Et si vous deviez recevoir une deuxième étoile ? « Je ferme ! L’exigence à outrance tue le plaisir, ça ne m’intéresse pas ! » Mathieu Jacri est un chef comme on les affectionne : franc du collier dans le verbe, sincère dans l’assiette. C’est d’ailleurs au comptoir-bar, avec vue frontale sur la cuisine qu’on dégustera, en toute décontraction, notre caviar Baeri et ses saveurs iodées. Le chic, c’est de ne pas faire briller les choses plus qu’il ne faut…
MOTS : SERVANE CALMANT
PHOTOS : MIREILLE ROOBAERT
Bruxelles. Rue de l’Abbaye à deux pas de l’avenue Louise. On s’arrête devant une maison de maître d’une élégance bourgeoise résolument intemporelle. Un voiturier nous attend. On franchit le seuil de la porte, et c’est la ville qui s’efface, laissant découvrir un havre intimiste tourné vers la haute gastronomie. Atmosphère classieuse mais comptoir-bar décontracté. Le chic, c’est la griffe Degand. Le casual, c’est la patte Jacri. La dualité séduit.
Explications. Fin 2015, La Villa Emily voit le jour, succédant à Emily Ristorante, l’ancienne maison de bouche que Pierre Degand avait ouvert pour sa fille. Il va sans dire que la déco du célèbre tailleur bruxellois était tirée à quatre épingles ! Elle l’est toujours ! Raffinée, élégante, chic, romantique, sans fausse note aucune, La Villa Emily, désormais placée sous l’égide de Serge Litvine (La Villa Lorraine, Villa in the Sky, Odette en Ville), s’épanouit dans un cadre exquis qui doit beaucoup à Degand, le gardien du bon goût. La séduction opère d’ailleurs jusque dans les moindres détails. Au rez-de-chaussée, on reste en admiration devant le marbre du comptoir-bar qui jouxte une cuisine toute en longueur ; au bout du comptoir, un boudoir abrite une table – on craque ; à l’étage, le mobilier racheté à l’Hôtel Crillon distille le charme des palaces immuables ; et puis, et puis il y a ce lustre vénitien fabriqué à Murano tout bonnement somptueux qui, de ses 5,30 mètres de haut, darde douceur et flamboyance sur les deux salles… Y’a-t-il endroit plus délicatement feutré à Bruxelles ? Pas sûre…
Dans la cour des grands. Avec ses 25 couverts, La Villa Emily joue dans la cour des grands. Son chef, Mathieu Jacri, 35 ans, a en effet raflé une étoile au Michelin un an à peine après avoir été engagé par Serge Litvine. Il faut dire que Mathieu a été biberonné à bonne école : Christophe Hardiquest (Bon-Bon) lui a mis le pied à l’étrier, tout en lui apprenant à respecter le produit ; Jean-Pierre Bruneau, Alain Ducasse et Pascal Devalkeneer (Le Chalet de la Forêt) ont partagé avec lui leur savoir-faire. De quoi avoir le gros cou ? C’est mal connaître le chef. « Je suis un employé comme les autres », tempère-t-il, peu sensible aux louanges empressées et flatteries dociles. « L’étoile Michelin n’a jamais été un objectif dans ma carrière. Je suis content de l’avoir reçue : elle nous a amené des curieux, pendant huit mois, on a même manqué de places pour nos habitués ! Aujourd’hui, l’effet buzz est un peu retombé et on retrouve, avec plaisir, nos clients familiers », conclut-il avec pertinence.
Lunch entre amis. Ce midi, c’est donc au comptoir-bar avec vue frontale sur la cuisine où s’affairent le chef et son second, Antoine Culot, que l’on va se laisser séduire. A nos côtés, deux habitués – c’est bon signe. La carte est courte mais déroule des propositions plus qu’alléchantes. Ainsi le caviar repose sur un lit de poireaux de Créances : c’est le seul poireau en France garanti par une IGP (une indication géographique protégée), il pousse donc en zone côtière et s’accommode royalement avec le caviar et le velouté iodé du chef. Un régal – notre coup de cœur. Les langoustines sont escortées d’un risotto de courge et bouillon thaï – un délicieux goût de voyage. Le dos de bar rôti ? Simplement accompagné de petits artichauts et arrosé d’un jus à la niçoise – quand le produit est bon, il se suffit à lui-même, pas la peine d’en faire trop ! Confirmation par Mathieu Jacri : « Je suis l’artisan d’une cuisine gourmande qui met le produit en avant. En osmose avec le cadre, je travaille des produits de luxe que je me refuse de dénaturer, je ne revendique d’ailleurs aucun plat signature, et j’espère faire preuve d’une belle maîtrise des sauces ».
Notre avis. La cohue, la ville, dehors. La paix, l’élégance dedans. Nous voilà conquise par une assiette exquise en parfaitement résonance avec l’atmosphère délicieusement raffinée de La Villa Emily.
En tête à tête avec Mathieu Jacri
Il l’a dit : « Je n’ai nullement la prétention de changer le visage de la gastronomie belge, Certes, j’y ai ma place. Mais avant tout, je fais ce que j’aime. »
Son plat favori ? « La salade Caesar, tout simplement. Je m’en suis d’ailleurs inspiré pour une de mes mises en bouche. » On confirme.
Le produit qu’il préfère travailler ? « L’oignon, les bettes – le travail sur les légumes est hyper créatif. Quant aux produits de luxe (homard, langouste, caviar…), j’essaie surtout de ne pas les dénaturer. »
Ce qui l’inspire ? « Les saisons. »
Là où il se sent bien ? « Avec ma famille. »
Comptoir ou salle ? « Deux clientèles différentes. Ceux qui ont goûté au comptoir y restent. L’inverse est vrai aussi. La nuance : le soir, on peut manger à la carte au comptoir, alors que les menus sont imposés en salle ».
Le plus beau compliment reçu à La Villa Emily ? « J’ai passé une superbe soirée, merci – rires. »
Le maître d’hôtel et sommelier des lieux ? « Cédric Wautier, qui a fait ses armes chez Yves Mattagne (au Sea Grill puis chez Yùme). »
LA VILLA EMILY
Rue de l’Abbaye 4 à Bruxelles
Tél. : 02 318 18 58
info@lavillaemily.be
www.lavillaemily.beOuvert du mardi au vendredi de 12h à 14h et de 19h à 22h, le samedi de 19h à 22h.
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