Le monde onirique d’ERIC CROES
Le monde onirique d’ERIC CROES
Mots : Olivia Roks
Photos : DR
Réels assemblages surréels, ses totems en céramique sont reconnus à travers le monde. Eric Croes signe une nouvelle exposition à Bruxelles, « La nuit est une Femme à barbe ».
Au gré de ses constellations intimes, on découvre l’étendue de son imaginaire et de son savoir-faire technique. Entre mystère et onirisme, entretien depuis l’atelier de l’artiste.
Vous êtes connu à travers le monde pour vos célèbres totems en céramique. Mais tout d’abord qui est Eric Croes ? J’ai 45 ans et je me définis comme sculpteur. Depuis que je suis petit, j’ai la fibre artistique, je dessinais, je faisais de la plasticine. Mes parents étaient manuels, bricoleurs… Lorsqu’à six ans ma mère m’a inscrit à des cours de dessin, c’était le plus beau jour de ma vie (rires). Ensuite, j’ai fait des études de sculpture à La Cambre et j’ai poursuivi, il y a dix ans, avec des cours de céramique. Cela m’a tout de suite passionné, particulièrement l’émaillage et la découverte de ces couleurs si intenses. J’ai acheté mon premier four et je me suis lancé. Les totems sont nés lors de ma première exposition en 2015.
Des œuvres en céramique prenant l’apparence de totems. Une superposition d’éléments réalisée comme des assemblages uniques… Quelle histoire se cache derrière ces fascinants totems ? Je devais faire une exposition dans une galerie et je voulais absolument la pièce au haut plafond. Un ami m’a conseillé de créer quelque chose de très haut pour que cette salle me soit adressée. Pari réussi avec la création de deux totems ! Les totems représentent un collage d’idées, d’éléments, au départ un peu disparates. Ils font environ deux mètres de haut, je les vois comme des géants, des gardiens, des golems… Ces totems sont devenus en quelque sorte mon hit.
Ils ont tout de suite remporté un franc succès ? Quand j’ai fait ma première exposition, l’engouement était effectivement au rendez-vous. Tout le monde semblait très enthousiaste. Thierry Boutemy a acheté les deux totems de l’exposition et il les a exposés. Ensuite, Albert Baronian m’a fait une exposition, a suivi Rodolphe Janssen… Mais je suis aussi arrivé au bon moment, c’était le grand retour de la céramique et aussi de la figuration.
Quel est votre processus de création, comment composez-vous ces géants ? Je me raconte une histoire et je dessine de manière rapide un croquis. Ensuite, je réalise les pièces en terre glaise, je les laisse sécher et les retravaille encore et encore… Elles sèchent et sont cuites une première fois. Je teste alors les pièces en les enfilant comme des perles sur un mât. Une fois que j’ai le bon ordre, je le dessine sur papier et je le colorie à l’aquarelle afin de percevoir le rythme entre les tailles des éléments et des couleurs. Viennent alors l’émaillage et la dernière cuisson à haute température pour des couleurs profondes. Enfin, je place les éléments sur le mât en métal et je fabrique un socle en béton bouchardé. Il faut compter certainement un mois pour la création d’un totem.
Quelles sont les inspirations qui nourrissent votre travail ? L’ours est par exemple très présent dans vos créations… Les totems sont souvent des obsessions du moment. Je m’inspire du bestiaire, de la mythologie, j’adore les cyclopes, la gorgone, la Bocca della Verità à Rome, les théières (un souvenir familial), les visages, les vases, les fleurs, les bougies… Et l’ours bien sûr. J’adorais les ours en peluche petit. On m’a également offert le livre « L’ours » de Michel Pastoureau à mon anniversaire, sans doute car c’est un animal qui me représente et j’en ai fait en quelque sorte mon totem… Ce livre m’a passionné et inspiré, il relate l’ours à travers l’Histoire. J’ai pris certainement deux ans à le lire et à tout analyser. Et en 2015, pour ma première exposition, l’ours était au centre de mon exposition.
Votre nouvelle exposition, « La nuit est une Femme à barbe », se tient actuellement à la galerie Sorry We’re Closed, qu’y découvre-t-on ? J’ai toujours aimé la chanson mystérieuse et les paroles assez dingues et fantasmagoriques de « La Femme à barbe » de Brigitte Fontaine. Un titre parfait pour une de mes expositions ! Je me suis posé la question : à quoi ressemblerait un paysage de nuit pour moi ? Et là tout a commencé ; au rez-de-chaussée, j’ai imaginé un jardin gardé par deux centaures-sphinx, on avance et on découvre encore bien d’autres éléments dans ce paysage de nuit qui s’ouvre au visiteur. A l’étage, c’est la nuit, c’est l’enfer, on est accueilli par cinq totems représentés par de grands diables composés d’éléments évoquant des obsessions, des péchés… La nuit est effrayante mais on peut aussi y vivre des choses interdites, une nuit dangereuse mais excitante. Toute l’exposition est construite en miroir, dans un jeu de reflets, chaque sculpture cache un « verso », un « envers » qu’il faut découvrir.
Que d’éléments à découvrir ! Avec un style bien particulier… Comment décririez-vous votre style ? J’aime parler de mythologie personnelle, colorée, intuitive et vivante. Derrière tous ces éléments, c’est en quelque sorte mon histoire.
Dieter Vander Velpen - Une signature couture
Dieter Vander Velpen
Une signature couture
MOTS : Barbara Wesoly
PHOTOS : Patricia Goijens
De résidences en établissements et de son fief anversois à Dubaï, Hong Kong ou encore New York, Dieter Vander Velpen décline son esthétique sophistiquée et épurée à la fois, en une vision aussi cosmopolite que luxueuse. Parmi ses récentes réalisations, le 1055 Stradella, une villa de Bel Air, à Los Angeles, transformée en un écrin face à l’océan.
Vous qualifiez « l’architecture couture » comme le fondement de votre style. Que signifie exactement ce principe ? Je considère en effet mes réalisations comme une forme « d’architecture couture », car les clients s’adressent à notre bureau pour notre style signature, que nous déclinons selon leurs besoins et attentes, tout comme on allait acheter une robe chez Dior, dans les années 50. Nous nous concentrons sur la création de projets résidentiels haut de gamme raffinée. Des maisons fonctionnelles mais qui mettent le design au premier plan, n’offrant que le meilleur en termes de matériaux, mais aussi axées sur des détails personnalisés et une approche sur mesure. Le propriétaire en est un élément central : qui est-il, comment vit-il ? A-t-il des enfants ? Aime-t-il recevoir, a-t-il une collection qu’il veut exposer… ? Et enfin, la propriété et l’emplacement sont à la fois déterminants et inspirants. Une villa à Los Angeles sera habitée différemment d’une résidence en Belgique, un appartement à Mumbai nécessite une approche autre qu’une maison de vacances à Ibiza. C’est le cocktail unique des trois facteurs qui apportent symbiose et équilibre parfaits.
Vous avez récemment conçu une sublime maison privée à Bel Air, 1055 Stradella, en partenariat avec le bureau d’architectes Saota et le designer David Maman. Comment un architecte belge est-il contacté pour réaliser une villa à Los Angeles ? C’est notre premier projet à Los Angeles et le quatrième aux USA. Le client a vu notre travail en ligne et nous a contacté via Instagram. C’était au début de la pandémie, quand tout le monde demeurait persuadé que le Covid ne durerait tout au plus que quelques semaines. Au final, cela nous a pris un an et demi. Heureusement, nous vivons une ère numérique et de manière presque contradictoire, la crise sanitaire nous a offert des opportunités, facilitant ce type de réalisation à distance. Il n’y avait en effet pas de vraie différence par rapport à une entreprise locale, puisqu’aucune réunion physique ne pouvait avoir lieu.
