Frédéric Bertrand construit des motos de A à Z. Mi-designer, mi-ingénieur, c’est plutôt un génie touche-à-tout. Ses mains d’or façonnent, polissent, martèlent les métaux pour que naissent des motos d’exceptions à la renomée mondiale. Visite à Basse-Bodeux, dans son antre.

MOTS : YVES MERENS
PHOTOS : THIERRY DRICOT

La région de Spa-Francorchamps draîne la passion mécanique de tout le pays. Et aller rendre visite à Frédéric Bertrand, c’est en comprendre toute la mesure. Cet homme passionné y construit des motos extraordinaires sous le nom de Krugger. Pour arriver à son atelier, à Basse-Bodeux, il faut faire virevolter la route des motards au milieu des bois proches du circuit pour atteindre le portail au design industriel de « Krugger Motorcycle ».

Fred nous reçoit, assis sur son établi, en tablier de cuir, au milieu de son atelier nickel, quasiment clinique, 12 mètres sur 5. C’est tout ! « Désolé, ce n’est pas très rangé », s’excuse-t-il très vite. Ok, le ton est donné, nous ne devons pas avoir la même notion de l’ordre ! Dans cet espace contenu et lumineux, tout est impeccable. On est beaucoup plus proche du stand de Formule Un que de l’arrière garage du bricoleur.

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Et c’est normal puisque c’est d’ici que partent les motos Krugger. Une Krugger, c’est un engin unique, réalisé à la main et dont la qualité est irréprochable. « C’est une marque exclusive, élitiste. Je fais tout moi-même et tout seul, sauf les moteurs. Je préfère tout contrôler. Chaque projet, je souhaite qu’il soit parfait, même si je suis un éternel insatisfait, » dit-il sincèrement. Nous voici donc en face d’un perfectionniste qui assume. « Je ne suis pas ingénieur, je préfère dire que je suis ingénieux et très maniaque aussi », malice-t’il.

Il a bien raison l’orfèvre ! Ces deux-roues sont de véritables œuvres d’art. Fred en construit plus ou moins une par an. « Il me faut entre 500 et 1500 heures par projet, à raison de 70 heures par semaine. » Tout part d’une discussion avec le client sur les grandes lignes. « Ce qui me plait, c’est la créativité. Si je n’ai pas le créatif, ca ne m’intéresse pas. Le client à toujours son mot à dire et nous partageons souvent les idées… Cependant, si cela ne me plait pas vraiment pas, je ne le fais pas ! » La liberté de créer, c’est la marque des vrais artistes évidemment. Et d’enfoncer encore le clou, façon fer à souder : « Si quelqu’un veut une moto rose avec des fleurs fuschias, je lui dirai que ce n’est pas réalisable ».

Il sait ce qu’il fait, Fred. Même s’il le fait sans dessin précis. « Je dessine comme un gamin de 5 ans. Donc je fais très peu de croquis. J’ai des idées de design que je développe en fonction de cotes physiques, d’empattement, de chasse. » Un esprit créatif pur peut- être.

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Simple et fort

Son design semble être sorti des années 30, matîné de lignes industrielles et de certaines influences architecturales, typées Bauhaus. Il pense aussi souvent aux belles locomotives des années folles, genre « La Douce» de Schuiten. Et comme les designers de renommée, Frédéric aime la simplicité des lignes. « Mes projets doivent être forts et faciles à comprendre, simples sans être simplistes. D’ailleurs, Saint-Exupéry disait que la perfection est atteinte, non pas lorsqu’il n’y a plus rien à ajouter, mais lorsqu’il n’y a plus rien à retirer. J’aime cette phrase, elle me correspond parfaitement. J’aimerais bien la mettre en valeur. »

Les résultats sont bluffants. Ses motos sont à tomber raide, presque envoûtantes, jusque dans les moindres détails. L’une reçoit une finition en argent pour des bijoutiers anversois, une autre a été achetée par Brad Pitt, une troisième a été construite autour d’un petit moteur japonnais en hommage aux victimes de Fukushima. Et toutes ses bécannes portent un nom, comme autant de grands tableaux animés. « Ma préférée, c’est la Goodwood, du nom du circuit anglais. Je voulais montrer aux USA qu’on pouvait faire du beau et aller vite. Avec elle, j’ai battu le record de vitesse sur le lac salé de Bonneville, dans l’Utah. » 218 km/h quand même ! Pas rassasié, il a ensuite pris la route de Las Vegas en « Goodwood » pour lui offrir le prix « Best of Show » au « Artistry in Iron Master Builders Bikeshow ». Belle et rapide, pari gagné.

« J’ai remporté les championnats du monde constructeur en 2010 avec la Veon et en 2014 avec la Nurb’s », explique fièrement Fred Krugger, « J’ai participé à ce championnat du monde sept fois, et j’ai été six fois sur le podium ». Et le succès international suit évidemment. Tendance, Krugger Motorcycle plait à ses clients venus à Basse-Bodeux depuis l’Italie, la Suède, les Etats-Unis, d’Angleterre, etc.

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Le prix de ces oeuvres ? « Celui d’une belle voiture de sport. Ca paraît beaucoup mais il y a tellement de boulot pour une moto ». C’est de l’artisanat au plus haut niveau, quasiment unique au monde, « et beaucoup d’entre elles roulent. La moto qui m’a pris le plus de temps roule beaucoup. Il sont d’ailleurs souvent deux dessus. Une autre longe tout le temps les côtes anglaises parce que son propriétaire aime la mer… mais il n’est pas très regardant, donc la moto rouille à cause du sel ! »

Et les projets fusent puisque Fred customise pour des grandes marques moto comme BMW, Triumph, etc. et que, fidèle à sa maxime « un projet à la fois », il finira pour l’automne sa première voiture ! Une extraordinaire rétro-futuriste façon Auto-Union animée par un moteur Bentley. « Je pourrais encore travailler mille heures dessus mais il y a une date limite en octobre, et tant mieux ». Plus que quelques mois de patience…

La mécanique et la campagne comme énergies vitales

Forcèment tombé dedans quand il était petit, Frédéric a roulé en compétition moto dès 5 ans, jusqu’à 18 ans, avant de bosser pour des écuries automobiles comme pilote et mécano. Mais les voitures de rallye n’étaient pas assez bien finies à ses yeux. Alors, en 2002, il a constuit sa première moto, sur base d’une Harley Davidson en kit. On connaît la suite.

« Maintenant, je suis revenu ici, chez moi. A la campagne. J’ai pu acheter la ferme juste en face du champs où je venais rouler à moto tout gamin. C’est ici que je me sens bien. C’est ici que je travaille, seul. » En toute discrétion, mais jamais loin de Francorchamps.

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Mais pourquoi Krugger ?

Rien à voir avec le parc africain du même nom, ni même avec les Griffes de la nuit. « Je voulais un nom qui sonne allemand car la mécanique allemande est reconnue pour sa qualité. En plus, c’est proche du nom de Emil Kroeger, un ingénieur allemand qui aurait traversé l’Atlantique avec les plans d’un moteur bi-cylindre pour arriver chez Harley-Davidson. » Kroeger serait donc à l’origine du fameux moteur made in USA. Bien vu Mister Krugger !

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KRUGGER

www.krugger.net

et pour les esquisses de la voiture, www.krugger.be