Profession : écrivante

Myriam Leroy a le regard qui tue, la prose revolver, le verbe incisif. Myriam n’a rien d’une femme décorative mais quelle horreur ! Au contraire, Myriam sort du rang, fait de la résistance, secoue le troupeau, impose sa vision en dézinguant joyeusement ce qui ne lui plait pas à travers des articles de presse et des chroniques en radio et télé. Si Myriam devait écrire un roman, il lui ressemblerait forcément… Quoique. Aurait-il les traits d’« Ariane », cette ado fascinante qui vit dans une maison trop grande avec une piscine trop bleue et un terrain de tennis trop brique dans un coin trop riche du BéWé trop vert ? Entre Ariane, Myriam et sa narratrice, tous les coups bas sont permis. Le catch (littéraire) n’est pas si fake que ça ! La frontière entre le réel et la fiction se révélant bien plus ténue qu’on ne l’imagine…

| Propos recueillis par Servane Calmant |

 

La rencontre a lieu à la librairie Filigranes à Bruxelles où Myriam Leroy présente et dédicace « Ariane », récit d’une relation siamoise entre deux ados du BéWé des années ‘90. Ariane est riche, l’autre, la narratrice, collectionne les complexes et se demande « où se niche la qualité de la bourgeoisie », elle qui a toujours crû « que les pauvres étaient des gens bien». Deux jeunes femmes qui vont s’oublier l’une dans l’autre jusqu’à se perdre : massacre dans l’indifférence sur un court de tennis, étripage sans répit au bout du fil, bousillage féroce d’une amitié toxique. Ce décryptage minutieux de l’adolescence à travers un désir de plaire à tout prix, une urgence de vivre fébrile, séduit par le propos et la forme. Car sous couvert d’une auto-fiction, l’auteure s’amuse à décloisonner les espaces ‘logiquement’ dévolus au réel et à la fiction avec une jubilation intellectuelle salvatrice. Un premier roman cinglant et savoureux à la fois qui rend (apparemment) heureuse son auteure, que l’on prétend « piquante », « arrogante », « pertinente », « impertinente », « froide, oui mais sensible », « aha ! » rétorquerait celle qui se présente comme une « écrivante ».

Myriam-leroy

Ecrivante, n’est-ce pas un peu moche ?

« Ecrivain, écrivaine, romancière, aucun de ces termes ne me convient vraiment. J’ai écrit un roman, ça ne fait pas de moi une romancière, car je n’y consacre pas tout mon temps. Et j’écris, oui, des textes de théâtre, des chroniques pour la radio, des papiers pour la presse écrite, je suis donc écrivante, j’écris pour vivre, mais finalement le mot est moche – rire ! »

 

Honnir la figure du bourgeois, n’est-ce pas un peu fastoche ?

« Ma narratrice, fille tristement banale, se rend bien compte qu’elle est inculte en matière de protocoles, de ‘nadine-de-rothschilderies’, qu’elle appartient et appartiendra toujours à une classe de ploucs. Certes elle méprise les bourgeois, elle ne voudrait pas leur ressembler, mais ce qu’elle déteste par dessus tout c’est de ne pas avoir eu le choix de son appartenance sociale. Je n’ai pas la haine du bourgeois, ce serait réducteur. On peut pénétrer toutes les classes sociales car elles sont nettement plus poreuses que jadis, mais ce n’est pas parce qu’on a le droit de fréquenter la haute bourgeoisie qu’on sera adoubé par elle. Il y a des codes, des clés, un grand « entre-soi », un réel communautarisme chez les nantis. En ce sens, je partage le malaise social de ma narratrice. »

 

Désir de plaire ou devoir de plaire, là bat le coeur d’ « Ariane » …

« Il y a en effet beaucoup d’injonctions, souvent contradictoires d’ailleurs, dans les magasines à destination des adolescentes. Comment bien embrasser, comment séduire, comment ne pas dégouter un garçon, comment faire régime ! Ce « devoir de plaire », cette tyrannie de la séduction imposée aux jeunes femmes- dont j’ai été moi-même une victime innocente- me révolte ! »

 

Piéger le lecteur, n’est-ce pas un peu machiavélique ?

« Aha !, j’avais l’intention d’écrire un roman autobiographique mais je me suis surprise à avoir trop peu de souvenirs de mon adolescence, de l’amitié fusionnelle que j’avais vécue et qui s’était alors soldée par une dispute, pour alimenter mon récit. J’ai donc rédigé une fiction nourrie d’éléments autobiographiques, de souvenirs réels. Cette auto-fiction me permet évidemment de manipuler, de piéger le lecteur. De grossir certains souvenirs, d’occulter certains pans du passé, de modifier des noms, d’inventer des anecdotes, d’emprunter des raccourcis. Je l’explique dans le dernier tiers du roman. En manipulant le passé, me suis-je rapprochée au plus près de la réalité ? Ou, au contraire, est-ce que je vous mens sur toute la ligne ? Qui est vraiment Ariane ? La sœur et les parents de la narratrice ne l’ont jamais rencontrée- existe-t-elle vraiment ? Et si la narratrice était une manipulatrice ? Et si Myriam et Ariane ne faisaient qu’une ? Et si… J’ai beaucoup aimé le roman ‘D’après une histoire vraie’ de Delphine de Vigan, où le lecteur est malmené par une auteure qui interroge la part du réel, du vrai dans le roman. C’est ce deuxième niveau de lecture, ce duel entre le réel et le vrai dans la littérature, qui a également motivé l’écriture d’ ‘Ariane’. Par ailleurs, peu importe si j’ai ou non piégé les lectrices et lecteurs, mon souci d’authenticité reste identique ! »

Myriam-leroy

“ Quand j’ai eu douze ans, mes parents m’ont inscrite dans une école de riches. J’y suis restée deux années. C’est là que j’ai rencontré Ariane. Il ne me reste rien d’elle, ou presque. Trois lettres froissées, aucune image. Aucun résultat ne s’affiche lorsqu’on tape son nom sur Google. Ariane a vécu vingt ans et elle n’apparaît nulle part. Quand j’ai voulu en parler, l’autre jour, rien ne m’est venu. J’avais souhaité sa mort et je l’avais accueillie avec soulagement. Elle ne m’avait pas bouleversée, pas torturée, elle ne revient pas me hanter. C’est fini. C’est tout.

ARIANE, MYRIAM LEROY, AUX ÉDITIONS DON QUICHOTTE