous préférez ou adorez particulièrement dans cet hôtel ? Sa liberté créative où rien ne semble avoir été fait en même temps. Nous avons conjugué les talents, par exemple en collaborant avec Openstructures pour tous les luminaires, qui envisagent chaque projet dans l’idée de sa seconde ou même troisième vie. Chaque élément peut ou pourra servir à constituer une partie de meuble ou de luminaire. Je retiens aussi l’ensemble de talents incroyables que nous avons alignés : Mircea Anghel, Openstructures, Grond Studio, Emmanuel Babled, Ivan Daniel Cova, Pierre Emmanuel Vandeputte, Rikkert Pauw, Mon Colonel Spit…
Peut-on dire que c’est un projet encore plus abouti que le Jam Bruxelles ? Oui, certainement. Le projet et la vision s’affinent. J’applique maintenant à tous mes projets le concept de « realistic circle » : des collaborations locales sans intermédiaires, sans ingérences financières ni créatives, avec un vent de liberté et d’inspiration très fort.
Tout autre type de créativité, j’ai adoré Mojjo, le restaurant au rez-de-chaussée de l’hôtel, vous aussi ? Oui, il est impossible de ne pas se laisser surprendre par le restaurant MOJJO. Un restaurant de cuisine fusion qui réunit des saveurs du Portugal, de l’Asie, de l’Afrique et de l’Amérique du Sud. Le chef Mauro Airosa, 24 ans, fait son chemin dans le monde de la restauration depuis qu’il a participé à l’émission Masterchef. Les plats sont incroyables, avec des touches équilibrées, gourmandes et croquantes à la fois.
Peut-on s’attendre à l’arrivée d’autres Jam ? Oui, l’année prochaine, le Jam Gand s’inscrira dans la même veine, joyeux et responsable ! Un chantier dans les anciennes casernes Léopold, un lieu historique et incroyable.
Un rêve pour le projet Jam ? En réali-ser plus, bien sûr, et surtout affiner cet esprit abordable et didactique, honnête et frais, et partager cette créativité pour continuer à surprendre et à faire plaisir.
Paradis Apartment ou l’art de l’hospitalité
Paradis Apartment ou l’art de l’hospitalité
Mots : Barbara Wesoly
Photos : Frederik Vercruysse
Hasard aux airs de rendez-vous, c’est à deux pas des « Rock Strangers » d’Arne Quinze que Paradis Apartment a pris ses quartiers sur le littoral ostendais. Dans ce pied-à-terre superbement hybride, projet du couple Albane Paret et Micha Pycke, on se laisse bercer par la synergie de l’art, du design et du voyage, comme par le panorama plongeant sur les vagues de la mer du Nord.
Du mobilier aux assiettes, chaque élément présent au sein de Paradis Apartment raconte l’amour du beau, grâce à des œuvres uniques et des pièces en édition limitée. Comment les choisissez-vous ? Micha : Albane et moi sommes férus d’art, d’architecture et de design. Cela nous a conduits à fonder il y a sept ans, Club Paradis, une agence de communication mariant ces différentes passions à celle de l’hospitalité. Nous travaillons quotidiennement avec des artistes et des designers qui nous inspirent. Certains d’entre eux, comme Thomas Caron, fondateur de Artlead, nous ont spontanément proposé d’emprunter des œuvres pour habiller les murs de notre appartement ostendais.
Albane : Et ainsi, lorsqu’est née l’idée de Paradis Apartment, en tant que lieu de séjour dédié à l’art et ouvert au public, nous avons préparé une « wishlist » des pièces que nous rêvions d’y placer et le projet a suscité l’enthousiasme des créateurs. C’est pour eux une occasion inédite de présenter leur travail sous une forme vivante et habitée, hors des sentiers battus.
En créant ce concept original et inspirant, qui imaginiez-vous y séjourner ? Micha : Initialement, il n’était destiné qu’à nous. Albane est née à Ostende et c’est une ville dont nous adorons l’énergie. En achetant l’appartement l’été dernier, nous rêvions d’un lieu au littoral, où résider avec nos enfants et donnant sur la mer. Ce panorama exceptionnel, depuis le 8ème étage, a été l’une des raisons premières de notre coup de cœur.
Albane : Et puis progressivement nous est venue une envie de partage, autour de notre vision de l’esthétique et dans le cadre du voyage. Nous ne sommes pas une salle d’exposition, pas plus qu’une galerie. On ne vient pas visiter Paradis Apartment, mais y déposer ses valises, le temps d’un séjour de vacances, d’un évènement professionnel ou d’un shooting photo, pour y vivre une expérience inspirante. C’est le concept même de ce que nous appelons un « Curated Apartment ».
