Le monde onirique d’ERIC CROES
Mots : Olivia Roks
Photos : DR
Réels assemblages surréels, ses totems en céramique sont reconnus à travers le monde. Eric Croes signe une nouvelle exposition à Bruxelles, « La nuit est une Femme à barbe ».
Au gré de ses constellations intimes, on découvre l’étendue de son imaginaire et de son savoir-faire technique. Entre mystère et onirisme, entretien depuis l’atelier de l’artiste.
Vous êtes connu à travers le monde pour vos célèbres totems en céramique. Mais tout d’abord qui est Eric Croes ? J’ai 45 ans et je me définis comme sculpteur. Depuis que je suis petit, j’ai la fibre artistique, je dessinais, je faisais de la plasticine. Mes parents étaient manuels, bricoleurs… Lorsqu’à six ans ma mère m’a inscrit à des cours de dessin, c’était le plus beau jour de ma vie (rires). Ensuite, j’ai fait des études de sculpture à La Cambre et j’ai poursuivi, il y a dix ans, avec des cours de céramique. Cela m’a tout de suite passionné, particulièrement l’émaillage et la découverte de ces couleurs si intenses. J’ai acheté mon premier four et je me suis lancé. Les totems sont nés lors de ma première exposition en 2015.
Des œuvres en céramique prenant l’apparence de totems. Une superposition d’éléments réalisée comme des assemblages uniques… Quelle histoire se cache derrière ces fascinants totems ? Je devais faire une exposition dans une galerie et je voulais absolument la pièce au haut plafond. Un ami m’a conseillé de créer quelque chose de très haut pour que cette salle me soit adressée. Pari réussi avec la création de deux totems ! Les totems représentent un collage d’idées, d’éléments, au départ un peu disparates. Ils font environ deux mètres de haut, je les vois comme des géants, des gardiens, des golems… Ces totems sont devenus en quelque sorte mon hit.
Ils ont tout de suite remporté un franc succès ? Quand j’ai fait ma première exposition, l’engouement était effectivement au rendez-vous. Tout le monde semblait très enthousiaste. Thierry Boutemy a acheté les deux totems de l’exposition et il les a exposés. Ensuite, Albert Baronian m’a fait une exposition, a suivi Rodolphe Janssen… Mais je suis aussi arrivé au bon moment, c’était le grand retour de la céramique et aussi de la figuration.
Quel est votre processus de création, comment composez-vous ces géants ? Je me raconte une histoire et je dessine de manière rapide un croquis. Ensuite, je réalise les pièces en terre glaise, je les laisse sécher et les retravaille encore et encore… Elles sèchent et sont cuites une première fois. Je teste alors les pièces en les enfilant comme des perles sur un mât. Une fois que j’ai le bon ordre, je le dessine sur papier et je le colorie à l’aquarelle afin de percevoir le rythme entre les tailles des éléments et des couleurs. Viennent alors l’émaillage et la dernière cuisson à haute température pour des couleurs profondes. Enfin, je place les éléments sur le mât en métal et je fabrique un socle en béton bouchardé. Il faut compter certainement un mois pour la création d’un totem.
Quelles sont les inspirations qui nourrissent votre travail ? L’ours est par exemple très présent dans vos créations… Les totems sont souvent des obsessions du moment. Je m’inspire du bestiaire, de la mythologie, j’adore les cyclopes, la gorgone, la Bocca della Verità à Rome, les théières (un souvenir familial), les visages, les vases, les fleurs, les bougies… Et l’ours bien sûr. J’adorais les ours en peluche petit. On m’a également offert le livre « L’ours » de Michel Pastoureau à mon anniversaire, sans doute car c’est un animal qui me représente et j’en ai fait en quelque sorte mon totem… Ce livre m’a passionné et inspiré, il relate l’ours à travers l’Histoire. J’ai pris certainement deux ans à le lire et à tout analyser. Et en 2015, pour ma première exposition, l’ours était au centre de mon exposition.
Votre nouvelle exposition, « La nuit est une Femme à barbe », se tient actuellement à la galerie Sorry We’re Closed, qu’y découvre-t-on ? J’ai toujours aimé la chanson mystérieuse et les paroles assez dingues et fantasmagoriques de « La Femme à barbe » de Brigitte Fontaine. Un titre parfait pour une de mes expositions ! Je me suis posé la question : à quoi ressemblerait un paysage de nuit pour moi ? Et là tout a commencé ; au rez-de-chaussée, j’ai imaginé un jardin gardé par deux centaures-sphinx, on avance et on découvre encore bien d’autres éléments dans ce paysage de nuit qui s’ouvre au visiteur. A l’étage, c’est la nuit, c’est l’enfer, on est accueilli par cinq totems représentés par de grands diables composés d’éléments évoquant des obsessions, des péchés… La nuit est effrayante mais on peut aussi y vivre des choses interdites, une nuit dangereuse mais excitante. Toute l’exposition est construite en miroir, dans un jeu de reflets, chaque sculpture cache un « verso », un « envers » qu’il faut découvrir.
Que d’éléments à découvrir ! Avec un style bien particulier… Comment décririez-vous votre style ? J’aime parler de mythologie personnelle, colorée, intuitive et vivante. Derrière tous ces éléments, c’est en quelque sorte mon histoire.
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