Comment décririez-vous le résultat du 1055 Stradella ? C’est un parfait exemple de notre architecture couture. Les matériaux et la philosophie de conception sont la signature du bureau Dieter Vander Velpen. Mais le fait que cette villa soit située à Los Angeles sur un terrain très spécifique avec vue sur la vallée et l’océan rend ce projet défini-
tivement unique. Les fenêtres du sol au plafond de la salle de bain s’ouvrent ainsi vers la vallée et nous les avons sublimées en concevant une grande baignoire ronde, sculptée dans un morceau massif de travertin. En ren-
trant du travail, on peut dès lors ouvrir toutes les fenêtres, déguster un verre de vin dans sa baignoire et regarder le soleil se coucher sur l’océan. C’est tout à la fois stimulant et excitant de découvrir à chaque projet comment nous pouvons laisser ces nouvelles impulsions interagir avec notre style signature.
Sa conception marque-t-elle un tournant dans votre carrière ? Avec la volonté d’une expansion à l’international ? Oui, j’ai l’impression d’être à un moment charnière. Notre bureau réalise des projets à l’étranger depuis plusieurs années, mais ceux-ci demeurent fréquemment dans l’ombre, nombres de nos clients tenant à leur vie privée. Celui-ci au contraire, nous a donné une visibilité internationale. En parallèle, nous venons d’emménager dans un nouvel espace à Anvers, construit pour être une salle d’exposition et mettre en valeur la beauté et le savoir-faire de notre design et de nos créations. Donc oui, définitivement, les choses bougent pour l’instant.
Où puisez-vous vos influences ? Les voyages ont toujours été une grande source d’inspiration. En plus d’Anvers, j’ai également étudié à Valence et à Istanbul. J’aime passer du temps dans des villes éclectiques et voir comment l’architecture y fonctionne. Nous travaillons d’ailleurs actuellement sur projets passionnants dans le monde entier, notamment des résidences privées dans les Hamptons, Jackson Hole, Ibiza, Maurice, Mumbai et bien sûr en Belgique. Et je réalise au moins un grand voyage privé chaque année, pour élargir continuellement mon cadre de référence et ma vision. Le pouls d’une ville comme Hong Kong, les ruines de Palenque ou les réalisations d’Oscar Niemeyer à Brasilia sont des sources d’inspiration intarissables.
Lionel Jadot Out of the box
Lionel Jadot
Out of the box
Mots : Olivia Roks
Photos : DR
Homme passionné, adepte de la récupération, amoureux de savoir-faire, Lionel Jadot ne cesse de multiplier les projets d’aménagement et de décoration, du Jam Lisbonne en passant par le récent Mix. Tous uniques et hautement créatifs. Rencontre avec ce dynamique architecte, au cœur des travaux du Mix.
Qu’ils s’agissent de projets privés ou publics, Lionel Jadot a le don pour se démarquer. Issu d’une famille d’artisans, la matière avant tout l’anime. Constamment en mouvement, cet architecte d’intérieur autodidacte a cette perpétuelle énergie que l’on ressent dans ses créations très variées. Son dernier projet ? Le fameux Mix. Passionné du bâtiment bruxellois depuis qu’il est jeune, il se devait de remporter le concours. Il signe une nouvelle fois un travail out of the box, et surtout « le plus gros projet de sa vie ».
L’atelier Jadot a été sélectionné pour l’aménagement du Mix, comment s’est passé le concours, quelles étaient les demandes et critères ? Dans les critères : dessiner un hôtel de 180 chambres avec bar et restaurant. La demande restait large. Une vingtaine de bureaux ont été contactés pour participer au concours. On a mis énormément d’énergie dans ce projet car je suis amoureux de ce bâtiment depuis petit, tous les vendredis je passais devant en allant chez ma grand-mère. Durant plus d’un mois nous avons travaillé non-stop. On est parti sur le concept actuel : savoir que nous sommes dans un bâtiment fonctionnaliste et travailler dans cette même lignée avec l’intégration d’aspects sculpturaux et artistiques. Nous avons finalement été choisis, c’était il y a deux ans et demi et on a démarré le travail presque tout de suite.
Fidèle à vous-même vous avez travaillé avec beaucoup d’artisans… Oui, cela faisait partie du projet initial soumis. On retrouve au gré des étages, des chambres en passant par le bar, le restaurant ou la réception, des interventions fortes faites par des designers invités. On a fait collaborer tous les designers de Zaventem Ateliers mais aussi 27 autres designers belges, donc 52 artistes au total ! Chacun a eu une zone d’expression où il a apporté sa libre spontanéité.
Sur quels grands axes, quels thèmes avez-vous développé l’aménagement intérieur ? C’est un bâtiment fonctionnaliste, l’idée se résume en une phrase : la forme suit la fonction. Ce qui veut dire que le bâtiment a été construit avec une vision assez honnête, tous les éléments constructifs sont visibles : colonnes de béton, poutres, métal, etc. Un lieu extrêmement lisible. Cette vision nous a suivis tout au long du projet. J’avais le désir que les structures qu’on ajoutait dans le bâtiment aient déjà pu être là en 1970. Cuisine, espace de stockage, salle de réunion, les fonctions sont enfermées dans des genres de sculptures. Nous ne sommes pas venu coller un décor. On a respecté le bâtiment en venant l’embellir. Quant à l’aspect décoratif, c’est le rôle principalement de ces artistes et designers. C’était essentiel pour moi d’avoir un savoir-faire local et contemporain.
Comment réussir l’aménagement, la déco d’un si grand espace sans se perdre, sans partir tous azimuts ? C’est une particularité que j’ai, avoir une vision extrêmement précise d’où je veux aller. Le tout, c’est de garder le cap. Je dois amener mon équipe dans cette direction, malgré les jours difficiles, les questions continues, les tempêtes budgétaires, les soucis humains, de matériel ou de planning. Ma force est de décider vite, trouver des plans B ou C très vite ou se battre pour garder le plan initial. Et quoiqu’il arrive, on s’amuse, on avance avec bonheur.
Si votre premier client dans ce projet est l’hôtel Mix, un autre a également fait appel à vous. Il s’agit du Fox, le foodcourt, petit frère du Wolf dans le centre-ville… Il se situe au rez-de-chaussée. J’ai travaillé avec la même philosophie. Côté déco, j’ai utilisé quatre matériaux. Le laiton, tout le sol est en poudre de laiton. Du béton, 170 m de comptoirs en béton façon sculpture, mais aussi du cuir et du bois pour le mobilier cadré et structuré. Les luminaires sont aussi des éléments très forts, au plafond par exemple, dans chaque caisson en béton, une ampoule est dissimulée. Quant aux nombreuses hottes en inox, elles jouent le rôle de sculptures. J’ai imaginé ce lieu comme une grande cantine assez moderniste. De prime abord ça semble simple mais il y a tant de détails !
Tous projets confondus, quelle est la patte Jadot ? La patte Jadot est liée à une énergie. Aucun projet ne se ressemble, j’essaie de raconter à chaque fois une autre histoire. Je suis issu d’une famille d’artisans donc mon amour de la matière et de sa transformation m’anime. Depuis que je suis petit, je fabrique de mes mains, j’achète peu. Je ne m’inspire jamais de magazines, de catalogues, de Pinterest, ce qui m’anime n’est pas de ce qui existe déjà. Je pense d’ailleurs que travailler trop connecté tue la créativité. J’invite mon équipe plutôt à voyager, à se nourrir de livres d’art. Quand je démarre un projet, j’essaie de comprendre le lieu, j’écris une histoire, un scénario et j’apporte une atmosphère. Je n’ai pas de style.
Quels sont vos prochains projets ? L’aventure Jam se poursuit. On vient de finir le Jam Lisbonne, le premier hors Belgique et on est sur le chantier d’un Jam à Gand qui ouvrira d’ici un an. On a réalisé un nouveau glacier Gaston qu’on retrouve au Sablon en juin. On jongle actuellement principalement entre des projets privés et hôteliers : un hôtel à Liège en pleine forêt, un châlet en Suisse, un projet de ferme dans le Brabant Wallon avec un concept très particulier… Je vais m’arrêter là, mais nous avons près de 25 projets en cours !
