Beau gosse aux yeux d’azur, il porte un sourire permanent qui augure d’un caractère avenant. L’homme est précis, méthodique, travailleur et son humeur, souvent très bonne, ne varie guère même lorsqu’on aborde les difficultés d’un métier particulièrement compliqué. Jérôme D’Ambrosio connaît la musique et ne se laisse pas déstabiliser par les coups du sort. Et puis, il a deux qualités exceptionnelles : son talent stratégique ne s’est jamais démenti et il a toujours été capable de rebondir à bon escient.

MOTS : CHRISTIAN LAHAYE
PHOTOS : MAHINDRA

Après une saison de F1, on l’imagina en délicatesse avec son avenir professionnel mais si on s’intéresse un tant soit peu à son parcours, on sera bluffé par ses changements de cap rarement innocents. Il est passé au travers de toutes les embûches et il visa juste en disputant le championnat du monde des voitures électriques dès la fondation de cette série. A 33 ans, l’âge du Christ, il se rapproche tant et plus du septième ciel comme si sa trajectoire était enfin programmée pour qu’il tutoie les anges de la compétition. Du karting à la Formula E, il s’auréola d’un titre de champion de Belgique de Formule Renault en 2003 avant de réussir un retour brillantissime en s’imposant quatre ans plus tard en Formula Master. Il émergea là où on ne l’attendait pas et ce fut le début de sa résurrection, l’emmenant en GP2 puis bientôt (2011) en Formule 1 au volant d’une Marussia affrétée par Virgin. En F1, il ne put espérer mieux, signant certes des résultats modestes mais c’était au volant d’une voiture qui ne l’était pas moins. Il s’extirpa d’un mauvais piège, alors que souvent les ex de la F1 ont du mal à trouver chaussure à leur pied ensuite. Un petit détour par Bentley en GT3 ne fut qu’une parenthèse puisqu’il fut, à la même époque, l’ardent défenseur et l’ambassadeur enjoué de la Formula E. Il l’aborda dès la naissance de cette compétition en 2014. Aligné par Dragon Racing, de 2014 à 2018, Jérôme dut bien admettre que son équipe perdit tout doucement pied avec du matériel vieillissant. Et, comme s’il était attendu au sommet de la hiérarchie, il frappa à la porte de l’écurie Mahindra où il put entrer sans se faire annoncer. Ses premiers pas avec les Indiens furent tout bonnement exceptionnels. Troisième en Arabie Saoudite, vainqueur au Maroc, limitant joliment les dégâts à Santiago du Chili, où il termina huitième après avoir pris le départ en fond de grille, notre compatriote était encore et toujours meneur au championnat après les trois premiers événements de la saison.

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Au moment où vous lirez ces lignes, il aura peut-être perdu le commandement de la discipline mais une vérité tombe sous le sens : c’est bien Jérôme D’Ambrosio qui fut le héros du début de cette compétition 2018-2019. L’homme est au firmament et, dans ces conditions, il surprendra encore. Il peut tabler sur une excellente connaissance technique de son métier, sur ses qualités de sprinteur, sur une expérience sans comparaison et certainement sur ses aptitudes stratégiques. La Formula E est évidemment synonyme de vitesse pure mais, dans ce nouveau monde électrique, d’autres paramètres comme l’utilisation optimale de l’énergie valent leur pesant d’or. Coincé dans un rôle de composition lorsqu’il aborda la Formule 1 dans un véritable carcan, ne lui laissant aucune liberté d’action, D’Ambrosio perdit, mais pas longtemps, son statut de gendre idéal. Obligé de se tenir à carreau, de respecter les diktats d’un service de communication et de ne répondre que des banalités, il redevint tel qu’en lui-même après avoir quitté ce monde bizarre où tout est permis aux stars alors que rien n’est laissé au hasard pour les sans- grades du deuxième peloton. Jérôme D’Ambrosio est toujours retombé sur ses pattes. Pour la première fois depuis longtemps, il peut chercher le dernier carat dans une discipline encore jeune et dans l’air du temps. Elle annonce clairement un nouveau pan de l’histoire du sport automobile. « The right man in the right place », il n’y a pas de meilleure formule pour décrire en deux mots la situation actuelle de notre compatriote. Dès qu’on le croit en difficulté, sa simplicité, sa tranquillité et ses atouts de pilote confirmé font le reste. Et ça redémarre. Et ça rebondit. C’est l’histoire d’une vie, celle d’un mec en or.

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Jérôme D’Ambrosio en questions !

Quelle est ta voiture personnelle ?

