Tomorrowland Winter - La musique électro unit le monde
Tomorrowland Winter
La musique électro unit le monde
Mots : Yves Merens
Photos : Tomorrowland
Pour la troisième fois, Tomorrowland prend ses quartiers d’hiver à l’Alpe d’Huez. Entre flocons et freeride, les festivaliers de nombreux pays vont vibrer aux sons des DJ sets électroniques. Mais savent-ils que cette machine à bonheur est belge ?
Tomorrowland, c’est l’un des plus grands moments de partage de musique électronique au monde. Les chiffres donnent le tournis. En 15 ans, la version historique de ce festival, et celle de l’été, est passée de 10.000 personnes à 600.000 festivaliers, tous venus près d’Anvers, en juillet 2022. Une machine à tubes belgo-belge qui ravit les visiteurs de plus de 200 pays.
Des frères très discrets
Ce sont deux frères, Manu et Michiels Beers qui ont lancé le concept de base à Boon sans cesser de le faire grandir. Aujourd’hui, presque 100 personnes forment l’équipe, toute l’année. Leur dernière trouvaille, c’est Tomorrowland Winter, la version alpine du festival. Mélange de messages d’unité mondiale et de décors fantastiques, cette expérience mettra à nouveau le feu à l’Alpe d’Huez, du 18 au 24 mars prochains.
Pendant le festival, la station française respire et danse électro. La journée, le ski se mêle aux concerts. Le cocktail est bluffant, détonnant. Sortir du téléphérique du Pic Blanc, à 3.300 mètres d’altitude, et tomber nez à nez avec une scène dansante est inoubliable.
Juste le temps de rechausser les planches après la dance, et quelques pistes plus bas, les choses prennent de l’ampleur. A flan de pentes, les scènes se gonflent de milliers de clubbeurs en bottines de ski. « Welcome to Tomrrowland Winter » scande le DJ fraîchement arrivé par les airs, en parapentes. Les drapeaux de nations présentes s’agitent avec frénésie aux pieds de l’énorme statue en neige, taillée pour l’occasion. Jusqu’à 18h, les mixes des meilleurs du monde s’enchaînent.
Le soir, un monde féérique s’anime
Le temps de se changer, vient l’après ski que l’on peut passer dans le village festif construit par les organisateurs à l’Alpe d’Huez. On y boit des bières belges évidemment, mais pas que. La multitude d’échoppes impressionne. Il faut dire que Tomorrowland, c’est une organisation sans faille. Ici, pas d’attente, pas de file, seule règne une ambiance bon enfant avant les concerts du soir. Le grand palais des sports de la station, transformé pour l’occasion en temple du show électro, transporte dans un autre monde, irréel ! Avec danseurs descendants du plafond, scène géante, jeux de lumière somptueux. Tiens, ça tombe bien ce soir, il y a Lost Frequencies qui joue, un autre belge au sommet de son art.
Sur le trajet du retour, on peut encore se plonger dans l’ambiance grâce à la radio de Tomorow, la fameuse « One World Radio », tout en se demandant si l’on vient de rêver ou si tout cela est bien réel. On se pince encore des semaines plus tard. Tomorrowland a placé le made in Belgium au centre du monde électronique.
Daan, le retour Enfin !
Daan, le retour
Enfin !
Daan, le retour
Enfin !
Mots : Servane Calmant
Photo : Jimmy Kets
Daan, crooner flamand solitaire et un brin philosophe, plante le décor d’une nouvelle aventure musicale. Rock indé, électro dance, beats entrainants, facture vintage, « Ride » séduit par son énergie décuplée et son optimisme exaltant.
6 ans après « Nada » et 10 ans après « Le franc belge », vous revoilà enfin. Il a été long ce silence… « Disparaître, c’est un luxe que je me suis offert, pour pouvoir revenir quand le besoin se ferait sentir. Et il s’est pointé ce besoin il y a deux ans, mais la Covid en a décidé autrement … J’aime l’idée du retour pour surprendre à nouveau, c’est excitant. Et ce temps, je ne l’ai pas gaspillé, je l’ai mis à profit pour questionner l’écriture, la musique, le sens de la vie.
Et vous avez trouvé des réponses ? Non, et heureusement ! Je n’ai que 53 ans, j’espère trouver des réponses à mon questionnement à 80 ans. Plus sérieusement, j’ai découvert à quel point j’avais besoin de composer de la musique et de la partager avec un public.
Vous me parlez de thérapie là ! Exactement. Comme tous les grands timides, je m’extériorise sur scène. Quand je reçois des amis chez moi, je suis calme, je parle bas. Daan Stuyven ne pousse jamais la voix, sauf en live quand il est Daan. Jeune, j’ai constaté que j’étais le contraire de l’image que j’envoyais sur scène. Composer à la maison, j’adore ; mais monter sur scène pour le timide que je suis, c’est un tour de force. Alors, soit j’arrêtais soit j’allais à la recherche de ce que je n’étais pas. J’ai continué l’aventure, parce que c’était la décision la plus excitante à prendre. Aujourd’hui, avec « Ride », je me suis offert un disque entrainant, positif, qui va me faire du bien en live, qui m’incite à me lâcher physiquement. Il me fallait un disque bourré d’énergie, je l’ai fait.
« Western », le 1er single tiré de votre nouvel album, est un fabuleux instrumental. C’est quand même audacieux pour un chanteur de délivrer un… instrumental ! (Rire). J’aime (me) surprendre et jouer avec l’attente du public, l’intriguer. « Western » est une première plage que j’aime beaucoup et qui est censée préparer mon public au reste de l’album, car il renferme en lui, la mélancolie et l’excitation dont j’ai imprégné les autres titres.
Deuxième single, « High ». Pensez-vous qu’il y a quelque chose pour nous là-haut ? « High », c’est une invitation à s’assumer, à oser être soi. Dans la vie, on est souvent confronté à faire un choix entre deux directions, soit on descend soit on monte, soit on s’apitoie sur son sort soit on reste constructif et optimiste. Mais je ne juge pas les autres, « whatever gets you whatever gets you high » est assez nuancé…
« Ride » est un mixe remarquable de rock indé, d’électro dance, de country, ponctué de banjo, de vieux synthés, d’une boite à rythmes Casio… Qu’écoute Daan, quand il se lève le matin ? Le chant des oiseaux. (silence) J’écoute également « The Ink Spots », un groupe vocal des années 30 qui n’a strictement rien à voir avec ce que je fais, alors il ne m’intimide pas (héhé). « Randy Newman », le matin, me convient bien également. Et des groupes des années 70, pourvu que le son soit chaud. Et souvent, je l’avoue : j’aime la voix des hommes matures.
Daan, ce crooner… Oui, j’ai beaucoup de respect pour l’âge qui permet à certaines personnes d’être plus savantes et poétiques. Je suis content d’avoir pu assister à un concert d’Aznavour, avant qu’il ne s’éteigne.
Etes-vous passéiste ? Quel joli mot. Je suis un brin nostalgique probablement. J’habite une ferme bicentenaire qui me survivra. Mais, à la réflexion, j’aime davantage l’intemporalité des choses que je ne suis nostalgique.
