Nicolas Michaux - En prise avec la vie
Nicolas Michaux
En prise avec la vie
Mots : Servane Calmant
Photos : Anaïs Ramos
Nicolas Michaux, chanteur, auteur-compositeur et producteur belge, présente Vitalisme, collection de douze chansons pop lumineuses qui, sous leur apparente légèreté, sont imprégnées de la gravité des temps troublés que nous vivons. Une dualité qui dessine un univers singulier et sincère, porté par un activisme artistique optimiste…
Rencontre avec un auteur lucide.
Vous vous souvenez d’Eté 67, ce groupe rock liégeois qui a rencontré le succès fin des années 90 ? Nicolas Michaux en était le chanteur, avant de se lancer dans une carrière solo… Son premier album, A la vie à la mort, sort en 2016, suivi d’Amour colère en 2020 et d’une compilation, Les chutes. Vitalisme, son quatrième opus, dévoilé en octobre dernier, inclut notamment Chaleur humaine, single envoyé en éclaireur, désigné « Coup de cœur des médias francophones publics ». On ne se lasse pas de l’écouter…
Vous partagez votre temps entre le Danemark où résident vos filles, et Bruxelles qui héberge votre label … Le cœur entre deux chaises ? Je suis séparé de la maman de mes deux filles, qui est Danoise. J’ai vécu 10 ans au Danemark et j’y passe désormais six mois par an. J’habite dans un chalet niché sur l’île de Samsø. Un lieu où je vis en communion avec la nature et la mer. Cette dualité géographique me permet de prendre du recul par rapport à la scène musicale bruxelloise et mon cercle professionnel. Une situation qui me convient parfaitement et qui imprègne ma méthode de travail. Vitalisme, mon nouvel album, a été composé dans mon chalet danois, mais les arrangements musicaux ont été faits dans mon studio bruxellois…
Vous avez dédié ce nouvel album à Jeanine Dubois, votre grand-mère communiste qui a passé sa vie à se battre pour un monde plus juste. Et vous, quel est votre combat ? On a souvent opposé la culture de masse aux niches culturelles. Or il y a moyen de faire de l’art populaire – à l’instar de la musique pop que je défends ou des films de Sergio Leone, pour citer un réalisateur dont je suis fan – qui ne prend pas les gens pour des imbéciles ! Il est là mon combat. Je m’inscris dans une pop d’auteur, avec une démarche artisanale. J’ai d’ailleurs co-fondé mon propre label indépendant (Capitane Records – nda) pour montrer qu’il y a moyen d’évoluer dans le music business sans le financement ou la distribution des majors de l’industrie musicale. Ce label a hébergé une quinzaine d’artistes (Juicy notamment – nda). Le DIY/ « fais-le toi-même » et l’esprit de fraternité musicale sont en parfaite adéquation avec mes valeurs personnelles. Dans cet esprit, Capitane Coop a vu récemment le jour. Cette coopérative regroupe des musiciens, techniciens, passionnés de musique, et appartient à ses membres. Ce modèle se distingue nettement des sociétés cotées en bourse !
Etes-vous un artiste engagé ? Je suis de gauche et favorable à un nouveau projet de société qui nous évitera d’aller droit dans le mur. Mais je ne me revendique pas artiste militant. Je progresse doucement vers l’artivisme, l’activisme artistique, notamment avec la création de Capitane Coop.
Vitalisme, le titre de l’album est un hommage à Gilles Deleuze, grande figure intellectuelle emblématique de l’esprit 68… Mais quelle est votre propre définition de ce mot ? C’est un terme polysémique, en effet. Dans la conception deleuzienne, la vie peut transpirer d’un poème, d’une pièce de théâtre, d’une chanson. J’essaie donc que les paroles que j’écris et la musique que je compose, soient en prise avec la vie. J’aime beaucoup d’artistes différents, mais j’affectionne particulièrement ceux qui parlent du réel, qui racontent une époque, comme le faisait Lou Reed.
La chanson Chaleur humaine, coup de cœur des médias francophones publics, est imprégnée d’une forme de fausse légèreté… Elle vous ressemble. (rires). C’est pas faux. J’essaie de dire des choses mais sans plomber l’ambiance. L’exemple du single Chaleur humaine l’illustre parfaitement : voilà une chanson pop solaire, lumineuse, qui a été diffusée en radio tout l’été, et qui parle de réchauffement climatique, un problème environnemental préoccupant évidemment.
« J’étais l’enfant qui joue à côté du fumoir. Et reçoit un cadeau quand il est courageux ». Dans Peace of Mind #2, vous vous mettez à nu… Il s’agit en effet d’un morceau autobiographique basé sur un poème, IRM, que j’ai écrit il y a deux ans. Ado, entre 13 et 19 ans, j’ai passé pas mal de temps dans les hôpitaux, pour des tumeurs sur le système nerveux central. Depuis, je me suis retapé !
Dans Watching The Cars, vous nous interpellez : « will they kill another kid ? » … Je parle des choses que je vois. Dans un monde merveilleux, je chanterais l’amour et les oiseaux. Mon seul désir : écrire des chansons qui touchent le public, qui résonnent en lui. Même quand tout va mal, il ne faut pas se laisser gagner par l’obscurité. J’ai écrit et composé un album lumineux car l’espoir doit prévaloir. J’ai la lucidité du constat mais je crois en l’optimisme de l’action. Tous les Trump du monde ne peuvent pas gagner. Nous devons agir, à quelque niveau que ce soit.
Vous écrivez et chantez en français et en anglais, à la croisée de deux traditions… En effet. Je rencontre un franc succès en France notamment, car le Français défend l’expression de sa culture. Et le fait que je chante en anglais également confine, à ses yeux, à un certain exotisme…(rires).
