Angelo Bison - ce regard qui tue
Angelo Bison
Ce regard qui tue
Mots : Servane Calmant
Photos : Anthony Dehez
La troisième et ultime saison de la série belge francophone « Ennemi Public » devrait à nouveau faire un carton d’audience. Le mérite en revient notamment à Angelo Bison, homme de théâtre depuis 40 ans, qui a accepté d’endosser le rôle phare de Guy Béranger, assassin d’enfants. Rencontre avec un acteur prévenant, dont le regard noir perçant a pourtant glacé des millions de téléspectateurs.
Alors que les deux premières saisons d’ « Ennemi public » ont débarqué sur Netflix, nous rencontrons Angelo Bison à la villa Empain pour le shooting de notre couverture. «Mais Angelo, où sont passés vos cheveux mi-longs ? ». De toute évidence, dans la dernière et ultime saison de la série belge qui sortira sur nos petits écrans au printemps prochain, Guy Béranger change de tête. Pour dévoiler la véritable nature de ses démons? On espère arracher à Angelo Bison d’autres confidences que capillaires… Patience.
Les téléspectateurs belges vous ont découvert à la faveur d’ « Ennemi Public », mais les amateurs de théâtre vous connaissent depuis belle lurette ! 42 ans, un bail. J’ai décidé, c’est un scoop, de mettre fin à ma carrière théâtrale. J’ai dit ce que j’avais à dire. Le théâtre m’a comblé, il m’a nourri au sens propre et figuré. Il m’a fait vivre et m’a élevé. Gagner sa vie en s’amusant, c’est un sacré privilège. Après avoir joué une centaine de pièces, j’ai eu l’impression ces dernières années que j’étais au bout du chemin. Il est temps d’en prendre un autre. Et cette découverte de l’image, de la caméra, me plaît beaucoup.
C’est la télé qui est venue à vous ? Avant « Ennemi public », je n’avais accepté que quelques petits rôles anecdotiques au cinéma. Deux jeunes réalisateurs, Matthieu Frances et Gary Seghers, m’ont proposé non pas de rejoindre un casting mais de tourner un pilote d’une série belge. Matthieu m’avait vu au Rideau de Bruxelles dans « Fabbrica » de Pietro Pizzuti (pour lequel Angelo Bison a reçu le prix « Meilleur seul en scène », nda) et souhaitait m’offrir « un rôle à ma mesure », m’avait-il gentiment écrit. Ce pilote de « Ennemi public » a convaincu le service production de la RTBF qui a donné son accord pour la saison 1. Pour la petite anecdote : j’ai ensuite rejoué une petite scène pour voir si j’étais capable de tenir le rôle. Comme quoi, malgré 40 ans sur les planches, rien n’est jamais acquis. Et je trouve ça normal et pro, car si le personnage de Béranger n’avait pas tenu la route, la série n’aurait pas rencontré le succès qu’elle a connu. Sur le plan personnel, j’ai apprécié cette nécessité de me remettre sans cesse en question. La seule manière d’avancer.
Béranger, vous le côtoyez depuis 2016, date de diffusion de la saison 1. A croire que vous aimez les fêlés… Je vis avec lui depuis 8 ans, si on prend en compte le pilote de la série. Et, au théâtre, j’en ai côtoyé des fêlés, en effet ! Dans « L’avenir dure longtemps », j’ai endossé le rôle de Louis Althusser, ce philosophe français qui a étranglé sa femme. J’aime les personnages tordus car il me ramène à la complexité de l’être humain et m’oblige à étudier des comportements qui sortent de la sphère rationnelle et sont probablement animés par des pulsions qui engendrent une dépendance. S’agissant de Guy Béranger, la motivation principale de ses meurtres est basée sur la satisfaction qu’il ressent à les commettre. De quel ordre est cette sensation, cette pulsion, je n’en sais rien. Une certitude : il doit tuer encore pour retrouver le vertige de cette sensation.
Qu’arrive-t-il à Guy Béranger dans cette ultime saison ? Je ne peux évidemment rien dévoiler, si ce n’est qu’on va enfin savoir si Chloé Muller (Stéphanie Blanchoud, nda) va retrouver sa sœur Jessica. Par ailleurs, à la fin de la saison 2, Béranger change de modus operandi et tue un adulte. Dans la saison 3, on entre dans la tête de ce personnage extrêmement déroutant et assez complexe pour susciter l’intérêt du téléspectateur pour cette 3e saison.
Béranger intrigue car il suscite à la fois le malaise et une certaine empathie… Exactement. Béranger n’a pas abusé des enfants qu’il tue, ce qui ne le rend pas moins dangereux et méprisable. Mais il ne s’agissait pas pour autant de camper un monstre, mais de me mettre dans la peau d’un être humain, pour lequel on puisse éventuellement ressentir une certaine empathie. Le festival Séries Mania m’a décerné le prix du « Meilleur acteur » pour ma performance dans « Ennemi public.» A cette occasion, la directrice du festival m’a fait un cadeau en me disant : « Béranger est un psychopathe, pourtant on n’arrive pas à lui en vouloir pour le mal qu’il a causé ! ». A ce moment-là, j’ai su que j’avais rempli ma mission.
C’est-à-dire ? J’ai réussi à offrir aux réalisateurs la matière qu’ils souhaitaient. Et j’en suis heureux.
Dans un entretien récent pour Be Perfect, Stéphanie Blanchoud (l’inspecteur Muller), formée comme vous au théâtre, m’avouait que la série « Ennemi public » lui avait apporté une notoriété nécessaire. Avez-vous ce même sentiment ? Oui. Au théâtre, j’étais (re)connu certes, mais de 500 voire 1000 amoureux de la scène, guère plus. Après la diffusion de la première saison d’ « Ennemi public », on me reconnaissait dans les rues de Bruxelles et on me demandait de poser pour un selfie plusieurs fois par jour ! Toujours en me complimentant, jamais pour critiquer le choix du rôle de Béranger. J’aime beaucoup ces moments d’échanges avec le public.
Vous avez été comédien et metteur en scène. Vous aimez l’image, dites-vous. Dois-je comprendre que la réalisation vous tente ? Oh non. Très sincèrement, ce qui m’a poussé à accepter « Ennemi public », c’est la volonté de faire plaisir. J’aime cette notion de « donner du plaisir » par le jeu, sur des planches ou devant l’œilleton de la caméra. De surcroit, je déteste le pouvoir. Diriger une équipe, non. Je veux être un serviteur pas un directeur. Même participer à un festival qui juge et récompense l’une ou l’autre prestation, non merci, très peu pour moi.
Avec quel réalisateur belge rêveriez-vous de tourner ? Je vais vous décevoir, mais aucun en particulier et tous à la fois. En revanche, je suis très exigeant sur le texte, je veux des histoires bien écrites. Mon prof de théâtre me disait : il faut qu’une pièce rende le public plus intelligent. C’est vrai aussi pour le cinéma.
Au cinéma où vous venez de donner la réplique à Vincent Macaigne… Sur le tournage en effet de « Bonnard, Pierre et Marthe » du talentueux Martin Provost (réalisateur e.a. de « Séraphine »), avec Vincent Macaigne, un homme charmant qui campe le peintre aux côtés de Cécile de France, sa compagne Marthe. Ce biopic sortira en 2023.
Angelo Bison, êtes-vous un sexagénaire heureux ? Oh oui, je pourrais mourir demain sans regret aucun. Jeune, je m’ennuyais à l’école, le théâtre m’a permis de trouver ma voie. Je lui ai donné 42 ans de ma vie. Mais il m’a sauvé. A partir du moment où vous êtes sauvé, vous ressentez uniquement de la reconnaissance. Que demander de plus ?
De l’amour ? Je l’ai trouvé également. J’ai été père sur le tard car le théâtre est exigeant et chronophage… Aujourd’hui, j’ai une épouse magnifique et je suis père de deux enfants formidables, Léonie 6 ans et Jules 9 ans. Je les conduis à l’école, je cuisine comme un vrai Italien (sourire), je fais du sport, je me promène dans les bois près de chez moi à Gerpinnes, je fais même le ménage (rire). Et j’attends un bon scénario qui viendra ou pas.
« Ennemi public », le dénouement
Librement inspiré d’un sujet on ne peut plus sensible chez nous, la libération conditionnelle de Michelle Martin, complice de Dutroux, « Ennemi Public » raconte l’histoire de Guy Béranger (Angelo Bison), ex-tueur d’enfants qui, au terme de sa peine de prison, demande à être accueilli à l’abbaye de Vielsart en Ardenne belge.