On vous sait spectateur du monde, que voit Daan-philosophe quand il regarde l’époque actuelle ? Tout qui interroge ce monde m’intéresse et m’intrigue. Mais je ne suis pas un philosophe, je suis un simpliste, quelqu’un qui simplifie le message, je fais du « pop art » revendiqué, avec le risque évidemment d’écorner la vérité, mais toujours avec la volonté d’éviter d’être prétentieux et arrogant.
S’il vous fallait résumer « Ride » en une phrase ? J’ai utilisé la tension dramatique qui nourrit mon écriture musicale dans un contexte positif. Transposer le mal de vivre en optimisme. C’est plus facile à 23 ans qu’à 53, mais j’y suis arrivé. La preuve que vieillir n’est pas un naufrage, pour peu que l’on conserve l’appétit, le désir, dans le regard.
Album « Ride », sorti le 11 novembre dernier, chez PIAS
www.daan.be
Les rendez-vous de Tania Garbarski
Les rendez-vous de Tania Garbarski
Mots : Servane Calmant
Photos : Pamela Berkovic
En 2023, Tania Garbarski sera à l’affiche de « Mamma Mia ! », la version belge francophone de la comédie musicale inspirée par les chansons d’ABBA, et sur les planches du Théâtre Le Public, avec son binôme de mari, Charlie Dupont, dans « En attendant Bojangles », adapté du best-seller éponyme d’Olivier Bourdeaut. Année chargée pour une comédienne qui a réussi à asseoir sa notoriété sur le travail, sans jamais perdre le nord : « il faudrait parler davantage des artistes belges, et pas uniquement quand ils ont réussi en France ! »
« Mamma Mia ! », véritable jukebox musical, se jouera à Forest National à partir du 20 janvier prochain. A l’occasion de cette comédie musicale feel-good, vous chantez en français le répertoire d’Abba… Il s’agit d’une franchise. La version en français a été jouée il y a une dizaine d’années au Théâtre Mogador à Paris. Le livret des chansons en français donc, a alors été validé par Benny Andersson d’Abba. Au niveau du casting belge francophone, je donne la réplique à Isabelle de Hertogh. Nous sommes sur scène les deux meilleures amies de l’héroïne…
Etes-vous fan d’Abba ? Abba fait partie de notre culture populaire et je ne peux m’empêcher de danser sur leurs tubes quand je les entends à la radio. J’ai vu le spectacle « Mamma Mia ! » à Paris, à Londres, et toute la salle était debout et dansait. Cette liesse, je l’ai ressentie également lors des répétitions à Anvers… Et, au-delà de la musique, j’aime les thèmes que charrie « Mamma Mia ! » : la femme libérée, la mère célibataire, l’enfant qui quitte le nid, la quête pour retrouver le père inconnu… C’est un beau portrait de femme au service d’une feel-good comédie, touchante et émouvante.
Jouer, danser, chanter, « Mamma Mia ! », c’est un spectacle physique. Pendant les répétitions à Anvers, j’ai eu plus d’une fois l’impression d’être une petite fille qui jouait dans « Fame ». Pour le rôle de Tanya, avec y, je viens de passer trois semaines avec des danseurs professionnels et un orchestre, pour travailler la danse et le chant. « Mamma Mia ! », c’est une opportunité magnifique que je ne pouvais décemment pas refuser.
Vous aviez déjà goûté à la comédie musicale ? Oh oui ! En sortant des études à l’INSAS, j’ai enchaîné « L’Opéra de quat’sous », « Les Misérables » à Anvers, « Emilie Jolie » au Cirque royal. La comédie musicale requiert une grande hygiène de vie pour préserver sa voix ; jeune, je n’étais pas prête à autant de sacrifices. Je chante juste, mais je suis une comédienne qui aime chanter, pas une chanteuse.
Tanya, votre personnage dans « Mamma Mia ! » est une cougar pétillante un brin fofolle. Etes-vous née pour la comédie ? Non, j’étais plutôt prédisposée à des pièces classiques. Si la vie m’a amenée ces dernières années, à accepter plus de comédies que de drames, c’est probablement dû à mon union avec un certain Charlie Dupont (son mari à la ville, nda) qui a réveillé le clown qui sommeillait en moi. Dans « Le Canard à l’orange » de William Douglas Home, que nous reprendrons au Théâtre Le Public en 2023, le texte plein d’esprit et de drôlerie provoque de grands éclats de rire. Il y a quelque chose de libérateur à faire rire les gens comme à les émouvoir.
Si Charlie Dupont a réveillé le clown qui sommeillait en vous, qu’avez-vous titillé en lui ? Je pense lui avoir apporté de la rigueur dans le travail.
Vous êtes mariée à Charlie Dupont depuis 22 ans. Comment faites-vous pour préserver l’équilibre entre vie privée et vie professionnelle ? Nous n’avons pas de recette miracle. Nous sommes très différents dans notre approche du métier et complémentaires à la fois. Au début de nos carrières respectives, personne n’imaginait nous voir sur les planches ensemble !
Quel a été le déclic ? Depuis « Promenade de santé » de Nicolas Bedos où nous sommes tous deux sur scène et « Tuyauterie » que Philippe Blasband a écrit pour moi et Charlie, j’ai l’impression qu’on nous engage ensemble. Ainsi en 2021, le Théâtre de Liège en co-production avec le Théâtre national de Nice a fait appel à nous pour la trilogie « Les Aventures de Zelinda et Lindoro » de Carlo Goldoni…
Hakim Benbouchta - feel good
Hakim Benbouchta
Feel Good
Hakim Benbouchta
Feel GoodMots : Ariane Dufourny
Photo : Didier Vandenbosch
Après 30 ans de carrière dans la pub, Hakim Benbouchta a tourné la page. Pour en ouvrir une nouvelle. Durant le confinement, il a écrit « Le Pseudo » inspiré par Line, sa fille de 14 ans. Le succès fut tel que ce roman sera prochainement adapté en téléfilm et diffusé à Noël en 2023. Loin de se reposer sur ses lauriers, l’auteur lasnois nous livre aujourd’hui « Le plus beau cadeau ». Un bonbon à lire !
« Le plus beau cadeau », l’histoire d’un père qui n’a pas vu son fils grandir et qui souhaite rattraper le temps perdu. Vous avez perdu le vôtre précocement à vos 16 ans. Un roman en hommage à votre père ? C’est une façon d’idéaliser les retrouvailles dont j’ai toujours rêvé, sachant qu’elles n’arriveraient jamais. Si mon père débarquait de nulle part, je voudrais vivre tous ces moments qui m’ont été « volé ».
En 2020, vous encaissiez deux nouvelles effrayantes. Une pandémie mondiale et votre licenciement. Deux ans plus tard, vous avez sorti deux romans à succès. Vous avez l’art de rebondir ? (Rire). Il m’a fallu un peu de temps pour relativiser ces deux coups durs. Mais aujourd’hui, je suis bien plus heureux que je ne l’étais dans ma banque. J’ai découvert un univers dans lequel je ne me débrouille pas trop mal et qui me plaît. C’est devenu un hobby comme si je jouais au golf toute la journée.
