Atelier Collón - Un hommage à la matière
Atelier Collón
Un hommage à la matière
Mots : Barbara Wesoly
Photos : Stéphanie Mathias
Sophie Hellebaut raconte la beauté du bois comme d’autres le feraient d’une histoire d’amour, avec une fascination passionnée qui s’inscrit aux racines d’Atelier Collón. Incarnations d’un artisanat intemporel et raffiné, ses objets façonnent le vivant pour en embrasser pleinement la nature.
Comment a débuté votre histoire avec l’artisanat ? J’ai toujours éprouvé une attraction instinctive pour le design et l’architecture. Et, bien qu’ayant entamé une carrière dans l’immobilier, j’avais le désir, le besoin même, d’imaginer et de créer. Par le hasard des rencontres, ma route a croisé celle d’un artisan menuisier retraité de 75 ans. Nous nous sommes appréciés mutuellement et il a accepté de me transmettre une part de son savoir et de m’aider à donner vie à mes idées. Hélas l’épidémie de COVID s’est déclarée dans la foulée et il nous est devenu impossible de nous voir. J’ai alors acheté les machines nécessaires pour installer mon propre atelier et concevoir de petites collections, avant de m’armer de courage et de me rendre dans des boutiques que j’appréciais pour leur proposer mes pièces. Les possibilités se sont multipliées petit à petit, les gammes se sont agrandies. Les quatre premières enseignes sont devenues une cinquantaine et m’ont permis aujourd’hui de transformer cette passion en un merveilleux métier.
Vos œuvres sont façonnées à partir de bois. Était-il important pour vous de travailler un matériau qui ait une âme ? Absolument. J’ai un rapport tactile à la matière et créer à partir du vivant était fondamental. Même si c’est parfois plus compliqué parce que le bois réagit à l’environnement, à l’humidité ainsi qu’à la lumière et peut s’altérer avec le temps. Mais c’est aussi ce qui fait toute la singularité de ce matériau, qui me fascine, par ses formes et sa profondeur. Afin de lui rendre hommage, j’ai divisé mes collections en deux gammes. « Pure », dont le bois sans nœuds ni fissures, est lissé, poli et coloré avec des huiles de haute qualité. Et « Raw », qui met en valeur son corps brut, avec ses imperfections naturelles. Cela me permet d’imaginer des pièces épurées et sophistiquées ou au contraire organiques et originelles.
Vous définissez votre label comme un témoignage de l’excellence du savoir-faire belge. Quels sont les éléments qui en permettent l’expression ? Notre pays est reconnu pour son exigence, sa minutie et la qualité de ses matières premières. C’est une richesse artisanale qu’il est essentiel de préserver et c’est ce qui m’amène à travailler exclusivement avec des produits, des fournisseurs et des ateliers belges, à qui je confie la production de mes créations. Les cous-sins qui accompagnent mes meubles sont également tissés dans une manufacture en Flandre-Orientale et mon bois provient d’entreprises familiales locales. Cette philosophie « Made in Belgium » est une valeur forte et partie intégrante de l’histoire d’Atelier Collón.
D’où vient d’ailleurs ce doux nom d’Atelier Collón ? Il fait référence aux termes grec kolóna et latin columna, qui signifient colonne. Seule, une colonne est incapable de soutenir un toit, de même qu’une forêt ne naît pas d’un arbre unique mais de la multitude. Je crois profondément à l’importance d’être entourée et d’être part d’un tout. J’ai aussi la certitude que c’est en étant porté par ses racines et par ses piliers que l’on grandit. Ces deux notions sont essentielles pour moi.
Vous avez dévoilé une toute nouvelle collection en mars 2025. Quel était son fil rouge ? Je l’ai pensée de manière multiforme et plurielle, puisqu’elle comprend l’extension de la collection de vases « Pilar », qui est désormais proposée en trois tailles. Ainsi que le lancement d’une version de grande taille de ce modèle, décliné en chêne massif, mon matériau de prédilection, ainsi qu’en afrormosia, une essence très chaleureuse aux nuances pourpres et en noyer améri-cain. Dans cette collection, on retrouve également une gamme de mobilier, elle aussi en chêne français et noyer américain, incluant une console, un bureau, une petite table d’appoint et une bibliothèque modulable, dont les éléments peuvent être employés séparément. J’aime l’idée de créations que l’on peut s’approprier en différentes configurations.
Quelle serait la plus belle réussite pour Atelier Collón ? Continuer de grandir mais sans perdre mon indépendance ni mon épanouissement. Et conserver ce plaisir initial de créer qui donne leur sens à mes pièces. Il me reste tellement à explorer. J’ai conçu un design en pierre, mais j’ignore encore ce que je désire en faire. J’aimerais aussi expérimenter le verre soufflé et le cuir, tout comme le chrome. Peut-être un jour, tenterais-je des combinaisons. Les tendances ne sont pas mon moteur, au contraire de l’instinct et de la sincérité. Le plus beau des compliments pour moi est de savoir que mes pièces ressemblent à celle que je suis.
Decancq Vercruysse Architects - « Nous ne créons pas un lieu, mais un sentiment d’appartenance »
Decancq Vercruysse Architects
« Nous ne créons pas un lieu, mais un sentiment d’appartenance »
Mots : Barbara Wesoly
Photos : DR
Porté par une approche intime et sur mesure de l’espace, le duo d’architectes déploie sa créativité en harmonie avec ceux qui construiront leurs souvenirs dans les lieux qu’ils façonnent. Une conception de l’habitat qui s’affirme pleinement comme un art de vivre, racontée par Emiel Vercruysse, l’un de ses fondateurs.
Decancq Vercruysse Architects se consacre uniquement à la réalisation d’espaces résidentiels. L’architecture est-elle pour vous le moyen de nouer des liens, d’entrer en connexion ? Oui, c’est une approche passionnante justement par la possibilité qu’elle donne de pénétrer dans le quotidien des gens, de comprendre leurs habitudes et leurs besoins. Chaque projet prend la forme d’une découverte, car tout individu a une façon personnelle et singulière de circuler dans une maison. Cela amène une intimité avec nos clients, créant souvent des relations très fortes. Nombre d’entre eux deviennent d’ailleurs des amis. Cette proximité est l’un des aspects les plus enrichissants de l’architecture résidentielle.