Lors de la saison 3, on sait déjà que Chloé, la jeune inspectrice de la police fédérale, va continuer à chercher sa petite sœur, alors que Béranger persévère dans son rôle de « moine parfait ». Mais, poussé par ses pulsions, il profitera de chaque instant pour se rendre au cœur du village et y repérer qui, parmi les enfants, sera sa prochaine victime. Frère Lucas pourra-t-il éviter le drame ?
Les saisons 1 et 2 sont disponibles sur Netflix. La saison 3 (6×60’), qui clôture la série, sera diffusée sur La Une/RTBF au printemps 2023.
Stéphanie Blanchoud - « Ennemi public m’a apporté une notoriété nécessaire »
Stéphanie Blanchoud
« Ennemi public m’a apporté une notoriété nécessaire »
Mots : Servane Calmant
Photo : Vincent Calmel
Elle incarne l’inspectrice Chloé Muller dans « Ennemi public » dont la saison 3, la dernière, sera diffusée sur La Une /RTBF début 2023. Elle est également à l’affiche du film « La Ligne » d’Ursula Meier, a signé un duo avec Benjamin Biolay et nous fixe prochainement rendez-vous au Rideau de Bruxelles. Stéphanie Blanchoud, Bruxelloise d’origine belgo-suisse, a le vent en poupe. Comment le vit-elle ? On lui a posé la question.
Comédienne, actrice, auteure, musicienne, chanteuse, vous êtes sur tous les fronts, êtes-vous une touche-à-tout voire une hyperactive ? Oh, non. Je suis d’abord comédienne, j’ai ensuite écrit pour moi et pour mes amis du Conservatoire, car j’estime que l’écriture et le jeu sont intimement liés. La musique est venue après et me complète. Mais j’ai senti les dix premières années de ma vie professionnelle que ces différentes casquettes brouillaient la perception des professionnels du secteur. Comment devaient-ils m’identifier ? Comme actrice ou chanteuse ? Je me suis un peu rebellée contre cette attitude. Comment voulez-vous vivre uniquement de la musique ou du jeu en Belgique ? En Angleterre, de nombreux artistes sont pluridisciplinaires ; on accepte enfin cette démarche chez nous, mais il a fallu du temps…
Si, je dis bien si vous deviez choisir une seule voie artistique, quelle serait-elle ? Jouer. Pour la grande liberté et l’aspect ludique que me procure le jeu.
Vos débuts sur scène, c’est au théâtre. Votre notoriété en revanche, vous la devez à la TV. Chloé Muller (la série « Ennemi public ») a-t-elle changé votre vie ? Non, mais cette série m’a beaucoup appris, notamment à tenir un personnage sur la durée. Elle m’a également apporté une sorte de légitimité. Il n’y a rien de pire pour un acteur que les périodes vides, creuses. L’écriture pour le théâtre, la musique, le cinéma, me permettent de les combler ces creux, mais « Ennemi public » m’a apporté une notoriété nécessaire. Grâce à la série, on ‘m’identifie’ plus facilement.
C’est difficile de se faire une place au soleil en Belgique francophone ? Oui, faire sa place et la tenir aussi.
Le comédien belge Philippe Jeusette, un autre personnage central de la série « Ennemi public », est décédé le 26 août dernier, quel est le plus beau souvenir qu’il vous a laissé ? Je connaissais Philippe bien avant « Ennemi public ». Je lui avais notamment écrit un rôle dans la pièce « Jackson Bay » mise en scène au Théâtre Jean Vilar à Bruxelles. Philippe, c’était un corps, une présence. Il a marqué tous les gens qu’il a côtoyés. Pour moi, il était avant tout un ami d’une grande fidélité.
Vous êtes à l’affiche de « La Ligne » d’Ursula Meier (en salle en janvier 2023) aux côtés notamment de Benjamin Biolay. Dans ce film, vous êtes condamnée à ne plus approcher la maison familiale pour avoir agressé votre mère. J’ai coécrit le scénario avec Ursula Meier. Le personnage principal est une femme violente, pas un homme, non, une femme. La violence féminine est un sujet peu abordé au cinéma.
Benjamin Biolay joue également dans « La Ligne ». Dans ce film, il est musicien ; vous êtes chanteuse. L’occasion d’un duo musical qui devrait sortir également début 2023… Exactement. Il a composé un extrait musical pour le film, qu’il a souhaité développer. Il m’a invitée à le rejoindre en studio d’enregistrement. Notre duo sortira tout prochainement. J’espère d’ailleurs, à l’occasion de ce film, pouvoir toucher le public français !
Car vous êtes également chanteuse. « Ritournelle », votre 5e album est sorti en septembre 2021. Sur les ondes radiophoniques et même dans nos salles de concert, vous êtes pourtant relativement discrète… Ce n’est pas du tout un choix. C’est la réalité d’une artiste qui chante en français en Belgique ! J’étais aux Nuits botanique en mai dernier et en première partie du concert de Benjamin Biolay au Cirque royal en septembre, mais c’est vrai que j’ai peu tourné. La pandémie a été dramatique pour le secteur artistique. Et malheureusement, beaucoup d’artistes manquent de promotion. Seuls les plus populaires sont mis en avant. Et si le digital est un bon outil, la radio et la TV restent indispensables pour élargir son public.
Etes-vous une femme particulièrement exigeante ? Oui. Je n’aime pas les compromis ni les calculs. Je marche à l’instinct, aux rencontres. Ma vie artistique s’est construite au fil des rencontres.
2023 sera-t-elle l’année Stéphanie Blanchoud ? Je l’espère. « Ennemi public », « La Ligne », le duo musical avec Biolay et aussi « Le temps qu’il faut à un bébé girafe pour se tenir debout », un texte (l’histoire d’un frère et d’une sœur confrontés au temps réglementaire des visites à la prison des femmes où est détenue leur mère – nda) mis en scène au Rideau de Bruxelles où, dès février, je partage les planches avec Laurent Capelluto.
Lukas Dhont - « Je parle de l’intime pour toucher à l’universel »
Lukas Dhont
« Je parle de l’intime pour toucher à l’universel »
Mots : Servane Calmant
Photos : DR
Après le bouleversant « Girl », notre compatriote Lukas Dhont explore une forte amitié entre deux préados du même sexe dans « Close », grand prix du Festival de Cannes 2022. Le réalisateur trentenaire y charrie des thèmes comme l’intimité en amitié, la trahison, la culpabilité, la responsabilité, avec une sensibilité et une humanité remarquables. Rencontre.
« Girl », votre premier film, parlait de la difficulté d’être transgenre dans une société qui aime les cases. Avec « Close », vous racontez également cette difficulté d’être soi-même. Vos films fonctionnent-ils comme une thérapie personnelle ? (Rire. Il marque un temps avant de me répondre). Le film « Titanic » a beaucoup ému ma maman et, depuis tout jeune, je sais que je veux faire du cinéma pour toucher les gens de la même manière. Ado, j’étais un solitaire en conflit avec le regard que les autres posaient sur moi. J’ai grandi en tant que garçon gay, en vivant difficilement l’intimité en amitié. Quand j’ai commencé mes études de cinéma, j’ai compris que pour rencontrer le public, je ne ferais pas du cinéma à grand spectacle, mais je mettrais en scène ce qui me touche. Je puise dans l’intime, oui, mais pour toucher à l’universel.
Vos films reçoivent un magnifique accueil public et voyagent partout dans le monde, des César aux Oscars. Pensez-vous que le regard de la société sur la question gay notamment est clairement en passe de changer … Certes, mais il y a quand même peu de films sur l’intimité des ados de même sexe. Quant au succès rencontré par mes films, il tient à l’universalité des thèmes. « Girl », film sur la transidentité se veut aussi et surtout, une réflexion sur la relation que nous avons avec notre corps. De même « Close » est avant tout une histoire d’amitié, d’intimité, de trahison, de responsabilité. Tout le monde se retrouve dans cette histoire : qui n’a pas perdu un ami ? Peu importe les raisons. On change, on évolue et on laisse parfois derrière nous des amitiés très fortes. Ce fut mon cas.
Le livre de la psychologue Niobe Way, « Deep Secrets » vous a beaucoup inspiré. Que raconte-t-il ? C’est un livre très intéressant. Niobe Way suit 150 garçons entre 13 et 18 ans. 13 ans, c’est l’âge de Léo et Remi dans « Close ». Elle remarque qu’à cet âge-là, les garçons parlent de leurs amis avec beaucoup d’émotions et d’intimité. Mais entre 15-18 ans, les garçons sont devenus ados, et ils ont beaucoup de mal à évoquer l’intimité avec leurs amis masculins…
La préadolescence, est-ce à ce moment précis que se joue la relation au monde ? La préadolescence est un moment très particulier et fragile. Les enfants sont en relation avec leur monde intérieur, où l’innocence et l’imagination ont la part belle, mais dès 13 ans, ils entrent dans une période, la préadolescence, où ils découvrent le monde extérieur, les normes, cases, attentes. Le préado est vite confronté à l’idée qu’un homme n’exprime pas ses sentiments comme une femme, qu’il se doit d’être fort et protecteur, bref tous les clichés liés au patriarcat. Le langage émotionnel avec les amis du même sexe tend peu à peu à s’estomper.
