Un des meilleurs grimpeurs au monde est Belge ! Stéphane Hanssens habite Erneuville dans la province du Luxembourg. Ce grimpeur professionnel de 32 ans partage son temps entre compétitions, coaching et expéditions. BG aux yeux bleu intense, il dégage une force tranquille à l’image des falaises qu’il affectionne. Sa passion ? Repousser ses limites et défier les big walls jamais abordés par l’homme.

MOTS : ARIANE DUFOURNY
PHOTOS : JEAN-LOUIS WERTZ

Né pour la grimpe…

La légende familiale raconte que petit, je grimpais sur tout (arbres, meubles) de manière addictive et que je m’asseyais dans le vide des fenêtres. Du coup, à mes cinq ans, mes parents m’ont inscrit à un cours d’escalade.

J’ai commencé par l’escalade de compétition avant de me spécialiser dans les expéditions. Comme en Namibie, je pratique de l’escalade en bloc où je ne suis pas assuré mais où j’ai des tapis de réception. Avec mon groupe d’amis,

j’ai notamment parcouru des « Big Walls » au Canada, aux États-Unis, en Patagonie, au Venezuela, en Chine, qui sont considérés comme les tops mondiaux. Nous avons remporté plusieurs prix dont le « Piolet d’Or » qui récompense les meilleures performances en alpinisme de l’année.

La Tour Eiffel mesure 324 mètres. Un « Big Wall » est une falaise verticale dont la hauteur varie entre 1.000 et 1.500 mètres. Son ascension nécessite plusieurs jours, voire plusieurs semaines.

Un palmarès multiple qui débute à onze ans…

Cinq fois champion de Belgique dans les catégories d’âge, dans le top 10 des meilleurs grimpeurs mondiaux chez les jeunes à 17 ans, champion de Belgique Senior de bloc en 2015, de difficulté en 2016. 9e en Coupe du Monde de voies en 2015, vainqueur des Championnats de France en 2018. J’ai beaucoup varié les pratiques, de la grimpe à l’alpinisme et inversement.

L’escalade sportive, discipline olympique aux JO de Tokyo en 2020…

C’est un combiné de trois disciplines : la vitesse, le bloc et la difficulté (voie). Même si les JO sont extraordinaires, y participer ne représente pas le Graal. Mon domaine de prédilection est la voie. Le bloc, j’assure mais en vitesse je suis à zéro car c’est une discipline que je n’ai jamais pratiquée. Il n’y aura que vingt sélectionnés et plutôt que de m’efforcer à gagner de la vitesse, je préfère grimper en falaise !

L’escalade intégrant le programme olympique apporte à cette discipline une médiatisation autrefois ignorée. J’espère qu’elle permettra aux athlètes d’en tirer bénéfice car les « prize money » actuels sont ridicules.

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© Jean-Louis Wertz / Venezuela

Les mystères de la voie…

Une des grandes particularités de l’escalade et de l’alpinisme est de présenter toujours de nouveaux itinéraires et de procurer la recherche de l’inconnu. En compétition, nous ne connaissons pas la voie à l’avance ce qui demande d’être créatif afin de résoudre les problèmes pour avancer vers le haut. A contrario, la vitesse propose toujours le même itinéraire, des prises et inclinaisons de mur identique. Ce mur standardisé mondialement n’existe, en Belgique, qu’à Gand.

Big wall, expérience à partager …

Dans ce genre d’expédition, je ne suis jamais en solo mais toujours assuré. En cas de problème, pas d’hélicoptère, je ne peux compter que sur mes coéquipiers !

Lors de ma première expédition au Canada, nous avions trois semaines d’approche en marche afin d’accéder au Big Wall. Nous avons toujours un schéma d’actions établi pour gravir ces faces. Nous comptons dix à quinze jours pour accéder au sommet durant lesquels nous dormons en portaledge [NDLR – tente de paroi suspendue destinée aux grimpeurs pour loger sur de grandes voies en style capsule].

Un régime bien calculé…

Isolés, nous sommes loin de tout et en autonomie complète pour un mois, un mois et demi. Nous calculons à l’avance le nombre de calories dont nous avons besoin. Autant de grammes de riz, de pâtes, de kilos de fromage, de miel, de porridge pour le petit-déjeuner, mais le plus important est l’eau. 2,5 à 3 litres d’eau par jour par personne, pour une dizaine de jours, ça représente 120 à 150 kilos. En Chine, nous avons dû prévoir du gaz pour faire fondre la neige afin d’obtenir assez d’eau.

En paroi, nous consommons de la nourriture lyophilisée. Dans le camp de base, nous ne manquons de rien même si la limitation, le côté privatif qui n’existe pas au quotidien, se fait ressentir. Il nous arrive souvent de parler de tout ce dont nous avons envie de manger.

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© Guillaume Lion / Siruna « La Reine Mora »

La motivation…

Gravir en « première » des « sommets vierges », c’est écrire l’histoire ! Le sommet n’est pas l’apothéose, la descente est plus dangereuse. Par ailleurs, je me déconnecte de tout et entre dans un travail spirituel. D’une certaine manière, nous cherchons à souffrir, comme le marathonien, pour profiter de l’exploit.

Activités en sus…

Parfois, nous restons bloqués plusieurs jours, pour raisons climatiques, sur nos portaledge de deux m2. Chacun emporte un à deux livres (notamment d’alpinisme, bien sûr) que nous nous échangeons.

Affronter un big Wall, ça se prépare…

Même si c’est notre métier et que nous grimpons tout le temps, nous comptons six mois de préparation physique pour obtenir une endurance de fond, car nous serons un mois et demi en pleine action. Nous n’avons pas le droit d’être à bout comme en compétition où un médecin nous prendrait en charge. Nous flirtons avec la limite, mais nous ne pouvons pas la dépasser au risque de devenir un poids pour nos coéquipiers.

Les risques du métier…

En Chine, je me suis gelé le pied gauche dont j’ai finalement perdu un bout. Nous étions heureusement arrivés au sommet, mais il nous a fallu une semaine pour que je puisse voir un médecin en Belgique.

La peur…

C’est interdit ! La notion du danger et de l’engagement sont très personnels. Même si nous nous faisons peur de temps en temps, le risque est calculé tout comme les pilotes automobiles. Parfois, l’un ou l’autre ne sent pas les choses, car nous avons tous nos coups de mou ! Dans ce cas, tu deviens le leader et vice versa.

Hello coach…

L’entraînement représente quasi un temps plein (deux séances minimum par jour et musculation) et laisse peu de temps à d’autres activités. J’ai la chance de travailler dans ma passion. J’entraîne des jeunes de haut niveau à Arlon et je construis les itinéraires proposés au « Blocry » à Louvain-la-Neuve. D’autre part, j’encadre en falaise (aussi pour des initiations) ceux qui désirent s’épanouir en escalade sans passer par la salle.

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© Evrard Wendenbaum / Chine