Lubiana « Je considère mon métissage comme un cadeau »
Lubiana
« Je considère mon métissage comme un cadeau »
Mots : Servane Calmant
Photos : Diane Moyssan
Fruit de deux ans de voyages en Afrique, Terre rouge, le nouvel album de la chanteuse belgo-camerounaise Lubiana, sonne comme un message d’espérance et d’amour. « La Blanche », comme on la surnomme au Cameroun, se confie sur sa double culture, sur le lien qu’elle entretient avec la kora, cet instrument traditionnellement réservé aux hommes, et sur son parcours musical, aussi élégant que singulier…
Lubiana signifie bien-aimée. Tout le monde n’a pas la chance de porter un prénom aussi poétique que le vôtre ! C’est un prénom qui fait en effet écho à l’amour. L’amour que l’on donne, l’amour que l’on se donne aussi. C’est un héritage précieux qui m’accompagne tant dans ma vie personnelle que professionnelle. Je mesure chaque jour la chance de porter un nom qui parle d’amour…
Vous êtes née en Belgique, d’un père camerounais et d’une mère belge. Que vous a transmis ce métissage ? J’ai grandi dans une maison qui cultivait une double culture. Ma mère écoutait Mozart et Beethoven ; mon père, Manu Dibango et Youssou N’Dour. Mais au-delà de cet éclectisme musical qui m’a nourrie, mon métissage m’a offert une vision plurielle du monde qui inspire la tolérance. J’ai appris à voir la richesse dans les différences. Pourtant, à 16 ans, j’ai rejeté le Cameroun, ce pays où je passais tous mes étés sans jamais m’y sentir vraiment chez moi. Pendant dix ans, je n’ai plus mis les pieds en Afrique …
Qu’est-ce qui vous a donné envie d’y retourner ? Mon grand-père disait souvent : pour savoir où l’on va, il faut savoir d’où l’on vient. En 2019, j’ai ressenti ce besoin de retour aux sources. Depuis, je m’y rends chaque année. C’est là-bas que reposent mes ancêtres. J’ai d’ailleurs appris le Bangoua, la langue de mon grand-père et de ma famille camerounaise, pour me rapprocher davantage de mes racines. Longtemps, je n’ai pas compris la valeur de mon métissage, mais désormais, je le considère comme un cadeau.
Cette réconciliation avec l’Afrique, elle passe par la kora … Absolument, c’est la kora, un instrument que l’on trouve partout dans l’Afrique de l’Ouest et qui se transmet oralement de père en fils, qui m’a permis de retrouver mon lien avec l’Afrique. Quand j’ai découvert la kora à 21 ans, ce fut une révélation. Je suis retournée au pays pour l’apprendre et j’ai senti l’Afrique vibrer en moi. Comme un appel, une évidence.
Etes-vous la seule femme à jouer de la kora sur scène ? Non, il y a également Sona Jobarteh, une artiste gambienne extraordinaire, qui a été la toute première femme à devenir une virtuose professionnelle de la kora. Elle a ouvert la voie. Je crois savoir que nous sommes les deux seules femmes à jouer de cet instrument en public …
Qu’est-ce qui rend la kora si spéciale ? La kora est plus qu’un instrument. Elle porte une histoire millénaire et les griots disent qu’elle vibre au rythme de l’âme du musicien et que c’est la kora qui choisit son maître. Toumani Diabaté (l’un des plus grands joueurs de la kora, récemment décédé – nda) m’a offert sa bénédiction, en me disant que la kora m’avait élue, après m’être apparue en rêve. Je pense que nous nous sommes choisies mutuellement. Les musiciens de la kora sont d’ailleurs très bienveillants avec moi ; leur plaisir de partage et de transmission est total car je suis à l’écoute de leur héritage musical…
Dans la chanson La Blanche, vous vous décrivez comme « étrangère pour vos frères », tout en célébrant ce « mélange qui tisse les liens » … Au Cameroun, on m’appelle La Blanche, partout, tout le temps. Pour beaucoup de Camerounais, ce surnom n’est pas offensant, c’est juste un constat. J’ai donc ressenti assez tôt que je serais toujours La Blanche en Afrique et la métisse en Europe où on continue de m’interroger sur mes racines. Paradoxalement, je ne suis chez moi nulle part et partout à la fois. Mais, aujourd’hui, je ressens mon métissage comme une richesse, comme un cadeau qui m’a permis d’ouvrir mon esprit, d’acquérir une véritable curiosité de l’autre et un respect profond des différences.
Votre nouvel album comporte une chanson très touchante, Farafina Mousso, sur laquelle vous avez invité l’artiste franco-rwandais Gaël Faye … Farafina Mousso signifie Femme d’Afrique en bambara, la langue principale du Mali. C’est un titre qui célèbre toutes les femmes d’Afrique : nos mères, nos sœurs, nos filles. Ces femmes sont les plus invisibilisées sur terre, pourtant elles font preuve d’une résilience incroyable ! Au Rwanda, Gaël Faye et moi-même avons rencontré des femmes extraordinaires qui font preuve d’un courage exemplaire, malgré la douleur indicible causée par les viols subis et le génocide rwandais. Nous voulions leur rendre hommage, célébrer leur force, leur beauté. En tant qu’artistes et en tant que descendants de l’Afrique, il était essentiel pour Gaël, pour Toumani Diabaté que j’ai également invité sur cet album, et pour moi, de mettre en lumière ces femmes et de porter ce message d’humanité et de reconnaissance.
Pourriez-vous vous installer définitivement en Afrique ? Non, je suis une nomade. Mais où que j’aille, mes ancêtres vivent en moi.
SOPHIE CLAUWAERT
SOPHIE CLAUWAERT
L’art, une alliance subtile entre émotion et investissement
Mots : Olivia Roks
Photo : Sébastien Vandenwouwer
Sophie Clauwaert, Art Advisor chez Puilaetco, oriente les collectionneurs passionnés et les investisseurs dans leurs acquisitions d’œuvres d’art. Elle les accompagne dans la recherche de l’équilibre entre émotion esthétique et acquisitions réfléchies, une approche qui séduit de nombreux Belges.
L’art est votre passion depuis toujours. D’où vous vient cet intérêt, devenu votre métier ?
L’art est dans l’ADN de ma famille. Dès mon plus jeune âge, j’ai été immergée dans cet univers. Mes parents n’étaient pas collectionneurs, mais de grands amateurs d’art. On m’emmenait dans les foires, les musées, et à la maison, j’étais entourée d’objets d’art. Cela éveille inévitablement les sens et stimule la curiosité. J’ai donc naturellement choisi d’étudier l’Histoire de l’art. Ensuite, j’ai approfondi mes connaissances avec un second master à Londres, au Sotheby’s Institute, suivi de plusieurs stages, notamment au Victoria & Albert Museum et chez Sotheby’s à Paris. En 2009, je me suis lancée comme conseillère en art indépendante, offrant mes services aux collectionneurs, galeries, bureaux de notaires et sociétés d’assurances, en les accompagnant tout au long du cycle de vie d’une collection. Après une dizaine d’années, lorsque je suis devenue maman, j’ai souhaité me recentrer sur un poste en entreprise. C’est à ce moment que je suis arrivée chez Catawiki, la plus grande plateforme d’enchères en ligne. Fin 2023, une nouvelle opportunité s’est présentée chez Puilaetco, chez qui ils recherchaient un Art Advisor. Cela tombait à point nommé.
