Actualité double pour Adeline Dieudonné qui s’apprête à jouer « La Vraie vie » au théâtre et bouscule le lecteur avec « Kérozène », deuxième roman drôle et féroce à la fois où la souriante Bruxelloise fustige ce que notre époque à de plus absurde. Une nouvelle claque !

Et paf !, un deuxième livre écrit pendant le confinement, au format un peu particulier… « C’est même grâce au confinement que « Kérozène » existe. J’étais occupée à écrire un autre roman, inspiré par la collapsologie, l’effondrement inévitable de notre civilisation, quand le lockdown est venu me couper dans mon élan ! Mon écriture entrait en collision avec ce que l’on était en train de vivre, je l’ai donc mis de côté. Pour m’amuser, j’ai commencé à rédiger des histoires courtes, puis j’ai tissé des liens entre certaines d’entre elles… »

 Un roman mosaïque…  « Kérozène » affiche en effet un format mixte, entre le roman et le recueil de nouvelles. Au cinéma, on pourrait parler de film à sketches…  Bref, c’est un livre à sketches ! »

 Contrairement à « La Vraie vie », où l’on identifie rapidement la protagoniste, « Kerozène » jette dans l’arène douze personnages déjantés, plus un macchabée, et un… cheval ! « Le cheval était présent dans la station-service, point de départ du roman, et comme je ne suis nullement spéciste, je lui ai accordé le même traitement de faveur que les autres protagonistes, soit une nouvelle pour lui tout seul ! »

Deux romans pour asseoir un style. La loufoquerie, l’absurde, la noirceur, une forme de lucidité très très sombre surtout, ces mots définissent-ils le style Adeline Dieudonné ? « Je vous crois si vous me le dites ! Je suis très souriante, donc les gens n’imaginent pas la noirceur qui m’habite. J’écris dans un monde que je trouve terriblement violent et brutal ; les émotions qui me traversent et qui guident ma plume sont alimentées par cette noirceur, par la désolation aussi. J’aurais pu prendre le contre-pied de ce constat, et écrire des romans d’amour. J’en ai décidément autrement. J’ai lu récemment « Comment tout peut s’effondrer » de Pablo Servigne, un ouvrage terriblement réaliste qui pose les bonnes questions : que faut-il mettre en place aujourd’hui pour anticiper demain ? Cette réflexion devrait être au cœur des politiques mises en place dès à présent ; malheureusement, il n’en est rien ! »

Adeline Dieudonné, un style qui ouvre les portes de l’imaginaire… « J’ai en effet imaginé le début de « Kérozène » comme un traveling de cinéma, qui pose d’emblée tout : le cadre et les personnages. C’est un vrai travail de concision. Tout ramener à l’essentiel et trouver les bons mots pour que les images percutent d’emblée dans la tête du lecteur. »

Parlons sexualité ! Du sexe contre-nature, du sexe non désiré, du sexe juste pour assurer la fécondité, du sexe par devoir conjugal, … « Kérozène » est un roman très sexe. « (Rire). C’est vrai. Je me suis fait plaisir en écrivant ce livre. La sexualité fait partie de mes centres d’intérêt. D’autant qu’elle est malmenée par notre société : malmenée car les rapports de domination, de prédation, nous empêchent de la vivre pleinement ; malmenée encore, car elle s’inscrit le plus souvent au sein du couple, de la famille, et que ce n’est pas dans ce cadre-là qu’elle peut forcément s’exprimer le plus librement. La manière dont mes personnages – et les gens – vivent leur sexualité, révèle d’ailleurs beaucoup d’eux-mêmes… »

Parallèlement à la sortie de « Kérozène », vous avez également une deuxième actualité, théâtrale celle-ci, avecl’adaptation sur les planches de « La Vraie vie » où vous camperez le personnage de la gamine, la narratrice… « Le livre a été adapté par Georges Lini ; moi, je ne suis que comédienne. Le dispositif de mise en scène qu’il a inventé me plait beaucoup : je suis cette jeune fille surdouée qui raconte des souvenirs, lesquels prennent littéralement vie sur scène avec l’arrivée des comédiens qui incarnent tour à tour le père, la mère, le petit frère Gilles, le glacier, tous les acteurs du roman. On a déjà du annuler les premières représentations, Covid oblige. En espérant raisonnablement pouvoir jouer la pièce dès le mois de juin… »

Votre roman, « La Vraie vie », s’est écoulé à 200.000 exemplaires, a reçu une avalanche de prix, et sera bientôt adapté au cinéma… « La réalisatrice Marie Monge  (« Joueurs », nda) y travaille ! »

On termine par une question qui fâche ! Quel regard portez-vous sur la manière dont le gouvernement a géré le secteur culturel pendant cette crise ? « Définitivement, le gouvernement se fiche royalement de la culture. Fermer les théâtres était sans doute une nécessité d’un point de vue sanitaire, je ne le conteste pas.  Ce que je dénonce en revanche, c’est l’absence totale de prise en considération de ce que nous représentons, nous les artistes. J’ai eu l’impression qu’ « on » n’existait pas ; « on » c’est à dire les 250 000 travailleurs du secteur culturel ! La disproportion entre l’attention apportée à la culture et au secteur des coiffeurs, pour citer un exemple frappant, est tout bonnement révoltante ! »

Une station-service, une nuit d’été, dans les Ardennes…
Sous la lumière crue des néons, ils sont douze à se trouver là, en compagnie d’un cheval et d’un macchabée. Il y a Chelly qui vient de refroidir son mari parce qu’elle ne supportait plus de le voir larmoyer sur sa vie, Loïc qui drague en groupe sur la toile, Alika la nounou philippine qui sait qu’elle n’a pas atterri du bon côté de la barrière. Y’a encore Sébastien marié à Mauricio, Olivier qui dialogue avec la tombe de sa mère, Gigi qui vomit sur sa 911, Red Appel aussi, le cheval … Il est 23h12. Dans une minute tout va basculer.

« Kérozène » ou autant de destins délirants, décrits avec humour et férocité. Les situations surréalistes s’inventent avec naturel, comme ce déjeuner qui vire à l’examen gynécologique parce qu’il faut s’assurer de la fécondité de la future belle-fille. Elle ne nous épargne rien, Adeline Dieudonné : meurtres, scènes de sexe, larmes et rires. Cependant, derrière le rire et l’inventivité débordante, sa lucidité noire fait toujours mouche !