Léo a peur de la façon dont les autres pourraient envisager son amitié très forte avec Rémi et il va modifier son comportement. Il choisit notamment de faire du hockey sur glace. Ce sport n’est pas anodin, c’est le dernier bastion de la masculinité, un sport à la dure … Oui, le hockey sur glace est un monde très viril, mais ce qui m’intéressait surtout c’est le costume. Car il ne monte aucun détail du corps. Au contraire, il enferme, emprisonne la fragilité de Léo ; puis, sa culpabilité. Ce costume dans un contexte dramaturgique connote beaucoup de choses.
Si vous n’aviez pas été réalisateur, vous auriez, dites-vous, été danseur. Un rêve que vous abandonnez à 13 ans car vous aviez peur d’être jugé. Aujourd’hui, regrettez-vous ce choix ? Non. Car le corps, le mouvement, la danse sont des éléments centraux de mon travail. On m’a souvent dit que j’écrivais comme un chorégraphe. C’est vrai. Ainsi dans « Close », ce corps-à-corps physique entre les deux ados …
J’ai vu vos deux films. S’il y a un trait commun qui les unit, c’est la sensibilité du regard… Oh merci, c’est très gentil. Je cherche toujours à saisir la sensibilité, la tendresse et les fragilités des personnages que je mets en scène. Cependant, je ne fais jamais l’impasse sur la brutalité ou la violence, mais je refuse de les montrer de manière frontale. C’est un choix assumé.
« Close » dans nos salles dès le 2 novembre 2022
Léo et Rémi, 13 ans, sont amis, intimes, ils se confient tout. Leur relation résistera-t-elle aux regards des autres ? « Close » est un film sur l’amitié et la responsabilité avec, dans les rôles principaux, deux jeunes révélations belges, Eden Dambrine et Gustav De Waele, ainsi que l’actrice belge Émilie Dequenne. Grand prix du Festival de Cannes.
En haut de l’affiche LAURENT DURIEUX
En haut de l’affiche LAURENT DURIEUX
Mots : Servane Calmant
Affiches : Laurent Durieux
Photo : Thomas Preudhomme
De Francis Ford Coppola, Stanley Kubrick, Steven Spielberg à Nicolas Winding Refn et nos compatriotes Fabrice Du Welz et Jan Bucquoy, tous ont fait appel au talent de l’illustrateur belge Laurent Durieux pour la création d’une affiche de film. Pas une énième affiche de marketing, non non, on vous parle ici d’affiche alternative où Durieux « le graphiste qui dessine » réinterprète des films cultes avec un sens indiscutable du détail, un goût certain pour le mystère et une admiration assumée pour l’esthétique rétrofuturiste. En résulte une affiche réhabilitée comme œuvre d’art collector que l’on s’arrache dès sa mise en vente sur le net !
La p’tite histoire raconte qu’à 8 ans, vos dessins plaisaient déjà à vos camarades de classe… Je n’étais pas forcément un élève brillant alors, oui, dès la primaire, j’ai tout misé sur le dessin. A 18 ans, alors que je maîtrisais parfaitement le dessin réaliste et que je suscitais déjà l’intérêt de certains éditeurs, ma mère m’a convaincu de m’inscrire à La Cambre pour élargir ma palette créative. J’y ai découvert un autre monde, celui du graphisme et de l’affiche. Je suis une hydre à deux têtes : à la fois passionné par la BD et par le graphisme. Mais le graphisme payant mieux que la BD, à 20 ans, j’ai choisi cette voie.
Vous avez vécu une autre vie avant la reconnaissance internationale… Oh oui ! Ma mue a été tardive. Rire. Pendant des années, j’ai travaillé comme graphiste dans la publicité, et dessiné des logos, notamment pour la Commission européenne, mais je n’étais pas heureux. Pour échapper au quotidien, je continuais à composer des affiches … En 2004, j’étais au bout du rouleau à force d’être bridé dans mes élans créatifs, je n’avais plus rien à perdre, alors j’ai pris une décision formidable : imposer ma propre vision. Ensuite, à force de travail, de travail, et encore de travail pour affiner mon style, j’ai séduit les Etats-Unis – j’avais déjà 40 ans !
Ce sont les Américains qui ont été les premiers à vous faire confiance ? Lüzer’s Archives (une revue autrichienne dédiée à la pub – nda) a publié deux de mes affiches, qui ont été remarquées par Mondo, un éditeur-galeriste américain spécialisé dans le cinéma, lequel m’a commandé à son tour des affiches alternatives 100 % officielles, c’est-à-dire conçues après accord avec les studios. Le travail et l’effet domino m’ont porté chance.
Mondo ne vous contacte donc pas pour une énième affiche promotionnelle mais pour une affiche artistique ! C’est en effet là tout le débat : l’affiche est-elle un art ou un support promotionnel ? Pour moi, la réponse est claire. Je déteste les affiches racoleuses, tout mon travail consiste donc à faire table rase des impératifs purement marketing, pour offrir au public un véritable objet artistique. Cette réhabilitation de l’affiche comme œuvre d’art a plu aux Américains…
Objet artistique, comme dans les années 50 ! Etes-vous passéiste ? Vintage ? Non, je ne crois pas. Ado, j’étais fasciné par les Etats-Unis et l’American Dream. A 50 ans, je pose évidemment un tout autre regard sur ce pays car l’Amérique aujourd’hui, c’est un rêve de vieux ! Il n’empêche, je reste un inconditionnel des codes esthétiques de l’époque. J’ai beaucoup appris à La Cambre mais c’est le travail d’Antonio Petrucceli que j’ai découvert sur les covers du magazine Fortune qui a été révélateur. Il est et reste une véritable source d’inspiration. De même que le design industriel et graphique de l’époque, qui était anglo-saxon. Raymond Loewy, un Franco-américain qui a fait l’essentiel de sa carrière aux Etats-Unis, m’a énormément apporté. Souvenez-vous de l’essor dans les années 50 de l’électroménager avec ses lignes et ses couleurs esthétiques. Quitte à passer pour un boomer, je le dis haut et fort : oui, notre époque est moche.
D’où votre intérêt pour le rétrofuturisme ? Je n’ai pas un style rétrofuturiste, comme je l’ai trop souvent entendu, j’ai un style moderne et je m’intéresse au rétrofuturisme, c’est-à-dire à la manière dont nos grands-parents dans les années 50 voyaient l’an 2000. Les autoroutes urbaines, les gratte-ciel Art déco, les lignes audacieuses des voitures … Ce futur fantasmé et sublimé, je le trouve incroyablement poétique.
C’est quoi le style Durieux ? Je suis un illustrateur du silence, me disait une amie. Ce n’est pas faux. Je n’aime pas dessiner des scènes d’action. A la manière d’Edward Hopper ou du peintre danois Vilhelm Hammershoi, mes affiches sont en effet peuplées de silhouettes, de personnages de dos, de portes entrouvertes, de pièces vides … J’aime le mystère que ce genre d’univers dégage.
Vos affiches sont pourtant incroyablement narratives ! Oui. Car je n’extrais pas une image du film mais je m’évertue à condenser l’entièreté d’un film en une image nouvelle, que je compose d’une multitude de détails, afin de réaliser différents niveaux de lecture. Concevoir une seule affiche alternative me prend entre 3 semaines et plusieurs mois ! Quant à cet intérêt assumé pour la narration, il me vient de mon amour pour la BD, que j’amène sur le terrain du graphisme. A La Cambre, on m’a enseigné que l’impact d’une affiche devait être immédiat. J’ai fait exactement le contraire et rencontré le succès !
Ainsi cette affiche de Jaws où vous illustrez la quiétude d’une journée ensoleillée à la plage avec néanmoins ce petit détail qui tue : un aileron noir sur un parasol au premier plan… A l’époque, cette affiche n’a absolument pas été comprise par le public car j’ai pris le contre-pied de ce qui était attendu ! Cette affiche exige qu’on s’y arrête, qu’on la regarde attentivement, qu’on la lise, qu’on la décode. Moi je fais des affiches pour les gens attentifs, pas pour les gens qui consomment vite et ne prennent pas le temps d’apprécier mon travail. Et j’aime beaucoup la connivence que j’installe alors entre moi et ce public.
