Mara Taquin - « Je refuse de me laisser enfermer dans une case »
Mara Taquin
« Je refuse de me laisser enfermer dans une case »
Mots : Servane Calmant
Photo : Guillaume Kayacan
Sélectionnée parmi les révélations des Césars 2024, Mara Taquin s’apprête à défendre plusieurs longs métrages en 2025, dont le très attendu Nino dans la nuit, film belge adapté du roman éponyme à succès. A 27 ans, l’actrice bruxelloise a tout d’une grande, dont une farouche envie d’aborder chaque nouveau projet comme si c’était le premier…
Si Mara Taquin avoue s’être lancée dans le cinéma un peu par hasard, « la réalisatrice, Camille Mol, m’a remarquée devant mon école… », son parcours l’a rapidement conduite à multiplier les rôles marquants dans plusieurs séries télévisées (Ennemi Public, Fils de, Sambre) et à côtoyer les grandes figures du cinéma, Vincent Cassel (Hors normes), Adèle Exarchopoulos (Rien à foutre), Isabelle Huppert (La Syndicaliste) ou encore Fabrice Luchini (La Petite)…
En seulement cinq ans, vous êtes passée de « révélation prometteuse » à celui d’actrice confirmée. Aujourd’hui, on vous voit partout ! Comment vivez-vous cette ascension remarquable ? C’est surtout le calendrier de sortie des films qui donne cette impression d’omniprésence …Tant mieux, car chaque film est enrichissant. Mais rassurez-vous, j’ai encore du temps libre. Et lorsque je ne tourne pas, il m’arrive de douter et de douter encore …
Douter de quoi ? Rien n’est jamais acquis. Mais le temps que je passe à douter me permet d’apprécier encore davantage les opportunités qui s’offrent à moi … (rires). Je n’étais pas vraiment préparée à ce que je vis en ce moment, alors je ressens une profonde reconnaissance envers le monde du cinéma qui continue de me solliciter. J’essaye également de préserver une certaine fraîcheur, afin d’aborder chaque nouveau projet avec le même enthousiasme que le tout premier…
A quel moment votre carrière a-t-elle pris son envol ? Projeté au Festival de Cannes, le film Hors normes réalisé par Olivier Nakache et Eric Toledano (les mêmes réalisateurs que Intouchables – nda) m’a permis de me faire connaître en France, en m’ouvrant les portes de nouveaux castings. Avant, je passais des auditions où se rendaient 500 comédiennes; aujourd’hui, j’ai accès à des castings plus ciblés…
Pour se faire connaître, il faut passer par la case Paris … C’est vrai. Il y a plus d’opportunités à Paris qu’à Bruxelles. Pour autant, je ne compte pas faire une croix sur le cinéma belge ! Bien au contraire…
Et que dit-on aujourd’hui sur les Belges, dans les castings parisiens ? « Vous êtes trop mignons, trop gentils, adorables… » (Rires). Tant de clichés ! En Belgique, l’absence de star-system et de culte de l’image pousse sans doute les acteurs à se concentrer davantage sur le jeu …
Vous venez d’achever le tournage de Nino dans la nuit, réalisé par le Belge Laurent Micheli. Il s’agit de l’adaptation d’un premier roman générationnel français qui a rencontré un vif succès … Comme le roman (signé Capucine et Simon Johannin – nda), le film plonge dans l’univers d’une jeunesse en marge, ces laissés-pour-compte du système qui enchaînent les petits boulots précaires et cherchent leur place dans une société qui leur en offre peu. Laurent Micheli, auquel on doit Lola vers la mer, impose un point de vue fort, destiné à interpeller, bousculer, chambouler le public. C’est un film belge qui ne laissera personne indifférent. Sa sortie chez nous sera calée sur le calendrier des festivals. Parallèlement, j’ai tourné Au bord du monde, réalisé par le duo belge Sophie Muselle et Guérin Van de Vorst, qui explore les conditions d’accueil, de soin et de traitement des patients en psychiatrie.
Quels sont vos critères pour choisir un rôle ? Je ne suis jamais dans le calcul, je marche à l’instinct, et cela me réussit plutôt bien. L’important, c’est la rencontre avec le personnage. Si je sens que ce personnage fait sens, que je peux lui apporter quelque chose, alors je signe des deux mains. En revanche, je pourrais rejeter un scénario qui me propose un rôle trop proche d’un personnage que j’ai déjà campé. Je refuse de me laisser enfermer dans un rôle, d’être figée dans une case. Je veux surprendre, continuer à prendre des risques.