30 ans de pub. Deux romans en deux ans. Et vous venez de rejoindre la prestigieuse agence artistique UBBA, basée à Paris, en tant qu’auteur-scénariste. Votre vie, c’est Walt Disney ? J’écris un premier bouquin qui est édité, c’est déjà fantastique ! Il est dans les librairies, génial. Puis sur un coup de tête, j’en fais un scénario qui va devenir le téléfilm de Noël 2023 de deux grandes chaînes nationales européennes, incroyable. UBBA est l’agence de Gilles Lellouche, Guillaume Canet, Dany Boon, Florence Foresti… Et je les rejoins, c’est un miracle !
« Le Pseudo », « Le plus beau cadeau », deux romans « feel good » à souhait. Votre ambition est-elle de redonner le sourire aux gens à travers la lecture ? Je ne dois pas réfléchir ou me torturer pour écrire et générer des émotions plutôt positives ou parfois un peu tristes, mais jamais dramatiques. Je ne m’imagine pas écrire un thriller, je préfère les dialogues un peu humoristiques. Parfois, je souris comme si l’on me les dictait et j’ai les yeux humides.
Harold, Ingrid, Rachid, Delsart… On retrouve dans vos romans les prénoms et noms de personnes qui vous entourent depuis toujours. Vous cultivez le culte de l’amitié et de l’amour ? Les prénoms et noms de mes personnages sont autant de clins d’oeil positifs à ma femme, ma famille, mes potes qui sont les mêmes depuis 40 ans. Harold était un ami très proche qui souffrait du cancer et s’est suicidé. C’est un hommage que je lui rends dans mes deux livres et dans le scénario que je suis en train d’écrire.
Deux romans en deux ans et déjà un nouveau scéna-rio ! Plus rapide que le rythme d’Amélie Nothomb ? Les deux premiers livres que j’ai écrits, je les ai adoptés en scénario. « Le Pseudo » est en tournage avec dans les rôles principaux, Lannick Gautry et Hélène de Fougerolles. J’ai déjà rencontré des producteurs pour « Le plus beau cadeau ». Le troisième, qui est prêt, a été écrit comme un scénario truffé de dialogues jubilatoires, qui m’amusent bien plus que de longues descriptions. Je compte bien l’adapter en livre dès à présent.
Un indice sur votre prochain roman ? Une comédie intergénérationnelle, une grand-mère et sa petite-fille. La première vit un amour platonique avec son voisin de palier qu’elle rêve d’épouser. A l’inverse, la seconde vit dans l’ère du temps LGBTQIA+ et papillonne. Son aïeule va lui demander de la coacher.
Votre plume est dédiée aux relations humaines ? J’aime les histoires de relations humaines qui sont universelles et permettent à chacun de se retrouver dans une histoire. J’ai appris à lire avec Pagnol. Un homme qui a perdu sa femme, « La Femme du boulanger ». Un père qui a perdu sa fille, « La Fille du puisatier », plus d’eau dans la colline, ou encore « Manon des sources ».
Comme vos Harold, vous affectionnez le Coca Light et les chemises blanches. Le dernier « Harold » est un philanthrope. Un reflet de votre personnalité qui n’hésite pas à verser un pourcentage de ses ventes à « Aquarelle », une ASBL venant en aide aux femmes enceintes en situation de grande précarité ? J’ai toujours eu le sentiment d’avoir beaucoup de chance et de devoir la rendre. C’était aussi le cas de ma mère, de ma grand-mère. Quand on a beaucoup reçu gracieusement sans l’avoir vraiment mérité, à part d’être né, c’est la moindre des choses.
Écrire un roman, beaucoup d’entre nous en rêvent. Quels sont vos conseils ? Faites-en un hobby et au lieu de jouer au padel ou au golf, mettez dans votre agenda deux heures pour écrire. Ne vous mettez pas de pression, avancez petit à petit mais faites-le !
Angelo Bison - ce regard qui tue
Angelo Bison
Ce regard qui tue
Mots : Servane Calmant
Photos : Anthony Dehez
La troisième et ultime saison de la série belge francophone « Ennemi Public » devrait à nouveau faire un carton d’audience. Le mérite en revient notamment à Angelo Bison, homme de théâtre depuis 40 ans, qui a accepté d’endosser le rôle phare de Guy Béranger, assassin d’enfants. Rencontre avec un acteur prévenant, dont le regard noir perçant a pourtant glacé des millions de téléspectateurs.
Alors que les deux premières saisons d’ « Ennemi public » ont débarqué sur Netflix, nous rencontrons Angelo Bison à la villa Empain pour le shooting de notre couverture. «Mais Angelo, où sont passés vos cheveux mi-longs ? ». De toute évidence, dans la dernière et ultime saison de la série belge qui sortira sur nos petits écrans au printemps prochain, Guy Béranger change de tête. Pour dévoiler la véritable nature de ses démons? On espère arracher à Angelo Bison d’autres confidences que capillaires… Patience.
Les téléspectateurs belges vous ont découvert à la faveur d’ « Ennemi Public », mais les amateurs de théâtre vous connaissent depuis belle lurette ! 42 ans, un bail. J’ai décidé, c’est un scoop, de mettre fin à ma carrière théâtrale. J’ai dit ce que j’avais à dire. Le théâtre m’a comblé, il m’a nourri au sens propre et figuré. Il m’a fait vivre et m’a élevé. Gagner sa vie en s’amusant, c’est un sacré privilège. Après avoir joué une centaine de pièces, j’ai eu l’impression ces dernières années que j’étais au bout du chemin. Il est temps d’en prendre un autre. Et cette découverte de l’image, de la caméra, me plaît beaucoup.
C’est la télé qui est venue à vous ? Avant « Ennemi public », je n’avais accepté que quelques petits rôles anecdotiques au cinéma. Deux jeunes réalisateurs, Matthieu Frances et Gary Seghers, m’ont proposé non pas de rejoindre un casting mais de tourner un pilote d’une série belge. Matthieu m’avait vu au Rideau de Bruxelles dans « Fabbrica » de Pietro Pizzuti (pour lequel Angelo Bison a reçu le prix « Meilleur seul en scène », nda) et souhaitait m’offrir « un rôle à ma mesure », m’avait-il gentiment écrit. Ce pilote de « Ennemi public » a convaincu le service production de la RTBF qui a donné son accord pour la saison 1. Pour la petite anecdote : j’ai ensuite rejoué une petite scène pour voir si j’étais capable de tenir le rôle. Comme quoi, malgré 40 ans sur les planches, rien n’est jamais acquis. Et je trouve ça normal et pro, car si le personnage de Béranger n’avait pas tenu la route, la série n’aurait pas rencontré le succès qu’elle a connu. Sur le plan personnel, j’ai apprécié cette nécessité de me remettre sans cesse en question. La seule manière d’avancer.