Vous avez travaillé pour les plus grands, Francis Ford Coppola, Stanley Kubrick, Steven Spielberg, sans faire pour autant l’impasse sur de belles collaborations avec des réalisateurs belges … J’ai rencontré Fabrice Du Welz lors d’un festival de cinéma, c’est un réalisateur sincère. J’ai accepté d’emblée de faire une affiche pour son film Adoration. Jan Bucquoy, c’est pareil, j’ai découvert une personnalité attachante; l’affiche de La Dernière Tentation des Belges est d’ailleurs particulièrement belle.
Qu’est-ce qui vous motive à accepter ou à refuser un projet ? L’intérêt que j’y porte. Si vous saviez le nombre de sollicitations que je refuse ! J’ai beaucoup aimé les trois premiers épisodes de Star Wars mais l’univers créé par Lucas ne m’intéresse pas. Il en va de même pour tous les groupes de rock métal qui me contactent pour une pochette de vinyle. Mais le métal, non ! Le tourneur de Jack White souhaitait que je crée une affiche pour sa tournée, mais là encore… Je suis un peu snob en musique. Je rêve de collaborer avec des musiciens brésiliens ou de jazz, mais pour l’instant je n’ai reçu aucune demande – dommage !
Parlons sérigraphie, c’est ça ou rien ! Entre la sérigraphie et la quadri, il n’y a pas photo au niveau du rendu ! Donc oui, toutes mes affiches sont imprimées en séri-
graphie, un art qui est malheureusement en train de mourir en Belgique. Je travaille avec Vincent Carlier de l’Atelier Vertical que je considère comme un véritable imprimeur d’art, mais il a prévu de stopper son activité dans un an et demi…
Vous avez créé plus de 150 affiches qui suscitent un véritable engouement ! Mes affiches ont pour vocation d’être diffusées. On peut les acheter via le site posterissim.com, mon site, ma page Facebook ou encore lors des ventes en ligne de mes éditeurs. Et il faut en effet se lever tôt !
Etes-vous un affichiste professionnel ? Non. Aujourd’hui, je suis spécialisé en création d’affiche mais demain, je pourrais tout à fait changer de support. Je suis un illustrateur passionné par l’image et par ce que raconte une image.
Pour tout savoir sur l’art de Laurent Durieux, on vous recommande chaudement ce bel ouvrage de 278 pages, qui contient ses affiches les plus célèbres, d’autres jamais montrées, un entretien inédit et plusieurs textes dont celui de Coppola en personne. Extrait : « Le très beau travail de Laurent Durieux élève l’art de l’affiche à un haut niveau. Les images, qui sont exécutées remarquablement, expriment des idées et des thèmes du film qu’il a choisi d’un nouvel éclairage. Ses images racontent beaucoup de choses sans mots et font partie de la merveilleuse tradition de l’art de l’illustration. »
La chasse à l’homme de Lucas belvaux
La chasse à l’homme de Lucas belvaux
Mots : Ariane Dufourny
Photo : Gilles Pensart
Sacrée carte de visite ! Lucas Belvaux, acteur namurois et réalisateur de 11 longs métrages, signe avec « Les tourmentés » un premier roman noir et lumineux à la fois. A travers un style percutant, nous suivons les pensées tourmentées de Skender, Max, Madame, Manon et Dylan, pendant les six mois qui précèdent une chasse à l’homme délibérée entre adultes consentants.
« Les tourmentés », un roman choral à 5 voix où chaque personnage s’exprime. Pourquoi ce choix des soliloques ? La littérature m’a permis de me sentir plus libre même si mon expérience de l’écriture de script a probablement nourri mon écriture. Les soliloques permettent de rencontrer l’histoire et chacun des personnages sur plusieurs points de vue, mais aussi d’être au plus proche de leur intimité.
Un titre évocateur, un rythme narratif soutenu. Est-ce caractéristique de votre style ? C’est surtout révélateur d’une de mes douleurs : je panique à l’idée que le spectateur ou le lecteur s’ennuie ! Je travaille mes scénarios pour que le spectateur s’intéresse aux personnages, à leur histoire, et qu’il se sente entraîner dans une longue apnée où il oublie tout. Pareil pour le lecteur.
Qu’est-ce qui vous a inspiré ce roman noir ? L’époque, sa violence, sa dureté. A l’origine, le roman « Les tourmentés » est une idée de film. La chasse à l’homme est un genre en soi du film noir ou du film d’horreur. Au cinéma ou en littérature, ce genre confère une extrême liberté à celui qui l’écrit.
La chasse à l’homme m’évoque le film sorti en 1983, « Le prix du danger », d’Yves Boisset avec qui vous avez tourné dans « Allons z’enfants » en 1981. Une actualité plausible de nos jours ? On n’en est pas si loin, quand on voit comment certains assument le mensonge, notamment dans les propagandes. On est dans une ère d’idéologie de mensonges et les barrières tombent. Quelle sera la prochaine ? C’est plutôt inquiétant.
Le pouvoir de l’argent permet-il tout ? Oui ! Prenons, par exemple, Elon Musk qui décide de créer une galaxie de satellites qui tournent autour de la terre au détriment du bien commun…
Une chasse à l’homme : quelle proposition indécente ! Doit-on la comprendre comme un déclic nécessaire à une remise en question ? Des propositions indécentes, ce sont les gens qui vendent leurs organes vitaux. Dans mon roman, à partir du moment où Skender accepte la proposition de l’idée de mourir, il est déjà mort, en dehors du monde des vivants. Un choix tel que celui-là remet tout en question, comme une expérience de mort imminente. Ça change le point de vue.
Jusqu’où peut-on aller pour assurer le bonheur de ses enfants ? Certains sont prêts à mourir et iront très loin pour le bonheur de leurs enfants. D’autres, pas du tout. Le bonheur des enfants reste très théorique. Constatez par vous-même le nombre de crimes incestueux et d’agressions sexuelles. Ces gens-là mettent leurs enfants au service de leur propre bonheur.
Si vous deviez nommer Madame, cette femme traumatisée par une enfance volée, passionnée par l’art et la chasse ? Peut-être Agnès comme la jeune fille innocente, élevée par Arnolphe, dans « L’École des femmes ». C’est en partie cette pièce de Molière qui m’a inspiré le personnage de Madame.
Peut-on renoncer à tout par amour, comme certains de vos protagonistes ? Oui, on peut renoncer à tout par amour. Se remettre en question profondément par amour, par amitié, par changement de point de vue sur le monde.
« Les tourmentés » se veut-il un roman sombre d’apprentissage ? Oui, un roman d’apprentissage paradoxal car il ne concerne pas des enfants ou adolescents mais des adultes. Des adultes qui ont eu des enfances fracassées, des adolescences volées. Des adultes pas complètement formés, mûrs. Il faudra des événements extrêmes pour qu’ils deviennent des adultes accomplis.
Prévoyez-vous de mettre en scène votre roman ? Je l’espère, je travaille actuellement sur son adaptation pour le cinéma.
Dites-nous, Marie Daulne …
Dites-nous, Marie Daulne …
Mots : Servane Calmant
Photo : DR
Avec l’artiste belgo-congolaise Marie Daulne aka Zap Mama, on a parlé d’ « Odyssée », son nouvel album, d’identité, de legs culturel, des cours d’Ethno Vocal Groove qu’elle dispense, de rumba congolaise aussi. Rencontre avec une femme inspirante, pilier du circuit des musiques du monde depuis plus de 25 ans.
Vous avez neuf albums à votre actif, « Odyssée » est cependant votre premier album 100% francophone. Pourquoi avoir attendu si longtemps ? Le public de Zap Mama était plus anglo-saxon que francophone (aux États-Unis, le premier album du groupe est resté onze semaines en tête des ventes du classement Musiques du monde du Billboard – ndlr). Un public plus flamand que wallon également, allez savoir pourquoi ! Ensuite, en abordant l’aventure musicale en solo avec le nom originel du groupe, j’ai continué sur ma lancée. Puis, en 2000, je me suis installée à New York, chanter en anglais s’imposait également…
Que vous inspire la francophonie ? Mon enfance. Mes racines sont francophones; ma mère, congolaise, nous parlait exclusivement en français. Mes références culturelles le sont aussi. Mama était fan d’Adamo, il a d’ailleurs accepté de signer les paroles d’une chanson sur mon nouvel album.