Des liens qui sont également à l’origine de votre cabinet, puisque vous avez fondé celui-ci en duo, avec Hannes Decancq. Quels sont les éléments qui vous ont rapproché ? J’ai rencontré Hannes par l’intermédiaire de connaissances communes et nous avons directement accroché, sans doute en raison de nos caractères complémentaires. Il a une approche très technique alors que je suis pleinement tourné vers l’esthétique. Nos parcours eux aussi reflètent cette différence, qui aujourd’hui fait notre approche et notre marque de fabrique. Alors qu’Hannes évoluait dans des bureaux spécialisés et même auprès d’entreprises de construction, j’ai travaillé dans des agences axées sur le design, notamment auprès de Vincent Van Duysen, dont la vision m’a énormément inspiré. A mes yeux, tout doit être beau, réfléchi jusque dans les moindres détails, afin d’aboutir à une maison ressentie comme un sanctuaire, un foyer chaleureux et serein. Assurer cette cohérence dans chaque aspect, même le plus pointu est un défi, et c’est là que nous nous rejoignons. Et que nous nous complétons pour imaginer ensemble un lieu parfait, à la fois fonctionnel et harmonieux.
Intérieur et extérieur doivent-ils entrer d’une certaine manière en communion ? Totalement. Nous n’acceptons jamais un projet qui ne nous permet de travailler que sur l’un de ces deux aspects, tant ils sont indissociables. Tout est une question de lumière, de la façon dont elle pénètre l’espace et des matériaux qui la captent et la transforment. L’architecture doit raconter une histoire unique mais avec équilibre et homogénéité. Nous concevons ainsi toujours un lieu en commençant par l’intérieur avant d’aller vers l’extérieur, même lorsqu’il s’agit d’une construction neuve. Nous débutons par un agencement optimal de l’espace résidentiel à proprement parler et tout découle de cette réflexion.
Comment justement envisagez-vous la relation entre les matériaux et l’espace ? Ils sont profondément liés. Je suis un grand amoureux de la nature et je suis convaincu qu’elle nous rend plus heureux et apaisés, même lorsque ces émotions se vivent de façon inconsciente. Hannes et moi appliquons ce principe à nos maisons en les connectant aux espaces extérieurs. Et l’utilisation de matériaux naturels, avec cette présence centrale du bois et de la pierre, renforce cette continuité. Par notre design, nous espérons donner un sentiment d’appartenance. Un véritable chez-soi est un cocon où l’on puise l’apaisement et le réconfort. Et qui en même temps doit pouvoir raconter le mouvement constant d’un lieu de vie, accueillir la réalité du quotidien. C’est pourquoi ce processus implique un dialogue constant avec leurs futurs habitants. Nous ne créons pas la même cuisine pour un grand chef que pour une personne réchauffant des plats préparés chaque soir ou sortant constamment dîner dehors. L’aménagement réalisé pour un célibataire sera tout autre pour une famille avec trois enfants. Il peut s’agir d’imaginer un tiroir spécifique pour ranger un objet précieux. Ou du choix d’un grand miroir plutôt que d’un petit. Chaque détail contribue à cette identité sur mesure. Et c’est ce qui permet à tout projet de demeurer spécial et singulier.
En existe-t-il malgré tout un défi architectural particulier que vous rêveriez que l’on vous propose ? Je pratique parfois la voile et je trouverais fascinant de concevoir un voilier. Une maison est un lieu de repos, où l’on revient s’ancrer. Mais créer un espace qui accompagnerait un voyage et qui ferait partie intégrante de l’aventure serait une expérience exceptionnelle.
Henrion Landscapers
Henrion Landscapers
Mots : Barbara Wesoly
Photos : Henrion Landscapers
L’aménagement paysager, est pour Gonzague et Gérault Nobels, indissociable d’une pleine conscience du vivant et d’une rencontre harmonieuse du végétal et de l’humain. Une approche qu’ils cultivent au sein d’Henrion Landscapers, réalisant des havres extérieurs où il fait doux de vivre et s’épanouir.
Au-delà de son aspect esthétique, vous abordez l’aménagement paysager dans une démarche de durabilité. Quelle forme concrète prend cet engagement ? Gonzague : Celle de jardins qui évoluent à leur rythme, au fil des saisons, au lieu d’être façonnés en un jour. En optant pour des prairies fleuries plutôt que pour des terrains de golf à l’herbe parfaitement taillée et en favorisant les plantes indigènes à la place des espèces exotiques. Nous sommes bien sûr à l’écoute des demandes de nos clients, mais nous cherchons également à leur transmettre l’approche raisonnée qui est la nôtre et cette volonté de repla-cer la biodiversité au cœur de l’aménagement extérieur.
Gérault : On peut limiter la tonte pour permettre à la faune et à la flore de se développer, adopter la permaculture, nourrir le sol et dès lors les plantes avec des matériaux organiques. Nous évitons d’ailleurs au maximum les produits phytopharmaceutiques et chimiques, comme les fongicides et les herbicides. Il s’agit finalement juste de choisir la simplicité, en laissant la nature reprendre ses droits, aussi bien lors de la création même d’un espace vert que pour son entretien.
Gonzague, comment en êtes-vous venu à reprendre les rênes d’Henrion Landscapers il y a 14 ans ? Et cette conception écologique du jardin était-elle déjà présente ? Cette opportunité s’est présentée alors que je cherchais à me réorienter professionnellement, après 20 ans de carrière dans le secteur informatique. D’Henrion, j’avais des souvenirs d’enfance, puisque mes parents avaient confié à l’entreprise la transformation de notre jardin familial. En 2011, l’aspect écologique n’était pas encore au cœur du projet, les conditions étant très différentes. Il nous a fallu, ces dernières années, apprendre à nous adapter aux transformations écologiques toujours plus nombreuses, au raccourcissement des périodes de plantation, ainsi qu’à la sécheresse et aux pluies trop abondantes. Et ce, sans pour autant rompre avec l’identité ayant fait le succès de l’entreprise depuis six décennies. Aménager un jardin est un processus créatif qui ne se limite pas à trois dimensions, mais intègre une saisonnalité, tout comme une composante visuelle et olfactive. Avec pour mission première de créer une bulle de nature et un refuge quotidien, aussi bien pour une famille qu’au sein d’une copropriété ou pour les employés d’une entreprise. Je n’imaginais en revanche pas du tout pouvoir poursuivre la tradition d’une affaire familiale, à l’image des précédents propriétaires, mais je suis heureux que Gérault ait contredit cette idée et rejoint l’aventure.