ADELINE HALOT, la magie de la matière
ADELIINE HALOT
La magie de la matière
Mots : Olivia Roks
Photos : DR
Dans les Zaventem Ateliers, du haut de ses 31 ans, Adeline Halot, designer textile, y tisse son jeu unique de matières. Entre ses mains, ses tissages artisanaux deviennent, des tapisseries, des sculptures, du mobilier mais surtout des œuvres d’art à part entière prenant une dimension architecturale.
Vous êtes plus connue à l’étranger que dans notre plat pays. Pour les lecteurs qui ne connaissent pas votre travail, qui êtes-vous ? Je suis designer textile et architecte d’intérieur. Aujourd’hui je me définis plus exactement comme artiste et scuplteur. Diplômée en tant qu’architecte d’intérieur à l’ESA Saint-Luc Bruxelles en 2016, j’ai ensuite suivi des études de designer textile à l’Ecole Nationale Supérieure des Arts Visuels de la Cambre à Bruxelles. Finalement, j’ai peu travaillé comme architecte d’intérieur, je confectionnais surtout des pièces textiles sur mesure pour certains intérieurs. Ensuite, en 2019, installer mon atelier au Zaventem Ateliers et prendre la voie du design et de l’indépendance prenait tout son sens.
D’où vous vient cet amour du textile ? Plus que l’amour du textile, c’est l’amour de la matière. Je rêvais de créer ma propre matière. J’ai toujours adoré chercher des échantillons très spécifiques pour l’architecture d’intérieur: des pierres, du bois, du carrelage, du verre… Des pièces rares et uniques. Depuis que je suis petite, je me rends l’été dans notre maison familiale au cœur du Luberon. J’y chinais déjà des matières à l’époque. Indirectement, elle m’a inspirée, son côté brut, sa nature environnante…
Le rêve est exaucé, on peut dire que vous avez créé votre propre matière… Oui, je ne pouvais pas espérer mieux ! Je tissais déjà le lin et très vite le métal m’a attiré. Son approche structurelle tout particulièrement. Avec mes propres outils et métiers à tisser, je tisse donc du lin associé à du métal, qu’il s’agisse de cuivre, laiton ou inox. Le lin est belge, il vient de Courtrai, l’inox provient de stocks inutilisés de Zaventem même et le cuivre ou le laiton d’une petite adresse parisienne. Je traite le métal comme un textile, son tissage est un processus très technique que je réalisais au départ uniquement pour moi. Aujourd’hui fibres naturelles et fils métalliques s’entrecroisent pour un résultat très dynamique.
Un tissage qui devient une matière prenant vie à travers vos réalisations. Un résultat très dynamique mais aussi des créations spéciales et uniques, quelle étiquette leur coller ? La matière est au centre de mes créations. Ce sont des pièces uniques, petites et précieuses ou grandes et monumentales. Des sculptures lisses, en relief, en mouvement, à poser sur le mur ou à suspendre. Elles reflètent la lumière, elles vivent en fonction de la lumière. Même si je sais ce que je produis, j’ai toujours une surprise à la fin : la sculpture exposée dans une pièce se déploie en fonction de la luminosité prenant un caractère différent au fil de la journée. De plus, une large palette de couleurs s’offre à moi avec le lin et les possibilités sont presque infinies. J’aime le lin pour la douceur et le naturel, le métal pour son côté brut, structurel et industriel. Grâce à l’utilisation de différents fils, les tissages prennent forme et les faisceaux lumineux qui les traversent leur confèrent un caractère cinétique. Soit je travaille sur commande avec des architectes ou des clients privés, soit je réalise des pièces pour les shows et expositions organisées par les galeries qui me représentent.
Nous avons aussi découvert à la Milan design week vos œuvres prenant l’apparence de bijoux sous le nom de ‘Glint’… Kimy Gringoire est une bonne amie mais pour l’une comme l’autre, effectuer des collaborations n’est pas dans nos habitudes, et pourtant… Depuis un an, on travaille sur ce projet main dans la main. On est différente et complémentaire. Elle a l’idée esthétique, ergonomique, le travail de la matière (argent et or) et ensemble, nous avons développé la touche créative, abstraite, artistique, la vision du mouvement dans un si petit objet… Chaque pièce est faite à la main. On a présenté la collection à Milan et les retours sont incroyables. On vend en direct mais on souhaiterait aussi présenter Glint dans des concept stores comme Dover Street Market à Londres. Et de vous à moi, j’avoue que cela faisait longtemps que j’avais envie de porter cette matière !
Prévoyez-vous encore d’autres projets prochainement ? Dernièrement j’ai participé au projet The Mix avec Lionel Jadot. J’ai créé 30 cercles uniques en lin, inox et laiton pour les chambres de l’hôtel et 40 luminaires habillés et tissés en lin et inox pour un restaurant. Cet été, une magnifique exposition est organisée par la galerie Stay Tuned : E-Raw-Lution, l’évolution de la matière. Elle se tient du 8 juillet au 30 août dans le sud de la France, au Château Saint-Maur Cru Classé à Cogolin dans le golf de Saint-Tropez. Un lieu unique avec une nouvelle personne qui met mon travail en lumière : Victoire Monrose. On y parle de matière bien sûr à travers le travail de cinq artistes féminines. Enfin, ce n’est pas d’actualité, mais j’aimerais beaucoup un jour imaginer des show-rooms, des boutiques avec un superbe travail de matières comme dernière- ment Courrèges ou Margiela l’ont fait.
GLENN SESTIG ou l’art du minimalisme
GLENN SESTIG ou l’art du minimalisme
MOTS : BARBARA WESOLY
PHOTOS : JEAN PIERRE GABRIEL
Depuis près de 25 ans, l’architecte Glenn Sestig cultive la sobriété avec une sublime sophistication, guidée par les lignes épurées et le luxe brut. Une signature l’ayant amené à collaborer avec les plus prestigieux artistes et designers et à orchestrer la rénovation et la réalisation de galeries, villas, boutiques et buildings à l’inimitable élégance.
Qu’il s’agisse de réaménager le rez-de-chaussée du Momu d’Anvers, pour y accueillir le restaurant-boutique Renaissance, de concevoir un magasin pour Raf Simons ou de repenser l’espace de la galerie d’art privée Tuymans- Arocha, l’on retrouve une part de votre style emblématique, façonné par le design épuré et la sophistication brut. Diriez-vous que cette empreinte architecturale est le fil rouge de tous vos projets ? Cela en fait certainement partie, mais mon véritable fil rouge est de considérer le fonctionnel comme le socle de tout. Dès les premières esquisses d’un projet, je me concentre sur la manière dont il faudra se mouvoir dans l’espace et quel en sera l’usage. Mon approche est celle d’un architecte des temps classiques, à l’instar de Corbusier ou de Mies van der Rohe, pour lesquels, l’extérieur était la résultante de l’aménagement, à l’inverse du post-modernisme où l’on travaillait d’abord les formes et les volumes, obtenant un résultat design mais pas forcément pratique.
Comment sélectionnez-vous vos collaborations ? C’est un processus très intuitif et émotif. Une grande part de mes clients est liée au monde de l’art et de la mode. Deux domaines avec lesquels j’ai des affinités très fortes. L’écoute et la compréhension viscérale des besoins de chacun d’eux sont aussi essentielles à mon travail. Parvenir à correspondre aux souhaits de créateurs comme Pieter Mulier, Virginie Morobé ou Ann Demeulemeester, donner vie à leur vision est très stimulant. Certains sont encore là vingt ans après leur premier projet, tandis que j’ai collaboré vingt ou trente fois avec d’autres. Il y a un vrai lien qui se crée et je fini par mieux connaître leurs goûts et envies que les miens !
Justement, comment avez-vous pensé le design des deux flagships Morobé ? A-t-il été travaillé en partenariat avec Virginie Morobé ? Oui, toutes les réalisations se font main dans la main. Depuis l’avènement d’Instagram et Pinterest, les clients arrivent fréquemment avec un mood-board d’influences et d’images. C’était le cas pour la première boutique Morobé. On a donc traduit ces inspirations sixties et seventies en version contemporaine avec des touches organiques, du daim, des arrondis. Une fois réalisé le flagship de Knokke, nous avons transposé son essence à celui d’Anvers. C’était une autre configuration, un espace beaucoup plus grand, mais il fallait qu’il conserve le même l’ADN, celui d’un lieu magnifique sans être intimidant.