Béranger, vous le côtoyez depuis 2016, date de diffusion de la saison 1. A croire que vous aimez les fêlés… Je vis avec lui depuis 8 ans, si on prend en compte le pilote de la série. Et, au théâtre, j’en ai côtoyé des fêlés, en effet ! Dans « L’avenir dure longtemps », j’ai endossé le rôle de Louis Althusser, ce philosophe français qui a étranglé sa femme. J’aime les personnages tordus car il me ramène à la complexité de l’être humain et m’oblige à étudier des comportements qui sortent de la sphère rationnelle et sont probablement animés par des pulsions qui engendrent une dépendance. S’agissant de Guy Béranger, la motivation principale de ses meurtres est basée sur la satisfaction qu’il ressent à les commettre. De quel ordre est cette sensation, cette pulsion, je n’en sais rien. Une certitude : il doit tuer encore pour retrouver le vertige de cette sensation.
Qu’arrive-t-il à Guy Béranger dans cette ultime saison ? Je ne peux évidemment rien dévoiler, si ce n’est qu’on va enfin savoir si Chloé Muller (Stéphanie Blanchoud, nda) va retrouver sa sœur Jessica. Par ailleurs, à la fin de la saison 2, Béranger change de modus operandi et tue un adulte. Dans la saison 3, on entre dans la tête de ce personnage extrêmement déroutant et assez complexe pour susciter l’intérêt du téléspectateur pour cette 3e saison.
Béranger intrigue car il suscite à la fois le malaise et une certaine empathie… Exactement. Béranger n’a pas abusé des enfants qu’il tue, ce qui ne le rend pas moins dangereux et méprisable. Mais il ne s’agissait pas pour autant de camper un monstre, mais de me mettre dans la peau d’un être humain, pour lequel on puisse éventuellement ressentir une certaine empathie. Le festival Séries Mania m’a décerné le prix du « Meilleur acteur » pour ma performance dans « Ennemi public.» A cette occasion, la directrice du festival m’a fait un cadeau en me disant : « Béranger est un psychopathe, pourtant on n’arrive pas à lui en vouloir pour le mal qu’il a causé ! ». A ce moment-là, j’ai su que j’avais rempli ma mission.
C’est-à-dire ? J’ai réussi à offrir aux réalisateurs la matière qu’ils souhaitaient. Et j’en suis heureux.
Dans un entretien récent pour Be Perfect, Stéphanie Blanchoud (l’inspecteur Muller), formée comme vous au théâtre, m’avouait que la série « Ennemi public » lui avait apporté une notoriété nécessaire. Avez-vous ce même sentiment ? Oui. Au théâtre, j’étais (re)connu certes, mais de 500 voire 1000 amoureux de la scène, guère plus. Après la diffusion de la première saison d’ « Ennemi public », on me reconnaissait dans les rues de Bruxelles et on me demandait de poser pour un selfie plusieurs fois par jour ! Toujours en me complimentant, jamais pour critiquer le choix du rôle de Béranger. J’aime beaucoup ces moments d’échanges avec le public.
Vous avez été comédien et metteur en scène. Vous aimez l’image, dites-vous. Dois-je comprendre que la réalisation vous tente ? Oh non. Très sincèrement, ce qui m’a poussé à accepter « Ennemi public », c’est la volonté de faire plaisir. J’aime cette notion de « donner du plaisir » par le jeu, sur des planches ou devant l’œilleton de la caméra. De surcroit, je déteste le pouvoir. Diriger une équipe, non. Je veux être un serviteur pas un directeur. Même participer à un festival qui juge et récompense l’une ou l’autre prestation, non merci, très peu pour moi.
Avec quel réalisateur belge rêveriez-vous de tourner ? Je vais vous décevoir, mais aucun en particulier et tous à la fois. En revanche, je suis très exigeant sur le texte, je veux des histoires bien écrites. Mon prof de théâtre me disait : il faut qu’une pièce rende le public plus intelligent. C’est vrai aussi pour le cinéma.
Au cinéma où vous venez de donner la réplique à Vincent Macaigne… Sur le tournage en effet de « Bonnard, Pierre et Marthe » du talentueux Martin Provost (réalisateur e.a. de « Séraphine »), avec Vincent Macaigne, un homme charmant qui campe le peintre aux côtés de Cécile de France, sa compagne Marthe. Ce biopic sortira en 2023.
Angelo Bison, êtes-vous un sexagénaire heureux ? Oh oui, je pourrais mourir demain sans regret aucun. Jeune, je m’ennuyais à l’école, le théâtre m’a permis de trouver ma voie. Je lui ai donné 42 ans de ma vie. Mais il m’a sauvé. A partir du moment où vous êtes sauvé, vous ressentez uniquement de la reconnaissance. Que demander de plus ?
De l’amour ? Je l’ai trouvé également. J’ai été père sur le tard car le théâtre est exigeant et chronophage… Aujourd’hui, j’ai une épouse magnifique et je suis père de deux enfants formidables, Léonie 6 ans et Jules 9 ans. Je les conduis à l’école, je cuisine comme un vrai Italien (sourire), je fais du sport, je me promène dans les bois près de chez moi à Gerpinnes, je fais même le ménage (rire). Et j’attends un bon scénario qui viendra ou pas.
« Ennemi public », le dénouement
Librement inspiré d’un sujet on ne peut plus sensible chez nous, la libération conditionnelle de Michelle Martin, complice de Dutroux, « Ennemi Public » raconte l’histoire de Guy Béranger (Angelo Bison), ex-tueur d’enfants qui, au terme de sa peine de prison, demande à être accueilli à l’abbaye de Vielsart en Ardenne belge.
Lors de la saison 3, on sait déjà que Chloé, la jeune inspectrice de la police fédérale, va continuer à chercher sa petite sœur, alors que Béranger persévère dans son rôle de « moine parfait ». Mais, poussé par ses pulsions, il profitera de chaque instant pour se rendre au cœur du village et y repérer qui, parmi les enfants, sera sa prochaine victime. Frère Lucas pourra-t-il éviter le drame ?
Les saisons 1 et 2 sont disponibles sur Netflix. La saison 3 (6×60’), qui clôture la série, sera diffusée sur La Une/RTBF au printemps 2023.
Stéphanie Blanchoud - « Ennemi public m’a apporté une notoriété nécessaire »
Stéphanie Blanchoud
« Ennemi public m’a apporté une notoriété nécessaire »
Mots : Servane Calmant
Photo : Vincent Calmel
Elle incarne l’inspectrice Chloé Muller dans « Ennemi public » dont la saison 3, la dernière, sera diffusée sur La Une /RTBF début 2023. Elle est également à l’affiche du film « La Ligne » d’Ursula Meier, a signé un duo avec Benjamin Biolay et nous fixe prochainement rendez-vous au Rideau de Bruxelles. Stéphanie Blanchoud, Bruxelloise d’origine belgo-suisse, a le vent en poupe. Comment le vit-elle ? On lui a posé la question.