Gérault, vous avez en effet intégré l’agence il y a 5 ans, après une carrière dans le secteur du vin. Pourquoi ce choix ? J’y avais travaillé comme étudiant durant toute ma scolarité, avant de partir pour Bordeaux me former à la vinification et au commerce de vin. Après plusieurs expériences à l’étran-ger, j’étais finalement revenu en Belgique pour m’y lancer à mon compte, quand est survenue la crise sanitaire. Mes activités liées à l’horeca se sont retrouvées à l’arrêt et j’en ai alors profité pour étudier la viticulture. Lorsqu’un des associés au sein d’Henrion a pris sa retraite, rejoindre l’entreprise est devenu pour moi une évidence. Par amour du monde végétal, qu’il s’agisse de vignes ou de jardins, tout comme du fait de connaître l’équipe et d’avoir expérimenté chaque aspect concret du métier. Mais il n’était pas question d’un traitement de faveur sous prétexte d’être le fils du directeur. J’ai commencé sur les chantiers, pour finalement aujourd’hui encadrer une douzaine d’équipes.
Continuité ou développement, quel futur imaginez-vous aujourd’hui pour Henrion Landscapers ? Gérault : Créer, aménager et entretenir… Nos rôles au sein de l’agence sont multiples, mais nourrissent le même but, faire fleurir la vie dans le paysage. Cela passe bien sûr par l’idée de grandir, mais pas forcément en taille, plutôt en continuant de mûrir et développer notre connaissance et notre compréhension de la biodiversité. Et de la transmettre grâce à la passion qui nous anime.
Gonzague : Nous réalisons aussi de nombreux projets de restauration de sites bruxellois, comme le Parc Pierre Paulus, le Musée & Jardins Van Buuren et, actuellement, le Parc de la Sauvagère. Cela implique un vrai travail de réhabilitation et d’histoire, en employant des techniques d’époque pour conserver l’authenticité des lieux. Veiller à la préservation du patrimoine ainsi qu’à celle de l’environnement est une magnifique chance et un engagement que nous tenons à poursuivre.
Gilles Libert - Quand la matière devient émotion
Gilles Libert
Quand la matière devient émotion
Mots : Olivia Roks
Photos : DR
Architecte et sculpteur belge, Gilles Libert façonne l’acier pour donner vie à des œuvres monumentales qui réinventent l’espace urbain. Entre architecture, sculpture et technologies numériques, son art dialogue avec le paysage, interroge le mouvement et sublime la matière. À seulement 29 ans, il s’impose comme une figure montante de la sculpture contemporaine, multipliant les projets d’envergure.
Comment votre parcours vous a-t-il conduit de l’architecture à la sculpture ? Lors de mes études d’architecture à l’UCL, je ne ressentais pas cette envie de construire des maisons comme la plupart des élèves. J’aime particulièrement le geste architectural, les bâtiments qui dénotent face à une architecture plus fonctionnelle. J’ai toujours privilégié l’esthétique à la fonctionnalité. Après un stage au sein du bureau d’architecture Syntaxe à Ittre (avec lequel je collabore toujours en intégrant des réalisations sur mesure à leurs projets), j’ai rejoint Melens & Dejardin à Jupille, réputé pour son savoir-faire unique dans le travail de l’acier. De nombreux grands artistes font appel à leur expertise. Au début, je dessinais des réalisations pour leurs clients, et puis, de fil en aiguille, j’ai eu mes propres commandes. Finalement, je me suis affranchi du fonctionnalisme en allant vers la sculpture. Mon approche est transdisciplinaire : j’utilise les mêmes techniques qu’un architecte, mais avec une finalité différente, non pas un bâtiment, mais une sculpture.
Comment se déroule la fabrication d’une sculpture ? Quel est votre processus ? La première étape laisse place à l’imagination : je réalise un dessin ou une maquette. Ensuite vient la phase technique : le dessin ou la maquette doit être adapté afin de rendre le projet constructible. Les dessins techniques deviennent alors essentiels. Puis vient l’étape de la fabrication en chaudronnerie. À partir d’une simple feuille d’acier, s’ensuivent pliage et cintrage. Je suis constamment sur place, car si j’ima-gine et conçois les plans de ma sculpture, je la réalise aussi directement à l’atelier, aux côtés des ouvriers. Enfin, une fois la création terminée, il faut l’installer chez le client. La manutention de ces œuvres monumentales n’est pas chose facile, c’est une véritable organisation !
L’acier semble votre matière de prédilection… Acier peint ou acier Corten mais aussi l’aluminium. Je termine actuellement ma deuxième sculpture en aluminium. Son avantage est sa légèreté, ce qui me permet de réaliser des formes plus élancées. En extérieur, l’aluminium ne se corrode pas. Quant à l’acier Corten, il développe une patine qui s’autoprotège dans le temps. L’acier peint, lui, demande plus d’entretien. Mais pourquoi ne pas travailler un jour la pierre ou encore le bois…
Quelles personnes vous ont inspiré ? Gérard Dejardin (Melens & Dejardin) m’a permis de fabriquer mes premières pièces en acier. Je collabore aussi avec Jean Boghossian, avec qui je réalise des sculptures. Arne Quinze a également été une source d’inspiration.
Votre première sculpture date de 2020. Installée à Bruxelles, elle est vue par des milliers de personnes depuis l’avenue Franklin Roosevelt. Sublimant le récent bâtiment de la Solvay Brussels School of Economics and Management, elle fait partie du décor. Quelle est son histoire et que signifie-t-elle ? J’avais 25 ans lorsque j’ai réalisé ma première sculpture en acier, intitulée « Croissance ». Tout a commencé avec une petite maquette composée de piques à brochette ! Aujourd’hui, l’œuvre mesure plus de dix mètres de long. Elle évoque un graphique de croissance économique qui perd l’équilibre face à une école de commerce. La sculpture dialogue avec la façade, reprenant le même arrondi que l’auditoire en saillie, et semble se diriger vers la lumière. Placée stratégiquement, elle fait face aux étudiants sortant du bâtiment, les amenant à observer d’abord sa partie basse. La direction des barres et l’augmentation de leur hauteur guident le regard vers l’orifice dans la toiture. Cette mise en scène invite symboliquement l’étudiant à se dépas-ser et à viser toujours plus haut.