Les grands espaces sont-ils justement le luxe qui permet de laisser libre cours à l’imaginaire ? Pas forcément. Pour moi l’on peut obtenir du plus petit cadre un rendu incroyable, comme The Bakery, l’espace conçu pour le chef pâtissier et chocolatier Joost Arijs. La taille n’a pas d’emprise. Et c’est la variété des espaces, des configurations et des demandes qui fait le challenge et nous permet de ne pas tomber dans la monotonie.
Réaliser des installations temporaires comme celle du défilé des 20 ans de Verso ou de l’exposition d’Olivier Theyskens, est-il frustrant ou au contraire libérateur ? Les installations temporaires permettent une certaine légèreté. Réaliser des scénographies pour expositions ou défilés est donc très excitant. Et en parallèle à la conception architecturale classique qui prend énormément de temps, il est agréable et gratifiant d’avoir des projets courts, aux résultats plus directs.
On retrouve dans votre travail des installations monumentales mêlées à style minimaliste. Du raffinement tissé à coup de matériaux bruts. Êtes-vous attiré, exalté par les contraires ? Oui, j’aime les contrastes, ils donnent une tension. Un rendu luxueux couplé au béton et bois brut, l’équilibre entre le chaud et le froid, la sophistication et la simplicité, pour arriver à un espace chaleureux sans être ennuyeux.
Et qu’en est-il des objets, comme notamment la lignée de luminaires réalisée pour Ozone, les poignées Studio Vervloet ou les bougies parfumées Mon Dada. Sont-ils l’occasion de nouveaux défis ? Ils sont en fait soit liés à une demande, soit à un besoin que je ressens. Celui d’un objet, d’une poignée de porte, d’un robinet, qui n’existaient pas encore et que j’ai dès lors créés, en complément d’autres projets.
Depuis la création de votre cabinet d’architecte en 1999, vous n’avez eu de cesse de développer des projets toujours plus prestigieux. De quoi rêvez- vous aujourd’hui ? De réaliser un hôtel à l’étranger ou un beau musée. Ce sont deux utilisations de l’espace très fortes, deux énormes challenges, que je n’ai pas encore eu l’occasion de réaliser. Mais un jour prochain, qui sait !
www.glennsestigarchitects.com
LEONET HOANG, en totale harmonie
En totale harmonie
LEONET HOANG
MOTS : Olivia Roks
PHOTOS : DR
Architectes de formation, Charles Leonet et Ngoc Hoang multiplient les projets alternant le rôle d’architecte, fournisseur de mobilier, scénographe, et prenant finalement de plus en plus la fonction de véritables directeurs artistiques. Leur but ? Arriver à l’harmonie ultime d’un espace. Immersion dans leur univers.
Tous les deux Ardennais, ils se sont rencontrés dans un bureau d’architecture, et depuis, ces partenaires de travail ne se sont pour ainsi dire plus jamais quittés.
Ils enchaînent les projets ensemble et forment aujourd’hui un duo de choc sous le nom Leonet Hoang depuis près de deux ans. Architecture et mobilier bien choisi se reflètent et se complémentent dans leur travail pour créer un équilibre et une parfaite harmonie. L’art de chiner les animant depuis des années, ils se décrivent comme architectes et antiquaires. A travers cette approche double, le duo partage sa philosophie de l’esthétique. L’ouverture de leur galerie en été 2021 semble leur carte de visite, un lieu artistique où la signature Leonet Hoang se ressent. Leurs intérieurs comme leur mobilier chiné et rénové avec un méticuleux savoir-faire naissent d’une longue réflexion et prennent vie dans un espace simplifié où rien n’est laissé au hasard pour le rendre plus fort, plus cohérent, plus caractériel.
Leonet & Hoang c’est… Une expérience architecte et antiquaire où l’on propose un projet avec une direction artistique reprenant ces deux volets dans une cohérence et une vision globale.
Qu’est-ce qui vous a uni sous ce même nom de société ? Bosseurs, voyageurs, on a les mêmes valeurs familiales… C’est simple, on fait tout à deux, de l’avant-projet à sa conception finale.
Justement, ensemble, à quoi ressemble votre style ? Nous ne voulons pas nous cadenasser à un style. On tente de répondre aux envies et besoins du client en proposant une réelle expérience sur mesure, presque identitaire. Mais le projet qui nous ressemble est celui que l’on suit de A à Z, du gros œuvre à la fourniture du mobilier, en passant par le shooting et enfin la publication dans un magazine. Plus que tout, nous souhaitons tout d’abord offrir des espaces où les gens se sentent bien grâce à l’harmonie que nous créons.
Votre galerie en est un bon exemple ? On travaillait dans une chambre de bonne qui se remplissait de plus en plus de nos trouvailles chinées. Nous voulions déménager et profiter de l’occasion pour mettre notre mobilier en scène. La galerie est donc devenue une plateforme, un support artistique. Ce sont nos bureaux, notre showroom, mais des marques viennent aussi y shooter et des évènements s’y organisent.
Comment choisissez-vous les objets à rénover et à placer dans votre galerie ou dans vos intérieurs ? Tous sont les créations d’architectes. Notre œil veille aux lignes, il nous mène indéniablement vers des choses plus structurées, plus architecturées, ce qui nous éloigne typiquement du décorateur ou de l’architecte d’intérieur. Nous voulons formaliser l’espace et penser l’objet comme tel et pas comme un geste gratuit. Dès l’avant-projet, nous savons déjà quel objet placer et où. On ne vient pas ‘décorer’ la maison après projet, nous ne voulons pas que le sujet soit perçu comme une pièce ajoutée. La vision d’ensemble et le résultat d’uniformité sont primordiaux.
Quelles sont les fautes de goût que vous détestez ?Ngoc Hoang – La disproportion. Rien de pire qu’un endroit disproportionné spatialement. Par exemple, une chambre trop grande. Parfois une petite chambre de 15m2 charmante et bien pensée vaut mieux qu’une suite parentale où le lit est perdu et la lumière n’est pas bonne. La générosité spatiale ne se définit pas en m2.
Charles Leonet – Les faux matériaux, ceux qui sont figés. Mais aussi quand les gens remplissent leur intérieur comme un patchwork, qu’ils ne réfléchissent pas à l’ensemble, cela fait vite très tutti frutti !
Il y a des matières que vous privilégiez ? On adore l’inox et le cuir. Ce sont des matières qui vivent, qui se patinent. L’inox a une incroyable technicité. Quant au cuir, sa patine extraordinaire lui octroie un caractère, une personnalité.
Et si vous deviez choisir trois objets qui vous représentent parfaitement ? Les tapisseries de Charlotte Culot, de réelles pièces d’architecture à nos yeux. Les appliques de Christophe Gevers et l’incroyable fauteuil de Tarcisio Colzani et son remarquable profil.
Outre les objets, des lieux vous inspirent ?
Charles Leonet – La fondation Querini Stampalia de Carlo Scarpa à Venise, tout a été pensé dans les moindres détails. On peut passer des heures dans ce lieu…
Ngoc Hoang – Ayant fait énormément de piano, c’est davantage la musique qui m’inspire. Je dirais les Nocturnes de Frédéric Chopin, pour moi il est comme un designer que l’on représente.