Vous travaillez souvent à Paris, mais vous êtes toujours attachée à Bruxelles, votre lieu de vie … Mon métier m’amène à voyager fréquemment et à côtoyer beaucoup de personnes. Quand je rentre chez moi, j’apprécie de retrouver mes proches, ma famille et mes amis d’enfance qui ne sont pas dans le milieu du cinéma. C’est ma petite bulle, un espace qui me protège et m’aide à garder un certain équilibre.
Avec quel réalisateur belge souhaite-riez-vous tourner prochainement ? Sans vouloir faire de jaloux : Michaël R. Roskam (réalisateur de e.a. Bullhead – nda), Delphine Girard (Quitter la nuit) et le couple Ann Sirot et Raphaël Balboni (Une Vie démente). Même si je suis plus attachée au projet, qu’au réalisateur…
Julien Leclercq - L’aventurier belge fasciné par l’Islande
Julien Leclercq
L’aventurier belge fasciné par l’Islande
Mots : Olivia Roks
Photos : Julien Leclxercq
Depuis toujours, Julien Leclercq nourrit un rêve d’évasion. À seulement 24 ans, il quitte la Belgique pour partir à la découverte du monde. Dix ans plus tard, il vit en Islande, subjugué par la nature à l’état brut. Aujourd’hui guide et photographe, il mène une vie qu’il ne troquerait pour rien au monde. Rencontre avec cet aventurier moderne au parcours inspirant.
À 34 ans, vous avez déjà parcouru un chemin extraordinaire. Qu’est-ce qui vous a poussé à quitter la Belgique pour explorer le monde ? J’ai toujours été attiré par l’idée de voyager. À l’école, je n’étais pas un élève modèle : rester assis derrière un bureau me semblait insupportable. Mon adolescence n’a pas été facile : le divorce de mes parents a été un coup dur. J’ai sombré dans la dépression et j’ai développé des comportements autodestructeurs. Un matin, j’ai eu une révélation : je devais tout laisser derrière moi et partir.
En regardant un globe terrestre, j’ai cherché le point le plus éloigné de la Belgique et je suis tombé sur la Nouvelle-Zélande. Là-bas, j’ai travaillé dans une ferme entourée de vergers et de chevaux. Ironiquement, j’avais une peur bleue de ces animaux. Mais le destin m’a mis au défi : on m’a confié la mission de prendre soin d’une jument affaiblie. Cette expérience a bouleversé ma perception. J’ai non seulement vaincu ma peur, mais je suis tombé amoureux des chevaux.
De là, l’aventure s’est poursuivie en Australie : j’ai été cowboy dans un ranch, gardien de zoo où j’avais la responsabilité de m’occuper du plus grand crocodile du pays. Je découvrais ces emplois grâce au concept du « woofing » (via helpx.net), un système fondé sur l’échange et le partage. Il s’apparente à du volontariat : en échange de mon travail, on m’offrait le gîte et le couvert.
De retour en Belgique après l’expiration de mon visa, je n’ai tenu que trois semaines avant de repartir, cette fois pour la Suède, où j’ai découvert la vie dans une ferme western. Ensuite, près d’Oslo, j’ai appris à murmurer à l’oreille des chevaux auprès des Indiens Lakotas. J’ai continué mon aventure en Norvège, où j’ai pratiqué la pêche. C’est là que j’ai rencontré un Islandais qui cherchait de l’aide pour sa ferme. Sans hésiter, je l’ai suivi.
L’Islande, ce pays de glace qui m’a envoûté, est aujourd’hui le cadre de ma vie. Après avoir enchaîné des expériences variées dans des fermes et des ports, j’exerce désormais un métier qui me comble : guide (conduite et glacier) pour Ice Pic Journeys et photographe. Chaque jour, je capture la magie unique de cette terre fascinante. Je ne pouvais pas rêver mieux.