J’en ai trois ! Une SsangYong spacieuse et confortable pour trimballer des passagers et des bagages (NDLR : ce constructeur est une filiale de Mahindra), une BMW M5 pour les longs trajets et une Twizzy que j’utilise à Monaco, là où les petites machines électriques font fureur.

Ta voiture de rêve ?

L’archétype de l’automobile, toutes générations confondues, demeure à mon sens la Ferrari Dino.

C’est ton père qui t’a mis le pied à l’étrier ?

Pas du tout ! Même s’il m’a beaucoup soutenu lors des saisons d’apprentissage, on parlait plutôt foot à la maison. En vacances, ma mère m’a mis sur un kart et ce fut une révélation.

Le meilleur coup que tu aies réussi ?

Le début de ma saison actuelle en Formula E. J’ai gagné à Marrakech et chez Mahindra, au sein de ma nouvelle équipe, ils étaient particulièrement heureux ! L’émotion était à son comble et j’ai également essuyé quelques larmes.

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Premier succès de Jérôme D’Ambrosio en Formula E depuis Mexico, le 12 mai 2016. Entouré par Robin Frijns à gauche et Sam Bird, notre compatriote a fait le plein d’émotions à Marrakech. ©Mahindra

Quelle est la plus grosse erreur que tu aies commise dans ta carrière ?

Je souhaite répondre de manière globale et ne pas chercher un exemple. Il m’est arrivé de privilégier le confort plutôt que l’audace. En compétition automobile, il n’y a pas de compromis. Il faut y aller et y aller tout le temps.

Es-tu déçu de ne pas avoir pu émerger en Formule 1 ?

Je vois les choses tout autrement. Sans apporter de budget, j’ai participé à une saison complète de F1 au volant de la Marussia et j’ai appartenu à la filière Renault. Après, sans transition, si ce n’est une campagne chez Bentley en Blancpain, j’ai entamé en même temps (2014) une nouvelle carrière lors de la première saison de Formula E. Je n’ai plus quitté cette Formule depuis et je pense avoir agi au mieux, notamment en rejoignant Mahindra au début de la présente saison. L’écurie indienne peut se battre pour le titre dévolu à la meilleure équipe et pour la couronne des pilotes. Je suis dans un environnement hyper professionnalisé qui me permet de me concentrer uniquement sur mon job de pilote.

Quelle est la particularité de la Formula E ?

Pour gagner, il faut être un gestionnaire avisé et un excellent stratège, être constamment aux aguets et, si nécessaire, modifier son approche. La Formula E est une voiture très délicate à piloter. En son temps, j’avais eu la même impression au volant de la Renaut V8 de Formule 1 que j’ai eu la chance de tester brièvement en 2010 sur le circuit d’Abu Dhabi. Elle m’a donné du fil à retordre mais je n’ai, hélas, pas eu le temps de la dompter.

Ton circuit préféré ?

Il y en a deux. Suzuka et la piste de Rome que nous utilisons en Formula E.

Ta voiture de course préférée ?

Il y en a deux et j’ai eu la chance de les piloter. Pas de doute, il s’agit de la Lotus 97T à moteur Renault que pilotait Senna en 1985 et de la Formula E alignée par Mahindra cette année.

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En entrant dans l’écurie indienne Mahindra Racing, JDA a pénétré un autre monde comme ses premiers résultats l’attestent. © Mahindra

Que penses-tu de ton nouvel équipier Pascal Wehrlein ?

Le plus grand bien. Il est redoutable. Il a signé un podium dès sa deuxième course, cela veut tout dire. N’oubliez pas qu’il a participé à deux saisons de F1 après avoir été champion en DTM. Comme sa maman est Mauricienne, je pourrais lui parler en français.

Parmi tes adversaires, as-tu de véritables amis ?

Je m’entends très bien avec beaucoup de pilotes. J’apprécie vraiment Rosenqvist, Evans, Lotterer et Vandoorne.

Que penses-tu de Stoffel ?

Qu’il va bientôt nous bluffer tous autant que nous sommes. Dès qu’il aura un peu de chance, sa pointe de vitesse va éclater au grand jour.

As-tu déjà eu peur en course ?

Non, mais il m’est arrivé de ne pas être à l’aise ou d’avoir un doute. Lorsque de nuit, alors qu’il y avait déjà eu beaucoup d’accidents, j’ai repris le volant de la Bentley aux 24 Heures de Spa 2014, il m’a fallu un certain temps pour reprendre confiance.

Sucré ou salé ?

Salé !

Blonde, brune ou noire ?

Ma compagne écoute et j’affirme qu’il n’y a rien de mieux qu’une blonde !

Tu vis en couple ?

Pour mon plus grand bonheur, la réponse est oui.

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