Comédienne, actrice, auteure, musicienne, chanteuse, vous êtes sur tous les fronts, êtes-vous une touche-à-tout voire une hyperactive ? Oh, non. Je suis d’abord comédienne, j’ai ensuite écrit pour moi et pour mes amis du Conservatoire, car j’estime que l’écriture et le jeu sont intimement liés. La musique est venue après et me complète. Mais j’ai senti les dix premières années de ma vie professionnelle que ces différentes casquettes brouillaient la perception des professionnels du secteur. Comment devaient-ils m’identifier ? Comme actrice ou chanteuse ? Je me suis un peu rebellée contre cette attitude. Comment voulez-vous vivre uniquement de la musique ou du jeu en Belgique ? En Angleterre, de nombreux artistes sont pluridisciplinaires ; on accepte enfin cette démarche chez nous, mais il a fallu du temps…
Si, je dis bien si vous deviez choisir une seule voie artistique, quelle serait-elle ? Jouer. Pour la grande liberté et l’aspect ludique que me procure le jeu.
Vos débuts sur scène, c’est au théâtre. Votre notoriété en revanche, vous la devez à la TV. Chloé Muller (la série « Ennemi public ») a-t-elle changé votre vie ? Non, mais cette série m’a beaucoup appris, notamment à tenir un personnage sur la durée. Elle m’a également apporté une sorte de légitimité. Il n’y a rien de pire pour un acteur que les périodes vides, creuses. L’écriture pour le théâtre, la musique, le cinéma, me permettent de les combler ces creux, mais « Ennemi public » m’a apporté une notoriété nécessaire. Grâce à la série, on ‘m’identifie’ plus facilement.
C’est difficile de se faire une place au soleil en Belgique francophone ? Oui, faire sa place et la tenir aussi.
Le comédien belge Philippe Jeusette, un autre personnage central de la série « Ennemi public », est décédé le 26 août dernier, quel est le plus beau souvenir qu’il vous a laissé ? Je connaissais Philippe bien avant « Ennemi public ». Je lui avais notamment écrit un rôle dans la pièce « Jackson Bay » mise en scène au Théâtre Jean Vilar à Bruxelles. Philippe, c’était un corps, une présence. Il a marqué tous les gens qu’il a côtoyés. Pour moi, il était avant tout un ami d’une grande fidélité.
Vous êtes à l’affiche de « La Ligne » d’Ursula Meier (en salle en janvier 2023) aux côtés notamment de Benjamin Biolay. Dans ce film, vous êtes condamnée à ne plus approcher la maison familiale pour avoir agressé votre mère. J’ai coécrit le scénario avec Ursula Meier. Le personnage principal est une femme violente, pas un homme, non, une femme. La violence féminine est un sujet peu abordé au cinéma.
Benjamin Biolay joue également dans « La Ligne ». Dans ce film, il est musicien ; vous êtes chanteuse. L’occasion d’un duo musical qui devrait sortir également début 2023… Exactement. Il a composé un extrait musical pour le film, qu’il a souhaité développer. Il m’a invitée à le rejoindre en studio d’enregistrement. Notre duo sortira tout prochainement. J’espère d’ailleurs, à l’occasion de ce film, pouvoir toucher le public français !
Car vous êtes également chanteuse. « Ritournelle », votre 5e album est sorti en septembre 2021. Sur les ondes radiophoniques et même dans nos salles de concert, vous êtes pourtant relativement discrète… Ce n’est pas du tout un choix. C’est la réalité d’une artiste qui chante en français en Belgique ! J’étais aux Nuits botanique en mai dernier et en première partie du concert de Benjamin Biolay au Cirque royal en septembre, mais c’est vrai que j’ai peu tourné. La pandémie a été dramatique pour le secteur artistique. Et malheureusement, beaucoup d’artistes manquent de promotion. Seuls les plus populaires sont mis en avant. Et si le digital est un bon outil, la radio et la TV restent indispensables pour élargir son public.
Etes-vous une femme particulièrement exigeante ? Oui. Je n’aime pas les compromis ni les calculs. Je marche à l’instinct, aux rencontres. Ma vie artistique s’est construite au fil des rencontres.
2023 sera-t-elle l’année Stéphanie Blanchoud ? Je l’espère. « Ennemi public », « La Ligne », le duo musical avec Biolay et aussi « Le temps qu’il faut à un bébé girafe pour se tenir debout », un texte (l’histoire d’un frère et d’une sœur confrontés au temps réglementaire des visites à la prison des femmes où est détenue leur mère – nda) mis en scène au Rideau de Bruxelles où, dès février, je partage les planches avec Laurent Capelluto.
Lukas Dhont - « Je parle de l’intime pour toucher à l’universel »
Lukas Dhont
« Je parle de l’intime pour toucher à l’universel »
Mots : Servane Calmant
Photos : DR
Après le bouleversant « Girl », notre compatriote Lukas Dhont explore une forte amitié entre deux préados du même sexe dans « Close », grand prix du Festival de Cannes 2022. Le réalisateur trentenaire y charrie des thèmes comme l’intimité en amitié, la trahison, la culpabilité, la responsabilité, avec une sensibilité et une humanité remarquables. Rencontre.
« Girl », votre premier film, parlait de la difficulté d’être transgenre dans une société qui aime les cases. Avec « Close », vous racontez également cette difficulté d’être soi-même. Vos films fonctionnent-ils comme une thérapie personnelle ? (Rire. Il marque un temps avant de me répondre). Le film « Titanic » a beaucoup ému ma maman et, depuis tout jeune, je sais que je veux faire du cinéma pour toucher les gens de la même manière. Ado, j’étais un solitaire en conflit avec le regard que les autres posaient sur moi. J’ai grandi en tant que garçon gay, en vivant difficilement l’intimité en amitié. Quand j’ai commencé mes études de cinéma, j’ai compris que pour rencontrer le public, je ne ferais pas du cinéma à grand spectacle, mais je mettrais en scène ce qui me touche. Je puise dans l’intime, oui, mais pour toucher à l’universel.
Vos films reçoivent un magnifique accueil public et voyagent partout dans le monde, des César aux Oscars. Pensez-vous que le regard de la société sur la question gay notamment est clairement en passe de changer … Certes, mais il y a quand même peu de films sur l’intimité des ados de même sexe. Quant au succès rencontré par mes films, il tient à l’universalité des thèmes. « Girl », film sur la transidentité se veut aussi et surtout, une réflexion sur la relation que nous avons avec notre corps. De même « Close » est avant tout une histoire d’amitié, d’intimité, de trahison, de responsabilité. Tout le monde se retrouve dans cette histoire : qui n’a pas perdu un ami ? Peu importe les raisons. On change, on évolue et on laisse parfois derrière nous des amitiés très fortes. Ce fut mon cas.
Le livre de la psychologue Niobe Way, « Deep Secrets » vous a beaucoup inspiré. Que raconte-t-il ? C’est un livre très intéressant. Niobe Way suit 150 garçons entre 13 et 18 ans. 13 ans, c’est l’âge de Léo et Remi dans « Close ». Elle remarque qu’à cet âge-là, les garçons parlent de leurs amis avec beaucoup d’émotions et d’intimité. Mais entre 15-18 ans, les garçons sont devenus ados, et ils ont beaucoup de mal à évoquer l’intimité avec leurs amis masculins…
La préadolescence, est-ce à ce moment précis que se joue la relation au monde ? La préadolescence est un moment très particulier et fragile. Les enfants sont en relation avec leur monde intérieur, où l’innocence et l’imagination ont la part belle, mais dès 13 ans, ils entrent dans une période, la préadolescence, où ils découvrent le monde extérieur, les normes, cases, attentes. Le préado est vite confronté à l’idée qu’un homme n’exprime pas ses sentiments comme une femme, qu’il se doit d’être fort et protecteur, bref tous les clichés liés au patriarcat. Le langage émotionnel avec les amis du même sexe tend peu à peu à s’estomper.