Une aventure fabuleuse ! Les chevaux semblent avoir une place spéciale dans votre parcours. Ils vous ont aidé à surmonter des épreuves ? Absolument. Les chevaux sont comme des meilleurs amis, capables de ressentir nos émotions. Leur tendresse et leur capacité à communiquer presque télépathiquement m’ont sauvé. Je suis quelqu’un d’introverti, souvent en proie à la dépression. Sans eux, je ne serais probablement plus là aujourd’hui. Cette connexion avec les chevaux et la nature me nourrit et m’apaise au quotidien.
Vous semblez épanoui en Islande. Parlez-nous de votre passion pour la photographie. Depuis mon arrivée en Nouvelle-Zélande jusqu’à aujourd’hui en Islande, j’ai capturé de nombreux moments avec mes téléphones Samsung. Un jour, en échangeant sur Instagram avec Samsung Iceland, j’ai partagé quelques-unes de mes photos. Ils les ont adorées. Depuis, l’entreprise me fournit du matériel, et je réalise des prises de vue pour eux. Cette collaboration m’a non seulement permis de gagner en confiance, mais elle a aussi transformé ma photographie, qui a considérablement évolué grâce à leur soutien.
J’aime capturer des détails de la nature, faire des photos qui semblent irréelles alors qu’elles sont authentiques et à peine retouchées. Je photographie surtout des glaciers, des animaux, et des volcans en éruption. L’Islande est un véritable terrain de jeu pour un photographe : tout y est vivant, en perpétuel mouvement. C’est magique !
Qu’est-ce qui vous manque le plus de la Belgique ? Mes parents savent que je suis heureux ici, et quand ils veulent me voir, ils viennent me rendre visite. Franchement, c’est plus fun qu’un voyage en Belgique ! Ce qui me manque, c’est un magasin Décathlon ! Le plus proche est au Danemark, et en Islande, le matériel sportif coûte une fortune.
Comment envisagez-vous votre avenir dans dix ans ? J’aimerais créer ma propre entreprise de tours sur mesure. Mon idée est de proposer des expériences privées, limitées à quatre participants, pour favoriser des échanges sincères et authentiques. J’ai déjà trouvé un collègue et un véhicule ; il ne me reste plus qu’à continuer d’économiser (rires).
Quelles expériences incontournables recommanderiez-vous de vivre en Islande ? Une randonnée à cheval avec Mister Iceland, avec nuit en cabanes pittoresques et dîner viking, une expérience unique ! Il y a aussi l’observation des baleines à bosse et des orques qui offre un spectacle fascinant ou encore une expédition sur un glacier, que je peux organiser et qui permet d’explorer des paysages glacés uniques. Enfin, les aurores boréales et les volcans en éruption, bien que dépendants des conditions naturelles, sont des moments incroyables.
Mustii - Sans filtre
Mustii
Sans filtre
Mots : Servane Calmant
Photos : Lennert Madou
The Maze, le nouvel album de Mustii, porte le nom d’une boîte de nuit imaginaire qui exprime l’état d’esprit de Thomas Mustin. En se recentrant sur ses propres expériences, l’artiste rend un vibrant hommage à la communauté queer, tout en assumant un engagement plus personnel que jamais. Confessions.
Ce nouvel album s’intitule The Maze. Que signifie ce mot, labyrinthe, pour vous ? J’aime le paradoxe induit par le labyrinthe car il cristallise la quête initiatique de l’humain et la connaissance, mais il évoque également la perdition, la désorientation, l’obscurité, les extrêmes. Cette dualité trouve écho dans une longue nuit de fête : The Maze étant également le nom d’une boîte de nuit imaginaire, dans laquelle se déroulent les expériences de début et de fin de soirée, de l’euphorie à l’abattement. Une métaphore de mon ressenti, de mon vécu, où j’assume désormais pleinement mon côté queer.
C’est votre album le plus personnel… Oui, clairement. Dans mes deux premiers albums, il y avait toujours un personnage intermédiaire entre moi et le public. 21st Century Boy a pour fil rouge un jeune ado fictif et It’s Happening Now rend hommage à la vie de mon oncle schizophrène disparu. A travers The Maze, j’ose exprimer pour la première fois mon identité personnelle et mes émotions. L’aventure Eurovision a provoqué un électrochoc : j’ai réfléchi aux raisons qui me motivaient à faire ce métier. Pendant deux mois, je me suis enfermé dans un studio et j’ai pris du plaisir à explorer les genres musicaux que j’aime : pop-rock, post-punk, glam-rock, tempo techno. Les textes sont également plus radicaux, je ne cherche plus à me cacher. Cet album est l’expression de ma prise de liberté, d’identité, d’assurance.