En quoi consiste votre mission de conseillère en art au sein d’une banque privée ?
Puilaetco, en plus d’être une banque privée, possède elle-même une collection d’art. Le service auquel j’ai été rattachée existe depuis plus de 10 ans, mais il avait besoin d’être revitalisé, ce que j’ai entrepris. Mon travail repose sur trois axes principaux. Le premier, et le plus important, est la gestion des collections : de l’achat à la vente, en passant par l’assurance, la conservation, et ce jusqu’à la transmission. J’ai développé une gamme de services pour répondre à chaque étape de ce processus. Le deuxième axe est orienté vers le networking et l’organisation d’événements. Enfin, le troisième concerne la gestion et le développement de la collection d’art de la banque et du groupe Quintet auquel elle appartient.
Comment accompagnez-vous les clients dans leurs acquisitions d’œuvres d’art ?
Accompagner est vraiment le mot juste. Mon rôle est de faire le lien entre le client et des experts de confiance, qu’ils soient internes ou externes. Je les accompagne en fonction de leurs besoins, de leur profil, et du stade de développement de leur collection. Une collection d’art passe par plusieurs phases : avant l’achat, pendant la période où l’œuvre fait partie de la collection (gestion, stockage, conservation, prêt en musée, etc.), et enfin, la phase de transmission ou de revente. Bien entendu, mes clients peuvent également me poser des questions ponctuelles, à n’importe quel moment.
L’art peut-il être considéré comme un actif financier comparable à d’autres investissements traditionnels ?
L’art est effectivement un actif, puisqu’il immobilise du capital. Toutefois, je préfère éviter de parler d’investissement pur. C’est avant tout un investissement passionnel. Cela demande de la curiosité, du suivi, et un réel engagement. C’est bien plus qu’une question d’argent : soutenir un artiste, se plonger dans un univers créatif, profiter d’une œuvre chaque jour… J’aime dire à mes clients : choisissez avec votre cœur, mais achetez avec votre tête. Je peux les orienter dans leurs choix, mais l’art reste une affaire d’émotion, profondément personnelle.
Les Belges sont-ils particulièrement attachés à l’acquisition d’œuvres d’art ?
Absolument. Le Belge est connu pour avoir la « brique dans le ventre », mais il est aussi un collectionneur passionné. Dès le 17e siècle, les cabinets de curiosités apparaissaient à Anvers et ailleurs en Belgique. On dit même que la Belgique et Taïwan possèdent le plus haut pourcentage de collectionneurs d’art par habitant. Outre ce côté collectionneur, il y a une dimension artistique forte : depuis des siècles, la Belgique est reconnue pour son rayonnement artistique à l’international.
Quels conseils donneriez-vous à un collectionneur débutant qui souhaite investir dans l’art ?
Le marché de l’art étant complexe et souvent difficile à naviguer, il est donc essentiel de bien s’entourer. La première étape est de définir un budget clair, pour savoir quelle somme on est prêt à investir. Ensuite, il faut explorer et affiner ses goûts, ce qui n’est pas toujours évident étant donné la diversité de l’offre. Je recommande de se construire un réseau de confiance : suivre des gale- ries, des artistes et d’autres collectionneurs, visiter des expositions, et surtout prendre le temps d’éduquer son regard. Une fois que l’on a trouvé un artiste dans lequel on souhaite investir, il est crucial de ne pas tout miser sur lui : il faut diversifier ses achats, tant en termes d’artistes que de médiums. Comme en finance, il ne faut pas mettre tous ses œufs dans le même panier.
Quelles sont, selon vous, les grandes tendances actuelles du marché de l’art ?
Les artistes émergents et l’art contemporain continuent d’être très prisés. Les résultats des enchères ont explosé pendant la période du Covid, mais ils connaissent aujourd’hui un léger ralentissement. Les antiquités et les tableaux anciens sont particulièrement impactés. En revanche, on assiste à un intérêt croissant pour les artistes femmes, qui bénéficient désormais d’expositions dédiées dans les musées, ainsi que pour les artistes issus d’autres cultures, notamment africaines. Une autre tendance intéressante à suivre est celle de la céramique, un art qui mêle tradition et modernité, et qui est en plein essor.
Baptiste Cuvelier - à la croisée des époques et des univers
Baptiste Cuvelier
A la croisée des époques et des univers
Mots : Barbara Wesoly
Photos : Baptiste Cuvelier
On pourrait croire certaines de ses photographies issues d’un autre siècle, ayant figé des jours depuis longtemps révolus. Tout comme on en perçoit dans d’autres des instants vibrants, vivants, semblant tout juste saisis. Alternant noir et blanc et couleurs profondes, navigant entre l’argentique et le digital, Baptiste Cuvelier magnifie l’arrêt sur image.
Vos photos paraissent jouer à pile ou face. Pile, des véhicules rétro qu’on croirait sortis d’un film d’époque. Face, des images de chevaux fougueux et de parties de polo. Révèlent-elles une dualité en vous ? Plutôt deux parts de moi qui se côtoient. Je suis passionné par les voitures de collection et tout ce qui touche aux moteurs, pourvu que ce soit vintage. Quant aux chevaux, ils m’ont accompagné toute mon existence. Je n’aurais donc pu trouver meilleurs modèles. Je suis cavalier professionnel et j’ai pratiqué très longtemps avant de lancer une société de rénovation de maisons. Aujourd’hui, je reviens à ces premières amours, puisque ma compagne et moi avons racheté une fermette avec une écurie, pour y travailler ensemble.
Vous capturez également des paysages et animaux à la beauté indomptée. Est-ce la photo qui vous a amené à la nature ou l’inverse ? J’ai eu la chance de passer mon enfance à observer des chevreuils et des sangliers. Notre maison donnait sur la forêt et les champs et après l’école, j’enfilais mes bottes et partais en courant jouer dans les bois. En grandissant, j’ai commencé à voyager en mode baroudeur, fasciné par les animaux sauvages, je les immortalisais avec mon téléphone. Puis un jour, il m’est venu l’idée d’emmener un vrai appareil. Je me suis alors formé progressivement en autodidacte. J’ai d’abord photographié des renardeaux, puis des ours, des baleines, des meutes de loups. Et cet hiver, j’ai prévu d’aller en Bosnie-Herzégovine à la rencontre de chevaux des montagnes.