Avant de se quitter, vous nous dévoilez vos projets à venir ? On prépare le prochain Brussels Design Market et on voudrait également participer aux foires de Genève et Düsseldorf. L’idée serait de réaliser des focus sur un architecte et son mobilier. On aimerait aussi à l’approche de l’été mettre en avant le thème pool house à la galerie. Beaucoup d’architectes ont fait du mobilier de jardin qui n’est finalement pas mis en valeur et qu’on ne retrouve pas sur le marché. Côté architecture, nous sommes heureux d’avoir de plus en plus de clients nous faisant confiance pour des projets de A à Z. Actuellement, notez l’aménagement d’un appartement à Genève ou encore l’aménagement d’un chalet à Chamonix.
www.leonethoang.com
Francis Metzger, l'architecte de l'intemporel
Francis Metzger, architecte de l'intemporel
Francis Metzger, architecte de l'intemporel
Mots : Agnès Zamboni
Photos : DR
Son palmarès est impressionnant : Maison Autrique, Bibliothèque Solvay, Maison Delune, Gare Centrale, Maison Saint-Cyr, Palais de Justice, Villa Empain… tous ces bâtiments, et bien d’autres, ont reconquis leur identité grâce à sa pratique de la restauration respectueuse des œuvres et de leurs auteurs.
Une anecdote sur la Villa Empain ? Comme de nombreux projets d’immeubles bruxellois remarquables, la Villa Empain a contribué à de nombreuses légendes urbaines. Tout notre travail repose sur une méthodologie stricte qui doit nous amener à devenir compétents sur l’œuvre. trois axes majeurs sont nécessaires à l’acquit de ce savoir. Le premier repose sur une étude historique au service du patrimoine. L’étude d’Empain a nécessité plusieurs mois de travail … C’est avec l’héritage de son père que Louis Empain a fait construire ce lieu de prestige, destiné à accueillir et impressionner la bonne bourgeoisie. Il choisit Michel Polak, architecte en vogue dans les années 1930, après l’achèvement du Résidence Palace. Le bâtiment, achevé en 1934, sera très vite légué à l’Etat Belge, Empain ayant décidé de consacrer sa vie à des actions plus caritatives. C’est l’école d’arts de La Cambre qui, en 1937, organisera le lieu et mettra en place sa première exposition. A la fin de la guerre, l’armée allemande réquisitionne le lieu, et, en 1945, Paul-Henri Spaak le cède à l’ambassade de l’URSS. Après 17 ans d’occupation et à la suite d’un procès, le lieu reviendra dans le patrimoine de la famille Empain.
Un mot sur le Palais de Justice ? Voici un peu plus de dix ans, de grandes inquiétudes planaient sur l’avenir du Palais et le maintien de l’affectation justice au sein d’un des plus importants bâtiments de Bruxelles. Aujourd’hui, même si les travaux de façade n’ont pas démarré, nous pouvons être rassurés sur son avenir. La fonction justice restera dans le Palais et celui-ci devrait être l’objet de nombreux travaux de restauration. Nous avons contribué au maintien de l’affectation par deux chantiers, les entrées sécurisées et le projet Box in the Box qui sécurise quatre nouvelles salles d’audience au cœur du Palais.
Un démarrage de chantier imminent ? L’un des chantiers les plus attendus est sans conteste le démarrage d’importants travaux à l’Aegidium. Le bâtiment, inauguré en 1906, était alors baptisé Le Diamant Palace, à l’image de son entrée originellement tapissée de miroirs, dont les empreintes sont encore visibles. Emaillés d’ampoules électriques de 20 W, ils démultipliaient les perspectives et profondeurs de champ. Le plafond de la grande salle néo-byzantine était aussi couvert de plusieurs milliers d’ampoules électriques, ce qui pour l’époque était d’une grande originalité, l’électricité n’étant qu’à ses balbutiements. Nous allons tenter de restituer la magie de cet espace. L’ensemble des décors d’origine seront conservés et restaurés. C’est une rénovation qui s’annonce compliquée. Le bâtiment enclavé, en cœur d’îlot, est difficile d’accès. Il est destiné à devenir un lieu culturel ouvert au public.
Une rénovation qui se passe bien ? On pourrait évoquer l’Hôtel Astoria, un palace fermé il y a une dizaine d’années, dont le chantier avance à grande vitesse. Il s’agit d’une part de la restauration des éléments historiques, patrimoniaux, et de la réhabilitation de cinq bâtiments qui constituent le nouvel ensemble. Bâtiment construit à la demande du roi Léopold II pour l’Exposition univer- selle de 1910, il a accueilli pendant près d’un siècle les têtes couronnées. L’empereur Hirohito est le premier à avoir occupé la suite royale. Ce palace n’avait jamais été fermé malgré des travaux nécessaires pour une clientèle exigeante et il était temps d’envisager une réhabilitation complète. Le projet intègre d’une part la reconstitution de la formidable verrière disparue après-guerre, mais aussi la création de piscine et spa en sous-sol, de suites royales et présidentielles en toiture, répondant à un confort d’un palace du XXIème siècle.
Une mission inédite ? Le chantier des Serres Royales de Laeken qui va débuter au printemps, sans empêcher toutefois les visites. Cette restauration en profondeur est une « première fois » pour le lieu, pour cette œuvre qui ne ressemble à aucune autre, une œuvre singulière imaginée par Alphonse Balat. François Châtillon, architecte chargé de la restauration du Nouveau Grand Palais à Paris, nous épaule. L’organisation du chantier est particulièrement complexe notamment par la nécessité de maintenir des températures adéquates à des plantes dont certaines ont été ramenées du Congo par Léopold II.
D’autres projets et défis ? Nous travaillons aujourd’hui sur deux projets et concours dont nous sommes lauréats : La Cité-jardin historique de la Butte-Rouge à Châtenay-Malabry et ses 3300 logements à réhabiliter. Il s’agit de revisiter le logement social avec un objectif qualitatif tout en redensifiant ce territoire de 65 hectares sans affecter les jardins. Et la rénovation de deux hectares d’écuries royales et cinq hectares de territoire du château de Fontainebleau. L’objectif est d’y implanter un campus international des arts qui pourrait à terme, comme on le ferait pour un tableau ancien, être effacé au profit d’une nouvelle affectation. L’œuvre patrimoniale est toujours plus importante et plus durable que la fonction qui l’occupe.
Francis Metzger, architecte de l'intemporel
Francis Metzger, architecte de l'intemporel
Mots : Agnès Zamboni
Photos : DR
D’où vient votre passion pour les bâtiments historiques ? Leur aura traversant le temps me subjugue et m’émeut. J’ai suivi les cours d’architecture d’intérieur à Saint-Luc Bruxelles et je suis diplômée d’un master et d’une agrégation en histoire de l’Art à l’ULB. En redon- nant vie au patrimoine, je comble mon désir d’approfon- dir mes connaissances et celui de créer. Cependant, j’ai œuvré sur différents types de projets. Avec les marques de luxe de l’Oréal, j’ai aménagé des instituts de beauté et studios de maquillage. J’ai travaillé sur des lieux atypiques, le Crazy Horse, un appartement classé Artdéco, des lofts… En 1999, avec mon compagnon disparu, le galeriste et expert en œuvre d’art Willy d’Huysser, j’ai acquis le château de Montmoreau en Charente. En sa mémoire, j’ai persévéré dans cette restauration d’en- vergure et je la poursuis avec mon compagnon, artiste et photographe, Jörg Bräuer.
Quelles sont vos principales motivations ? De l’architecture d’intérieur jusqu’au choix des œuvres d’art, ma démarche est globale et fait naître des univers hors du temps, alliant les traces du passé et la contemporanéité.
Ma mission est de capter, préserver et transmettre l’âme des bâtisses, ce point d’ancrage immatériel entre l’his- toire des hommes et le passage du temps… Je recherche le goût de la mémoire qui a forgé les lieux. J’aime redon- ner vie à des pans entiers d’histoire et une nouvelle destinée à un site, pour façonner un cadre de vie à l’image de ses habitants. Les enjeux architecturaux sont d’abord humains
Pourquoi créer du mobilier ? A la recherche d’une symbiose totale, la création de meubles a toujours fait partie intégrante de mes projets. Je travaille les meubles comme des volumes, avec des lignes sobres capables d’exprimer des émotions. Je suis très attentive aux proportions et aux détails. C’est à chaque fois comme un prototype à mettre au point, car il n’y a jamais deux projets qui se ressemblent. Le mobilier intégré, quant à lui, est prévu, en amont, dès la conception du projet. Tout est réalisé par des artisans, car je suis très attachée aux savoir-faire et à la réalisation dans les règles de l’art. Je sélectionne toujours des matières naturelles, le bois, le métal, de la soie, du lin, de la laine. Pour mes chantiers, je choisis aussi des œuvres en pièces uniques, ou séries limitées, comme celles présentées par la galerie Spazio Nobile. A deux reprises, nous avons organisé ensemble une exposition à l’Ancienne Nonciature.