« Odyssée », le titre de ce nouvel opus, « reflète parfaitement votre état d’esprit actuel », dites-vous … Oui. Je suis dans la belle cinquantaine avec, derrière moi, 9 albums, une carrière riche et mouvementée dont je suis très satisfaite, mais très sincèrement, je me vois mal continuer à faire des tournées de ville en ville pendant encore des années. Alors, j’ai réfléchi à mon legs, à la manière dont je pourrais devenir une sorte de référence pour toutes les femmes issues de deux cultures, notamment belges et congolaises, souvent en quête d’identité. « Odyssée », c’est une invitation musicale à trouver le bon chemin de la vie même s’il est parsemé d’embûches – le contentieux belgo-congolais pour preuve. Cet album est imprégné de ma philosophie de vie : si on ne sait pas changer le monde, il faut être capable d’en voir la positivité, les bonnes énergies. D’où ce cocktail sonore énergisant qui se métisse dans une belle aventure afropéenne …
Votre univers emprunte à nouveau tous les chemins musicaux du monde, afro, latino, hip-hop, jazz, urban, et même de la rumba congolaise… Enfin reconnue comme patrimoine culturel immatériel de l’humanité par l’UNESCO ! Là encore je fais référence à mes racines belgo-congolaises. Honneur à la rumba oui, mais métissée avec des sonorités occidentales, ce qui donne presque de la salsa … Stromae s’est également inspiré de la culture musicale du Congo avec le succès qu’on lui connaît.
Il y a toujours beaucoup de groove dans vos albums, comment ça se travaille ? Sans être trop technique, on choisit des ondes sonores qui s’adressent directement au corps, plutôt qu’au mental. Ensuite, on construit un ensemble rythmique qui donne envie de bouger !

Dans « A mi », votre deuxième single envoyé en éclaireur, vous chantez ce refrain « mi joy, mi pain », presqu’un cri. La vie, c’est mi-joie mi-peine ? Je reviens d’une mission au Congo où j’ai été rejoindre l’équipe du médecin Mukwege, « l’homme qui répare les femmes » (et Prix Nobel de la paix 2018 pour son combat contre les violences faites aux femmes – ndlr) pour animer un atelier de musicothérapie. J’ai été impressionnée par le travail de la musique sur ces jeunes « survivantes ». Chanter leur permet d’échapper, un instant, à leurs tragiques souvenirs et sert surtout à briser l’isolement social dont souffrent beaucoup de victimes de viol. Ces femmes, je les ai vues revivre, chanter, sourire, rire. Je leur ai notamment appris des mélodies qu’elles peuvent chanter à tue-tête ou intérieurement à l’instar des berceuses. A cet effet, j’ai développé une méthode, l’Ethno Vocal Groove, inspirée de la culture congolaise de ma mère qui m’enseignait à rester positive grâce au chant, qui s’inscrit parfaitement dans la musicothérapie. Mon souhait est de former des filles sur place, au Congo, pour enseigner cette méthode.
Votre fille, K-Zia, emprunte le même chemin que vous puisqu’elle a décidé de s’exprimer en musique. Quel a été votre premier conseil de mère ? Comme ma fille a toujours baigné dans la musique, je lui ai conseillé d’avoir d’autres outils en main. Elle a décroché un diplôme en communication. Toute ma vie, je l’ai mise en garde : si tu vois ta mère heureuse, ce n’est pas parce que la musique rend heureux/se, c’est parce que j’ai choisi ma voie. Trouve la tienne. Aujourd’hui, elle chante et elle vient tout récemment de réaliser un rêve d’enfant en décrochant un rôle dans un film français.
25 ans de carrière. Un souvenir musical inoubliable ? Une rencontre plus marquante que d’autres ? Il y en a plein mais puisque vous me demandez de choisir. Mémorables : les quatre concerts au Hollywood Bawl à Los Angeles. Importante : la rencontre musicale avec Erykah Badu. J’ai beaucoup de respect pour la chanteuse – il n’y a jamais eu de rivalité entre nous, au contraire, plutôt de l’amitié – et beaucoup de respect pour la femme, la militante, qui a aidé les Afro-Américaines à sortir de leur ghetto.
Juliette Nothomb - « Je n’ai rien oublié de ma fascination enfantine puis adolescente, de l’ivresse des sensations chevalines »
Juliette Nothomb
« Je n’ai rien oublié de ma fascination enfantine puis adolescente, de l’ivresse des sensations chevalines »
Mots : Ariane dufourny
Photo : France Dubois
On connait Juliette Nothomb à travers ses romans pour enfants et ses livres de cuisine. A l’occasion de la rentrée littéraire, l’autrice belge, sœur aînée d’Amélie Nothomb, nous présente son « Éloge du cheval » et invite les amoureux de la plus noble conquête de l’homme à célébrer l’harmonie et la liberté dont cet animal est l’incarnation.
Comment le cheval a-t-il entraîné l’homme vers son destin ? Le cheval est une force de mobilité mais aussi une arme de guerre qui peut, si on le dresse, se révéler très bon combattant. Sans le cheval, le destin de l’homme aurait donc été différent…
Quel est le rôle de la musique dans la vie du cheval ? La musique a toujours accompagné le cheval de guerre ou de parade. A des fins militaires, les tambours et trompettes effrayaient l’ennemi. Et au Moyen-Âge, les haquenées, ces juments d’allure douce étaient montées par les dames pour épater la galerie. On ajoutait de la musique au cortège pour accentuer la splendeur de la parade.
A 8 ans, vous avez eu un coup de foudre pour le cheval. Comment cet animal peut-il changer une vie ? Un sport que vous pratiquez en tandem avec un animal, dont on doit se faire comprendre sans parler ou presque, est inédit pour un enfant ou un adulte. On peut commencer à n’importe quel âge. Mon grand-père a débuté à 40 ans et est devenu un cavalier émérite. Aucun sportif professionnel, dans une autre discipline, ne pourra prétendre à faire de la compétition s’il apprend sur le tard.
Un enfant pratiquant l’équitation devient-il plus vite responsable qu’un autre ? Certainement s’il le fait sérieusement, pas pour la frime, et s’il aime son cheval car on ne peut pas aimer l’équitation sans aimer le cheval. Forcément, quand on aime un animal, on devient responsable.
Recommanderiez-vous l’équitation aux parents à la recherche d’un sport pour leur enfant ? Il faut que ça amuse l’enfant car certains ont peur et contre la peur, on ne peut rien. Celle-ci n’est pas injustifiée car ce n’est pas un animal de tout repos. Au siècle précédent, on faisait monter tous les garçons, et surtout les timorés qui se devaient d’être courageux. Heureusement, aujourd’hui, on pratique l’équitation par passion.
Quel cheval réel ou imaginaire vous a le plus marquée ? Dans les années 80, en France, le fameux Ourasi. Et en Belgique, on parlait d’un certain Taïwan qui était régulièrement dans le tiercé gagnant. Le journaliste hippique avait un cheveu sur la langue et prononçait Taiwan sans trémas. Ca nous faisait rire car, à l’époque, tout un chacun ne connaissait pas l’existence de ce tout petit pays perdu à côté de la Chine. Et puis les chevaux légendaires comme Bayard, le cheval des 4 quatre fils Aymon. Sa statue, à Namur, où il semble traverser La Meuse d’un seul bond avec quatre cavaliers sur le dos est extrêmement impressionnante.
En 2019, la Belgique a été sacrée championne d’Europe par équipes de saut d’obstacles. En 2O21, notre pays a décroché la médaille de bronze aux Jeux olympiques de Tokyo. En 2022, le cavalier Jérôme Guéry est sacré vice-champion du monde du concours individuel de saut d’obstacles au Mondial d’équitation avec son cheval Quel Homme de Hus . Vous passionnez-vous pour nos cavaliers belges et leurs chevaux ? J’ai gardé la passion et les connaissances mais je ne regarde les compétitions sportives qu’à l’occasion, à la télévision, même si je suis toujours aussi admirative de ce sport magnifique ou l’homme et la femme sont égaux vu qu’ils concourent ensemble.
Sœur d’Amélie Nothomb, un nom difficile à porter ou un tremplin ? Un tremplin et un très grand bonheur parce que ma sœur et moi, nous nous adorons. Avant qu’elle soit connue, on s’adorait. Depuis qu’elle est connue, on s’adore. Rien n’a changé ! Je me réjouis de sa notoriété parce qu’elle est vraiment douée. Si je n’étais pas sa sœur, je compterais parmi ses fans.
Du tac au tac avec Juliette
Quels sont vos points communs les plus flagrants ? Les souvenirs. Quand on raconte une anecdote, on utilise parfois les mêmes mots. Nous avons en passion commune le cinéma, la musique et l’écriture. Et la gourmandise, bien sûr.
Quelle est la plus grande qualité de votre sœur ? Sa générosité et son altruisme. Si quelqu’un de son entourage souffre, elle va souffrir en même temps que lui. Son côté christique me fait rire.
Son plus grand défaut ? L’impatience. Il faut que les choses soient faites vite car Amélie est très volontaire et pas du tout velléitaire. Cette réponse est un joker car ce n’est pas un défaut.