Quels ont été les aménagements nécessaires ? Albane : Lorsque nous avons acheté cet appartement, dans un immeuble des années 60, il présentait un style assez désuet mais nous tenions à en conserver certains aspects, notamment la cheminée en marbre et le parquet en chêne et puis bien sûr la rotonde et sa merveilleuse vue. En y ajoutant des touches personnelles et contemporaines, notamment une salle de bain rappelant celles des hôtels parisiens.
Micha : Nous voulions aussi ouvrir la cuisine et lui donner une identité forte. C’est Atelier Ternier qui en a conçu le meuble mural ondulant, en bois vernis, qui contraste à merveille avec un plan de travail ultramoderne en acier inoxydable.
Tous les objets et meubles présents au sein de l’appartement sont disponibles à la vente. S’agissait-il d’une façon de prolonger l’expérience ? Micha : Cela participe directement à notre souhait d’offrir à ces œuvres toute la lumière qu’elles méritent. Qu’elles aient été conçues par de grands noms comme Muller Van Severen ou soient issues de belles découvertes tel Coseincorso. Les objets et meubles seront aussi destinés à évoluer dans le futur. L’occasion de repérer de nouveaux designers et artistes, hors de notre réseau.
Quel sentiment espérez-vous inspirer à ceux qui en franchissent les portes de Paradis Apartment ? Albane : « Qu’ils soient subjugués par la vue magnétique et ressentent un véritable ailleurs. Nous avons conçu un espace où l’on peut vivre, sans pour autant qu’il ait le côté fonctionnel d’une habitation à long terme. A contrario d’un principe de « home away from home ». C’est toute la beauté du dépaysement.
Nathalie Van der Massen - éloge de la matière
Nathalie Van der Massen
Eloge de la matière
Mots : Barbara Wesoly
Photos : DR
Sous les doigts et la vision poétique de Nathalie Van der Massen, les étoffes s’incarnent en des dimensions toutes à la fois spatiales, lumineuses et acoustiques. Consacrée en janvier 2024 d’un prestigieux Henry van de Velde Young Talent Gold Award, elle inscrit ses œuvres sur le fil délicat du design textile et de l’architecture d’intérieur.
Vos créations sont multiples, exploi-tant les matériaux dans leur aspect le plus concret, presque tactile et en parallèle intangibles, imprégnées par les sensations comme les émotions. Où puisent-elles leurs origines ? J’ai toujours ressenti une grande curiosité envers les arts graphiques mais ma vision créative a éclos d’elle-même, une fois adulte, tandis que je découvrais en même temps mon identité profonde. C’est un processus finalement très organique, instinctif, qui m’a mené vers cette voie. Le besoin de toucher, de ressentir de mes mains cette connexion avec la matière. Cette sensation si gratifiante de voir son idée prendre forme concrète. C’était comme s’ouvrir à un nouveau monde.
Votre master en design graphique vous a alors conduit à collaborer avec le TextielMuseum de Tilburg et plus tard avec Christian Wijnants. Qu’avez-vous retiré de ces expériences ? Elles ont représenté un apprentissage exceptionnel. Le TextielMuseum m’a permis de découvrir ma fascination profonde pour les tissus et d’approfondir celle-ci par l’expérimentation et le développement. Mais je ne savais pas encore si je souhaitais m’orienter vers la mode ou le design. Ce stage avec Christian Wijnants comme ensuite l’invitation à réaliser des recherches à l’Institut flamand d’architecture m’ont amené vers une dimension plus large, celle du processus de travail. Et ainsi à percevoir mon besoin d’une création lente, rythmée par l’exploration et la réalisation manuelle. En cela l’architecture me correspond parfaitement.
La matière est-elle toujours à la base de vos œuvres ? Tout est une question d’équilibre entre matériau et contexte. Que le projet soit pour un client, en vue d’habiller un espace public ou pour une exposition, je m’interroge sur son sens profond comme sur la manière de l’élever, de l’amener à prendre forme en profondeur. C’est un dialogue permanent avec moi-même comme avec son commanditaire. Je commence le travail sans application, technique ou matériau définitif. L’œuvre naît d’une recherche constante et passionnante.
Qu’est-ce qui vous fascine dans le textile ? Sa complexité. A mes yeux il s’agit presque d’une architecture à une échelle macro voire microscopique. Les possibilités inhérentes aux textures et aux structures sont si vastes, sans parler des matières haut de gamme ou high-tech. Je suis tout autant fascinée par les fibres végétales, comme les herbes, le lin, qu’animales comme la laine, le cachemire et la soie, que par les innovations synthétiques axées sur le recyclage et même par le métal. Ils amènent des sensations différentes, des sentiments autres aussi. Et il est passionnant de constater à quel point leur choix et leur emploi peuvent affecter les émotions humaines, le ressenti d’un environnement. Cela rejoint aussi bien ma tendance à aller vers la résolution de problème avec ma pratique, que mon besoin artistique. J’aime tout particulièrement les matériaux ayant un côté farouche et leur propre caractère. C’est le cas du papier par exemple, très robuste et en même temps très délicat à travailler, cassant facilement et sensibilisé à la température, à l’atmosphère, à l’humidité. Ses réactions s’intègrent directement dans la logique même de création.