Capturer ce type de clichés demande-t-il de mettre le monde en pause ? Oui, totalement. Je n’ai jamais voulu aller me poster dans des affûts, où l’on appâte les animaux pour saisir l’instant parfait. Ce qui me plaît, c’est de me fondre en toute discrétion et en solitaire dans leur environnement. J’ai ainsi déjà dormi en forêt pour ne pas quitter un spot, patienté des heures jusqu’à me faire oublier et obtenir deux minutes d’une lumière unique. Je suis parti en Norvège pour photographier des bœufs musqués, avant de devoir rebrousser chemin sous moins 40 degrés. Les souvenirs qui en ressortent sont d’une intensité rare.
Vos images sont empreintes d’une atmosphère vintage et vous en photographier une bonne part en argentique. Êtes-vous au fond un nostalgique ? Ce qui m’importe c’est de capter le véritable caractère d’un moment. Lorsque j’immortalise du sport mécanique avec des ancêtres, cet effet rétro me permet de les replacer dans leur époque. J’aime le grain de l’argentique, notamment en noir et blanc mais aussi ses tonalités pastel, un peu passées. Et même lorsque je photographie en numérique, je refuse d’accumuler des centaines de clichés. J’analyse longuement avant de presser sur le déclencheur. Je suis ainsi revenu de Suède avec seulement 5 clichés. Pour moi, c’est la rareté et l’attente qui donnent aux photos toute leur valeur.
Vous avez rejoint le catalogue des cadres photos digitaux IONNYK, pionnier belge. Une façon de proposer un autre biais esthétique pour votre travail ? La qualité en est absolument incroyable et je suis honoré de prendre part à cette collection d’artistes prestigieux. C’est aussi l’occasion de voir mes photos voyager et de concevoir d’autres formes de projets, puisque je propose désormais aux possesseurs de voitures de collection ayant un modèle IONNYK, une journée de shooting dédiée, dont ils pourront conserver le résultat unique sur leur cadre. Pour moi qui n’aime rien tant que les récits qui se rattachent aux photos, c’est une expérience exceptionnelle.
Instagram @baptiste.cuvelier
www.ionnyk.com
Astrid Whettnall - « J’ai échappé aux rôles clichés de ‘mère de’ ou ‘femme de’ » …
Astrid Whettnall
« J’ai échappé aux rôles clichés de ‘mère de’ ou ‘femme de’ » …
Mots : Servane Calmant
Photo : Sylvia Galmot
Saluée pour sa récente performance dans la mini-série « De Grâce », tragédie familiale ancrée dans le monde des dockers, la pertinente Astrid Whettnall sera à l’affiche d’une nouvelle série-événement, «Winter Palace», épopée du premier palace en montagne diffusée sur Netflix cet hiver. Papote avec une actrice belge inclassable.
Winter Palace, cette série télévisée suisse ambitieuse sera diffusée prochainement sur Netflix. Quel est son pitch ? Nous sommes en 1899, André Morel, jeune hôtelier visionnaire, rêve de créer le tout premier palace alpin 5 étoiles d’hiver. Pour réussir ce pari fou, il s’allie à un aristocrate britannique… A l’heure où je vous parle, « Winter Palace » est en compétition au Festival de la fiction de la Rochelle. C’est donc une fresque très attendue, en effet. Elle est inspirée de faits réels et réalisée par Pierre Monnard (à qui l’on doit notam-ment la série « Hors-Saison » – nda). Les personnages qui peuplent l’hôtel affichent tous un profil très différent, ce qui permet à « Winter Palace » d’offrir aux spectateurs une analyse sociologique pertinente des différentes strates sociales… Pour ma part, je joue une aristocrate autrichienne qui se prend pour une grande artiste internationale. C’est un personnage extravagant dans une série-chorale divertissante qui mêle avec brio ambition, amour, féminisme aussi, et une touche d’intrigue policière. Le tout tourné dans des pala-ces historiques de Montreux, en costumes d’époque. Cet hiver, préparez-vous à être ébloui.e…
Le luxe des palaces vous fait-il rêver ? Honnêtement, non. Je suis plutôt « roots », mais j’ai adoré tourner dans le cadre enchanteur des Alpes suisses.
Vous jonglez entre ciné et télé. Prochainement, vous serez à l’affiche de « Ma mère, Dieu et Sylvie Vartan », un long-métrage de Ken Scott, et vous venez d’achever le tournage de la série « La rebelle, les aventures de la jeune Georges Sand ». On dit qu’un film serait l’œuvre d’un cinéaste ; une série, le fruit d’un scénariste. Qu’en pensez-vous ? Les règles ont bien changé avec l’essor des plateformes comme Netflix ou Amazon Prime Video. Aujourd’hui, on parle volontiers de séries d’auteur/d’autrice. J’ai récemment tourné dans des séries comme « Baron noir » ou « De Grâce » où le scénario est excellent et où l’univers visuel est également très marqué. Mais c’est vrai que pour tenir une série sur plusieurs saisons, il faut un « page turner », des rebondissements captivants, sans quoi…
Le principal atout du format série pour un acteur/actrice ? Le luxe de pouvoir développer un personnage dans le temps et de l’emmener dans mille et une aventures …
Est-il aisé de passer d’un format à l’autre ou est-on vite catalogué ? Heureusement, j’ai commencé par le cinéma. Plus sérieusement, aujourd’hui, la frontière entre cinéma et télévision est ténue, pour peu évidemment que l’acteur/actrice fasse les bons choix. J’ai eu la chance de jouer tellement de rôles différents, qu’on arrive difficilement à me cataloguer.
Votre Magritte pour « La route d’Istanbul » de Rachid Bouchareb (où Astrid joue le rôle d’une mère qui part au Moyen-Orient à la recherche de sa fille radicalisée) a-t-il changé votre carrière ? C’est toujours difficile de mesurer l’impact d’un prix. Une certitude : le Magritte apporte un coup de projecteur sur le film lauréat et ses interprètes. C’est aussi un gage de confiance pour un producteur, notamment international.
En France, à peine 6 % des actrices de plus de 50 ans décrochent des rôles. Que vous inspire ce constat ? C’est un constat alarmant mais pas surprenant. Ce phénomène de déclassement touche aussi les productrices, les réalisatrices, les techniciennes, et plus largement les femmes en entreprise. Mais je suis convaincue que quand la vieille garde sera partie, la nouvelle génération saura déconstruire cette discrimination. Elle a déjà commencé.
