Renaissance de Jules Wabbes
Mots : Olivia Roks
Photos : DR
Designer belge à l’aura internationale, Jules Wabbes meurt prématurément à 54 ans. Pour les 50 ans de sa disparition, un sublime objet renaît de ses cendres : la lampe M57. Un nouveau luminaire dont le prototype avait disparu. Retour, avec sa fille Marie Wabbes, sur le parcours, le style et l’héritage du créateur.
Qui êtes-vous Marie Wabbes ? Je suis une des filles de Jules Wabbes. J’ai fait des études d’archéologie et d’histoire de l’art qui m’ont amené peu à peu à me plonger dans les archives de mon père, mort quand j’avais dix ans. J’ai eu la chance de pouvoir grandir dans la même maison, celle qu’il avait décorée et où ma mère habite toujours. Je connaissais très bien ses objets et ses meubles mais avec le regard d’un usager. Quand je me suis plongée dans ses archives, j’ai en quelque sorte redécouvert mon père, j’ai mieux compris son travail. J’ai recréé une chronologie parmi ses réalisations en les datant. Aujourd’hui, l’aventure continue à travers Général Décoration.
Avant la création d’objets, votre père, Jules Wabbes, était photographe et antiquaire. Comment expliquer sa transition, son intérêt du design venu peu à peu ? Dans une interview passée, il explique qu’il avait des amis artistes et peintres qui l’ont mis au défi : « toi qui travailles avec des vieilleries, tu devrais être plus contemporain, travailler avec ton époque », du coup ça l’a stimulé. Mais il faisait également de la décoration et il remarquait que chez certains clients, il manquait des objets, du coup il les créait pour eux. Et de la restauration, il est passé à la création de meubles…
Comment définiriez-vous son travail, son univers, ses affinités ? Il a un style à part, il n’a pas été influencé par l’époque des années 50 ou 60. Il a une esthétique intemporelle, puriste, rectiligne, les structures de ses objets sont toujours apparentes. Il a aussi un grand intérêt pour les matières, le bois et le métal particulièrement. Un métal qu’il a exploité dans toutes ses patines. Avec une vision globale de l’aménagement, il lui fallait également des luminaires. La lumière est un point essentiel pour créer une belle atmosphère. C’est l’un des premiers objets qu’il a créé.
Et ces fameux objets qui ont fait sa renommée ? Ce sont ses meubles à lattes primés à la Triennale de Milan en 1957. Il abandonne le placage pour un meuble extrêmement solide en bois massif. Mais à la Triennale, il avait aussi exposé cette fameuse lampe que l’on a refaite. Après cette foire, mon père était reconnu à l’échelle internationale. Ensuite, avec l’après-guerre, ses meubles de bureau ont suscité un grand intérêt. Il a eu aussi divers chantiers, l’un de ses derniers était la Générale de Banque.
L’ensemble de ses pièces se retrouvent sous le nom Géneral Decoration, une société que Jules Wabbes a créée dans le but d’éditer et diffuser ses réalisations. Aujourd’hui, l’entreprise existe toujours, un peu grâce à Vincent et Caroline Colet… Ma mère tenait beaucoup à cette société mais manquait de temps pour s’en occuper. Vincent, un ami d’enfance, ébéniste et antiquaire, s’y connaissait très bien. Il a voulu donner une autre impulsion à son travail et a dit à ma mère qu’il était intéressé de reprendre Général Décoration. On ne pouvait pas espérer mieux que lui ! Ça été un réel casse-tête de retrouver de précieux artisans belges. Ensuite Caroline a rejoint l’aventure et Vincent m’a gentiment laissé des parts de la société.
Pour les 50 ans de la disparition de votre père, la lampe M57 a été éditée, une lampe jamais commercialisée à ce jour et retrouver ses origines n’a pas été simple… Il s’agit d’une lampe créée tout spécialement pour Milan en 1957, d’où son nom. Il a voulu, je pense, un élément spectaculaire, représentatif de son travail. Mon père était grand et la lampe l’est également. Il aimait que l’on n’aperçoive pas la source lumineuse comme c’est le cas ici. Mais apparemment, à l’époque, la lampe avait un problème technique, elle surchauffait, elle n’a donc pas été commercialisée. Aujourd’hui, cette lampe a disparu, on ne l’a jamais retrouvée. On n’avait donc rien pour la reproduire à part quelques photos. La M57 se dévoile en laiton brossé avec des ailettes en laiton nickelé et des ampoules LED qui ne chauffent pas et diffusent une lumière chaude. Elle se met dans deux positions différentes afin de faire bouger les ailettes de manière à diffuser la lumière différemment.
Général Décoration prévoit d’autres nouveautés Jules Wabbes à venir ? Oui, tout n’a pas encore été créé. Il y a le projet de refaire les superbes accessoires de salle de bains mais aussi cette année les canapés.
Quel souvenir gardez-vous de votre père ? Si vous deviez partager une chose qu’il vous a transmise ? Depuis l’enfance, il nous a transmis le respect de l’objet. Enfant, c’était impensable de poser un verre d’eau sur un meuble en bois. On jouait également avec des blocs de bois et nous devions reconnaître de quel bois il s’agissait. Je n’ai pas hérité d’un talent de décoratrice mais je fais automatiquement attention aux choses qui m’entourent, à la lumière, je suis sensible aux ambiances… Il était très exigeant, il nous a sans nul doute aussi transmis son perfectionnisme.
Si vous ne deviez choisir qu’un objet créé par votre père ? Oh la la, c’est compliqué ! J’aime tout… Je dirais la lampe nid d’abeille, j’aime son rapport à la nature et le reflet qu’elle provoque.
www.jules-wabbes.com
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