Francis Metzger
Virtuose d’une mémoire vivante
Mots : Barbara Wesoly
Photos : DR
Depuis plus de 30 ans, il œuvre tel un magistral trait d’union entre les époques. De la restauration de lieux d’exception à la conception de projets contemporains, Francis Metzger érige une architecture éprise d’histoire. La réhabilitation du Corinthia Grand Hotel Astoria, monument du patrimoine bruxellois, dévoile une nouvelle fois son empreinte somptueuse.
Le Grand Hotel Astoria, devenu Corinthia, a rouvert ses mythiques portes en ce début décembre, après 17 années de rénovation. Comment avez-vous imaginé et conçu cette renaissance ? Ce projet, par chacun de ses aspects, était hors norme, multiple, et probablement le plus complexe sur lequel il m’a été donné de travailler. D’abord, car il impliquait une part de restauration tout autant que de construction neuve. Ensuite, car les années écoulées depuis sa conception par Henri Van Dievoet en 1909 l’avaient vu perdre une grande part de son identité néoclassique, pourtant en pleine continuité avec le style Beaux-Arts. Enfin, car en un siècle, le monde a profondément changé. Le luxe du début du XXe siècle est bien loin de celui d’aujourd’hui. Le Corinthia Grand Hotel Astoria se destinant à être le seul palace cinq étoiles de Bruxelles, l’exception devait devenir la norme. L’établissement d’époque comptait 120 chambres. Ce nombre est porté désormais à seulement 126, bien que cinq bâtiments supplémentaires aient été ajoutés. La volonté était ainsi de privilégier la beauté de l’espace tout en augmentant le nombre et la majesté des suites. L’hôtel abrite également deux restaurants étoilés et un immense spa, achevant de le transformer en un joyau de l’époque actuelle.
Était-il complexe de préserver son âme et son histoire tout en l’inscrivant dans les standards actuels de prestige ? Nouer une forme de conversation intemporelle entre les époques est ce qu’il y a de plus difficile pour un architecte. Il n’est pas question d’opposer le patrimoine au présent, mais de savoir chérir le passage du temps et apprécier un espace pour-tant en déliquescence. Et, par un regard complice sur l’histoire, d’amener l’œuvre à basculer dans le confort moderne. Pour cela, la recherche d’une compréhension et d’une connaissance profonde est indispensable. Mon rôle, lors de la transformation d’un bâtiment qui fait partie de la mémoire collective, est d’ancrer, avec cohérence, les fondements historiques dans une approche contemporaine. Dans le cas de l’Astoria, cela passait notamment par la préservation des façades et la reconstruction de l’immense verrière convexe et concave, perdue depuis 1947. Cette verrière constituait une part intégrante de l’âme du bâtiment. Il a fallu travailler à partir de photos en noir et blanc ainsi que de morceaux encore présents au premier étage. Ce dialogue entre les époques et avec les architectes qui nous ont précédés garantit de préserver le vrai, malgré la transformation, et donne l’illusion que les éléments les plus marquants sont immuables. À l’image de la Royale Belge, dont le grand escalier central, installé récemment, semble pourtant avoir toujours été là.
La Royale Belge, qui abrite désormais le Mix Brussels, vous a amené à remporter le prestigieux prix Europa Nostra pour la quatrième fois. Un projet entrepris en collaboration avec les architectes de Caruso St John, DDS+ et Bovenbouw. Comment s’est orchestrée cette réalisation majeure ? À merveille, malgré une superficie pourtant immense de 50.000 m² et une complexité à la mesure de son chantier. Il fallait conserver son esprit avant-gardiste unique tout en lui offrant une réhabilitation capable d’accueillir l’espace cosmopolite qu’il était destiné à devenir : à la fois hôtel, centre de bien-être et d’événements, où se côtoient aussi des restaurants et installations sportives. Une fois encore, tout est parti de l’étude du contexte et des origines, ce qui nous a amenés à travailler du macro vers le micro et de la structure extérieure jusqu’au cadre intérieur. Chacun d’entre nous a trouvé naturellement sa place dans le projet. C’est ce qui a permis de refaçonner ce lieu singulier, ne serait-ce que par sa structure cruciforme, tout en sauvegardant les fondements de son architecture fonctionnaliste.
Comment accorder une place à la créativité quand on œuvre à la conservation et à la modernisation architecturale ? Ne vous sentez-vous pas parfois limité dans vos choix ? Au contraire, cela demande bien plus d’innovation. En réalité, une feuille totalement blanche n’existe pas, puisqu’un terrain naturel préexiste toujours. Mais partir d’un espace déjà construit, c’est avoir un devoir d’écriture. À la manière d’un roman dont on vous livre les 200 premières pages et dont il faut écrire les 100 dernières en résonance. C’est un défi d’autant plus galvanisant.
La réhabilitation des bâtiments historiques prend actuellement une importance croissante dans l’architecture contemporaine. Pourquoi, selon vous ? Il y a bien sûr un lien avec les défis climatiques actuels, surtout sachant qu’en Belgique, plus de la moitié des déchets produits proviennent de la construction. Cependant, cela va bien au-delà. Pendant des centaines d’années, les métropoles se sont construites par additions et soustractions successives. Puis est arrivée l’architecture moderne, qui portait en elle une radicalité visant à remplacer une ville par une autre. Aujourd’hui, loin du tabula rasa, on comprend toute l’importance de s’inscrire avec bienveillance dans un rapport à ce qui préexiste.
2025 démarrera-t-elle pour vous sous les auspices d’une nouvelle rencontre entre les époques ? En effet, dès le printemps commencera la restauration des Serres de Laeken. Un projet conduit en duo avec François Chatillon, à qui l’on doit la réhabilitation du Grand Palais à Paris. Ce chantier d’une ampleur magistrale abrite un millier de plantes exotiques et donnera une nouvelle vie au domaine royal, en le faisant s’inscrire avec harmonie dans son époque.

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