Vous semblez plutôt épargnée par ce déclassement … C’est vrai ! J’ai débuté ma carrière cinématographique vers 40 ans, donc le petit milieu du cinéma n’a pas eu le temps de me voir vieillir… (rires). Paradoxalement, on me propose aujourd’hui des rôles plus intéressants et variés qu’à mes débuts. Grâce à des réalisateurs comme Rachid Bouchared et Vincent Lannoo qui m’ont offert des personnages forts, j’ai échappé aux rôles clichés de « mère de » ou « femme de ». La nouvelle génération réalise des films sur la société d’aujourd’hui, expurgée des valeurs patriarcales. Tant mieux pour nous, les actrices et les femmes.
Qu’avez-vous découvert sur vous-même grâce à vos rôles ? Chaque rôle m’offre un nouveau regard, une nouvelle perspective sur le monde. J’ai une seule vie, mais avec le cinéma, j’en vis des centaines par procuration.
Un réalisateur belge avec lequel vous rêveriez de travailler ? Ils sont nombreux ! Lukas Dhont, Bouli Lanners, Delphine Girard, sans distinction nord-sud. J’adore le cinéma belge. Il est à l’image de notre pays, honnête, authentique, sincère, jamais pompeux, et résolument ouvert sur le monde.
Salomé Dewaels - « L’éclectisme, j’y tiens, il me nourrit »
Salomé Dewaels
« L’éclectisme, j’y tiens, il me nourrit »
Mots : Servane Calmant
Photo : Sarah Salazar
Révélée par «Illusions perdues» de Xavier Giannoli, Salomé Dewaels s’invite sur nos petits écrans avec «Ça, c’est Paris !», nouvelle série de Dominique Besnehard, l’homme derrière «Dix pour cent». L’actu de l’actrice bruxelloise de 27 ans se bouscule également sur grand écran. Rencontre avec une jeune femme qui a le vent en poupe.
Salomé Dewaels monte sur les planches dès 8 ans, en voyant jouer ses sœurs. C’est pourtant à l’écran (le petit et le grand) qu’elle se fait un nom. A 25 ans, elle multiplie les collaborations, séduit le public et la critique avec son interprétation dans la mini-série franco-belge, «L’Absente» de Karim Ouaret, et dans «Illusions perdues» de Xavier Giannoli qui lui vaut une nomination aux César et aux Magritte, dans la catégorie Meilleur espoir féminin. C’était en 2022. Depuis, le Meilleur espoir a encore fait du chemin…
Du haut de vos 27 printemps, vous avez déjà donné la réplique à Cécile de France, Sara Forestier, Mathilde Seigner, François Damiens, Gérard Depardieu, Bouli Lanners, Vincent Lacoste, Xavier Dolan, Sergi Lopez, Albert Dupontel … Avez-vous la sensation que tout va très vite ? Trop vite ? Ou que vous tenez un bon rythme de croisière ? Je tiens le bon rythme. Mon succès actuel est le fruit d’années de travail. J’ai commencé à 14 ans en poussant la porte du court-métrage et aujourd’hui, il est vrai, je joue avec des actrices et acteurs que j’admire. Derrière cette réussite, se cachent également des castings qui n’ont pas marché et, heureusement, beaucoup de belles rencontres…
Le jeu (théâtral et cinématographique) vaut-il la chandelle ? Oh oui, c’est un métier de passions et vivre de sa passion est un énorme privilège. C’est sur un plateau de cinéma que je me sens le plus épanouie. Evidemment, il y a des hauts et des bas.
Quels sont-ils ces moments merveilleux ? Quand le film est terminé et que l’équipe va à la rencontre du public, lors d’une avant-première ou d’un festival. Etre à l’écoute du ressenti des gens, de leurs émotions, rebooste énormément quand je suis traversée par toutes sortes de doutes.
Pourquoi doutez-vous parfois ? Quand je reçois moins de propositions, je me demande si le cinéma veut encore de moi. Ce ne sont pas des moments très joyeux.
Etes-vous une bosseuse ou une actrice instinctive, voire un peu des deux ? Les deux. J’aborde mes rôles avec beaucoup de spontanéité mais je bosse énormément aussi, c’est dans mon tempérament.
Vous avez toujours revendiqué votre attachement à la Belgique. Mais combien de fois prenez-vous le TGV pour Paris par semaine ? Une fois par semaine, en moyenne, pour des rendez-vous et des castings. Au début de ma carrière, j’ai travaillé avec des réalisateurs belges, puis les bonnes opportunités sont venues de France … Mais je reste une actrice belge qui travaille à Paris, et c’est plutôt un atout. Souvent j’entends : «les Belges sont trop sympas» ou «Les meilleur(e)s acteurs/trices français(es) sont des Belges» … Cela me fait rire, car il fut une époque où le Belge était le sujet favori des blagues françaises… Désormais, le talent des Belges est reconnu. Et, par contrecoup, quand un Belge connaît le succès en France, il réussit alors en Belgique…
A Bruxelles, vous reconnaît-on dans la rue ? Pas forcément. Mais je ne boude pas mon plaisir à être complimentée pour tel ou tel rôle lors des festivals…
En décembre prochain, vous vous invitez dans notre petit écran (sur La Une-RTBF puis sur France 2) avec «Ça, c’est Paris !», la nouvelle série produite par Besnehard («Dix pour cent»). Dites-moi tout. C’est une fiction sur le monde du cabaret. Gaspard – Alex Lutz, le rôle principal – a hérité d’un cabaret mythique et flamboyant mais il n’a pas réussi à perpétuer la notoriété de l’établissement. Un nouvel investisseur entre en jeu… Il s’agit d’un récit choral où, à l’instar de «Dix pour cent», tous les personnages s’entrecroisent et sont importants. J’incarne une jeune danseuse belge de revue. C’est un rôle qui a demandé une énorme préparation physique, de la danse, du sport.
Le scénario est-il aussi piquant que celui de «Dix pour cent» ? Oh oui, la série est truffée de situations incongrues et portée par des personnages excentriques et par des guest-stars qui jouent leur propre rôle, notamment Monica Bellucci. Le scénario se révèle drôle et touchant à la fois, car il porte un véritable regard sur notre société.
Quelle est le reste de votre actu ? Je fais le grand écart, car je n’ai nullement l’intention de me cantonner à un seul registre cinématographique. Donc après «Ça, c’est Paris !», j’ai accepté avec enthousiasme des projets fort différents : «Une fille sans histoire» un drame d’auteur émouvant de Nicolas Keitel avec Cécile de France. Ensuite, il y aura «Nino» de Pauline Loques et le rôle principal dans un film d’époque, «l’Ile de la Demoiselle» de Micha Wald.
