Girls don’t cry
Lukas DHONT… vous pouvez d’ores et déjà retenir ce nom ! A 26 ans, ce Gantois signe Girl, un premier film d’une remarquable maîtrise et d’une profonde humanité. En mai dernier, le Festival de Cannes – désormais plus inspiré dans les sections parallèles qu’en compétition officielle – ne s’y est pas trompé en décernant à Girl, entre autres prix, la Caméra d’Or qui récompense le meilleur premier film, toutes sections confondues.
Mots : Frédérique Morin
© Johan Jacobs
Inspiré d’une histoire vraie, Girl raconte Lara, une adolescente enfermée dans un corps de garçon qui poursuit le rêve de devenir ballerine. Porté par le jeune et éblouissant Victor POLSTER, 15 ans, récompensé par le prix d’interprétation dans la section Un Certain Regard, le lm fera l’ouverture du Festival de Gand le 9 octobre prochain et sortira en salle le 17 octobre.
En quoi cet article de presse sur lequel vous tombez en 2009 vous a t’il tant marqué ?
J’avais 18 ans quand j’ai lu cet article. Nora, cette jeune fille de 15 ans, considérée à la naissance comme un garçon, qui avait choisi seule sa propre identité était pour moi un personnage héroïque. Elle défiait les normes classiques de la féminité et de la masculinité. À l’âge que j’avais, je ne me sentais pas ce courage, je ne m’autorisais pas à ressentir les sentiments qui m’animaient.
Il s’est passé 8 années entre le moment où vous lisez cet article et le moment où vous réalisez ce film. Comment s’est passée cette « gestation » ?
Au moment où je suis tombé sur cet article, je commençais juste mes études de cinéma. J’ai gardé cet article, car j’ai senti qu’il renfermait tout ce dont j’avais envie de parler. Dès le début, j’ai su que si un jour je faisais un film, ce serait sur cette histoire. Une histoire qui était essentielle dans ma vie, une histoire qui m’a aidé à devenir moi-même. Ce film, c’est la version jeune de ce que je suis.
Et de quoi vouliez-vous parler avec Girl ?
Quand nous naissons, le lien est établi entre corps et genre. Pour beaucoup, ça n’est pas un problème. Mais pour certains, ça ne marche pas… ce sont derniers qui m’intéressent.
Il est important de parler de cette nouvelle féminité ou de cette nouvelle masculinité… nouvelle par rapport à ce qui est considéré comme normal.
Mon film ne parle pas uniquement d’un personnage transgenre, mais plutôt de l’identité. Hommes et femmes, nous avons tous en nous une part féminine et une part masculine à laquelle, souvent (et c’est selon), nous ne laissons pas libre cours.
Mon film est un film sur une minorité, mais à l’attention d’une majorité !
C’est un film sur des personnages que j’admire, dont je suis tombé amoureux et qu’il est urgent de montrer.
Pourquoi la danse comme vecteur (essentiel dans votre lm) pour suivre, Lara, votre héroïne ?
La danse classique, c’est la ballerine, c’est la féminité par excellence, la féminité exacerbée…
Une fille transgenre de 15 ans qui essaye d’obtenir cette forme traditionnelle de la féminité, si symbolique de la danse, était une manière pour moi de rendre visible, d’extérioriser son monde intérieur.
Il y a aussi dans le film cette contradiction du personnage qui choisit de s’exprimer avec son corps, de travailler avec lui, alors qu’il a une certaine aversion envers ce corps.
Cette contradiction m’a fait poser beaucoup de questions.
Une contradiction qui provoque aussi des conflits …
… les conflits sont la raison d’être des films !
Vous partez du postulat que tout l’entourage de Lara (la famille, le corps médical…) accepte cette situation, cette volonté de Lara d’être et de devenir une femme.
Au moment de l’écriture du scénario, je tenais à ce que tous les personnages – le père, le petit frère, la famille… – soient tous des exemples d’amour pour mon héroïne.
Le père ne questionne pas l’identité de sa fille. Pour lui, Lara est une fille. Ainsi Lara n’a pas à combattre le monde autour d’elle… elle doit combattre son corps. Mon film est un film corporel ! C’est en cela que mon film peut parler à tout le monde : il parle de notre rapport au corps et pas seulement d’un corps trans.
Lara n’est pas juste une trans. Elle est une fille, une danseuse, une adolescente… autant d’états qui induisent des conflits corporels.
Votre film est en flamand et en français… pourquoi ce choix ?
Cette envie de m’identifier comme Belge et non pas seulement comme flamand était déjà présente dans mes courts-métrages. Dans la vie, je ne crois pas aux séparations. Je crois aux liaisons.
Cannes est un festival qui sourit aux réalisateurs belges. Ce formidable accueil qu’a reçu votre film est-il un poids ou une chance… voire les deux ?
C’est un énorme cadeau et une grande émotion que je n’oublierai jamais.
J’ai toujours cru que ce film pouvait être reçu par le public… à Cannes j’en ai eu la confirmation. Cannes a été une formidable vitrine, une reconnaissance et confirmait ces 4 années de travail.
En même temps, tu te retrouves sur la plus haute marche, avec tout ce que ça implique d’attente des gens pour la suite.
Retrouver le même enthousiasme est pour moi un véritable challenge. C’est la première fois de ma vie que je ne sais pas ce qui va venir…
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