Gilles Libert
Quand la matière devient émotion
Mots : Olivia Roks
Photos : DR
Architecte et sculpteur belge, Gilles Libert façonne l’acier pour donner vie à des œuvres monumentales qui réinventent l’espace urbain. Entre architecture, sculpture et technologies numériques, son art dialogue avec le paysage, interroge le mouvement et sublime la matière. À seulement 29 ans, il s’impose comme une figure montante de la sculpture contemporaine, multipliant les projets d’envergure.
Comment votre parcours vous a-t-il conduit de l’architecture à la sculpture ? Lors de mes études d’architecture à l’UCL, je ne ressentais pas cette envie de construire des maisons comme la plupart des élèves. J’aime particulièrement le geste architectural, les bâtiments qui dénotent face à une architecture plus fonctionnelle. J’ai toujours privilégié l’esthétique à la fonctionnalité. Après un stage au sein du bureau d’architecture Syntaxe à Ittre (avec lequel je collabore toujours en intégrant des réalisations sur mesure à leurs projets), j’ai rejoint Melens & Dejardin à Jupille, réputé pour son savoir-faire unique dans le travail de l’acier. De nombreux grands artistes font appel à leur expertise. Au début, je dessinais des réalisations pour leurs clients, et puis, de fil en aiguille, j’ai eu mes propres commandes. Finalement, je me suis affranchi du fonctionnalisme en allant vers la sculpture. Mon approche est transdisciplinaire : j’utilise les mêmes techniques qu’un architecte, mais avec une finalité différente, non pas un bâtiment, mais une sculpture.
Comment se déroule la fabrication d’une sculpture ? Quel est votre processus ? La première étape laisse place à l’imagination : je réalise un dessin ou une maquette. Ensuite vient la phase technique : le dessin ou la maquette doit être adapté afin de rendre le projet constructible. Les dessins techniques deviennent alors essentiels. Puis vient l’étape de la fabrication en chaudronnerie. À partir d’une simple feuille d’acier, s’ensuivent pliage et cintrage. Je suis constamment sur place, car si j’ima-gine et conçois les plans de ma sculpture, je la réalise aussi directement à l’atelier, aux côtés des ouvriers. Enfin, une fois la création terminée, il faut l’installer chez le client. La manutention de ces œuvres monumentales n’est pas chose facile, c’est une véritable organisation !
L’acier semble votre matière de prédilection… Acier peint ou acier Corten mais aussi l’aluminium. Je termine actuellement ma deuxième sculpture en aluminium. Son avantage est sa légèreté, ce qui me permet de réaliser des formes plus élancées. En extérieur, l’aluminium ne se corrode pas. Quant à l’acier Corten, il développe une patine qui s’autoprotège dans le temps. L’acier peint, lui, demande plus d’entretien. Mais pourquoi ne pas travailler un jour la pierre ou encore le bois…
Quelles personnes vous ont inspiré ? Gérard Dejardin (Melens & Dejardin) m’a permis de fabriquer mes premières pièces en acier. Je collabore aussi avec Jean Boghossian, avec qui je réalise des sculptures. Arne Quinze a également été une source d’inspiration.
Votre première sculpture date de 2020. Installée à Bruxelles, elle est vue par des milliers de personnes depuis l’avenue Franklin Roosevelt. Sublimant le récent bâtiment de la Solvay Brussels School of Economics and Management, elle fait partie du décor. Quelle est son histoire et que signifie-t-elle ? J’avais 25 ans lorsque j’ai réalisé ma première sculpture en acier, intitulée « Croissance ». Tout a commencé avec une petite maquette composée de piques à brochette ! Aujourd’hui, l’œuvre mesure plus de dix mètres de long. Elle évoque un graphique de croissance économique qui perd l’équilibre face à une école de commerce. La sculpture dialogue avec la façade, reprenant le même arrondi que l’auditoire en saillie, et semble se diriger vers la lumière. Placée stratégiquement, elle fait face aux étudiants sortant du bâtiment, les amenant à observer d’abord sa partie basse. La direction des barres et l’augmentation de leur hauteur guident le regard vers l’orifice dans la toiture. Cette mise en scène invite symboliquement l’étudiant à se dépas-ser et à viser toujours plus haut.
Parmi plus d’une dizaine de sculptures créées, vous nous en dévoilez quelques-unes qui vous tiennent particulièrement à cœur ? Je viens de finir une sculpture en aluminium pour le laboratoire pharmaceutique UCB. C’est mon projet le plus technique, avec une portée de quatorze mètres. Tous les assemblages sont invisibles, ce qui a demandé un travail considérable. Une autre sculpture d’envergure, la fontaine de l’hôtel de ville de Fleurus, est en phase d’achèvement. Entre ses voiles d’acier, des jets d’eau jailliront. Inoubliable et surréaliste, la sculpture sur le plateau de Gizeh, installée pour l’exposition Forever is Now d’Art d’Égypte, qui regroupe une douzaine d’artistes du monde entier.
Vos sculptures interagissent souvent avec leur environnement. Quelle importance accordez-vous à cette relation entre l’œuvre et l’espace public ? Elles ont toutes une histoire, un contexte. Je recherche toujours un sens avec le lieu qui va l’accueillir. Dans l’espace public, la sculpture sert d’emblème, un point de repère qui le rend reconnaissable. J’adore cette idée.

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