Vous appelez-vous souvent ? Tous les jours ! On ne se voit pas tellement mais quand on se revoit c’est comme si on s’était quittées la veille parce que le fil de la conversation n’a jamais été coupé.
A vos yeux, qu’est-ce qui rend si précieux l’amour sororal ? La confiance. On n’est pas seulement sœurs, on est aussi meilleures amies à la différence qu’on se connaît depuis toujours.
Comment qualifieriez-vous votre relation ? Fusionnelle.
Amélie nothomb - « Il nous appartient de nous délivrer d’une malédiction verbale de notre jeunesse »
Amélie nothomb
« Il nous appartient de nous délivrer d’une malédiction verbale de notre jeunesse »
Mots : Ariane Dufourny
Photo : Niko Aliagas
Pas de rentrée littéraire sans une Amélie Nothomb d’une régularité métronomique. L’auteure belge qui vient de fêter ses 55 ans poursuit son exploration des rapports familiaux avec « Le livre des sœurs », un 31e roman consacré à l’amour sororal. Une fiction qui nous renvoie à sa relation très forte avec son aînée, Juliette Nothomb, dont le nouveau roman sort au même moment.
« Le livre des sœurs » sort en même temps que « Éloge du cheval », le roman de votre sœur. Hasard du calendrier ou amour coordonné ? Quand j’ai su qu’Albin Michel, mon éditeur, publierait mon livre à la date habituelle, c’était l’occasion pour Juliette de publier son chef-d’œuvre « Éloge du cheval ». Ça nous donne l’immense plaisir de participer ensemble à de nombreuses émissions et séances de dédicace. C’est parfait !
Vous avez consacré « Premier sang » à votre père adoré. Sont-ce les déracinements liés à son métier de diplomate qui ont fait de vous des sœurs si proches ? Juliette a été très souvent ma seule compagnie dans des pays politiquement ou économiquement compliqués, où ne pouvions pas aller à l’école, où nous n’avions pas d’amis. On s’entendait déjà magnifiquement bien, mais ça nous a encore plus soudées.
A l’image de vos protagonistes, vous êtes-vous sentie délaissée par vos parents ? Non, mes parents, par leur métier, étaient tenus de sortir le soir. Ma sœur et moi, toutes les soirées de notre enfance, nous étions seules. Ça ne fait pas de nous des enfants délaissées mais le regard de nos parents sur nous, n’était pas aussi fréquent que nous pouvions l’espérer.
Tristane est une enfant surdouée passionnée par la littérature. Pourtant, elle vit le drame d’apparaitre comme une petite fille terne ? Avez-vous eu le même ressenti ? On ne m’a jamais traité de petite fille terne, en revanche de jeune fille laide, oui. La première fois que ma grand-mère m’a vue, elle m’a dit « ma petite, j’espère que tu es intelligente parce que tu es tellement laide ». Croyez-moi, ce n’était pas pour rire ; d’ailleurs, je n’ai pas ri du tout. Ça m’a beaucoup fait souffrir pendant mon adolescence.
En quatrième de couverture, on peut lire ceci: « Les mots ont le pouvoir qu’on leur donne ». Des mots peuvent être assassins ou marquer notre futur. Comment y échapper ? Nous avons presque tous connu, dans notre enfance ou notre adolescence, un épisode ou un mot qui nous est apparu comme une condamnation. Un mot maladroit, mal interprété, parfois réellement malveillant. Après de longues années de souffrance intense, cette parole n’était-elle pas simplement dite par inadvertance ? Était-ce finalement si négatif ? N’était-ce pas juste une idiote qui a formulé une bêtise? Les mots ont le pouvoir qu’on leur donne et il nous appartient, à l’âge adulte, de nous délivrer d’une malédiction verbale de notre jeunesse.
Cosette, la cousine de vos héroïnes, souffre d’anorexie. Une maladie que vous avez traversée durant votre adolescence. Qu’est-ce qui vous a permis de la surmonter ? Un miracle très violent ! A quinze ans et demi, je sentais vraiment que j’étais en train de mourir. A un moment, mon corps s’est séparé de mon âme. Celle-ci poussait des hurlements disant « Hors de question que tu manges. Je t’interdis de manger ». Mon corps n’a pas obéi à mon âme et est allé manger, tous les jours. Ca m’a guéri, en même temps, ce fut une énorme souffrance de vivre le corps séparé de l’âme. C’est grâce à l’écriture que j’ai pu, peu à peu, réintroduire mon âme dans mon corps.
L’étymologie de Tristane, votre héroïne, est dérivée de « tristis » qui signifie « triste. Celle de Laetitia, sa cadette, « joie ». A l’image des sœurs Nothomb ? Paradoxalement, on dirait que je suis très joyeuse et ma sœur a facilement l’air mélancolique, alors que c’est exactement le contraire. Mais ça ne se voit pas sur nos visages.
Tristane apprend à parler et à écrire précocement. Fut-ce également votre cas ? J’ai appris à lire quand je n’avais pas trois ans avec « Tintin en Amérique ». Au moment où la vache ressort de l’usine sous forme d’une saucisse, je me suis aperçue que je savais lire et que j’avais appris toute seule !
Vous êtes la petite sœur de Juliette. Trois ans vous séparent. Tristane se sent comme la cadette de Laetitia. Inversement, vous sentez-vous le moteur de votre fratrie ? A l’adolescence, j’ai eu l’impression que je devenais la sœur aînée, d’avoir plus d’expérience que ma sœur et le besoin de la protéger.
Votre succès a-t-il été un frein à l’amour qui vous unit à votre grande sœur ? Non, il n’y a jamais eu aucune forme de jalousie entre Juliette et moi. C’est formidable !
Du tac au tac avec Amélie
Quels sont vos points communs les plus flagrants ? Les souvenirs et la gourmandise.
Quelle est la plus grande qualité de votre sœur ? C’est une personne d’une gentillesse inimaginable.
Son plus grand défaut ? Elle est tout le temps dans la lune.
Vous appelez-vous souvent ? Elle est la première personne que j’appelle tous les matins.
A vos yeux, qu’est-ce qui rend si précieux l’amour sororal ? C’est le seul amour où le rapport de force est vraiment impossible.
Comment qualifieriez-vous votre relation ? Fusionnelle.
Dans le regard de Charlotte Abramow
Dans le regard de Charlotte Abramow
Mots : Barbara Wesoly
Photos : Charlotte Abramov
« C’est le regard qui fait le monde » affirme l’écrivaine Martine Delerm. Et lorsqu’il s’agit de Charlotte Abramow, rien ne pourrait être plus vrai. Dans le prisme de celui-ci, l’univers, l’humain et le corps y sont sublimés avec une désarmante sincérité, à laquelle se mêlent surréalisme et poésie. Depuis ce début du mois de septembre, l’artiste belge expose pour la première fois ses photographies sur ses terres bruxelloises. Une rétrospective de son œuvre féministe et engagée, tout à la fois intime et universelle.
Lorsque l’on demande à Charlotte Abramow ce qu’elle pense de son parcours, elle éclate d’un rire désarmant et se fend malicieusement d’un « j’ai soudainement l’impression d’avoir quatre-vingts ans ». Seules deux décennies séparent pourtant l’adolescente de dix-sept ans, qui se voyait décrite par l’illustre photographe Paolo Roversi comme ayant « La fragilité et l’âme d’une guerrière » et celle qui signe aujourd’hui une exposition à Hangar à Bruxelles, après la Galerie Fisheye à Arles et la Galerie Richard Taittinger à New York. Des années qui l’ont vu prendre la direction artistique du projet « BROL » d’Angèle et la réalisation de trois de ses clips mais aussi celle d’une version revisitée des « Passantes » de George Brassens. Concevoir « MAURICE, Tristesse et Rigolade », un livre racontant par l’image le parcours de vie et la renaissance de son père, au sortir du cancer et d’un coma. Photographier des personnalités , tout comme sa relation à sa mère et évoquer le corps, la sexualité, le consentement et la féminité sous de multiples formes, oniriques comme incisives. Un parcours pluriel, libre et lumineux qui donne au titre de son exposition belge « Volle Petrol », flandricisme de « à toute vitesse », tout son sens, mais aussi ses lettres de noblesse.