Queer signifie étrange, bizarre. Ce qui pourrait s’apparenter à un terme stigmatisant est en fait un pied de nez à la norme identitaire dominante… Queer est un terme très réconfortant qui suscite l’imaginaire, et qui permet d’éviter de ranger les gens dans une multitude de petites cases. Nous sommes tous sujets à nous transformer, à explorer les multiples facettes en nous. Encore faut-il vouloir expérimenter nos propres zones d’inconfort.
A sa création dans les années 50, le mouvement queer belge était plus concentré sur la socialisation que sur le militantisme de ses membres. Qu’en est-il aujourd’hui ? Notre société aborde plus facilement qu’avant les thématiques LGBTQIA+, il suffit de voir le succès TV de Drag Race, mais le backlash (le retour de bâton conservateur – nda) existe toujours ! Un nombre croissant de personnes choisissent de vivre ouvertement leur identité et en même temps, elles sont davantage confrontées à la violence qu’auparavant. La lutte pour la diversité des identités de genre et orientations sexuelles n’est pas linéaire, chaque victoire est chèrement acquise face aux réactionnaires…
Etes-vous un artiste militant ? Je ne suis pas le porte-drapeau de la communauté queer. Il existe des artistes ouvertement activistes, ce n’est pas mon cas. J’ai fait un album pop, fun, mais si The Maze arrive à sensibiliser les foules sur les préjugés et les violences à l’encontre de cette communauté alors, oui, je pose un acte politique, mais je le fais indirectement …
La chanson Silly Boys parle de frustration. Peut-on y faire un parallèle avec votre état d’esprit durant l’Eurovision ? Oui, j’y évoque la frustration de se sentir un peu aliéné, de faire partie d’un cirque qui tourne mal pour diverses raisons…
La perdition, un acte conscient ou inconscient ? Pour trouver son centre, il faut peut-être entrer en perdition. Expérimenter les extrémités, emprunter des chemins de traverse, prendre des sens uniques, des murs en pleine face, m’ont permis de grandir et, in fine, de me trouver.
Massive Love Infection évoque la solitude dans le milieu queer. Cette chanson, à l’image de l’album, est une main tendue aux gens stigmatisés car « hors normes » … Ce nouvel album, élan d’amour et hommage aux queers, se veut également une main tendue à celles et ceux qui sont fragiles et qui ont des parcours de vie compliqués. Les thèmes de la normalité et de l’acceptation de soi traversent d’ailleurs mes trois albums…
Musicalement, ce nouvel album ne cache pas ses références à, notamment, un certain Bowie, lui-même considéré comme un queer à l’époque… Il a en effet créé l’événement quand il a déclaré être gay dans les années 70. C’est un homme qui a exploré de nombreuses facettes de sa personnalité. Un artiste kaléidoscopique, ultime.
2024, l’année Mustii : Eurovision, nouvel album, The Maze, et cinéma avec La nuit se traîne, thriller belge au succès fulgurant … S’il vous fallait faire un choix, musique ou cinéma ? L’acting est ce qui me définit en premier.
1 février 2025, vous serez à Forest national. C’est une première ! The Maze est un véritable labyrinthe musical taillé pour le live et Forest national, un rêve éveillé et une première en effet. J’ai un peu de mal à réaliser ma chance !
Hakim Benbouchta - L’art de divertir
Hakim Benbouchta
L’art de divertir
Mots : Ariane Dufourny
Photos : Didier Vandenbosch
Après une brillante carrière dans la publicité, Hakim Benbouchta a réussi une reconversion remarquable en tant qu’auteur et scénariste. Son premier roman, Le Pseudo, a été un succès, adapté en téléfilm sous le titre Noël… et plus si affinités. En 2022, il a poursuivi avec Le Plus Beau Cadeau. Son prochain roman, Le Billet de Cinq, prévu pour le 16 janvier 2025, promet de confirmer son statut d’auteur incontournable dans l’univers du divertissement littéraire.