Léo a peur de la façon dont les autres pourraient envisager son amitié très forte avec Rémi et il va modifier son comportement. Il choisit notamment de faire du hockey sur glace. Ce sport n’est pas anodin, c’est le dernier bastion de la masculinité, un sport à la dure … Oui, le hockey sur glace est un monde très viril, mais ce qui m’intéressait surtout c’est le costume. Car il ne monte aucun détail du corps. Au contraire, il enferme, emprisonne la fragilité de Léo ; puis, sa culpabilité. Ce costume dans un contexte dramaturgique connote beaucoup de choses.
Si vous n’aviez pas été réalisateur, vous auriez, dites-vous, été danseur. Un rêve que vous abandonnez à 13 ans car vous aviez peur d’être jugé. Aujourd’hui, regrettez-vous ce choix ? Non. Car le corps, le mouvement, la danse sont des éléments centraux de mon travail. On m’a souvent dit que j’écrivais comme un chorégraphe. C’est vrai. Ainsi dans « Close », ce corps-à-corps physique entre les deux ados …
J’ai vu vos deux films. S’il y a un trait commun qui les unit, c’est la sensibilité du regard… Oh merci, c’est très gentil. Je cherche toujours à saisir la sensibilité, la tendresse et les fragilités des personnages que je mets en scène. Cependant, je ne fais jamais l’impasse sur la brutalité ou la violence, mais je refuse de les montrer de manière frontale. C’est un choix assumé.
« Close » dans nos salles dès le 2 novembre 2022
Léo et Rémi, 13 ans, sont amis, intimes, ils se confient tout. Leur relation résistera-t-elle aux regards des autres ? « Close » est un film sur l’amitié et la responsabilité avec, dans les rôles principaux, deux jeunes révélations belges, Eden Dambrine et Gustav De Waele, ainsi que l’actrice belge Émilie Dequenne. Grand prix du Festival de Cannes.
En haut de l’affiche LAURENT DURIEUX
En haut de l’affiche LAURENT DURIEUX
Mots : Servane Calmant
Affiches : Laurent Durieux
Photo : Thomas Preudhomme
De Francis Ford Coppola, Stanley Kubrick, Steven Spielberg à Nicolas Winding Refn et nos compatriotes Fabrice Du Welz et Jan Bucquoy, tous ont fait appel au talent de l’illustrateur belge Laurent Durieux pour la création d’une affiche de film. Pas une énième affiche de marketing, non non, on vous parle ici d’affiche alternative où Durieux « le graphiste qui dessine » réinterprète des films cultes avec un sens indiscutable du détail, un goût certain pour le mystère et une admiration assumée pour l’esthétique rétrofuturiste. En résulte une affiche réhabilitée comme œuvre d’art collector que l’on s’arrache dès sa mise en vente sur le net !
La p’tite histoire raconte qu’à 8 ans, vos dessins plaisaient déjà à vos camarades de classe… Je n’étais pas forcément un élève brillant alors, oui, dès la primaire, j’ai tout misé sur le dessin. A 18 ans, alors que je maîtrisais parfaitement le dessin réaliste et que je suscitais déjà l’intérêt de certains éditeurs, ma mère m’a convaincu de m’inscrire à La Cambre pour élargir ma palette créative. J’y ai découvert un autre monde, celui du graphisme et de l’affiche. Je suis une hydre à deux têtes : à la fois passionné par la BD et par le graphisme. Mais le graphisme payant mieux que la BD, à 20 ans, j’ai choisi cette voie.
Vous avez vécu une autre vie avant la reconnaissance internationale… Oh oui ! Ma mue a été tardive. Rire. Pendant des années, j’ai travaillé comme graphiste dans la publicité, et dessiné des logos, notamment pour la Commission européenne, mais je n’étais pas heureux. Pour échapper au quotidien, je continuais à composer des affiches … En 2004, j’étais au bout du rouleau à force d’être bridé dans mes élans créatifs, je n’avais plus rien à perdre, alors j’ai pris une décision formidable : imposer ma propre vision. Ensuite, à force de travail, de travail, et encore de travail pour affiner mon style, j’ai séduit les Etats-Unis – j’avais déjà 40 ans !
Ce sont les Américains qui ont été les premiers à vous faire confiance ? Lüzer’s Archives (une revue autrichienne dédiée à la pub – nda) a publié deux de mes affiches, qui ont été remarquées par Mondo, un éditeur-galeriste américain spécialisé dans le cinéma, lequel m’a commandé à son tour des affiches alternatives 100 % officielles, c’est-à-dire conçues après accord avec les studios. Le travail et l’effet domino m’ont porté chance.
Mondo ne vous contacte donc pas pour une énième affiche promotionnelle mais pour une affiche artistique ! C’est en effet là tout le débat : l’affiche est-elle un art ou un support promotionnel ? Pour moi, la réponse est claire. Je déteste les affiches racoleuses, tout mon travail consiste donc à faire table rase des impératifs purement marketing, pour offrir au public un véritable objet artistique. Cette réhabilitation de l’affiche comme œuvre d’art a plu aux Américains…
Objet artistique, comme dans les années 50 ! Etes-vous passéiste ? Vintage ? Non, je ne crois pas. Ado, j’étais fasciné par les Etats-Unis et l’American Dream. A 50 ans, je pose évidemment un tout autre regard sur ce pays car l’Amérique aujourd’hui, c’est un rêve de vieux ! Il n’empêche, je reste un inconditionnel des codes esthétiques de l’époque. J’ai beaucoup appris à La Cambre mais c’est le travail d’Antonio Petrucceli que j’ai découvert sur les covers du magazine Fortune qui a été révélateur. Il est et reste une véritable source d’inspiration. De même que le design industriel et graphique de l’époque, qui était anglo-saxon. Raymond Loewy, un Franco-américain qui a fait l’essentiel de sa carrière aux Etats-Unis, m’a énormément apporté. Souvenez-vous de l’essor dans les années 50 de l’électroménager avec ses lignes et ses couleurs esthétiques. Quitte à passer pour un boomer, je le dis haut et fort : oui, notre époque est moche.
D’où votre intérêt pour le rétrofuturisme ? Je n’ai pas un style rétrofuturiste, comme je l’ai trop souvent entendu, j’ai un style moderne et je m’intéresse au rétrofuturisme, c’est-à-dire à la manière dont nos grands-parents dans les années 50 voyaient l’an 2000. Les autoroutes urbaines, les gratte-ciel Art déco, les lignes audacieuses des voitures … Ce futur fantasmé et sublimé, je le trouve incroyablement poétique.