Est-il important qu’un objet ait également une dimension fonctionnelle ? C’est toujours une valeur ajoutée mais si c’est le cas, il doit l’être à 100%. Même s’il peut être tout aussi essentiel en demeurant juste beau ou expressif. Tout est encore une fois question de but et de finalité. Comme d’utiliser des techniques industrielles ou artisanales d’ailleurs ou de sélectionner un tissu en particulier. Et il est nécessaire de respecter les limites d’un matériau. Pour la perfectionniste que je suis, devoir parfois accepter que certains éléments soient voués à demeurer uniquement du domaine de l’expérimentation, cause une certaine frustration.
Vous expliquiez voir votre travail comme un hommage au patrimoine belge du savoir-faire textile. Quels en sont les procédés ou les artisans qui vous inspirent particulièrement ? Je suis très touchée par les tapisseries médiévales et cette technique comme cet amour du tissu présent depuis de si nombreux siècles. C’est une part intrinsèque de notre histoire belge, presque présente dans nos gènes. J’apprécie également de découvrir les tisserands qui travaillent encore dans nos régions. La Belgique possède une identité à part, comme une forme d’écriture culturelle distincte.
Qu’en est-il de vos projets pour les mois à venir ? En avril, je présenterai une toute nouvelle collection à Milan, sous forme de triptyque, dont chaque partie comprendra des concepts textiles différents. Je prépare également une exposition, des projets avec des architectes, ainsi qu’une collaboration mode et artistique avec La Collection. Nous sommes presque voisins à Anvers et possédons une énergie et une vision commune. Certaines de mes pièces se retrouveront dans leur concept store et nous développons également un vêtement mêlant nos univers, qui sortira en avril en édition limitée.
Renaissance de Jules Wabbes
Renaissance de Jules Wabbes
Mots : Olivia Roks
Photos : DR
Designer belge à l’aura internationale, Jules Wabbes meurt prématurément à 54 ans. Pour les 50 ans de sa disparition, un sublime objet renaît de ses cendres : la lampe M57. Un nouveau luminaire dont le prototype avait disparu. Retour, avec sa fille Marie Wabbes, sur le parcours, le style et l’héritage du créateur.
Qui êtes-vous Marie Wabbes ? Je suis une des filles de Jules Wabbes. J’ai fait des études d’archéologie et d’histoire de l’art qui m’ont amené peu à peu à me plonger dans les archives de mon père, mort quand j’avais dix ans. J’ai eu la chance de pouvoir grandir dans la même maison, celle qu’il avait décorée et où ma mère habite toujours. Je connaissais très bien ses objets et ses meubles mais avec le regard d’un usager. Quand je me suis plongée dans ses archives, j’ai en quelque sorte redécouvert mon père, j’ai mieux compris son travail. J’ai recréé une chronologie parmi ses réalisations en les datant. Aujourd’hui, l’aventure continue à travers Général Décoration.
Avant la création d’objets, votre père, Jules Wabbes, était photographe et antiquaire. Comment expliquer sa transition, son intérêt du design venu peu à peu ? Dans une interview passée, il explique qu’il avait des amis artistes et peintres qui l’ont mis au défi : « toi qui travailles avec des vieilleries, tu devrais être plus contemporain, travailler avec ton époque », du coup ça l’a stimulé. Mais il faisait également de la décoration et il remarquait que chez certains clients, il manquait des objets, du coup il les créait pour eux. Et de la restauration, il est passé à la création de meubles…
Comment définiriez-vous son travail, son univers, ses affinités ? Il a un style à part, il n’a pas été influencé par l’époque des années 50 ou 60. Il a une esthétique intemporelle, puriste, rectiligne, les structures de ses objets sont toujours apparentes. Il a aussi un grand intérêt pour les matières, le bois et le métal particulièrement. Un métal qu’il a exploité dans toutes ses patines. Avec une vision globale de l’aménagement, il lui fallait également des luminaires. La lumière est un point essentiel pour créer une belle atmosphère. C’est l’un des premiers objets qu’il a créé.
Et ces fameux objets qui ont fait sa renommée ? Ce sont ses meubles à lattes primés à la Triennale de Milan en 1957. Il abandonne le placage pour un meuble extrêmement solide en bois massif. Mais à la Triennale, il avait aussi exposé cette fameuse lampe que l’on a refaite. Après cette foire, mon père était reconnu à l’échelle internationale. Ensuite, avec l’après-guerre, ses meubles de bureau ont suscité un grand intérêt. Il a eu aussi divers chantiers, l’un de ses derniers était la Générale de Banque.