Quelle est donc l’origine de ce lieu ? L’Ancienne Nonciature est un hôtel particulier de style néo-classique, ex-ambassade du Vatican à Bruxelles, au milieu du XIXe siècle. Situé en face de l’église du Grand Sablon, achetée en 2005 dans un piteux état, cinq années m’ont été nécessaires pour restaurer ses 1400 m2 et y installer notamment mes bureaux. Je dédie une autre partie de l’espace aux évènements et expositions, en collaboration avec des galeries d’art. Après avoir restitué les majestueux volumes initiaux, préservé le maximum d’éléments d’origine, j’ai recréé des ambiances dans l’esprit des lieux, sans pastiche, comme en atteste l’ancienne chapelle du Cardinal Pecci, devenu le pape Léon XIII.
Pourquoi avoir choisi de collaborer avec Charles Schambourg ? Le savoir-faire de cet atelier, actuellement dirigé par Nicolas Berryer, est unique au monde. Il fabrique des tissages avec de fines lanières de cuir et daim. Pour mes créations, je développe avec lui des tissages sur mesure, travaillant textures et couleurs, tout en donnant une modernité à ce savoir-faire. Ces tissages complexes recouvrent notamment des banquettes fabriquées avec des techniques à l’ancienne, en maintenant par exemple, le garnissage en crin de cheval. Dans mes créations, je recherche la sobriété alliée à un extrême raffinement.
Votre dernier projet d’envergure ? La restauration intérieure du Château de Calon-Ségur dans le Médoc, avec son pigeonnier et son orangerie, aménagée en salle de dégustation. Le travail sur la géométrie a valorisé les perspectives et les pièces en enfilade, pour retrouver les points de fuite. Aux matériaux travaillés à l’ancienne répondent les couleurs puisées dans les tonalités de la Gironde et des ceps de vigne. J’ai recherché antiquités et tableaux d’époque, dessiné tous les décors dans un esprit intemporel. Avec élégance et sans ostenta- tion, j’ai souligné le XVIIIe siècle d’une aristocra- tique maison, plantée dans ses vignes, comme si plusieurs générations s’étaient succédé en laissant leurs traces. Aux portraits anciens répondent les œuvres d’artistes contemporains, comme Lee Bae et Jörg Bräuer.
Votre prochain défi ? Consacrer plus de temps à la restauration de mon château, monument histo- rique classé des XIIe et XVe siècles. Ses toitures et spectaculaires charpentes, ainsi que ses 15 impo- santes cheminées d’origine ont été sauvées… Ce projet, dépassant ma simple existence, représente une mission de transmission, dont je ne suis que l’un des maillons.
Francis Metzger, architecte de l'intemporel
Francis Metzger, architecte de l'intemporel
Mots : Agnès Zamboni
Photos : DR
D’où vient votre passion pour les bâtiments historiques ? Leur aura traversant le temps me subjugue et m’émeut. J’ai suivi les cours d’architecture d’intérieur à Saint-Luc Bruxelles et je suis diplômée d’un master et d’une agrégation en histoire de l’Art à l’ULB. En redon- nant vie au patrimoine, je comble mon désir d’approfon- dir mes connaissances et celui de créer. Cependant, j’ai œuvré sur différents types de projets. Avec les marques de luxe de l’Oréal, j’ai aménagé des instituts de beauté et studios de maquillage. J’ai travaillé sur des lieux atypiques, le Crazy Horse, un appartement classé Artdéco, des lofts… En 1999, avec mon compagnon disparu, le galeriste et expert en œuvre d’art Willy d’Huysser, j’ai acquis le château de Montmoreau en Charente. En sa mémoire, j’ai persévéré dans cette restauration d’en- vergure et je la poursuis avec mon compagnon, artiste et photographe, Jörg Bräuer.
Quelles sont vos principales motivations ? De l’architecture d’intérieur jusqu’au choix des œuvres d’art, ma démarche est globale et fait naître des univers hors du temps, alliant les traces du passé et la contemporanéité.
Ma mission est de capter, préserver et transmettre l’âme des bâtisses, ce point d’ancrage immatériel entre l’his- toire des hommes et le passage du temps… Je recherche le goût de la mémoire qui a forgé les lieux. J’aime redon- ner vie à des pans entiers d’histoire et une nouvelle destinée à un site, pour façonner un cadre de vie à l’image de ses habitants. Les enjeux architecturaux sont d’abord humains
Pourquoi créer du mobilier ? A la recherche d’une symbiose totale, la création de meubles a toujours fait partie intégrante de mes projets. Je travaille les meubles comme des volumes, avec des lignes sobres capables d’exprimer des émotions. Je suis très attentive aux proportions et aux détails. C’est à chaque fois comme un prototype à mettre au point, car il n’y a jamais deux projets qui se ressemblent. Le mobilier intégré, quant à lui, est prévu, en amont, dès la conception du projet. Tout est réalisé par des artisans, car je suis très attachée aux savoir-faire et à la réalisation dans les règles de l’art. Je sélectionne toujours des matières naturelles, le bois, le métal, de la soie, du lin, de la laine. Pour mes chantiers, je choisis aussi des œuvres en pièces uniques, ou séries limitées, comme celles présentées par la galerie Spazio Nobile. A deux reprises, nous avons organisé ensemble une exposition à l’Ancienne Nonciature.
Quelle est donc l’origine de ce lieu ? L’Ancienne Nonciature est un hôtel particulier de style néo-classique, ex-ambassade du Vatican à Bruxelles, au milieu du XIXe siècle. Situé en face de l’église du Grand Sablon, achetée en 2005 dans un piteux état, cinq années m’ont été nécessaires pour restaurer ses 1400 m2 et y installer notamment mes bureaux. Je dédie une autre partie de l’espace aux évènements et expositions, en collaboration avec des galeries d’art. Après avoir restitué les majestueux volumes initiaux, préservé le maximum d’éléments d’origine, j’ai recréé des ambiances dans l’esprit des lieux, sans pastiche, comme en atteste l’ancienne chapelle du Cardinal Pecci, devenu le pape Léon XIII.
Pourquoi avoir choisi de collaborer avec Charles Schambourg ? Le savoir-faire de cet atelier, actuellement dirigé par Nicolas Berryer, est unique au monde. Il fabrique des tissages avec de fines lanières de cuir et daim. Pour mes créations, je développe avec lui des tissages sur mesure, travaillant textures et couleurs, tout en donnant une modernité à ce savoir-faire. Ces tissages complexes recouvrent notamment des banquettes fabriquées avec des techniques à l’ancienne, en maintenant par exemple, le garnissage en crin de cheval. Dans mes créations, je recherche la sobriété alliée à un extrême raffinement.
Votre dernier projet d’envergure ? La restauration intérieure du Château de Calon-Ségur dans le Médoc, avec son pigeonnier et son orangerie, aménagée en salle de dégustation. Le travail sur la géométrie a valorisé les perspectives et les pièces en enfilade, pour retrouver les points de fuite. Aux matériaux travaillés à l’ancienne répondent les couleurs puisées dans les tonalités de la Gironde et des ceps de vigne. J’ai recherché antiquités et tableaux d’époque, dessiné tous les décors dans un esprit intemporel. Avec élégance et sans ostenta- tion, j’ai souligné le XVIIIe siècle d’une aristocra- tique maison, plantée dans ses vignes, comme si plusieurs générations s’étaient succédé en laissant leurs traces. Aux portraits anciens répondent les œuvres d’artistes contemporains, comme Lee Bae et Jörg Bräuer.