Carine Doutrelepont - L’image comme écriture du monde
Carine Doutrelepont
L’image comme écriture du monde
Mots : Olivia Roks
Photos : Carine Doutrelepont
Avocate reconnue, Carine Doutrelepont est également une photographe talentueuse et passionnée. Inspirée par la nature et la diversité humaine, elle parcourt la terre en quête de découvertes et de richesses. Une exposition à La Boverie à Liège et un nouvel ouvrage dévoilent son travail qui nous fait naviguer entre réalisme et imaginaire, un art photographique teinté de poésie.
Comment est né votre amour pour la photo ? Plusieurs facteurs m’ont poussée vers la photographie. Ma fille cadette en est passionnée et je m’y suis intéressée grâce à elle. Depuis toute jeune, je suis une amoureuse de littérature, de poésie. Selon moi, la photo est une forme d’écriture, l’image remplace les mots, elle apporte une plus grande sensation de couleur. Mon métier m’a également amenée à l’art photographique, je suis avocate en droit des médias et des droits fondamentaux où l’image est omniprésente. Et il y a bien entendu aussi l’héritage de mon père, un homme passionné par les pierres et la géologie, devenu archéologue à un âge où d’autres songeraient plutôt à la retraite. Tant d’influences et d’inspirations qui m’ont amenée, il y a environ une dizaine d’années, à manier moi-même cette image, à écrire autrement, à me laisser emporter par l’émotion que la photographie peut susciter.
Tant d’émotions émanent d’ailleurs de vos clichés… Qu’est-ce que vous apporte l’art de photographier ? La photographie est bien plus qu’un simple métier ou un art visuel. C’est pour moi un engagement, une façon de vivre, une manière de percevoir le monde dans tout son éclat et sa complexité. Capturer des images est une chose, mais rencontrer des êtres, comprendre de nouvelles cultures ou univers, en partager les scènes et la richesse de la différence, découvrir des paysages, en est une autre. Ensuite, il y a l’envie de partager et de transmettre, de capter ces instants éphémères qui racontent tant du monde, des petites choses de la vie aux somptuosités de la nature et du vivant dans son ensemble. C’est aussi plaider, avec douceur, la nécessité d’en prendre soin et de protéger sa beauté et sa diversité. Autrement dit, photographier, c’est explorer, découvrir, se laisser surprendre. C’est une perpétuelle aventure et une invitation renouvelée à se dépasser, à repousser les limites et à voir au-delà des apparences. Communiquer l’envie de prendre soin de la nature, car prendre soin d’elle, c’est prendre soin de nous et favoriser le vivre-ensemble.
Justement la nature est presque omniprésente dans vos clichés et vous semblez affectionner particulièrement les terres volcaniques… J’ai commencé avec la photo de paysage, mais j’ai évolué vers des scènes de rue, vers des photos d’habitants, des fêtes sacrées indiennes. J’aime la convergence des univers. J’ai un intérêt particulier pour les terres volcaniques qui sont pour moi le reflet de nos façons d’être, elles sont un miroir pour nous. Extrêmement colorées, elles ont une intensité particulière… Chaque paysage est une leçon d’humilité. Que ce soit les vastes étendues glacées du Nord ou les forêts luxuriantes des tropiques, la nature a cette capacité à nous rappeler notre place dans le monde. Photographe, je me sens souvent comme une simple messagère, une interprète de la beauté brute qui nous entoure. Bien sûr, des rencontres marquantes avec des cultures qui vivent en harmonie avec la nature et qui sont baignées de spiritualité m’ont progressivement appris à voir le monde autrement. Je songe aux Mongols, aux Hawaïens ou encore aux Amérindiens Kogis en Colombie. Leur respect, leur vénération pour la terre et ses ressources m’ont touchée et certaines de mes photos en témoignent. Toutes ces expériences très colorées ont renforcé mon désir de transmettre, par l’image, l’importance de préserver ces trésors. La photographie n’est pas seulement une question d’esthétique, mais une manière de témoigner de la beauté fragile de notre planète, de capturer ces moments éphémères où l’homme et la nature ne font plus qu’un. Mon travail est une ode à la nature et à l’humain qui en fait partie, une invitation à la contempler, à la respecter, et surtout, à la préserver.
Comment voyez-vous l’évolution de la photographie de nature avec les nouvelles technologies, comme les drones ou l’intelligence artificielle ? L’IA, les drones, sont des outils, des processus industriels, mais ce ne sont pas des créations, ce ne sont pas des œuvres selon moi. L’intention photographique, la personnalité du photographe, n’apparaissent pas dans l’IA. Rien de tel que d’avoir son appareil, son boîtier entre les mains. Pour les prises en hauteur, je n’utilise pas de drones, mais je photographie depuis de petits avions.
Vos merveilleux clichés sont désormais à découvrir à La Boverie mais également dans un bel ouvrage. Dites-nous en plus… Oui, j’expose à La Boverie jusqu’au 10 novembre. L’exposition se nomme Brûlures. On y contemple l’intensité et la fusion présentes dans les terres volcaniques qui se retrouvent étrangement dans les fêtes indiennes de Holi et de Divali célébrant le renouveau ou la renaissance, la victoire du bien sur le mal, de la lumière sur les ténèbres. L’exposition souhaite amener le visiteur à entrer dans des univers qui convergent. Je souhaite susciter des énergies positives, une curiosité… Au fil de l’exposition, la lumière évolue, on débute avec la lumière à la fois douce et intense du matin pour terminer avec la luminosité veloutée du soir. Un cheminement, un rythme s’installe. La lumière règne en souveraine sur les images, elle leur donne vie, profondeur et mystère. Quant au livre « Éphémère : éternelle renaissance » aux éditions La Martinière, c’est un ouvrage de photos, ponctué de textes de ma plume, mais aussi du poète Bernard Tirtiaux ainsi que de mes notes issues de mon carnet de route.
Un siècle de surréalisme belge - Deux expositions majeures pour célébrer un mouvement révolutionnaire
Un siècle de surréalisme belge
Deux expositions majeures pour célébrer un mouvement révolutionnaire
Mots : Ariane Dufourny
Photos : DR
À l’occasion du centenaire du surréalisme, deux expositions d’envergure se tiennent simultanément chez nous. À Mons, le Cap/ Musée des Beaux-Arts propose une réflexion approfondie sur l’héritage subversif du surréalisme, tandis qu’à La Boverie de Liège, l’œuvre fascinante de Paul Delvaux est mise à l’honneur. Une occasion unique de découvrir, ou redécouvrir, ce mouvement révolutionnaire à travers les regards croisés d’un maître du surréalisme et d’une exposition plus théorique.