L’ensemble de ses pièces se retrouvent sous le nom Géneral Decoration, une société que Jules Wabbes a créée dans le but d’éditer et diffuser ses réalisations. Aujourd’hui, l’entreprise existe toujours, un peu grâce à Vincent et Caroline Colet… Ma mère tenait beaucoup à cette société mais manquait de temps pour s’en occuper. Vincent, un ami d’enfance, ébéniste et antiquaire, s’y connaissait très bien. Il a voulu donner une autre impulsion à son travail et a dit à ma mère qu’il était intéressé de reprendre Général Décoration. On ne pouvait pas espérer mieux que lui ! Ça été un réel casse-tête de retrouver de précieux artisans belges. Ensuite Caroline a rejoint l’aventure et Vincent m’a gentiment laissé des parts de la société.
Pour les 50 ans de la disparition de votre père, la lampe M57 a été éditée, une lampe jamais commercialisée à ce jour et retrouver ses origines n’a pas été simple… Il s’agit d’une lampe créée tout spécialement pour Milan en 1957, d’où son nom. Il a voulu, je pense, un élément spectaculaire, représentatif de son travail. Mon père était grand et la lampe l’est également. Il aimait que l’on n’aperçoive pas la source lumineuse comme c’est le cas ici. Mais apparemment, à l’époque, la lampe avait un problème technique, elle surchauffait, elle n’a donc pas été commercialisée. Aujourd’hui, cette lampe a disparu, on ne l’a jamais retrouvée. On n’avait donc rien pour la reproduire à part quelques photos. La M57 se dévoile en laiton brossé avec des ailettes en laiton nickelé et des ampoules LED qui ne chauffent pas et diffusent une lumière chaude. Elle se met dans deux positions différentes afin de faire bouger les ailettes de manière à diffuser la lumière différemment.
Général Décoration prévoit d’autres nouveautés Jules Wabbes à venir ? Oui, tout n’a pas encore été créé. Il y a le projet de refaire les superbes accessoires de salle de bains mais aussi cette année les canapés.
Quel souvenir gardez-vous de votre père ? Si vous deviez partager une chose qu’il vous a transmise ? Depuis l’enfance, il nous a transmis le respect de l’objet. Enfant, c’était impensable de poser un verre d’eau sur un meuble en bois. On jouait également avec des blocs de bois et nous devions reconnaître de quel bois il s’agissait. Je n’ai pas hérité d’un talent de décoratrice mais je fais automatiquement attention aux choses qui m’entourent, à la lumière, je suis sensible aux ambiances… Il était très exigeant, il nous a sans nul doute aussi transmis son perfectionnisme.
Si vous ne deviez choisir qu’un objet créé par votre père ? Oh la la, c’est compliqué ! J’aime tout… Je dirais la lampe nid d’abeille, j’aime son rapport à la nature et le reflet qu’elle provoque.
www.jules-wabbes.com
Thomas De Bruyne - Créatif grand angle
Thomas De Bruyne
Créatif grand angle
Mots : Barbara Wesoly
Photos : Cafeine
Sous le patronyme de Cafeine, hérité de ses années de DJ, Thomas De Bruyne s’affirme comme une référence de la photographie architecturale et d’intérieur. Point de rencontre de l’espace et du graphisme, autour de compositions d’inspiration picturale. Rencontre avec ce photographe plébiscité par les plus grands architectes, designers et entreprises de décoration, tant en Belgique qu’à l’étranger.
Nathalie Deboel, Nicolas Schuybroeck, Simon de Burbure ou Hélène Van Marcke, pour n’en citer que quelques-uns… Vous travaillez avec les plus grands noms du design et de la décoration d’intérieur. Comment sélectionnez-vous vos collaborations ? Il est important que nous partagions une même sensibilité et une vision esthétique. Sur un shooting, je fonctionne de manière intuitive, percevant l’impulsion et l’atmosphère des lieux et comprenant à l’instinct ce qui fonctionnera ou non, sans m’imposer de règles ou de limitations. Mes clients me laissent toute latitude et c’est cette confiance mais aussi ce goût commun qui en assure la réussite. J’ai la chance aujourd’hui, après plus de 15 ans de pratique, de pouvoir me concentrer uniquement sur les projets qui me passionnent vraiment.
A titre personnel, à quel type d’architecture va votre préférence ? étonnement assez éclectique, mais possédant une base très minimaliste. Comme des plafonds noirs ou bruns foncés, un sol en béton. Il y a un an, j’ai fait construire un pavillon pour mon bureau, il reflète parfaitement ce qu’est mon style personnel. On y trouve des livres, des disques, des bouteilles de whisky, du café, des céramiques et des oeuvres d’art. Les objets qui m’inspirent viennent se greffer sur socle épuré et graphique. Ce sont les détails qui complètent un lieu, qui leur donnent une histoire. C’est aussi pourquoi je préfère les meubles vintages aux pièces neuves.