Votre prochain défi ? Consacrer plus de temps à la restauration de mon château, monument histo- rique classé des XIIe et XVe siècles. Ses toitures et spectaculaires charpentes, ainsi que ses 15 impo- santes cheminées d’origine ont été sauvées… Ce projet, dépassant ma simple existence, représente une mission de transmission, dont je ne suis que l’un des maillons.
Anne Derasse, la passeuse du temps
Anne Derasse, la passeuse du temps
Mots : Agnès Zamboni
Photos : Jorg Brauer
Elle a créé le premier dressing du Mannekens-Pis à la Maison du Roi, se passionne pour l’histoire des lieux qu’elle rénove, restaure un château en France… Entre modernité et tradition, les projets d’Anne Derasse entraînent le passé vers un futur ré-enchanté.
D’où vient votre passion pour les bâtiments historiques ? Leur aura traversant le temps me subjugue et m’émeut. J’ai suivi les cours d’architecture d’intérieur à Saint-Luc Bruxelles et je suis diplômée d’un master et d’une agrégation en histoire de l’Art à l’ULB. En redon- nant vie au patrimoine, je comble mon désir d’approfon- dir mes connaissances et celui de créer. Cependant, j’ai œuvré sur différents types de projets. Avec les marques de luxe de l’Oréal, j’ai aménagé des instituts de beauté et studios de maquillage. J’ai travaillé sur des lieux atypiques, le Crazy Horse, un appartement classé Artdéco, des lofts… En 1999, avec mon compagnon disparu, le galeriste et expert en œuvre d’art Willy d’Huysser, j’ai acquis le château de Montmoreau en Charente. En sa mémoire, j’ai persévéré dans cette restauration d’en- vergure et je la poursuis avec mon compagnon, artiste et photographe, Jörg Bräuer.
Quelles sont vos principales motivations ? De l’architecture d’intérieur jusqu’au choix des œuvres d’art, ma démarche est globale et fait naître des univers hors du temps, alliant les traces du passé et la contemporanéité.
Ma mission est de capter, préserver et transmettre l’âme des bâtisses, ce point d’ancrage immatériel entre l’his- toire des hommes et le passage du temps… Je recherche le goût de la mémoire qui a forgé les lieux. J’aime redon- ner vie à des pans entiers d’histoire et une nouvelle destinée à un site, pour façonner un cadre de vie à l’image de ses habitants. Les enjeux architecturaux sont d’abord humains
Pourquoi créer du mobilier ? A la recherche d’une symbiose totale, la création de meubles a toujours fait partie intégrante de mes projets. Je travaille les meubles comme des volumes, avec des lignes sobres capables d’exprimer des émotions. Je suis très attentive aux proportions et aux détails. C’est à chaque fois comme un prototype à mettre au point, car il n’y a jamais deux projets qui se ressemblent. Le mobilier intégré, quant à lui, est prévu, en amont, dès la conception du projet. Tout est réalisé par des artisans, car je suis très attachée aux savoir-faire et à la réalisation dans les règles de l’art. Je sélectionne toujours des matières naturelles, le bois, le métal, de la soie, du lin, de la laine. Pour mes chantiers, je choisis aussi des œuvres en pièces uniques, ou séries limitées, comme celles présentées par la galerie Spazio Nobile. A deux reprises, nous avons organisé ensemble une exposition à l’Ancienne Nonciature.
Quelle est donc l’origine de ce lieu ? L’Ancienne Nonciature est un hôtel particulier de style néo-classique, ex-ambassade du Vatican à Bruxelles, au milieu du XIXe siècle. Situé en face de l’église du Grand Sablon, achetée en 2005 dans un piteux état, cinq années m’ont été nécessaires pour restaurer ses 1400 m2 et y installer notamment mes bureaux. Je dédie une autre partie de l’espace aux évènements et expositions, en collaboration avec des galeries d’art. Après avoir restitué les majestueux volumes initiaux, préservé le maximum d’éléments d’origine, j’ai recréé des ambiances dans l’esprit des lieux, sans pastiche, comme en atteste l’ancienne chapelle du Cardinal Pecci, devenu le pape Léon XIII.
Pourquoi avoir choisi de collaborer avec Charles Schambourg ? Le savoir-faire de cet atelier, actuellement dirigé par Nicolas Berryer, est unique au monde. Il fabrique des tissages avec de fines lanières de cuir et daim. Pour mes créations, je développe avec lui des tissages sur mesure, travaillant textures et couleurs, tout en donnant une modernité à ce savoir-faire. Ces tissages complexes recouvrent notamment des banquettes fabriquées avec des techniques à l’ancienne, en maintenant par exemple, le garnissage en crin de cheval. Dans mes créations, je recherche la sobriété alliée à un extrême raffinement.
Votre dernier projet d’envergure ? La restauration intérieure du Château de Calon-Ségur dans le Médoc, avec son pigeonnier et son orangerie, aménagée en salle de dégustation. Le travail sur la géométrie a valorisé les perspectives et les pièces en enfilade, pour retrouver les points de fuite. Aux matériaux travaillés à l’ancienne répondent les couleurs puisées dans les tonalités de la Gironde et des ceps de vigne. J’ai recherché antiquités et tableaux d’époque, dessiné tous les décors dans un esprit intemporel. Avec élégance et sans ostenta- tion, j’ai souligné le XVIIIe siècle d’une aristocra- tique maison, plantée dans ses vignes, comme si plusieurs générations s’étaient succédé en laissant leurs traces. Aux portraits anciens répondent les œuvres d’artistes contemporains, comme Lee Bae et Jörg Bräuer.
Votre prochain défi ? Consacrer plus de temps à la restauration de mon château, monument histo- rique classé des XIIe et XVe siècles. Ses toitures et spectaculaires charpentes, ainsi que ses 15 impo- santes cheminées d’origine ont été sauvées… Ce projet, dépassant ma simple existence, représente une mission de transmission, dont je ne suis que l’un des maillons.
Les défis de Ben Storms
Les défis de Ben Storms
Mots : Agnès Zamboni
Photos : Alexander Popelier
Poids lourd et poids plume, ses créations sculpturales se posent, au sol, comme des coussins moelleux et aériens. Après le marbre, le nouveau challenge du designer Ben Storms : mettre le verre à l’épreuve !
Quel a été votre parcours ? J’ai étudié l’histoire de l’art à l’université de Gand tout en apprenant à travailler le bois et la pierre, le week-end et les vacances scolaires, dans des ateliers d’artisan. Après une collaboration avec le plasticien et sculpteur de polyester Nick Ervinck, j’ai entrepris une formation de design à Malines. Mon amour des matériaux, je le dois à mes parents qui étaient antiquaires. L’expo à l’atelier Jespers de Bruxelles, en 2015, a tout déclenché. La même année, mon travail a été récompensé par le prix Henry Van de Velde.
Pouvez-vous expliquer votre technique ? Dans ma pratique du design, je pars toujours des matériaux bruts. J’aime travailler les matériaux massifs, traditionnels et millénaires. Je les apprécie pour leur beauté et leur force naturelle. Mes méthodes de travail combinent techniques anciennes et manuelles comme le ponçage laborieux avec la numérisation et la sculpture digitale à commande numérique (CNC). Pour réaliser la table Ex Hale, j’ai fabriqué un moule en métal gonflé d’air. J’ai scanné cette forme en 3D pour la reproduire dans un bloc de marbre , grâce à une machine CNC. Les finitions à la main et le sablage sous pression adoucissent la matière ou évoquent le ton patiné d’un coussin, l’illusion s’un textile imprimé.
Comment réussissez-vous à inverser les impressions visuelles ? J’interroge le sens commun. Par exemple, la pierre doit-elle toujours paraître lourde ? En créant des formes qui frôlent les frontières de l’impossible, j’entraîne le spectateur à porter un regard neuf sur les matériaux familiers. Pour obtenir la finesse du plateau de la table In Vein, j’ai frôlé les limites de l’extrême. J’ai travaillé un plateau d’une épaisseur de 4 mm sur les bords, tout en conservant la solidité du marbre, je l’ai renforcé, en son centre, avec de la mousse et une plaque, comme un matériau sandwich et je l’ai augmenté, à cet endroit, de 4 à 5 cm. Le nom de cette table double fonction évoque à la fois les veines du marbre et le concept de Vanity, car le verso du plateau fait office de miroir, à poser contre un mur.