Parmi plus d’une dizaine de sculptures créées, vous nous en dévoilez quelques-unes qui vous tiennent particulièrement à cœur ? Je viens de finir une sculpture en aluminium pour le laboratoire pharmaceutique UCB. C’est mon projet le plus technique, avec une portée de quatorze mètres. Tous les assemblages sont invisibles, ce qui a demandé un travail considérable. Une autre sculpture d’envergure, la fontaine de l’hôtel de ville de Fleurus, est en phase d’achèvement. Entre ses voiles d’acier, des jets d’eau jailliront. Inoubliable et surréaliste, la sculpture sur le plateau de Gizeh, installée pour l’exposition Forever is Now d’Art d’Égypte, qui regroupe une douzaine d’artistes du monde entier.
Vos sculptures interagissent souvent avec leur environnement. Quelle importance accordez-vous à cette relation entre l’œuvre et l’espace public ? Elles ont toutes une histoire, un contexte. Je recherche toujours un sens avec le lieu qui va l’accueillir. Dans l’espace public, la sculpture sert d’emblème, un point de repère qui le rend reconnaissable. J’adore cette idée.
Paul-Antoine Bertin x STUDIØ 27
Paul-Antoine Bertin x STUDIØ 27
Mots : Olivia Roks
Photos : DR
Paul-Antoine Bertin n’est pas un chef comme les autres. Du haut de ses 27 ans, il enchaîne les projets innovants, passionné par les concepts uniques. STUDIØ 27 est sa dernière création, un studio créatif culinaire totalement inédit et sans limites.
A 27 ans, votre parcours est déjà jalonné de beaux projets… J’ai un parcours culinaire plutôt autodidacte. J’ai commencé à travailler dès l’âge de 15 ans pour financer mes premiers voyages. Vers 18 ans, le traiteur bruxellois Point Albert, très créatif, m’a engagé en tant que commis et cuisinier. Deux ans plus tard, il a fait faillite et j’ai repris l’espace pour ouvrir mon premier restaurant en 2017 : Ötap. Nous produisions beaucoup de pain pour l’établissement, ce qui prenait du temps, mais il manquait également une petite boulangerie de quartier… Nous avons alors ouvert la boulangerie Grain et la personne chargée de faire le pain au restaurant est devenue le chef boulanger de Grain. Ensuite, en 2020, le sommelier Léopaul Robert et moi, passionnés de vins, avons lancé le bar à vins Rebel. Au fil du temps, les sollicitations pour un service traiteur se sont intensifiées, s’étendant parfois bien au-delà de la gastronomie pour inclure des arrangements floraux, l’organisation d’événements, etc. En 2023, Nathan Gullentops et moi avons donc créé STUDIØ 27, un service traiteur pas comme les autres… Mon parcours culinaire est varié et porté surtout par l’envie d’imaginer de nouveaux lieux, de nouveaux concepts à réaliser de A à Z, à l’aide d’associés variés, aussi passionnés que moi.
Mais aujourd’hui STUDIØ 27 est devenu bien plus qu’un service trai-teur. Vous vous définissez davantage comme un studio créatif ? Oui, aujourd’hui STUDIØ 27 pourrait davantage se définir comme une boîte d’évènementiel, un studio qui rassemble différentes disciplines fusionnant les mondes de la gastronomie, de la mode, du design, de l’art contemporain… Nous tentons de créer des expériences ou des moments qui sortent de l’ordinaire. Aucune collaboration avec des lieux fixes, avec nous tout est adapté sur mesure. Nous n’avons pas de liste de prix ou de menu préétabli, ce qui peut parfois refroidir les clients, mais ici rien n’est prédéfini.
Pour arriver à un résultat de haut niveau, vous vous entourez de diverses personnes de talent… STUDIØ 27, c’est tout d’abord Nathan et moi. Je me charge de la partie création et relation, des premières rencontres, du moodboard de départ. Une fois que l’évènement est confirmé par le client, Nathan entre en jeu et se charge de la gestion des équipes et du bon suivi du projet. Dans 90 % des cas, je m’occupe aussi du menu et de la cuisine. Autour de nous, de nombreux talents, tous indépendants, viennent en renfort. C’est ce qui fait notre force. Nous sélectionnons une équipe en fonction de la demande : scénographe, architecte ou architecte d’intérieur, chef, chef de salle, équipe technique pour les sons et lumières, etc. Nous les choisissons en fonction des projets. Par exemple, pour notre premier dîner public en février au Mix à Bruxelles, c’est Elona Pinto qui a géré toute la scénographie. C’est une amie, c’est rare que je travaille avec des proches mais cela se passe très bien, et nous multiplions les projets ensemble.
Même si vous proposez du sur mesure, y a-t-il un style qui correspond davantage à STUDIØ 27 ? J’aime beaucoup les ambiances brutes, industrielles. Cependant, j’évolue et j’apprécie de plus en plus des atmosphères plus chaleureuses mais épurées, je n’aime pas les détails inutiles. L’assiette et le menu doivent aussi suivre le fil rouge de l’expérience, ils doivent correspondre au lieu et à l’ambiance. Mais j’aime particulièrement imaginer des plats autour d’un produit à sublimer.
Qui sont les clients qui vous font confiance ? D’importantes marques qui veulent surprendre et épater comme Lamborghini, Courrèges, Yves Saint Laurent ou encore Louis Vuitton, mais aussi des galeries par exemple. Nous réalisons également de nombreux dîners privés, chez eux ou dans des lieux décalés, originaux. Quant au dîner Tatami qui s’est tenu dernièrement au Mix, c’était notre premier dîner public. Il s’agissait de transformer leur pièce de yoga. L’événement n’était pas très rentable mais l’idée était surtout de faire parler de nous, montrer notre talent, notre style…
Depuis le Covid, l’Horeca souffre. Pensez-vous qu’aujourd’hui, pour réussir dans le secteur, il faut proposer une expérience au client, tant dans la décoration que dans l’assiette ? Un traiteur oui mais pas un restaurant fixe. Au contraire, je pense que les gens reviennent justement à des lieux et des saveurs plus classiques, plus traditionnelles. Les adresses élégantes, design et tendance c’est sympa, mais une fois testées, nous n’y retournons pas ou pas souvent. Par contre, une brasserie de quartier avec un menu de qualité et un bon service, cela ne se refuse jamais !