Sur Instagram, vous partagez également des images de votre maison. Celle-ci est-elle aussi un terrain de jeu créatif ? Oui, certainement, même si cela reste en parallèle un espace familial. Son aménagement est, dans une certaine mesure, comparable à celui de mon bureau. L’intérieur est noir et blanc, ce qui peut sembler froid ou dur, mais les meubles, tapis, tabourets et tables, sans parler des affaires des enfants, viennent ajouter de la vie.
L’oeuvre d’un photographe en particulier vous émeut-elle ? Celle de Luigi Ghirri, un artiste italien ayant réalisé des milliers de clichés dans les années 70 et 80. J’ai découvert une rétrospective de son travail à Paris et depuis, je suis amoureux de ses photos. Mais plus encore, c’est le peintre Koen van den Broeck qui fait office de véritable inspiration pour moi. Certaines de mes compositions sont presque des miroirs de ses tableaux. Mon approche est totalement différente de la sienne. Il convoque l’art et moi la réalité, mais cela ne nous empêche pas d’avoir de multiples lieux communs.
Vous signez la couverture d’“In Focus”, un livre d’hommage aux meilleurs photographes d’architecture et d’intérieur au monde. Est-ce à vos yeux l’illustration du succès ? Arriver à convaincre l’éditeur d’opter pour ce cliché en couverture a été un sacré défi, notamment par sa composition, son cadrage et sa couleur qui lui donnent presque l’apparence d’un projet en 2D. Mais je trouvais justement passionnant d’introduire un livre d’architecture avec une photo loin d’un habituel intérieur clair et élégant, qui ferait l’unanimité. Avec une image qu’il faut observer pleinement pour la comprendre. C’était une forme de pari artistique aussi. Et c’est bien sûr un honneur que de figurer sur une dizaine de ses pages d’un tel ouvrage.
Vous lanciez Caféine, votre studio, en 2007. Qu’est-ce qui vous permet de préserver et nourrir votre passion pour la photographie après toutes ces années ? En demeurant curieux. J’ai ma propre signature mais je suis constamment en recherche d’amélioration de l’éclairage, des ombres, des finitions, des couleurs. Au début de ma carrière, je ne prenais que des clichés en noir et blanc. Mais j’ai totalement abandonné ce principe ces sept dernières années. J’expérimente énormément, notamment en post-production. Je suis passionné par la technique. Encore un aspect issu de mon identité de graphiste. Et je suis convaincu qu’il est essentiel de créer son propre style, mais plus encore de le développer et de l’alimenter.
Renata Stinglhamber - Uniques et précieux bijoux
Renata Stinglhamber
Uniques et précieux bijoux
Mots : Olivia Roks
Photo : Luk van der Plaetse
Renata Stinglhamber est l’une des joaillières les plus réputées du Royaume. Depuis plus de 25 ans, la magie des pierres précieuses, l’harmonie des courbes, la lumière des ors n’ont plus de secret pour elle.
Dans son écrin bruxellois, des merveilles voient le jour, certaines prennent vie entre ses mains d’autres sont retravaillées au goût du jour.
Un savoir-faire d’exception.
Cela fait plus de 25 ans que vous évoluez dans l’univers de la joaillerie, quel est votre parcours ? Depuis toute jeune je savais ce que je voulais faire. Je coupais, je sciais, je faisais des bracelets que je vendais. Après un cursus classique, j’ai fait quatre années d’études de création de bijoux à Anvers et j’ai terminé par une cinquième année à Londres au Saint Martins College Art & Design. Une année de bijoux expérimentaux, conceptuels, de vraies œuvres d’art. De retour en Belgique, j’ai fait le tour des belles bijouteries bruxelloises, il n’y en a pas beaucoup… Du haut de mes 24 ans, je me suis retrouvée chez Wolfers à côtoyer la Reine. J’ai fréquenté l’aristocratie belge et surtout eu accès aux somptueux bijoux anciens, spécialité de Wolfers. J’y suis restée 12 ans, ensuite la bijouterie s’est fait racheter par des Chinois et j’ai poursuivi mon aventure chez Leysen, autre bijouterie d’exception. Je retrouvais une ambiance familiale mais aussi un autre public : la bourgeoisie avec un haut pouvoir d’achat. Plus de bijoux anciens, mais de gros projets, des créations d’exception que je gérais de A à Z.
Ensuite, vous vous êtes lancée à votre propre compte… Oui, la maison Leysen s’est aussi fait racheter par des Chinois. Pendant le Covid, après la perte de mon compagnon qui m’a toujours soutenue, je me suis rendu compte que la vie ne tenait qu’à un fil. Depuis plusieurs années, j’avais développé une petite clientèle sur le côté en toute transparence. J’ai alors sauté le pas, poursuivi mon rêve et je me suis lancée à mon compte. Aujourd’hui, depuis deux ans, je travaille uniquement pour ma marque. Je n’ai pas désiré ouvrir une boutique car j’aime justement recevoir chez moi, dans un cocon, un écrin confidentiel, intime, où on se sent à l’aise, où j’accueille sur rendez-vous, où l’on prend son temps. Il ne faut pas oublier que l’humain est au centre de mes créations.