Obtenir un équilibre esthétique entre les matériaux est aussi très important. Les détails en cuir sur les tréteaux métalliques apportent une certaine douceur. Je n’imaginais pas de réaliser des rainures pour leur pliage et dépliage. Pour composer les tables In Hale, installées en parfait équilibre sur un coussin métallique, j’ai d’abord fabriqué les deux parties de l’enveloppe inférieure. Je les ai soudées ensemble comme une housse en laissant une ouverture pour les remplir d’air alors que la plaque de marbre, en partie supérieure, était déjà en place.
Pour la lampe Out of line, quel était le concept ? Pour cette pièce, j’ai revisité la méthode de fabrication traditionnelle du tambour, réalisée à partir des lamelles de bois. C’est totalement innovant et expérimental. J’ai juxtaposé de fines lamelles de marbre de 2 centimètres de large sur un textile, espacées, l’une de l’autre, de seulement 8 mm, pour les maintenir ensemble. Ma première pièce en prototype, un paravent, s’est révélée trop fragile à l’usage. Alors, j’ai imaginé une lampe avec abat-jour modulable, de dimensions réduites. Mais je dois encore perfectionner cette technique. Avec ce procédé, j’ai aussi l’idée de réaliser un siège avec un dossier en 3 D à partir d’une plaque de marbre mais qui restituerait le dessin complet de la veine. En utilisant une plaque, plutôt qu’un bloc, j’économise de la matière.
Comment avez-vous procédé pour le verre massif ? Le verre massif est coulé comme pour une sculpture en bronze, dans un atelier, en Tchéquie, un expert dans cette technique. Ces artisans travaillent aussi avec des artistes pour fabriquer leurs œuvres. La première pièce réalisée, avec eux, était une œuvre murale. Le moule a été réalisé sur mesure, en plâtre, également par leurs soins. La table basse In Hale en verre translucide a nécessité plus de 30 jours de fabrication. Le matériau doit devenir liquide pour être coulé dans le moule puis refroidir très lentement, dans le four, pour ne pas se briser.
Ben Storms exposera à Bruxelles à Art on Paper du 6 au 9 octobre 2022. Et ses créations s’envoleront en 2023 pour le Japon.
Julie Ruquois bâtit une architecture vivante
Julie Ruquois bâtit une architecture vivante
MOTS : Agnès Zamboni
PHOTOS : DR
Spécialisée dans le résidentiel, elle aime les atmosphères confortables, les couleurs et les matières chaleureuses pour habiller des volumes simples. La modernité de ses intérieurs s’exprime dans sa liberté de mixer le meilleur du passé et du présent.
Qu’avez-vous retenu de l’expérience chez Olivier Dwek ? Sa créativité, son intégration de l’art, sa détermination, sa ténacité m’ont surtout marqué. De mes 7 ans chez lui, j’ai gardé, le souci du détail, l’amour des belles matières, l’intransigeance pour les lignes épurées. Aujourd’hui, je travaille avec 3 personnes, dont Geoffroy, qui est venu plus récemment compléter notre équipe. Mes collaborateurs sont multitâches car ils m’épaulent dans le suivi de plusieurs projets, de A à Z, du gros-œuvre à la déco ! J’aime qu’ils s’imprègnent des dossiers autant que moi. Je garde le choix de la création et des matériaux, avec les clients, mais tout le reste, on le fait ensemble. J’aime travailler avec des architectes organisés, méticuleux, logiques.
Comment réussissez-vous à concilier architecture minimaliste et besoins humains ? Je ne me considère pas comme une architecte minimaliste pur jus ! J’en conserve évidemment les lignes épurées, le souci du détail pour faire disparaitre les techniques. Le « less is more », c’est magnifique dans les galeries ou musées mais pas toujours facile à vivre dans une maison familiale ! J’aime de plus en plus arrondir les angles, le mélange des matières, des couleurs, des styles, des époques. Bref tout ce qui rend un endroit vivant et personnel, pour ressentir de la joie et de la bonne humeur quand on rentre chez soi. Donc le minimalisme, oui, avec plaisir, si le projet s’y prête ! La leçon du Bauhaus était de réaliser ses projets comme une « œuvre d’art totale ». Moi-même, je n’arrive pas à concrétiser un projet sans imaginer les vues, son environnement, son contenu. Dès mes plans d’esquisse, je me retrouve à dessiner les abords, à proposer des tableaux et des sculptures, du mobilier et de la déco. J’ai besoin de m’imaginer bouger et profiter des espaces que je crée. J’adore mon époque car toute l’histoire de l’architecture inspire l’architecture d’aujourd’hui. On est libre de briser les codes, de proposer des mélanges osés. J’avoue avoir un faible pour le modernisme qui rompt radicalement avec le passé. Et un des grands défis actuels est de concilier architecture et impératifs énergétiques : un véritable virage s’amorce aujourd’hui dans notre métier.
Être mère avec 3 enfants est-il un avantage pour aménager un intérieur ? Le gros avantage d’être une maman qui travaille, c’est qu’on sait planifier, organiser, déléguer, bref « être efficace », et on n’a pas le choix. Pour cette raison, certains clients se sentent rassurés avec moi car je peux anticiper leurs besoins. Je me projette très facilement dans leur projet de vie et j’adore ça ! Est-ce ma féminité ou un trait de caractère qui fait que j’accorde beaucoup d’importance à l’ergonomie et à l’usage quotidien dans mes réalisations ? Sans doute ! Et pareil pour mon sens de l’écoute qui est la genèse de tout projet. Mais j’ai aussi d’autres passions, en dehors de mon travail et de ma famille, car il m’est essentiel de prendre du temps pour moi. Certains moments de grâce me stimulent et m’inspirent ! J’ai toujours aimé les sports d’adrénaline et surtout me retrouver seule face aux éléments plus forts que moi. J’aime la mer, de façon inconditionnelle, et les sports qui s’y pratiquent : planche à voile, ski nautique, plongée sous-marine. Et j’ai découvert un sport plus accessible : l’escalade en milieu naturel. Après une journée d’escalade à Freyr, un site exceptionnel en Wallonie, je relativise tout. Je suis sereine et détendue. C’est puissant ! En observant les artisans avec qui je travaille, j’ai eu aussi une forte envie de contact direct avec la matière. Je me suis mise à la poterie qui me procure un plaisir méditatif.
Aimeriez-vous vivre dans les espaces que vous concevez ? C’est là toute l’ambiguïté de mon métier. Je rêve de m’installer dans chacune de mes réalisations. Ma maison idéale serait située sur un site exceptionnel et j’aurais la liberté totale de laisser libre cours à mes envies architecturales. J’aime beaucoup d’endroits différents sur cette terre et cette maison serait la continuité de son environnement ! Elle sublimerait les éléments naturels qui l’entourent et serait composée de matériaux authentiques… Quant à ma vraie maison, typique du style Paquebot, tout en longueur avec de beaux arrondis, elle est signée Gaston Brunfaut.
Quelles sont vos réalisations en dehors de la Belgique et vos derniers projets ? Un appartement en Floride, une rénovation en Sardaigne, des plans de projet pour une maison au Mali, une transformation d’un chalet à la montagne… un autre projet à Dusseldörf. Actuellement, je termine une villa à Knokke et une autre à Grez-Doiceau. En cours, une construction neuve et deux rénovations à Rhode-Saint-Genèse, un autre chantier à Uccle et un gros projet de coworking dans un ancien garage à Matongué. Nous avons aussi complètement transformé une maison à Waterloo en agence immobilière. J’y ai installé mes bureaux à l’étage… après avoir longtemps travaillé à la maison et partagé des bureaux d’entreprises de construction.