Vos premières photos, vous les avez réalisées à sept ans, dans la cour de l’école. Qu’est-ce qui, petite fille, vous attirait dans l’image ? « Mes parents m’ont sensibilisée très jeune à l’art et tout particulièrement à la peinture. Et ma maman avait l’habitude d’immortaliser nos souvenirs de famille à l’argentique. Je me rappelle qu’on m’avait donné un appareil photo jetable pour partir en classe verte. J’adorais faire poser mes copines, capter des souvenirs qui sont maintenant des images un peu absurdes. Quand on est petit, il y a une forme d’originalité, de spontanéité particulière. Mais ce n’est devenu une vraie passion qu’à 13 ans. On m’avait offert un petit modèle numérique, qui permettait de prendre des clichés en macro et un jour d’été où je m’ennuyais ferme, j’ai commencé à photographier les fleurs, les chats. C’était l’époque des Syblogs et je prenais des images de n’importe quoi pour les mettre sur mon profil. Puis j’ai débuté les autoportraits et des photos de mes amies. Au fil du temps, cela s’est transposé à des jeunes filles inconnues de Bruxelles et la photographie ne m’a plus jamais lâché. »
Vos clichés rappellent des peintures surréalistes, avec une place toute particulière à l’esthétisme et à la couleur. Est-ce un choix revendiqué ? « La peinture continue en effet énormément à m’inspirer, qu’il s’agisse des pigments, des teintes, de la texture, comme de l’imaginaire qui lui est propre. Et notamment Miro, qui m’a beaucoup influencé depuis l’enfance, par ses compositions, ses couleurs. Je pense qu’inconsciemment cela s’est traduit dans ma manière de façonner les images. Je reviens en effet toujours à la couleur. Elle possède un attrait particulier à mes yeux, même si j’apprécie aussi de m’approprier le noir et blanc, en fonction du contexte, de la lumière et du rendu recherché. Comme lors d’un récent travail sur des apicultrices, le projet « PIQUÉES » réalisé à l’occasion d’une expédition pour Guerlain et l’UNESCO et exposé à la Maison Guerlain de Paris jusqu’à mi-octobre. Représenter ces femmes en tenue blanche, casque noir, en pleine nature, donnait aux clichés une dynamique dramatique, intéressante et étrange. J’aime avant tout expérimenter. »
Vous êtes aussi passée derrière la caméra, notamment pour tourner plusieurs clips pour Angèle. Était-ce une sorte de digression, de parenthèse ou une suite logique de votre travail ? « Je savais que j’allais devoir à un moment m’essayer à la vidéo car elle est partie intégrante du monde de l’image. Ce n’est pas une parenthèse mais plus une branche, un médium ajouté à ma manière de travailler. Différent, même s’il demeure au final ce principe de chef d’orchestre, de savoir ce que l’on veut dire, comment. Je le considère comme un tandem avec la photo, une autre manière de raconter, avec tout le pouvoir du son, de la musique, qui apporte une autre sorte d’émotion, une autre temporalité. »
Et en dehors des collaborations avec des marques, des artistes ou des magazines comment débutent vos projets ? Sont-ils forcément préparés ou parfois totalement spontanés ? « Je dirais qu’ils sont à 80% pensés et mis en scène. Mais il arrive que la thématique m’inspire, sans pour autant que je sache véritablement où elle va me mener. C’était le cas pour la série « Find Your Clitoris », qui explore le plaisir féminin. J’avais envie d’images en gros plan, assez charnelles et érotiques, mais je n’avais pas d’idée précise de tableaux à composer. Idem pour « 40 min of Anaïs », qui était une totale improvisation de body painting. C’est alors plus une question d’image que d’envie cérébrale, de volonté de faire passer un message. C’était tout le contraire pour les portraits de l’auteure féministe Rokhaya Diallo et pour le projet Maurice où chaque détail a son importance. Mais je me laisse toujours une part de rencontre, d’instinct et d’expérimentation, la possibilité d’être emmenée vers des chemins inattendus. »
Quelle est pour vous l’essence d’un cliché réussi ? « C’est évidemment assez subjectif, mais pour moi, c’est une image qui reste, qui marque et provoque quelque chose d’indicible en soi. Qui peut être purement esthétique, et procurer du plaisir à regarder ou qui au contraire chamboule. Mais qui en tous les cas percute. »
Qu’est-ce qui justement vous émeut au quotidien ? « Cela peut sembler bateau, mais un peu tout. Un petit vieux qui rate son bus, des visages, des gens dans la rue, des corps, des manières de se mouvoir, des parcours et des étapes de la vie. Notre société, ce qu’elle traverse, notre manière de percevoir les choses et comment on y réagit. Finalement la photo amène à comprendre une part de l’existence. »
Et représente une certaine forme de thérapie ? « Oui sans doute. Fatalement, le cas le plus parlant a été le « Projet Maurice », qui abordait le cancer et le coma de mon père, sa reconstruction et sa renaissance. La photographie m’a permis de voir et de vivre sa maladie différemment. De l’apprivoiser à la manière d’une poésie plutôt qu’à en subir les séquelles. Lorsque je traite des thèmes comme le corps, ou la réappropriation du plaisir, cela peut aussi évoquer une forme thérapeutique, proche ou lointaine, une façon de digérer les choses autrement. »
Vos photos abordent des thèmes cruciaux, personnels, parfois douloureux, mais avec toujours une dose de pudeur, de poésie et aussi de surréalisme. Un mélange de légèreté et de gravité qui se doivent pour vous de cohabiter ? « Je n’essaye pas volontairement de mêler sérieux et absurde mais c’est ma manière de vivre et de retraduire ce que je rencontre et traverse. Une forme de naïveté, de bienveillance et de douceur, même quand c’est dur. Ce qui compte pour moi, c’est que les images puissent être un point de départ à la discussion, à la réflexion et au partage. Pas une finalité, mais une main tendue. »
Exposer ses créations, est-ce un aboutissement pour vous ? « Oui, c’est un accomplissement, un rêve. Et « Volle Petrol » à Hangar est la continuité de mes deux précédentes expositions à Arles et New York. C’est un retour concret sur les thématiques que j’ai pu aborder au fil des années. Sur ce parcours des vestiaires des filles où l’on comparait nos poitrines à des questions plus politiques et sociales, avec la découverte du féminisme, que je vois comme un grand projet de justice sociale. Même si la pression du retour au bercail est d’autant plus forte. Cela me rend vulnérable mais aussi très heureuse. »
Vous vivez désormais à Paris, mais demeurez très attachée à la Belgique ? « Je suis surtout attachée aux Belges et à leur manière d’être. J’ai découvert que la Belgique, on l’aime quand on la quitte ; c’est en partant qu’on voit à quel point elle est particulière. C’est cliché mais je trouve dans cette sympathie inhérente, cette forme d’autodérision et de détachement, une vraie poésie. »
Quels sont vos projets en cours ou à venir ? « Rien n’est encore vraiment défini. Comme beaucoup, la crise du Covid m’a fait relativiser sur l’essentialité des choses et amené à une profonde réflexion. Personne n’est sorti indemne de cette période. Et j’ai envie de transformer cette angoisse en moteur de créativité. Mon travail m’a amené à réaliser si souvent que l’intime, le corps, le tabou ou encore la peine, sont des thèmes aussi personnels et intérieurs qu’universels. Et même si j’ignore encore sous quelle forme, je continuerai de les explorer. »
Pierre De Maere - Born to be Alive. Et célèbre.
Pierre De Maere
Born to be Alive. Et célèbre.
Mots : Servane Calmant
Photos : Anthony Dehez
« Make me famous, please », c’est Pierre de Maere, troublante gueule d’ange aux yeux bleus d’azur, qui vous le demande. Avec ironie ? Un peu. Avec insolence ? Aussi. A 21 ans, cet auteur compositeur interprète originaire de Walhain, a réussi en un an à peine, à séduire les ondes avec une électro-pop accrocheuse à l’esthétique rétro chic super léchée. Un premier album qui sortira début 2023, après un EP stylé, devrait permettre à Pierre de réaliser son rêve : vivre une existence non ordinaire et devenir une superstar par amour d’un public qui lui rend (déjà) bien.
On rencontre Pierre de Maere, 21 ans, aux Terres d’Ici, une ferme concept basée à La Hulpe qui abrite une pépinière et un restaurant écoresponsable où l’équipe de Be Perfect aime venir siroter un excellent vin blanc. En ce 15 août, il fait particulièrement chaud. Pierre de Maere arrive en short, décontracté, les cheveux en bataille. La coupe au bol stricte, à la Mireille Mathieu, qui a fait son succès, il n’en veut plus. Message reçu pour un shooting en mode « out of bed ». D’emblée, on se fait la bise, c’est plus convivial. On se tutoie. Ses grands yeux bleus perçants m’interrogent. Ah non, les questions, c’est moi qui les pose… Faudrait pas que je me laisse impressionner !