Avant de nous quitter, avez-vous un projet à venir à nous partager ? Rendez-vous cet été, du mois de juin à août, nous prenons place à la Villa Magnan à Biarritz. Nous nous chargerons du restaurant avec une équipe sur place.
Atelier Tourain - « Nos créations s’inscrivent comme un retour au vrai »
Atelier Tourain
« Nos créations s’inscrivent comme un retour au vrai »
Mots : Barbara Wesoly
Photos : DR
C’est à la croisée de l’art et du design que naissent les œuvres d’Atelier Tourain, en une exploration sensible des formes, des textures et des matières. Un dialogue magnétique entre le métal et la nature, mais aussi entre la philosophie et le tangible, indissociable pour Tanguy Tourain et Julie Desmidt d’une profonde authenticité créatrice.
Duo à la vie, vous l’êtes aussi au sein d’Atelier Tourain. Était-ce d’emblée une évidence ? Julie : Nous l’avons en réalité toujours été. Dès la fin de nos études, il y a 10 ans, nous avons créé ensemble Fo le Fer, une entreprise de design d’intérieur contemporain, concevant des objets sur mesure, en acier. Un projet démarré dans un petit hangar à chevaux, en pleine campagne, chez les parents de Tanguy. Aucun de nous n’avait de base de connaissance dans ce domaine, il nous a fallu tout apprendre à coups d’essais et erreurs. Mais, nous étions passionnés et notre crédo était clair : l’excellence, tant au niveau de la qualité que de la finition.
Tanguy : Et puis, il y a deux ans, j’ai ressenti le besoin de créer des pièces qui seraient véritablement miennes et non pas issues de commandes. Je voulais avoir le champ libre pour pousser la matière à ses limites, tout comme mon imagination. Après une année d’expérimentation, il est devenu évident pour nous que le résultat était trop personnel, trop empreint de caractère, pour être intégré à Fo le Fer. De là est né Atelier Tourain.
Comment œuvrez-vous à quatre mains ? Julie : Je gère principalement l’aspect organisationnel, les contacts, les matériaux, la planification et la logistique. Généralement, Tanguy arrive avec une nouvelle esquisse ou une idée, que nous examinons ensemble et qu’il adapte ensuite. Ce n’est pas un processus à sens unique, mais un aller-retour créatif nous amenant à construire ensemble chaque œuvre.
Tanguy : Lorsqu’un concept est arrêté, il faut alors trouver ce qui le composera. Je puise dans le métal, la pierre, le bois et parfois au cœur même de la nature, comme pour ces arbres déracinés par une tempête, que je me suis réappropriés. Il arrive que l’inspiration vienne de la matière elle-même et des formes qu’elle adopte spontanément, et à d’autres moments d’une véritable page blanche, comme ce projet d’un triptyque en laiton, auquel j’ai songé soudainement, à deux heures du matin.
Julie : L’on vit à deux, l’on travaille à deux. Partageant la joie et la frustration. Il n’y a pas de coupure, pas de séparation. C’est très intense d’avoir à ses côtés quelqu’un qui connaît la moindre de vos faiblesses et de vos forces. Mais c’est aussi un lien d’une puissance et d’une honnêteté rare.
Quelle est la philosophie d’Atelier Tourain ? Tanguy : Être authentique dans un monde qui devient toujours plus artificiel. Employer des techniques oubliées ou une expertise peu connue, pour concevoir un artisanat tout à la fois brut et raffiné, qui perdurera toute une vie. Et embrasser les matières sans les dénaturer. Il ne s’agit pas juste de fidélité à des valeurs personnelles, mais de transmettre une forme de sincérité. Des objets faits main dans le sens le plus pur du terme, faits par des mains.
Vous sculptez la matière de façon précieuse et profondément organique. Cet alliage surprenant représente-t-il votre signature ? Tanguy : Mon style est en lien avec la nature, les sons, les couleurs, le mouvement. Mais aussi imprégné d’une forme de puissance tactile. Ce mélange de textures et de corps entraîne un besoin de toucher les créations. En mars 2024, en participant à la Collectible Design Fair de Bruxelles, où les œuvres étaient présentées au public la première fois, nous avons réalisé à quel point il se créait une interaction entre les visiteurs et les objets. Tout comme nous le voyons dans notre showroom, où les carreaux en laiton qui sont exposés scintillent face à la lumière et semblent mouvants. Une attraction particulière amène à laisser glisser sa main à leur surface et à en sentir l’odeur. Il y a une âme, de l’ordre du vivant, qu’aucun objet synthétique ou industriel ne peut renfermer.
Tanguy, estimez-vous qu’être autodidacte a influencé votre vision et votre travail ? Oui, cela induit une profonde liberté mais aussi une grande solitude. Et demande d’accepter d’échouer pour avancer. C’est très éprouvant et prend une immense énergie. En même temps, cela permet de n’être entravé ni par une éducation ni par des croyances. Et d’apprendre la résilience.
Cet été vous avez exposé à New York à la galerie STUDIOTWENTYSEVEN et participé à la Biennale Arte de Venise. En octobre, vous étiez également à la Saatchi Gallery à Londres. Que préparez-vous actuellement ? Julie : Atelier Tourain reste un projet à peine entamé, dont nous continuons d’explorer toute la profondeur. Nous sommes désormais associés avec Objects With Narratives Gallery, qui représentera le travail de Tanguy en tant qu’artiste et en compagnie de qui nous participerons à la BRAFA Art Fair en 2025. Mais globalement, nous laissons venir à nous les opportunités pour ne pas créer de frustration et de déception. Le futur est empli de possibles.
Cohabs - Le partage tel un art de vivre
Cohabs
Le partage tel un art de vivre
Mots : Barbara Wesoly
Photos : DR
C’est dans l’écrin architectural du Passage du Nord tout récemment restauré que Cohabs a ancré son nouvel espace de coliving. Un projet de tous les superlatifs, pour Youri Dauber, François Samyn et Malik Dauber, qui redessine les contours d’un chez-soi commun, au cœur même de ce joyau historique de l’élégance bruxelloise. Une collectivité réinventée, point culminant d’un succès mondial, que raconte Youri Dauber.