Quelle est votre force face à d’autres joailliers ? Mon atout reste ma formation très complète. J’ai appris à dessiner le bijou, le réaliser et rechercher la pierre adéquate. J’ai la capacité, les connaissances pour tout faire même si je ne le fais pas systématiquement. Ce que j’aime c’est comprendre ce que le client souhaite, chercher les pierres et ensuite réaliser le dessin. Je laisse enfin quelqu’un confectionner le bijou, sous ma supervision, toujours en Belgique. J’ai aussi cette force de bien déceler le style de la personne. C’est important quand on souhaite faire un cadeau et surprendre la personne qu’on aime. On me montre souvent une photo de la main mais j’ai besoin d’analyser son style, son métier, son âge, sa manière de se vêtir, et je me suis rarement trompée !
Comment décririez-vous vos créations ? Il y a ce que moi j’aime et ce que le client aime. Je crée pour moi, pour proposer des modèles à la vente, mais je crée aussi pour le client, selon ses demandes, un bijou sur mesure. Le sur-mesure est la plus grande partie de mon travail. Je m’oriente principalement vers deux styles distincts, bien que j’aime beaucoup de choses… J’adore les couleurs, les pierres, des pierres plutôt rares qui sortent de l’ordinaire. Je réalise par exemple des bagues dites bouquets, composées de plusieurs pierres de couleurs différentes. Ce genre de créations s’axe principalement autour de la pierre et de son originalité. Mon autre dada, c’est l’art déco, j’affectionne ce côté sobre aux lignes très claires. Naissent alors des bijoux plus architecturaux.
Et l’un de vos autres talents, c’est redonner vie à des bijoux anciens… Oui. C’est très en vogue, c’est en quelque sorte de l’upcycling ! Soit j’achète des bijoux en salle de ventes et je leur redonne une nouvelle vie, soit j’accompagne mes clients pour réaliser cette même démarche. Par exemple, une broche de votre grand-mère trop vieillotte pour vous ? Je la transforme et la revisite au goût du jour en en faisant des boucles d’oreille.
Fascinée par les pierres, quelle est votre préférence ? Il y en a une que je rêverais d’avoir moi-même mais les prix sont colossaux, c’est le diamant rose, un rose pâle délicat. J’adore également la tsavorite, un grenat vert, très intense. Je propose cette pierre parfois à la place de l’émeraude, très connue.
Un rêve en tant que joaillière ? Bien sûr, j’adorerais voir une star porter une de mes parures sur le tapis rouge. Une femme élégante avec du caractère qui portera à merveille le bijou comme Claudia Cardinale ou Monica Bellucci. Mais mon plus beau cadeau, c’est tout simplement la confiance des clients, j’adore quand on me donne carte blanche.
Arno Declercq - Une esthétique de l’âme
Arno Declercq
Une esthétique de l’âme
Mots : Barbara Wesoly
Photos : DR
Ses pièces aux allures monolithiques, tout à la fois brutalistes et organiques, s’imposent tels des livres ouverts révélant un amour et un respect profond du vivant. Sous le toucher d’Arno Declercq, bois et métal se métamorphosent en mobilier sculptural, hommage à l’architecture et à l’art ancien.
A seulement 30 ans, vos créations, meubles comme objets d’intérieurs, sont plébiscités à l’international pour leur beauté atypique et leur conception audacieuse. Mais, comment, à titre personnel, les décririez-vous ? Je dirais que mon style est un condensé de Wabi-sabi brutaliste. Il puise dans cette esthétique japonaise un côté spirituel et le désir de donner du sens à la matière, de modeler la nature pour créer des pièces qui vont durer à travers le temps et sont conçues pour habiter l’espace et la vie. Quant au brutalisme, il en a les codes de minimalisme brut ainsi que la géométrie et les volumes imposants.