21 ans, waow, c’est jeune ! A quel âge, Pierre de Maere s’est-il rendu compte qu’il avait une fibre artistique ? Tôt. Vers 10, 11 ans, je me suis initié à la composition et à la production grâce à l’application GarageBand (un logiciel d’enregistrement sur Mac – nda), je chantais en yaourt, puis dans un anglais assez pitoyable, juste pour le plaisir, pour échapper à l’ennui parfois, mais sans projet d’avenir artistique. Progressivement, j’ai délaissé la musique pour la photographie. Mes photos d’Alex Lawther, l’acteur de la série « The End of the F***ing World » sont publiées dans GQ Magazine. J’imagine ma voie toute tracée : la photo où j’intègre évidemment la mode et la direction artistique… Mais à 18 ans, au début du confinement, je décide d’écrire en français, c’est un véritable déclic : si en anglais, je chantais des sujets bateaux, je ressens soudain, en composant dans ma langue, le besoin de créer un univers, de parler de moi et de sujets personnels. Et je mets à profit mon expérience de photographe. Le facteur chance est au rendez-vous : j’écris et je publie un titre « Potins absurdes » sur Spotify, une plateforme de streaming. Ce single est repéré par Cinq7, un label français (où l’on retrouve Jean-Louis Murat, Bertrand Belin, Dominique A – nda) qui m’appelle aussitôt… Je signe un EP, « Un jour, je » qui sort en janvier 2022 et qui renferme mon premier single « Un jour, je marierai un ange », lequel va me propulser au-devant de la scène. Jusqu’ici, je suis vraiment un artiste verni, mais pas uniquement. Ce succès rapide, je le dois à des heures de travail.
Quelles sont tes références ? Ado, je tendais l’oreille à tout ce qui passait à la radio, puis j’ai apporté du crédit à ce qu’écoutaient mes parents : la chanson française du côté maternel et le rock anglo-saxon du côté de mon père, Bowie, Queen, Supertramp notamment. J’ai une culture hybride qui mixe les années 70, 80 et des artistes actuels, Stromae évidemment, les Français Yelle, The Do, La Femme, et Feu! Chatterton, les Canadiens Hubert Lenoir et Arcade Fire. Du côté des States, Tyler, The Creator et Lady Gaga, ma queen, une mère spirituelle pour moi. Ah, les Rita Mitsouko également, l’ovni des années 80.
Des artistes expressifs, hauts en couleur, qui ont du panache scénique ! Oui. Théâtralité, mise en scène, extravagance, dérision, provocation, insolence, insoumission, c’est tout ce que j’aime et qui imprègne mon travail. Quand je suis au rendez-vous professionnel, comme maintenant avec toi, je suis calme, serein, posé. Sur scène, je me lâche. J’aime le baroque, envoyer des strass et des paillettes. Envoyer du rêve.
Ah, et qui est Pierre de Maere alors ? Posé à la ville, excentrique sur scène, ce contraste me convient parfaitement. Je fais bien la part des choses.
Même quand tu demandes au public de te rendre célèbre ? Ce « make me famous » est en partie ironique. En partie seulement. Car, oui, j’aime cette célébrité soudaine.
Le quart d’heure de gloire de Warhol te suffira-t-il à être heureux ? Rire. Non, mais je ne réclame pas la gloire pas à tout prix. La célébrité, je la vois comme une reconnaissance de mon travail. Si le facteur chance a beaucoup joué dans ce début de carrière, le travail aussi. Devenir auteur/compositeur/producteur est exigent. Alors oui, j’aime la reconnaissance que m’apporte ce travail. Et l’estime qui va avec. Et l’amour du public. Les messages des fans sont terriblement touchants.
Tu te sens célèbre ? Oh non, la célébrité, c’est remplir Bercy !
Quel est ton public ? Il est très hétéroclite, composé de daronnes, quadras et quinquas, qui n’aiment pas la scène rap (rire) et qui sont ravies d’entendre un artiste au look de gendre idéal, chanter en français. Des gays également, qui se reconnaissent à travers moi. Du reste, c’est assez diversifié… Je ne souhaite absolument pas être catalogué chanteur arc-en-ciel. Mon label, heureusement, l’a bien compris, en se concentrant principalement sur la musique.
Comment te perçoit-il ce public ? Certains me trouvent pédant, ce n’est pas du tout le cas ! Ma folie des grandeurs peut irriter, mais je suis surtout un grand rêveur, avec une part de naïveté et beaucoup d’honnêteté dans mes textes. Je me définirais comme un romantique qui vend du rêve et attend d’être aimé en retour.
Ton univers étant très rétro, me vient logiquement cette question : que t’inspires notre époque ? Je ne suis pas du tout passéiste, ni en réaction à. Je suis bien ancré dans cette époque, mais mon choix esthétique, qui englobe la musique, la mode, la photo, le clip, est clairement rétro. Mon époque est plutôt frontale, crue, moi j’aime bien enrober le discours. C’est également une manière de me démarquer. Une chose est sûre : je suis moi-même et si je ne corresponds pas aux standards de l’époque, ce n’est franchement pas grave. D’autant que nous sommes relativement nombreux à aimer le rétro, l’argentique, les vinyles, la mode des seventies…
Musique, mode, scène, tu te sens influenceur ? Non. Je ne dénigre pas ce milieu mais, sincèrement, je ne suis aucun influenceur, aucune instagrammeuse. Ma force, c’est ma musique.
Mais tu aimes te démarquer. Avec, notamment, des R roulés ? En quelque sorte. Mais ce R est le fruit d’un accident, je n’ai pas suivi de cours de chant, ces r roulés ne sont pas un produit marketing, c’est arrivé tout simplement. Et j’ai trouvé ce R roulé très musical.
En chantant en français, tu n’as pas peur de te couper du monde anglo-saxon ? Stromae a déchaîné les foules américaines. Si la musicalité et les arrangements d’un morceau sont forts, il peut franchir la barrière de la langue. Je l’espère !
« Menteur », « J’aime, J’aime », « Regrets », tes textes questionnent bon nombre de tabous tels que le désir, la quête de reconnaissance ou les addictions. Pourtant, tu avoues ne pas aimer écrire… Ces textes qui figurent sur mon premier EP ne reflètent pas vraiment mon vécu, je suis trop jeune pour ça, ils expriment plutôt des fantasmes, ils sont une projection idéalisée de ma vie. Dans « Menteur », je le dis sans retenue, je voudrais être une superstar. Mes envies de réussite, je les ai exprimées. Mais écrire, pour revenir à ta question, c’est l’enfer, en effet. J’ai déjà reçu des textes d’autres auteurs, mais ils ne me ressemblent pas, l’écriture faisant partie intégrante de mon projet. En revanche, j’adore composer, produire. Je suis un addict des sons, j’aime l’aspect technique de la production. Je suis bien meilleur compositeur et producteur, qu’interprète. Certes, j’ai une signature vocale, mais je ne pense pas que je chante bien. Et comme les cours de chants ne me parlent pas… Oui, les arrangements, c’est vraiment ma tasse de thé. Je travaille avec mon frère, 23 ans, qui est ingénieur du son. On partage les mêmes références et il est de plus intégré au projet Pierre de Maere. Sur le prochain album, on a produit à deux la plupart des morceaux.
Pour les lives, tu as choisi l’AB Club à Bruxelles, puis la Cigale à Paris, « la plus belle soirée de ta vie », écris-tu sur Tik Tok. Paris, un sacré défi, non ? Mon label tenait à se focaliser sur Paris et la France, mais j’ai néanmoins tenu à ajouter Bruxelles, même si pour eux c’est de « l’expor ». L’AB Club, en mai dernier, et La Madeleine le 18 novembre prochain, deux dates auxquelles je tenais vraiment pour rencontrer mon public belge.
J’ai l’impression, mais corrige-moi si je m’égare, que tu te sentais un peu à l’étroit à Walhain, dans le Brabant wallon … Rire. J’ai vécu 10 ans à Bruxelles, puis mes parents se sont installés à Walhain. C’est un magnifique petit village pas si reculé que ça. Beaucoup de Bruxellois s’y sont installés, et je ne regrette pas d’y avoir passé mon adolescence. Mais ma vie actuelle, un pied à Paris un pied à Walhain, me convient mieux. C’est l’équilibre parfait. Je fais la fête là-bas, j’aime le bling parisien, et je me ressource ici. Car à Paris, oui, on peut vite devenir fou …
On a déjà écrit que l’année 2022 serait l’année Pierre de Maere, peut-on rajouter 2023 ? Oui, oui. Début 2023, je sors mon premier album, dont on connaît déjà un single, « Roméo ». Je l’ai envoyé en éclaireur, histoire de ne pas me faire oublier.
On sera au rendez-vous !
En concert à La Madeleine à Bruxelles, le 18 novembre.
EP sorti en 2022 : « Un jour, je » Nouveau single : « Roméo » (qui figurera sur l’album).
Premier album : début 2023