Le billet de cinq euros, un objet du quotidien, occupe une place centrale dans le récit. Pourquoi avez-vous choisi cet élément comme pivot de l’histoire ? Chaque fois que je tiens un billet dans la main, je me demande d’où il vient et quelle a pu être sa trajectoire. Fasciné par ce questionnement, j’ai imaginé le parcours d’un billet de cinq euros, passant de main en main, de personne en personne, entre des gens qui ne se connaissent pas. Pour structurer le récit, j’ai choisi de les rassembler dans un lieu unique : Paris. J’ai trouvé amusant de placer ces personnages au même endroit, reliés par cet objet anodin, qui porte pourtant en lui des histoires entrecroisées.
Votre roman explore des sujets variés et profonds : le handicap, les migrants, la transition culturelle, ou encore la solitude des seniors. Qu’est-ce qui vous touche ou vous émeut dans le fait de raconter ces histoires ? J’ai toujours éprouvé une tendresse particulière pour les personnes trisomiques, qui agissent sans calcul, qui sont d’une pureté inaltérée, incapables d’imaginer la méchanceté et la fausseté qui nous entourent. Leur fragilité m’émeut, car ils ne disposent pas de ce mécanisme de défense ni de cette capacité à percevoir le mal chez les autres. À mes yeux, ce sont des fleurs précieuses dans notre société actuelle.
Avec ma femme, j’ai aidé des migrants du Parc Maximilien en leur offrant un repas, une douche et un endroit pour dormir. Leurs histoires étaient dramatiques : maltraitance, exploitation, souffrances en Libye ou en Turquie. Malgré tout, ils faisaient preuve d’une grande gentillesse et de respect. Même si nous ne pouvions pas les héberger indéfiniment, chaque petit geste comptait. Ce n’est pas parce qu’on ne peut pas tout faire qu’on ne doit rien faire. Même un petit acte a son importance, et qui sait, peut-être qu’ensuite d’autres en accompliront à leur tour. Je ne sais pas ce qu’ils sont devenus, mais peut-être qu’au final, cela aboutira à une belle histoire.
Le poids de ma culture d’origine a toujours été présent, surtout à travers mon nom : Benbouchta. Cela m’a poussé, de manière consciente, à penser que c’était à moi de faire le premier pas vers les autres, car je me percevais comme « différent ». Je tiens toutefois à préciser que je n’ai jamais ressenti de rejet ou de discrimination. Dans les années 70-80, j’étais bien intégré avec mes amis. Mais malgré cela, j’avais toujours en tête que je n’étais pas tout à fait comme eux.
La solitude des seniors trouve un écho particulier en moi, car elle m’a été inspirée par ma mère, aujourd’hui âgée de 85 ans. Mes parents se sont séparés quand j’avais 13 ans. Mon père est parti vivre en Suisse, où il est décédé trois ans plus tard. Depuis leur séparation, ma mère n’a connu qu’une brève histoire avant de choisir de ne plus jamais se remettre en couple. C’était un sujet que nous abordions parfois. Elle me confiait que cela ne lui manquait pas, qu’elle était heureuse ainsi, entourée de ses animaux et de ses amis. L’important est de la savoir heureuse. Je continue cependant à me demander si elle aurait souhaité vivre autre chose.
Vos romans explorent des thèmes sociaux profonds avec une légèreté teintée de tendresse et d’humour. Êtes-vous, malgré les défis du monde, un éternel optimiste ? J’ai toujours pensé que, face à la vie, nous sommes responsables de notre propre état d’esprit. Je suis convaincu que le cerveau peut être « programmable ». En choisissant de focaliser son attention sur le positif, tout en restant conscient du reste, on peut parvenir à se sentir mieux.
Avez-vous envisagé une adaptation cinématographique pour Le Billet de Cinq, à l’image de vos précédents romans ? J’ai écrit un scénario basé sur la quatrième histoire du livre, qui explore le thème de la solitude des seniors : une grand-mère, éprise d’un amour platonique pour son voisin de palier, demande à sa petite-fille de lui servir de coach en séduction. Ce projet a été vendu à une société de production française, et nous sommes actuellement en phase d’ajustements pour en faire un long-métrage.
Avez-vous déjà des idées pour un prochain projet d’écriture ? Je viens tout juste de terminer mon quatrième roman qui me tient particulièrement à cœur. Il s’inspire d’un événement tragique : le suicide de mon meilleur ami Harold. L’histoire suit un homme de 55 ans, au bord du gouffre et prêt à en finir, qui retrouve peu à peu une raison de vivre grâce à l’intervention dévouée d’un ami. C’est une histoire de liens humains salvateurs et d’espoir là où tout semble perdu et rappelle qu’il ne faut jamais renoncer.