Créateur autodidacte, vous avez grandi au sein d’une famille éprise d’art, d’artisanat et de mode. Le design a-t-il toujours représenté pour vous une évidence ? Ce n’était pas réfléchi. Mon père, ayant étudié à l’Académie royale des arts, nous emmenait ma sœur et moi visiter tous les musées et les galeries et se passionnait pour les arts tribaux. La boutique de mode de ma mère m’a de son côté permis de découvrir des créateurs d’exception comme Ann Demeulemeester ou Rick Owens. J’ai donc commencé un cursus en design intérieur, à Sint-Lucas, à Gand, avant de rapidement comprendre que les normes du système scolaire n’étaient pas pour moi et j’ai arrêté après un an. J’ai alors eu l’occasion de partir plusieurs mois au Brésil, créer aux côtés d’Arne Quinze et cela a enrichi mon travail bien au-delà de ce qu’aurait pu m’amener un diplôme. Au retour, j’ai ouvert une galerie d’art et de design ethnographique à Louvain, tout en travaillant dans la rénovation et la peinture de bâtiment, pour financer mon projet. Celle-ci a malheureusement dû fermer après un an, faute de moyens, mais j’ai continué à me passionner pour le design et je restais aussi face à l’impossibilité de trouver du mobilier et de la décoration que j’aimais. J’ai alors fabriqué mes propres modèles, destinés au départ seulement à mon intérieur. J’en publiais des photos sur mon compte Instagram, et ceux-ci furent rapidement repérées par des galeristes, parmi lesquels Garde, à Los Angeles, qui devint mon premier client.
Vous évoquiez le Brésil et son importance dans votre parcours. Ce fut le cas pour d’autres voyages, notamment en Afrique de l’Ouest, dont vous avez ramené l’Iroko, un bois tropical devenu votre principal matériau. Oui, en effet. J’ai beaucoup voyagé avec mon père. J’ai dormi chez le peuple Lobi au Burkina Faso, chez l’ethnie Fon au Bénin. J’y ai découvert des philosophies très pures et des objets à la symbolique exceptionnelle. Au Bénin, j’ai ainsi rencontré des menuisiers travaillant avec du bois Iroko, que l’on retrouve aussi au Cameroun, au Togo et au Burkina Faso. Un arbre tropical fascinant, surnommé « Roi de la forêt ». Les locaux l’estiment habité par leurs ancêtres et lorsqu’un guérisseur vodou doit cueillir des herbes et plantes de la forêt, il demande aux Iroko, sa bénédiction avant de poser cet acte. Je n’ai pas imaginé d’emblée créer des meubles avec celui-ci, mais je trouvais cette vision spirituelle magnifique, tout comme sa teinte noire et sa dureté mêlée à la finesse de ses veines. Je ne mets pas son histoire en avant, estimant qu’il s’agirait d’appropriation culturelle, mais elle imprègne mes pièces. En créant par exemple une table centrale, où les membres d’une famille pourront se retrouver pour parler, partager, j’espère imprégner leur maison d’une part de cet esprit. Tout comme j’utilise la technique japonaise du Sho Sugi Ban, consistant à brûler profondément le bois pour le rendre ensuite plus résistant à la combustion et aux champignons. Je tiens à ce que derrière l’esthétique il y ait une âme. La pièce dont je suis le plus fier est ainsi la Zoumey Table, un plateau de noyé africain brûlé et ciré, soutenu par une forêt de pieds en bois Iroko. Je voue un immense respect à mes matériaux, c’est pourquoi je fabrique mes créations artisanalement, en veillant à en minimiser les chutes. Je me fais le devoir préserver chaque morceau de bois.
Si vous créez toujours au sein de Zaventem Ateliers, vous avez récemment ouvert un showroom à Anvers, dans un espace industriel de 500 mètres carrés. Pourquoi ce choix ? Zaventem Ateliers est un superbe espace, mais c’est celui de l’artiste et designer Lionel Jadot, son identité. Il était temps pour moi d’avoir un lieu, une atmosphère qui me ressemble, qui puisse refléter l’essence de mes collections.
Qu’est-ce qui vous guide aujourd’hui ? J’aime créer dans la diversité, entre commandes et projets personnels, tout en conservant toujours mon intégrité artistique. On m’a déjà proposé de racheter mon studio, mais cela reviendrait à vendre mon nom et mon identité. Il n’en est pas question, pas plus que de fabriquer des objets à la chaîne. Je ne signe pas non plus mes pièces. J’espère les imprégner d’un ADN suffisamment fort que pour qu’elles soient reconnaissables, même sans cela. Aujourd’hui, je nourris aussi le rêve d’acheter des maisons et appartements à travers le monde, pour permettre à ceux qui le souhaitent d’habiter au milieu de mes meubles et objets. C’est la vie qui leur donne tout leur sens.
50 ANS DE DESIGN AVEC DOMINIQUE RIGO
50 ANS DE DESIGN AVEC
DOMINIQUE RIGO
Mots : Olivia Roks
Photos : DR
En 1974 naissait une petite entreprise de décoration : Dominique Rigo.
50 ans plus tard, cette maison solidement établie continue de refléter un design élégant, moderne et de qualité. Entre la boutique qui regorge de superbe mobilier scandinave ou italien et leurs magnifiques projets d’aménagement, on ne sait où donner de la tête. Une chose est sûre, ici, le design est roi. Rencontre avec, Charlotte Rigo, la nouvelle maîtresse des lieux.
