Nathalie Van der Massen
Eloge de la matière
Mots : Barbara Wesoly
Photos : DR
Sous les doigts et la vision poétique de Nathalie Van der Massen, les étoffes s’incarnent en des dimensions toutes à la fois spatiales, lumineuses et acoustiques. Consacrée en janvier 2024 d’un prestigieux Henry van de Velde Young Talent Gold Award, elle inscrit ses œuvres sur le fil délicat du design textile et de l’architecture d’intérieur.
Vos créations sont multiples, exploi-tant les matériaux dans leur aspect le plus concret, presque tactile et en parallèle intangibles, imprégnées par les sensations comme les émotions. Où puisent-elles leurs origines ? J’ai toujours ressenti une grande curiosité envers les arts graphiques mais ma vision créative a éclos d’elle-même, une fois adulte, tandis que je découvrais en même temps mon identité profonde. C’est un processus finalement très organique, instinctif, qui m’a mené vers cette voie. Le besoin de toucher, de ressentir de mes mains cette connexion avec la matière. Cette sensation si gratifiante de voir son idée prendre forme concrète. C’était comme s’ouvrir à un nouveau monde.
Votre master en design graphique vous a alors conduit à collaborer avec le TextielMuseum de Tilburg et plus tard avec Christian Wijnants. Qu’avez-vous retiré de ces expériences ? Elles ont représenté un apprentissage exceptionnel. Le TextielMuseum m’a permis de découvrir ma fascination profonde pour les tissus et d’approfondir celle-ci par l’expérimentation et le développement. Mais je ne savais pas encore si je souhaitais m’orienter vers la mode ou le design. Ce stage avec Christian Wijnants comme ensuite l’invitation à réaliser des recherches à l’Institut flamand d’architecture m’ont amené vers une dimension plus large, celle du processus de travail. Et ainsi à percevoir mon besoin d’une création lente, rythmée par l’exploration et la réalisation manuelle. En cela l’architecture me correspond parfaitement.
La matière est-elle toujours à la base de vos œuvres ? Tout est une question d’équilibre entre matériau et contexte. Que le projet soit pour un client, en vue d’habiller un espace public ou pour une exposition, je m’interroge sur son sens profond comme sur la manière de l’élever, de l’amener à prendre forme en profondeur. C’est un dialogue permanent avec moi-même comme avec son commanditaire. Je commence le travail sans application, technique ou matériau définitif. L’œuvre naît d’une recherche constante et passionnante.
Qu’est-ce qui vous fascine dans le textile ? Sa complexité. A mes yeux il s’agit presque d’une architecture à une échelle macro voire microscopique. Les possibilités inhérentes aux textures et aux structures sont si vastes, sans parler des matières haut de gamme ou high-tech. Je suis tout autant fascinée par les fibres végétales, comme les herbes, le lin, qu’animales comme la laine, le cachemire et la soie, que par les innovations synthétiques axées sur le recyclage et même par le métal. Ils amènent des sensations différentes, des sentiments autres aussi. Et il est passionnant de constater à quel point leur choix et leur emploi peuvent affecter les émotions humaines, le ressenti d’un environnement. Cela rejoint aussi bien ma tendance à aller vers la résolution de problème avec ma pratique, que mon besoin artistique. J’aime tout particulièrement les matériaux ayant un côté farouche et leur propre caractère. C’est le cas du papier par exemple, très robuste et en même temps très délicat à travailler, cassant facilement et sensibilisé à la température, à l’atmosphère, à l’humidité. Ses réactions s’intègrent directement dans la logique même de création.
Est-il important qu’un objet ait également une dimension fonctionnelle ? C’est toujours une valeur ajoutée mais si c’est le cas, il doit l’être à 100%. Même s’il peut être tout aussi essentiel en demeurant juste beau ou expressif. Tout est encore une fois question de but et de finalité. Comme d’utiliser des techniques industrielles ou artisanales d’ailleurs ou de sélectionner un tissu en particulier. Et il est nécessaire de respecter les limites d’un matériau. Pour la perfectionniste que je suis, devoir parfois accepter que certains éléments soient voués à demeurer uniquement du domaine de l’expérimentation, cause une certaine frustration.
Vous expliquiez voir votre travail comme un hommage au patrimoine belge du savoir-faire textile. Quels en sont les procédés ou les artisans qui vous inspirent particulièrement ? Je suis très touchée par les tapisseries médiévales et cette technique comme cet amour du tissu présent depuis de si nombreux siècles. C’est une part intrinsèque de notre histoire belge, presque présente dans nos gènes. J’apprécie également de découvrir les tisserands qui travaillent encore dans nos régions. La Belgique possède une identité à part, comme une forme d’écriture culturelle distincte.
Qu’en est-il de vos projets pour les mois à venir ? En avril, je présenterai une toute nouvelle collection à Milan, sous forme de triptyque, dont chaque partie comprendra des concepts textiles différents. Je prépare également une exposition, des projets avec des architectes, ainsi qu’une collaboration mode et artistique avec La Collection. Nous sommes presque voisins à Anvers et possédons une énergie et une vision commune. Certaines de mes pièces se retrouveront dans leur concept store et nous développons également un vêtement mêlant nos univers, qui sortira en avril en édition limitée.
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