Votre première habitation commune rassemblait 9 personnes, vivant ensemble au sein d’une maison bruxelloise. Un projet lancé en 2016, bien avant le succès de la tendance du coliving. Qu’est-ce qui vous animait alors ? C’était avant tout une envie commune d’entreprendre. Nous avions eu tous trois des parcours différents. François, qui était un ami de longue date, sortait de Solvay, mon frère Malik avait fait des études d’ingénieur polytechnicien. De mon côté, j’avais envisagé une carrière de professeur de gymnastique. Notre point commun était ce souhait d’indépendance et cette volonté d’avoir un impact. Nous avions investi ensemble dans l’immobilier et des lieux de colocation. Constatant que ceux-ci étaient mal organisés, nous avons réalisé des travaux d’aménagement puis conçu une application mobile pour la location. Et après une, deux, puis trois maisons sur cette base, continuer de développer le principe de coliving est devenu une évidence.
Près de 10 ans plus tard, Cohabs compte désormais 3000 chambres, réparties dans 9 villes, non seulement en Europe mais aussi aux USA. La demande a-t-elle changé en une décennie ? La situation globale s’est fondamentalement transformée. Acheter un logement est devenu ardu voire presque impossible dans certaines capitales. Les mentalités aussi ont évolué. Aujourd’hui, les gens passent plus facilement le cap d’un lieu partagé sous d’autres formes que les kots étudiants. Par élan de liberté notamment et la possibilité d’être plus nomade, qui s’inscrit pleinement dans l’air du temps. Ceux qui investissent un lieu signé Cohabs y restent en moyenne 11 mois et c’est tout le sens du concept. Changer d’endroit sur un coup de tête ou découvrir un pays, sans être réfréné par un bail longue durée. Et puis à côté de ça, il y a ceux qui recherchent le lien et le contact ou l’aspect écologique, nos espaces misant sur la durabilité avec un partage des ressources et la rénovation d’anciens bâtiments. C’est d’ailleurs aussi pour cela que nous avons fait appel à Lionel Jadot pour en concevoir les intérieurs. Au-delà de son talent incroyable de designer, il a fait de l’upcycling l’ADN de son univers. C’est ce qu’il fallait à ce projet profondément humain.
Vous appelez d’ailleurs les habitants des membres, et non pas des locataires. L’esprit Cohabs est-il celui de la reconnexion aux autres ? La rencontre en est en effet le cœur. Tout comme casser le rapport propriétaire – locataire classique, où l’on se dispute autour des devoirs de l’un ou l’autre. On voulait offrir une vraie disponibilité et une écoute, mais aussi faciliter l’entente entre les cohabitants en leur retirant tous les aspects à même de créer des frictions. Nos appartements sont ainsi tous meublés, nous fournissons les produits de première nécessité et il y a un nettoyage hebdomadaire. Cela permet à nos membres de profiter de l’essentiel, de tisser des liens avec ces inconnus avec qui ils partagent leur espace de vie.
Votre slogan est: Our members call us home. Qu’est-ce qui selon vous fait d’un endroit un véritable chez-soi ? S’y sentir bien. C’est indispensable et pour nous cela démarre par le choix de lieux chaleureux et pas trop vastes. C’est pourquoi nous divisons de grands bâtiments en plus petits espaces, d’une vingtaine de personnes maximum. Et puis, Cohabs ce n’est pas qu’un logement, c’est une expérience. La majorité de nos maisons ont un salon et une salle à manger commune, une salle de cinéma, un club de gym, un espace de coworking. Des retraites, des afterworks et des évènements y sont organisés. L’esprit de communauté ne s’arrête pas au partage d’une habitation.
Vous acheviez récemment la rénovation de l’emblématique Passage du Nord à Bruxelles. Pourquoi avoir choisi de réinvestir ce lieu du patrimoine bruxellois ? C’était une chance inouïe de pouvoir réhabiliter ce sublime bâtiment classé, abandonné durant si longtemps. Un fameux challenge aussi, ne serait-ce que par sa taille monumentale. 5500 mètres carrés, dont il fallait tout à la fois préserver l’héritage néo-classique et aménager en un cadre de vie moderne et convivial. Nous avons ainsi réparti les 60 chambres au sein de quatre unités, abritant chacune un espace de partage et de loisirs et nous avons confié à des artistes et artisans belges la réalisation de fresques et de mobilier. Les vitraux restaurés et le dôme reconstruit y côtoient des œuvres contemporaines, créant une atmosphère unique. Ecrire un nouveau chapitre de son histoire mais aussi redynamiser tout un quartier, nous a rendu très fiers. Et nous a offert notre plus belle vitrine au sein de la capitale.
Où Cohabs compte-t-il poser ses prochains cartons ? A Marseille et à Washington pour commencer, mais aussi dans de nouveaux lieux au sein des neuf villes où nous sommes déjà présents et où les listes d’attente s’allongent. Et puis en 2026, nous aimerions proposer des endroits spécialement pensés pour les étudiants et les seniors. En parallèle, nous lançons aussi le passeport Cohabs, un programme pour nos membres, qui leur permet d’échanger leurs logements pour une courte durée. Un pas vers une liberté supplémentaire et de belles rencontres.
Justine Kegels - « Je me considère comme un caméléon, se réinventant en permanence »
Justine Kegels
« Je me considère comme un caméléon, se réinventant en permanence »
Mots : Barbara Wesoly
Photos : Thibault De Schepper
L’engouement pour le design de Justine Kegels se raconte par une passion de l’esthétique sous toutes ses formes. Une créativité qui multiplie les moyens d’expression et les influences et que l’architecte d’intérieur insuffle avec élégance dans chacun de ses projets. A l’image de sa récente collaboration avec Cosentino et Modular Lighting Instruments, autour d’une collection capsule exclusive, mariage raffiné de la beauté et du fonctionnel.
Deux ans après avoir achevé un master d’architecture intérieure, vous avez fondé JJ Studio, un espace de création multiforme, comprenant non seulement du design, mais aussi de la photographie, de la vidéo, du stylisme et de la conception globale. Pourquoi avoir entrepris un projet aussi pluriel ? Je suis une personne profondément curieuse, qui s’est toujours intéressée à énormément de disciplines et de sujets. Et j’aime pouvoir les expérimenter par moi-même. A son lancement, en 2019, JJ Studio était une plateforme proposant des idées et des solutions innovantes aux marques. Avec le temps, elle s’est davantage orientée vers le design, pour lequel j’ai toujours eu un amour particulier. Mais je continue de considérer ces différents domaines comme pleinement reliés. La créativité ne se limite pas à un champ d’activité. On peut transposer un goût pour les tenues minimalistes à une vision de l’architecture d’intérieur, s’inspirer de l’éclectisme des matériaux du show-business pour nourrir un design. Tout devient le reflet d’un style, d’une personnalité et c’est ce qui est fascinant.