C’est quoi le style Durieux ? Je suis un illustrateur du silence, me disait une amie. Ce n’est pas faux. Je n’aime pas dessiner des scènes d’action. A la manière d’Edward Hopper ou du peintre danois Vilhelm Hammershoi, mes affiches sont en effet peuplées de silhouettes, de personnages de dos, de portes entrouvertes, de pièces vides … J’aime le mystère que ce genre d’univers dégage.
Vos affiches sont pourtant incroyablement narratives ! Oui. Car je n’extrais pas une image du film mais je m’évertue à condenser l’entièreté d’un film en une image nouvelle, que je compose d’une multitude de détails, afin de réaliser différents niveaux de lecture. Concevoir une seule affiche alternative me prend entre 3 semaines et plusieurs mois ! Quant à cet intérêt assumé pour la narration, il me vient de mon amour pour la BD, que j’amène sur le terrain du graphisme. A La Cambre, on m’a enseigné que l’impact d’une affiche devait être immédiat. J’ai fait exactement le contraire et rencontré le succès !
Ainsi cette affiche de Jaws où vous illustrez la quiétude d’une journée ensoleillée à la plage avec néanmoins ce petit détail qui tue : un aileron noir sur un parasol au premier plan… A l’époque, cette affiche n’a absolument pas été comprise par le public car j’ai pris le contre-pied de ce qui était attendu ! Cette affiche exige qu’on s’y arrête, qu’on la regarde attentivement, qu’on la lise, qu’on la décode. Moi je fais des affiches pour les gens attentifs, pas pour les gens qui consomment vite et ne prennent pas le temps d’apprécier mon travail. Et j’aime beaucoup la connivence que j’installe alors entre moi et ce public.
Vous avez travaillé pour les plus grands, Francis Ford Coppola, Stanley Kubrick, Steven Spielberg, sans faire pour autant l’impasse sur de belles collaborations avec des réalisateurs belges … J’ai rencontré Fabrice Du Welz lors d’un festival de cinéma, c’est un réalisateur sincère. J’ai accepté d’emblée de faire une affiche pour son film Adoration. Jan Bucquoy, c’est pareil, j’ai découvert une personnalité attachante; l’affiche de La Dernière Tentation des Belges est d’ailleurs particulièrement belle.
Qu’est-ce qui vous motive à accepter ou à refuser un projet ? L’intérêt que j’y porte. Si vous saviez le nombre de sollicitations que je refuse ! J’ai beaucoup aimé les trois premiers épisodes de Star Wars mais l’univers créé par Lucas ne m’intéresse pas. Il en va de même pour tous les groupes de rock métal qui me contactent pour une pochette de vinyle. Mais le métal, non ! Le tourneur de Jack White souhaitait que je crée une affiche pour sa tournée, mais là encore… Je suis un peu snob en musique. Je rêve de collaborer avec des musiciens brésiliens ou de jazz, mais pour l’instant je n’ai reçu aucune demande – dommage !
Parlons sérigraphie, c’est ça ou rien ! Entre la sérigraphie et la quadri, il n’y a pas photo au niveau du rendu ! Donc oui, toutes mes affiches sont imprimées en séri-
graphie, un art qui est malheureusement en train de mourir en Belgique. Je travaille avec Vincent Carlier de l’Atelier Vertical que je considère comme un véritable imprimeur d’art, mais il a prévu de stopper son activité dans un an et demi…
Vous avez créé plus de 150 affiches qui suscitent un véritable engouement ! Mes affiches ont pour vocation d’être diffusées. On peut les acheter via le site posterissim.com, mon site, ma page Facebook ou encore lors des ventes en ligne de mes éditeurs. Et il faut en effet se lever tôt !
Etes-vous un affichiste professionnel ? Non. Aujourd’hui, je suis spécialisé en création d’affiche mais demain, je pourrais tout à fait changer de support. Je suis un illustrateur passionné par l’image et par ce que raconte une image.
Pour tout savoir sur l’art de Laurent Durieux, on vous recommande chaudement ce bel ouvrage de 278 pages, qui contient ses affiches les plus célèbres, d’autres jamais montrées, un entretien inédit et plusieurs textes dont celui de Coppola en personne. Extrait : « Le très beau travail de Laurent Durieux élève l’art de l’affiche à un haut niveau. Les images, qui sont exécutées remarquablement, expriment des idées et des thèmes du film qu’il a choisi d’un nouvel éclairage. Ses images racontent beaucoup de choses sans mots et font partie de la merveilleuse tradition de l’art de l’illustration. »
La chasse à l’homme de Lucas belvaux
La chasse à l’homme de Lucas belvaux
Mots : Ariane Dufourny
Photo : Gilles Pensart
Sacrée carte de visite ! Lucas Belvaux, acteur namurois et réalisateur de 11 longs métrages, signe avec « Les tourmentés » un premier roman noir et lumineux à la fois. A travers un style percutant, nous suivons les pensées tourmentées de Skender, Max, Madame, Manon et Dylan, pendant les six mois qui précèdent une chasse à l’homme délibérée entre adultes consentants.
« Les tourmentés », un roman choral à 5 voix où chaque personnage s’exprime. Pourquoi ce choix des soliloques ? La littérature m’a permis de me sentir plus libre même si mon expérience de l’écriture de script a probablement nourri mon écriture. Les soliloques permettent de rencontrer l’histoire et chacun des personnages sur plusieurs points de vue, mais aussi d’être au plus proche de leur intimité.
Un titre évocateur, un rythme narratif soutenu. Est-ce caractéristique de votre style ? C’est surtout révélateur d’une de mes douleurs : je panique à l’idée que le spectateur ou le lecteur s’ennuie ! Je travaille mes scénarios pour que le spectateur s’intéresse aux personnages, à leur histoire, et qu’il se sente entraîner dans une longue apnée où il oublie tout. Pareil pour le lecteur.
Qu’est-ce qui vous a inspiré ce roman noir ? L’époque, sa violence, sa dureté. A l’origine, le roman « Les tourmentés » est une idée de film. La chasse à l’homme est un genre en soi du film noir ou du film d’horreur. Au cinéma ou en littérature, ce genre confère une extrême liberté à celui qui l’écrit.
La chasse à l’homme m’évoque le film sorti en 1983, « Le prix du danger », d’Yves Boisset avec qui vous avez tourné dans « Allons z’enfants » en 1981. Une actualité plausible de nos jours ? On n’en est pas si loin, quand on voit comment certains assument le mensonge, notamment dans les propagandes. On est dans une ère d’idéologie de mensonges et les barrières tombent. Quelle sera la prochaine ? C’est plutôt inquiétant.
Le pouvoir de l’argent permet-il tout ? Oui ! Prenons, par exemple, Elon Musk qui décide de créer une galaxie de satellites qui tournent autour de la terre au détriment du bien commun…
Une chasse à l’homme : quelle proposition indécente ! Doit-on la comprendre comme un déclic nécessaire à une remise en question ? Des propositions indécentes, ce sont les gens qui vendent leurs organes vitaux. Dans mon roman, à partir du moment où Skender accepte la proposition de l’idée de mourir, il est déjà mort, en dehors du monde des vivants. Un choix tel que celui-là remet tout en question, comme une expérience de mort imminente. Ça change le point de vue.