En 1924, le Français André Breton publie le « Manifeste du surréalisme » qui trouve, la même année, un écho particulier en Belgique. Des figures comme Paul Nougé, René Magritte, Louis Scutenaire et E.L.T. Mesens vont jouer un rôle essentiel dans la diffusion et l’adaptation de cette avant-garde, tout en se distinguant pour-tant du surréalisme français. Dans notre pays, le mouvement s’est en effet construit autour de la notion d’« objet bouleversant », un concept qui exprime à la fois un rejet des conventions artistiques et une recherche d’impact direct sur la réalité. Il y a cent ans, s’amorce ainsi une aventure qui bouleverse profondément les codes poétiques, esthétiques et philosophiques de l’époque…
Le surréalisme : Bouleverser le réel au Cap
L’exposition « Le surréalisme : bouleverser le réel », qui se tient du 19 octobre 2024 au 16 février 2025, au Musée des Beaux-Arts de Mons, invite à une réflexion sur la nature profondément subversive du surréalisme. Le parcours met en lumière la manière dont les artistes surréalistes des années 1920 et 1930 ont chamboulé les conventions visuelles, langagières et idéologiques de l’époque. Les œuvres présentées explorent l’impact de ce mouvement révolutionnaire en Belgique, où il s’est particulièrement développé autour du concept d’« objet bouleversant ». L’exposition permet de comprendre comment ces artistes ont repoussé les limites de l’art traditionnel, questionnant la réalité à travers des créations surprenantes et déroutantes.
Les Mondes de Paul Delvaux : Une redécouverte à La Boverie
En parallèle, à La Boverie de Liège, l’exposition qui se tient du 4 octobre 2024 au 16 mars 2025, célèbre l’un des plus grands maîtres du surréalisme belge, Paul Delvaux. Cette rétrospective inédite invite à redécouvrir l’univers unique de l’artiste, connu pour ses scènes énigmatiques où se croisent femmes, gares et paysages mystérieux. L’événement rassemble un ensemble d’œuvres rarement exposées ensemble, y compris des peintures, dessins et objets, qui offrent une immersion profonde dans l’imaginaire foisonnant de Delvaux.
En plus de dévoiler la richesse de son œuvre, cette exposition crée des dialogues fascinants entre Delvaux et d’autres artistes de son époque, éclairant ainsi les influences qui ont façonné son travail. Ce rendez-vous est une occasion rare de contempler de près l’œuvre poétique et troublante de cet artiste majeur, dont l’approche symbolique et onirique continue d’inspirer et de fasciner. Une étape incontournable pour tous ceux qui souhai-tent s’immerger dans l’univers du surréalisme belge à travers le prisme d’un de ses plus grands représentants.
Stéphanie Crayencour - « Perdre mon frère a marqué le point de départ de ce livre et de ma véritable histoire d’amour avec lui »
Stéphanie Crayencour
« Perdre mon frère a marqué le point de départ de ce livre et de ma véritable histoire d’amour avec lui »
Mots : Barbara Wesoly
Photo : Gaetan Chekaiban
D’elle, on connaissait le parcours de comédienne, dont la présence solaire s’épanouissait au cinéma comme à la télévision, et sa carrière entre Bruxelles et Paris. Cette fois, Stéphanie Crayencour délaisse les projecteurs pour l’écriture et nous livre « Le Papillon d’Or ». Un récit vibrant et intime, autant qu’un cheminement initiatique abordant la mort, l’invisible et la spiritualité, entamé après le suicide de son frère Maxime.
Cet ouvrage, vous le dédiez à Max, votre frère, qui « par sa mort vous a fait renaître ». Qu’en espériez-vous en débutant ces pages ? Depuis tout petit, mon frère voyait et ressentait ce qui bien souvent restait inaccessible aux autres. Il nourrissait une forme de quête de vérité, un lien particulier à l’invisible aussi. Son départ a laissé en moi une douleur et une absence immenses, mais aussi le besoin de me rapprocher de lui en reprenant son exploration là où il l’avait laissée. Il a mis fin à ses jours alors qu’il était en train d’écrire un livre abordant la mort, l’inexpliqué, les états de conscience et la métaphysique. Des questions auxquelles je n’étais jusqu’alors pas vraiment familière. J’a, en parallèle, commencé à percevoir sa présence partout, au travers de phénomènes déconcertants et extraordinaires, qu’il était essentiel pour moi de tenter de comprendre, notamment par des échanges avec des anthropologues, des philosophes, des psychologues, des auteurs, des théologiens… Cela a débuté par un podcast La fille de Gérald, pour devenir finalement un livre. Et cette exploration a totalement transformé ma vision de l’existence comme de la mort. Je savais qu’écrire ces pages représenterait une profonde mise à nu, mais j’avais la conviction que si ce témoignage pouvait aider d’autres individus, leur apporter une part de réponses ou ne serait-ce que leur faire du bien, je me devais de le partager.
Quel était avant celui-ci, votre rapport à l’écriture ? Vous que l’on connaissait jusqu’alors par votre parcours d’actrice, des films d’Eric Rohmer à Jean-Marie Poiré ou Solange Cicurel ? S’il y a 5 ans, on m’avait affirmé que j’écrirais un livre, je ne l’aurais jamais cru. Je ne m’en sentais pas les épaules. J’ai Marguerite Yourcenar pour grand-tante. S’inscrire dans les pas d’une telle dame représentait une fameuse pression. Et puis, cela s’est fait comme une évidence. Cet ouvrage m’a aussi conforté dans l’idée que la vie a toujours des projets pour nous. Perdre mon frère a ainsi marqué le point de départ de ma véritable histoire d’amour avec lui.
Au moment du décès de Maxime, alors que vous l’ignoriez encore, vous faisiez le pacte avec vous-même de « travailler avec la mort ». Achève-t-on jamais un tel processus ? C’est une question complexe. Dès l’enfance, j’ai eu une peur viscérale de la mort. Au moment du départ de Max, j’étais encore en thérapie pour tenter de m’en détacher. J’ai pris cet engagement durant la nuit qui a suivi son suicide, dont je ne savais rien, après une crise d’angoisse. Je me suis fait la promesse de me libérer de mes craintes ainsi qu’à cette vision glaciale et taboue propre à nos sociétés. Grâce aux enseignements de mes recherches, je peux désormais relier la mort à une évolution fondamentale, inhérente à notre condition d’êtres humains et y percevoir une forme de beauté.