Vous signez une collaboration avec la marque espagnole Cosentino, label de référence dans la conception de surfaces minérales. Une capsule unique, conçue à partir de leur gamme Silestone Le Chic Bohème. Comment avez-vous imaginé celle-ci ? Il s’agissait de créer une collection de tables de salon mais aussi d’appoint qui mettrait en valeur la matière pour sublimer les lignes des objets. Mêler l’élément minéral à cette touche de féminité et de douceur que l’on retrouve dans mon design, notamment par ses courbes et ses arrondis, était un joli défi que j’ai énormément apprécié. Il s’y ajoutait aussi un jeu d’ombres et de lumières, du fait de l’emploi d’un éclairage modulaire, qui redessinait les volumes. Une façon passionnante d’enrichir l’aspect décoratif d’une dimension pratique.
C’était en effet également le cadre d’un second partenariat, avec Modular Lighting Instruments, créateur belge d’éclairage architectural qui célèbre ses 40 ans. Comment avez-vous intégré pleinement le travail de la lumière au cœur du projet ? On pourrait résumer ce principe à un mot : symbiose. Un terme qui reflète toute la substance et l’identité de cette gamme. Chaque élément y a été pensé pour développer la cohérence de l’ensemble. Les différentes hauteurs des pièces créent un jeu visuel, dont les couches rappellent les strates terrestres. Les discrètes lumières intégrées créent une atmosphère ludique et élégante. Et les deux coloris issus de la gamme Silestone, le Blanc Elysée, avec ses délicates veines dorées et grises, et le Château Brown, un brun profond, appuient les contrastes, mais avec harmonie. La pierre semble ainsi répondre à l’éclairage subtil et épuré de Modular.
Qu’est-ce qui définit votre vision du design d’intérieur, dans sa globalité ? Je me considère comme un caméléon, me réinventant en fonction des envies et des besoins de ceux qui font appel à moi. J’aime m’adapter à l’identité des propriétaires ou d’une demeure, surtout si elle est ancienne, afin d’en raviver le caractère. Je travaille actuellement sur la conception de bureaux et d’une maison de ville à Anvers. Je viens d’achever l’habillage d’une boutique pour un ami et en 2025, j’ai pour objectif de me concentrer davantage sur des projets commerciaux, qui constitueront de nouveaux défis. J’aime la variété et surtout l’aventure que représente chaque projet.
Geoffroy Van Hulle - Portrait d’une audace intérieure
Geoffroy Van Hulle
Portrait d’une audace intérieure
Mots : Barbara Wesoly
Photos : Damon De Backer
La décoration selon Geoffroy Van Hulle a tout d’une grandiose symphonie baroque. Un univers fantasque, où l’originalité s’impose avec une beauté envoûtante dans chaque espace, dévoilant des contours flamboyants dans son dernier ouvrage, Grand Interiors.
Ce livre, votre quatrième, offre une balade, à Knokke, Londres ou encore Anvers, à la découverte de résidences dont vous avez habillé l’espace. Comment avez-vous choisi les lieux présentés ? Je souhaitais que cet ouvrage dévoile des intérieurs emblématiques réalisés depuis 2018. Ces six dernières années ayant été remplies de superbes projets, j’ai finalement décidé de miser sur la diversité. J’y ai réuni modernité et classicisme, maisons de ville et appartements, vastes demeures et plus petits espaces, créant ainsi une vitrine reflétant les multiples facettes de mon style. Je l’ai complété par des textes détaillant des éléments décoratifs ou des réflexions sur mon processus créatif pour permettre aux lecteurs de plonger au cœur de ma vision.
Qu’est-ce qui fait l’essence d’un « grand intérieur » ? Une atmosphère luxueuse et chaleureuse à la fois, ce qui passe, pour moi, par une bonne dose d’éclectisme. Ma signature naît du mélange des genres : j’aime associer des antiquités à du design contemporain ou de l’art à des pièces kitch. Mais, plus encore, l’endroit doit refléter la personnalité de ses propriétaires. Un intérieur doit être le miroir d’une identité. Il n’y a rien de pire que l’impression d’habiter un musée. Heureusement, mes clients apprécient souvent une forme de fantaisie un brin dramatique et une fusion des cultures et des couleurs en harmonie avec mes envies.
Tous les espaces ont-ils le potentiel de le devenir ? Bien sûr ! Une maison doit être un voyage où l’on navigue d’une pièce en l’autre à la découverte d’endroits magistraux. L’entrée est une transition cruciale de l’extérieur vers l’intérieur, raison pour laquelle j’y accorde toujours un soin particulier. J’aime que les salons aient une ambiance feutrée, tandis qu’une cuisine ou une salle à manger doit être lumineuse et joyeuse. Lorsque chaque pièce possède son propre caractère affirmé, l’effet de surprise est fantastique.
Votre univers est tout à la fois éclatant, luxueux et théâtral. Que raconte-t-il de vous ? Un amour de la décoration sûrement inscrit dans mon ADN. Je viens d’une famille de fabricants de meubles depuis six générations. Petit, j’allais aux marchés d’antiquités avec mes grands-parents, puis ma maman a repris ce label, et aujourd’hui, nous l’avons transformé en un espace de création d’intérieurs. C’est ce que je suis et ce pour quoi je suis fait. Cela reflète aussi ma passion des voyages. A l’étranger, je commence toujours par me précipiter dans un musée ou un magasin de décoration. Et je ne peux m’empêcher de ramener des objets locaux. Ce qui, au départ, se limitait à un petit sac, puis une valise, nécessite aujourd’hui des conteneurs.
Qui sont dès lors les créatifs dont vous vous considérez d’une certaine façon l’héritier ? Je suis passionné par le design britannique des sixties et seventies. Cecil Beaton et David Hicks sont mes deux références ultimes. Le premier, par son côté théâtral, a créé des costumes pour de nombreux longs-métrages célèbres, notamment My Fair Lady. Il était également un photographe reconnu et un proche de la famille royale, qu’il a immortalisée de manière magistrale. David Hicks, quant à lui, a modernisé le style classique anglais grâce à un choix audacieux de couleurs et de textures. Ces deux figures m’inspirent au quotidien.