Jusqu’où peut-on aller pour assurer le bonheur de ses enfants ? Certains sont prêts à mourir et iront très loin pour le bonheur de leurs enfants. D’autres, pas du tout. Le bonheur des enfants reste très théorique. Constatez par vous-même le nombre de crimes incestueux et d’agressions sexuelles. Ces gens-là mettent leurs enfants au service de leur propre bonheur.
Si vous deviez nommer Madame, cette femme traumatisée par une enfance volée, passionnée par l’art et la chasse ? Peut-être Agnès comme la jeune fille innocente, élevée par Arnolphe, dans « L’École des femmes ». C’est en partie cette pièce de Molière qui m’a inspiré le personnage de Madame.
Peut-on renoncer à tout par amour, comme certains de vos protagonistes ? Oui, on peut renoncer à tout par amour. Se remettre en question profondément par amour, par amitié, par changement de point de vue sur le monde.
« Les tourmentés » se veut-il un roman sombre d’apprentissage ? Oui, un roman d’apprentissage paradoxal car il ne concerne pas des enfants ou adolescents mais des adultes. Des adultes qui ont eu des enfances fracassées, des adolescences volées. Des adultes pas complètement formés, mûrs. Il faudra des événements extrêmes pour qu’ils deviennent des adultes accomplis.
Prévoyez-vous de mettre en scène votre roman ? Je l’espère, je travaille actuellement sur son adaptation pour le cinéma.
Dites-nous, Marie Daulne …
Dites-nous, Marie Daulne …
Mots : Servane Calmant
Photo : DR
Avec l’artiste belgo-congolaise Marie Daulne aka Zap Mama, on a parlé d’ « Odyssée », son nouvel album, d’identité, de legs culturel, des cours d’Ethno Vocal Groove qu’elle dispense, de rumba congolaise aussi. Rencontre avec une femme inspirante, pilier du circuit des musiques du monde depuis plus de 25 ans.
Vous avez neuf albums à votre actif, « Odyssée » est cependant votre premier album 100% francophone. Pourquoi avoir attendu si longtemps ? Le public de Zap Mama était plus anglo-saxon que francophone (aux États-Unis, le premier album du groupe est resté onze semaines en tête des ventes du classement Musiques du monde du Billboard – ndlr). Un public plus flamand que wallon également, allez savoir pourquoi ! Ensuite, en abordant l’aventure musicale en solo avec le nom originel du groupe, j’ai continué sur ma lancée. Puis, en 2000, je me suis installée à New York, chanter en anglais s’imposait également…
Que vous inspire la francophonie ? Mon enfance. Mes racines sont francophones; ma mère, congolaise, nous parlait exclusivement en français. Mes références culturelles le sont aussi. Mama était fan d’Adamo, il a d’ailleurs accepté de signer les paroles d’une chanson sur mon nouvel album.
« Odyssée », le titre de ce nouvel opus, « reflète parfaitement votre état d’esprit actuel », dites-vous … Oui. Je suis dans la belle cinquantaine avec, derrière moi, 9 albums, une carrière riche et mouvementée dont je suis très satisfaite, mais très sincèrement, je me vois mal continuer à faire des tournées de ville en ville pendant encore des années. Alors, j’ai réfléchi à mon legs, à la manière dont je pourrais devenir une sorte de référence pour toutes les femmes issues de deux cultures, notamment belges et congolaises, souvent en quête d’identité. « Odyssée », c’est une invitation musicale à trouver le bon chemin de la vie même s’il est parsemé d’embûches – le contentieux belgo-congolais pour preuve. Cet album est imprégné de ma philosophie de vie : si on ne sait pas changer le monde, il faut être capable d’en voir la positivité, les bonnes énergies. D’où ce cocktail sonore énergisant qui se métisse dans une belle aventure afropéenne …
Votre univers emprunte à nouveau tous les chemins musicaux du monde, afro, latino, hip-hop, jazz, urban, et même de la rumba congolaise… Enfin reconnue comme patrimoine culturel immatériel de l’humanité par l’UNESCO ! Là encore je fais référence à mes racines belgo-congolaises. Honneur à la rumba oui, mais métissée avec des sonorités occidentales, ce qui donne presque de la salsa … Stromae s’est également inspiré de la culture musicale du Congo avec le succès qu’on lui connaît.
Il y a toujours beaucoup de groove dans vos albums, comment ça se travaille ? Sans être trop technique, on choisit des ondes sonores qui s’adressent directement au corps, plutôt qu’au mental. Ensuite, on construit un ensemble rythmique qui donne envie de bouger !

Dans « A mi », votre deuxième single envoyé en éclaireur, vous chantez ce refrain « mi joy, mi pain », presqu’un cri. La vie, c’est mi-joie mi-peine ? Je reviens d’une mission au Congo où j’ai été rejoindre l’équipe du médecin Mukwege, « l’homme qui répare les femmes » (et Prix Nobel de la paix 2018 pour son combat contre les violences faites aux femmes – ndlr) pour animer un atelier de musicothérapie. J’ai été impressionnée par le travail de la musique sur ces jeunes « survivantes ». Chanter leur permet d’échapper, un instant, à leurs tragiques souvenirs et sert surtout à briser l’isolement social dont souffrent beaucoup de victimes de viol. Ces femmes, je les ai vues revivre, chanter, sourire, rire. Je leur ai notamment appris des mélodies qu’elles peuvent chanter à tue-tête ou intérieurement à l’instar des berceuses. A cet effet, j’ai développé une méthode, l’Ethno Vocal Groove, inspirée de la culture congolaise de ma mère qui m’enseignait à rester positive grâce au chant, qui s’inscrit parfaitement dans la musicothérapie. Mon souhait est de former des filles sur place, au Congo, pour enseigner cette méthode.
Votre fille, K-Zia, emprunte le même chemin que vous puisqu’elle a décidé de s’exprimer en musique. Quel a été votre premier conseil de mère ? Comme ma fille a toujours baigné dans la musique, je lui ai conseillé d’avoir d’autres outils en main. Elle a décroché un diplôme en communication. Toute ma vie, je l’ai mise en garde : si tu vois ta mère heureuse, ce n’est pas parce que la musique rend heureux/se, c’est parce que j’ai choisi ma voie. Trouve la tienne. Aujourd’hui, elle chante et elle vient tout récemment de réaliser un rêve d’enfant en décrochant un rôle dans un film français.
25 ans de carrière. Un souvenir musical inoubliable ? Une rencontre plus marquante que d’autres ? Il y en a plein mais puisque vous me demandez de choisir. Mémorables : les quatre concerts au Hollywood Bawl à Los Angeles. Importante : la rencontre musicale avec Erykah Badu. J’ai beaucoup de respect pour la chanteuse – il n’y a jamais eu de rivalité entre nous, au contraire, plutôt de l’amitié – et beaucoup de respect pour la femme, la militante, qui a aidé les Afro-Américaines à sortir de leur ghetto.