Il y a, on le sent, un avant et un après ce livre dans votre histoire personnelle. Est-ce aussi le cas pour votre carrière de comédienne ? Oui, définitivement. C’est un métier magnifique, mais être actrice, c’est attendre et espérer la validation d’autrui. Aujourd’hui j’ose rêver grand. J’aimerais créer des scénarios, réaliser des films et j’ai débuté l’écri-ture d’un deuxième ouvrage autour de la femme, du corps et de l’héritage qui nous est transmis.
Vous êtes devenue maman durant l’écriture de du “Papillon d’Or”. Qu’espérez-vous transmettre à votre fille de cet apprentissage et de cette vision de l’existence réenchantée, que vous expliquez au fil du récit ? J’ai réalisé les podcasts pendant que j’étais enceinte et commencé l’écriture du livre alors qu’elle avait trois mois. Ma fille m’a d’une certaine façon accompagnée sur ce chemin. Elle a transformé ma vision du monde. Je redécouvre tout par ses yeux. Elle peut demeurer en admiration devant l’ombre des feuilles ou passer vingt minutes à observer la marche d’un escargot. Tout est chance. C’est elle, au fond, le véritable réenchantement.
Préfaçant votre ouvrage, Didier Van Cauwelaert affirme : « Interpréter dans tous les sens du terme la mort de son frère était peut-être le rôle de sa vie ». Le ressentez-vous ainsi aujourd’hui ? J’ai eu de tels frissons en découvrant ses mots. Je ne peux encore le dire. Peut-être d’ici quarante ans, lorsque j’aurai le recul suffisant pour le savoir. J’ai en tout cas une immense gratitude pour ce chemin parcouru.
Le Papillon d’Or, Stéphanie Crayencour, aux éditions Animae.
Nicolas Bets « L’essence d’une photographie, c’est une personnalité, une aura, bien plus qu’une technique »
Nicolas Bets « L’essence d’une photographie, c’est une personnalité, une aura, bien plus qu’une technique »
Mots : Barbara Wesoly
Photos : Nicolas Bets
Du ciel azur de Californie aux pavés de Paris, et des étendues désertiques aux horizons futuristes, Nicolas Bets fusionne les univers délurés et flamboyants. Derrière l’objectif, il transcende les genres, créant un monde où des égéries glamour croisent des super-héros et où des nymphes modernes s’offrent un voyage temporel en pleine ère seventies.
Grandir auprès d’une mère photo-graphe vous a-t-il encouragé à faire vos armes derrière l’appareil ? Je baignais dans cet univers, entre les clichés d’Helmut Newton, Jeanloup Sieff et Herb Ritts accrochés à nos murs, et les vernissages où elle m’emmenait adolescent. J’ai certainement puisé inconsciemment dans cette ambiance. Mais ma découverte du métier résulte d’un concours de circonstances. A 17 ans, mon parrain, agent de mannequins à Paris, m’a proposé un stage de trois mois dans un studio photo. J’ai été passionné, mais je manquais de savoir-faire. Il m’a alors offert une année d’étude en photographie, une formation normalement prévue pour trois ans. C’était une chance que j’ai saisie, réussissant mon cursus en un an. Déjà, à l’époque, tout ce que je voulais, c’était raconter des histoires.
Vos clichés semblent capturer l’instant d’un récit, presque une scène de film. Avez-vous une âme de cinéaste ? Je suis surtout un touche-à-tout qui aime expérimenter. J’ai testé de tout à mes débuts : voitures, natures mortes, séries de mode. Rapidement, j’ai compris que le studio n’était pas pour moi. Je vois la photographie comme une récréation, mon terrain de jeu se trouve dans la spontanéité, avec des gens qui rient. Il faut que ça bouge, que ça vive. Instinctivement, je me suis éloigné de ce qui était trop formaté, refusant les cases et les dynamiques figées. Ce qui fait une photographie, c’est une personnalité, une aura, bien plus qu’une technique. Dans mon univers, on ressent l’alliance du rétro et de la modernité, avec une dose de pop culture. Je dis souvent que je suis un réalisateur frustré, incapable de rester trois mois sur un tournage. J’aime que mes photos ressemblent à des films résumés en un instantané, un arrêt sur image où l’on peut imaginer l’avant et l’après.
Quelle est la part de mise en scène et d’improvisation dans vos œuvres ? Cela commence souvent par un objet. Pour « Party of the Curlers », la deuxième partie de ma série « Les Bigoudis », tout a commencé avec une panthère rose trouvée en Espagne. Ensuite, l’idée de deux mannequins en lingerie Cadolle, une marque qui a inspiré le fameux soutien-gorge de Madonna créé par Jean-Paul Gaultier. Quelques accessoires, un maquilleur et un styliste dans une maison en Provence ressemblant à Los Angeles, et il ne restait qu’à laisser la magie opérer. Chaque shooting est une fête pour créer une synergie. Parfois, je sais exactement ce que je veux, comme pour « Sahara Vibes ». Je visualisais une femme sur un cheval blanc dans les dunes, avec des grands ballons gonflables pour ajouter un élément manquant. La spontanéité est essentielle, mais toute improvisation nécessite une bonne préparation.
Les femmes que vous sublimez par un regard décalé sont vos modèles de predilection. Avez-vous des muses ? J’aime les représenter dans des situations burlesques et glamour, mais toujours en laissant leur personnalité s’exprimer. C’est une question d’âme. Les femmes de ma vie sont mes muses : mon ex-femme et mère de mon fils, une amie avec laquelle je travaille depuis plus de quinze ans, et ma compagne. Mais d’autres personnages majeurs entrent en scène dans mes photos, le décor en étant partie intégrante. Photographier devant une porte ou un mur m’ennuierait à mourir. La couleur saturée et lumineuse ajoute à l’esthétique de mes projets. Ces ingrédients créent une juste fusion entre légèreté, humour et folie.
Quels sont vos projets ? Je travaille sur une exposition particulière, intitulée « In and Out ». Je vends également mes photos au format numérique NFT, ce qui amène les amateurs d’art à penser que j’utilise l’intelligence artificielle dans mes créations. Avec un ami spécialisé dans cette technologie, nous avons décidé de présenter certaines de mes œuvres accompagnées d’une version parallèle créée par IA, transposant mes modèles dans des décors hallucinants. L’exposition se déroulera au prestigieux studio Harcourt à Paris, sans date précise pour le moment. Ce sera un hommage aux progrès technologiques, mais surtout à l’aspect humain, irremplaçable en photographie.