Dominique Rigo est une boutique de design éponyme, elle porte le nom de votre père. Qui est Dominique Rigo ? Mon père, Dominique Rigo, a parcouru un long chemin avant de lancer sa boutique éponyme. Ayant étudié l’architecture à Saint-Luc, il était déjà un passionné de bricolage et de design dès son adolescence. Peut-être influencé par sa mère qui avait un intérêt marqué pour l’aménagement intérieur classique, il a développé un goût pour le mélange subtil des styles. Lors de ses études d’architecture à Saint-Luc, il a été invité à repenser l’étage de direction d’une société de réassurance du père d’une de ses camarades de classe. Cette expérience l’a incité à envisager d’établir sa propre entreprise et à ouvrir un magasin. Il a donc lancé sa petite société de décoration en 1974 avec son ex-épouse, Marianne Tedesco. Son expertise a rapidement attiré l’attention et ils ont été sollicités pour divers projets.
Aujourd’hui vous reprenez le flambeau ? Le flambeau oui, mais surtout la passion, qui est nécessaire dans notre métier. Comme j’aime le dire, je suis née dans un tiroir Interlubke, mon père m’a transmis le virus du beau, du bien fait et du travail. Ce n’est pas toujours simple de marcher dans les pas du « grand monsieur », mais j’aime ce que je fais, j’aime ce contact client et surtout j’aime faire voguer le bateau que mon père a créé, avec une touche plus actuelle peut-être, plus 2.0.
Dominique Rigo a 50 ans. 50 ans de design, de décoration. Quelle est la patte « Rigo » ? Mon père a toujours été séduit par le design contemporain et le principe du “less is more”. Il a fait de la modernité son credo, privilégiant le confort, la fonctionnalité et la durabilité dans ses collections. Aujourd’hui, la marque est solidement établie et reflète notre engagement envers l’innovation et la qualité. Quand on parle de patte, on pense à un style, un fil conducteur. Le nôtre est principalement l’écoute du client et son bien-être chez lui ou sur son lieu de travail. Chaque projet est personnalisé, on repart de zéro pour chaque client mais bien sûr dans un style moderne et contemporain mais nous y allions avec plaisir des meubles anciens ou de famille.
Quels sont ces objets qui selon vous ont marqué l’histoire du design ces cinquante dernières années ? La chaise Panton (1967) en plastique moulé d’une seule pièce, la lampe Tolomeo (1987), le fauteuil Egg (1958), la chaise Ghost (2002) en polycarbonate transparent a redéfini les possibilités du matériau plastique mais aussi le fauteuil Bambole, le lounge de Eames, le Togo, la lampe Arco… Il y a tant d’emblématiques !
50 ans plus tard, la décoration a bien évolué… Effectivement, la déco- ration a connu une évolution significative reflétant les changements sociaux, culturels, technologiques et économiques de notre époque. Au niveau des styles, nous avons vu un passage de l’opulence des années 1980 à la simplicité du minimalisme des années 1990, puis à une réévaluation des styles rétro et vintage dans les années 2000 et 2010. Aujourd’hui, nous observons une tendance vers un design plus éclectique, où les gens mélangent différents styles pour créer des intérieurs uniques et personnalisés. Nous avons aussi assisté à l’émergence de nouveaux matériaux et à l’adoption de méthodes de fabrication plus durables et respectueuses de l’environne- ment. La technologie a également joué un rôle majeur dans l’évolution de la décoration, avec l’intégration de solutions intelligentes pour le contrôle de l’éclairage, du chauffage et d’au- tres aspects de la maison connectée. Parallèlement, les attitudes envers la décoration ont également changé. Autrefois considérée comme un luxe réservé à une élite, la décoration est devenue plus accessible et démocratisée. Aujourd’hui, la décoration est plus que jamais un moyen pour les individus d’exprimer leur identité et leur créativité.
Justement, quelles sont les tendances actuelles qui inspirent le marché et vos clients ? La durabilité et l’éco- logie sont des préoccupations majeures pour de nombreux consommateurs. Il y a une demande croissante pour des matériaux écologiques et des pratiques de fabrication durables. Le minimalisme et la simplicité continuent aussi d’être des tendances importantes. Les consommateurs recherchent des designs épurés avec des lignes simples et des espaces ouverts, créant des environnements à la fois fonctionnels et esthétiquement agréables. Et bien sûr, le confort et le bien-être à la maison sont également au premier plan.
Des nouveautés à venir cette année ? La plus grande nouveauté c’est le cap que nous passons : nos 50 ans ! J’ai aussi hâte d’aller à Milan, malheureusement ce sont des secrets très bien gardés et je n’ai pas encore eu d’échos de la part de nos marques. Mais je pense que le confort et l’amour des matières seront encore au rendez-vous. Aujourd’hui, plus que jamais, on doit avancer, créer, réfléchir et ne pas rester sur nos acquis, d’ailleurs rien n’est jamais acquis même après 50 ans.