Qu’est-ce qui, dans un intérieur, vous attire au premier regard ? Ceux qui l’habitent. Lorsque des clients me sollicitent, je leur demande souvent de m’accompagner chez eux. J’observe leur façon de vivre et leurs comportements : s’ils se montrent accueillants ou plutôt réservés, offrent d’abord un verre ou font visiter leur maison, évoquent leurs enfants, leurs voyages ou leurs sorties. Une demeure ne doit pas simplement être belle, elle doit être en résonance avec ses occupants.
Et comment avez-vous conçu la vôtre ? Elle change deux fois par an. C’est facile puisque je vis en partie dans mon showroom. La plupart des objets présents dans mon salon sont à vendre. J’adore les belles pièces, mais je ne suis pas matérialiste. J’aime autant les voir arriver que repartir pour rendre heureux de nouveaux propriétaires. Lorsque j’achève de décorer une maison, j’y allume toujours les bougies pour qu’elles aient déjà un peu vécu. Si, trois ans plus tard, elles n’ont pas été utilisées, j’y vois un échec. Il faut qu’un lieu bouge, évolue, se transforme.
www.geoffroyvanhulle.com
Pierrick de Stexhe - « L’architecture brutaliste impose de voir au-delà des apparences »
Pierrick de Stexhe
« L’architecture brutaliste impose de voir au-delà des apparences »
Mots : Barbara Wesoly
Photos : Pierrick de Stexhe
De l’admiration à l’aversion, peu de mouvements auront suscité des émotions aussi extrêmes que le brutalisme. Une complexité qui, pour l’architecte et photographe Pierrick de Stexhe, révèle la profonde beauté d’une esthétique coulée dans le béton autant que dans l’utopie. Plus qu’un témoignage, son ouvrage Brutalism in Belgium, fait l’éloge d’un héritage urbanistique majeur.
Qu’est-ce qui vous a amené à l’écriture de ce livre ? Cela faisait longtemps que je souhaitais réunir mon métier d’architecte et ma passion de la photographie, pratiquée à l’époque en amateur, mais j’ignorais sous quelle forme. Jusqu’à un séjour à Londres et la visite du Barbican, plus grand centre des arts du spectacle européen et véritable cité brutaliste au cœur de la ville. Cela a été une révélation. J’ai toujours été inspiré par le vintage et particulièrement par la période allant des années 50 à 80, dont le brutalisme est une part intrinsèque. Je me suis alors plongé dans ce mouvement, d’abord aux origines, en Grande-Bretagne, avant de réaliser que l’approche des architectes belges était totalement différente mais tout aussi captivante et méritait d’être documentée.
Le brutalisme est l’un des courants architecturaux les plus controversés, considéré par certains comme austère et suranné, notamment par son utilisation radicale du béton. Un principe dont vous prenez le contrepied, en sublimant sa géométrie froide avec des clichés en noir et blanc. Pourquoi ce choix surprenant ? Cette esthétique a en effet toujours suscité un rapport d’amour-haine. De mon côté, je la compare à un album qu’on déteste la première fois qu’on l’écoute et qu’il faut apprivoiser pour le comprendre et apprendre à l’apprécier. Retirer la couleur me permettait d’entourer ces 50 bâtiments d’un cadre neutre, dénué de diversion, qui ferait ressortir leurs lignes et leur verticalité ainsi que les altérations et transformations liées au temps. Mon but était d’augmenter ainsi l’impact visuel mais aussi la véracité du cliché. C’est pourquoi j’ai travaillé en argentique grand format et en ne prenant maximum que six photos d’un lieu. J’ai employé une chambre technique à l’ancienne, en veillant à avoir pour chaque image un même type de cadrage et une atmosphère visuelle similaire. Le livre présente aussi des photos en négatif, y compris sur sa couverture. Celles-ci permettent de capter toute la mesure de ces constructions imposantes à l’identité spectaculaire.
Comment expliquez-vous que ce mouvement souvent dévalorisé dans notre pays rencontre un nouveau souffle chez nos voisins ? C’est lié à une question de contexte. Sa naissance dans les années 50, dans la société britannique d’après-guerre, découlait d’un principe d’expression de conscience collective. D’une volonté de rebâtir, sur les ruines des combats, des lieux qui correspondraient aux attentes et aux besoins de la classe moyenne. Mais, en Belgique, le mouvement était principalement esthétique et non pas éthique. N’en restent dès lors pour beaucoup aujourd’hui que des bâtiments vétustes et sévères, ne répondant plus aux normes contemporaines.
Cet ouvrage célèbre les constructions brutalistes belges les plus remarquables, à Bruxelles, comme en Wallonie et en Flandre. Est-il également un plaidoyer pour leur préservation et leur sauvegarde ? C’est certain. Très peu de ces bâtiments sont classés. Le Musée L de Louvain-la-Neuve, conçu par André Jacqmain en est en réalité un des seuls en phase de classement. Etant devenus obsolètes, notamment au niveau énergétique, il se pose désormais la question de leur conservation ou de leur démolition. Les voir détruits reviendrait pourtant à laisser s’éteindre une part d’histoire. Par ce livre, j’essaye de montrer qu’elle est bien trop précieuse pour sombrer dans l’oubli.
Pour accompagner cette exploration photographique, on y retrouve des textes d’historiens de l’art. Le brutalisme a-t-il besoin de s’appuyer sur le récit pour être pleinement apprécié ? Le livre se divise en trois parties chronologiques, les années 50 et les prémisses du mouvement, puis l’influence profonde exercée sur l’architecture vers 1960 et enfin un essoufflement qui s’affirme dans les années 75-80. La photographie était pour moi un moyen de compréhension à part, mais ne pouvait à elle seule tout raconter. La remettre dans un contexte, de géographie comme d’époque n’en rendait l’ouvrage que plus riche.
Qu’avons-nous à apprendre du brutalisme, en 2024 ? Un retour à la simplicité pour commencer. Le brutalisme impose une forme de pureté dans le dépouillement, notamment par des monomurs de béton, composant l’ensemble de la structure. Une forme de beauté singulière, surgissant d’une cohérence et d’une authenticité qui ne s’encombrent d’aucune fioriture. A côté de cela, chaque bâtiment brutaliste a une identité très forte qui, face à la standardisation actuelle des méthodes de construction, prend tout son sens et toute sa dimension.
Brutalism in Belgium,
Pierrick de Stexhe, Prisme éditions