Nicolas Michaux - En prise avec la vie
Nicolas Michaux
En prise avec la vie
Mots : Servane Calmant
Photos : Anaïs Ramos
Nicolas Michaux, chanteur, auteur-compositeur et producteur belge, présente Vitalisme, collection de douze chansons pop lumineuses qui, sous leur apparente légèreté, sont imprégnées de la gravité des temps troublés que nous vivons. Une dualité qui dessine un univers singulier et sincère, porté par un activisme artistique optimiste…
Rencontre avec un auteur lucide.
Vous vous souvenez d’Eté 67, ce groupe rock liégeois qui a rencontré le succès fin des années 90 ? Nicolas Michaux en était le chanteur, avant de se lancer dans une carrière solo… Son premier album, A la vie à la mort, sort en 2016, suivi d’Amour colère en 2020 et d’une compilation, Les chutes. Vitalisme, son quatrième opus, dévoilé en octobre dernier, inclut notamment Chaleur humaine, single envoyé en éclaireur, désigné « Coup de cœur des médias francophones publics ». On ne se lasse pas de l’écouter…
Vous partagez votre temps entre le Danemark où résident vos filles, et Bruxelles qui héberge votre label … Le cœur entre deux chaises ? Je suis séparé de la maman de mes deux filles, qui est Danoise. J’ai vécu 10 ans au Danemark et j’y passe désormais six mois par an. J’habite dans un chalet niché sur l’île de Samsø. Un lieu où je vis en communion avec la nature et la mer. Cette dualité géographique me permet de prendre du recul par rapport à la scène musicale bruxelloise et mon cercle professionnel. Une situation qui me convient parfaitement et qui imprègne ma méthode de travail. Vitalisme, mon nouvel album, a été composé dans mon chalet danois, mais les arrangements musicaux ont été faits dans mon studio bruxellois…
Vous avez dédié ce nouvel album à Jeanine Dubois, votre grand-mère communiste qui a passé sa vie à se battre pour un monde plus juste. Et vous, quel est votre combat ? On a souvent opposé la culture de masse aux niches culturelles. Or il y a moyen de faire de l’art populaire – à l’instar de la musique pop que je défends ou des films de Sergio Leone, pour citer un réalisateur dont je suis fan – qui ne prend pas les gens pour des imbéciles ! Il est là mon combat. Je m’inscris dans une pop d’auteur, avec une démarche artisanale. J’ai d’ailleurs co-fondé mon propre label indépendant (Capitane Records – nda) pour montrer qu’il y a moyen d’évoluer dans le music business sans le financement ou la distribution des majors de l’industrie musicale. Ce label a hébergé une quinzaine d’artistes (Juicy notamment – nda). Le DIY/ « fais-le toi-même » et l’esprit de fraternité musicale sont en parfaite adéquation avec mes valeurs personnelles. Dans cet esprit, Capitane Coop a vu récemment le jour. Cette coopérative regroupe des musiciens, techniciens, passionnés de musique, et appartient à ses membres. Ce modèle se distingue nettement des sociétés cotées en bourse !
Etes-vous un artiste engagé ? Je suis de gauche et favorable à un nouveau projet de société qui nous évitera d’aller droit dans le mur. Mais je ne me revendique pas artiste militant. Je progresse doucement vers l’artivisme, l’activisme artistique, notamment avec la création de Capitane Coop.
Vitalisme, le titre de l’album est un hommage à Gilles Deleuze, grande figure intellectuelle emblématique de l’esprit 68… Mais quelle est votre propre définition de ce mot ? C’est un terme polysémique, en effet. Dans la conception deleuzienne, la vie peut transpirer d’un poème, d’une pièce de théâtre, d’une chanson. J’essaie donc que les paroles que j’écris et la musique que je compose, soient en prise avec la vie. J’aime beaucoup d’artistes différents, mais j’affectionne particulièrement ceux qui parlent du réel, qui racontent une époque, comme le faisait Lou Reed.
La chanson Chaleur humaine, coup de cœur des médias francophones publics, est imprégnée d’une forme de fausse légèreté… Elle vous ressemble. (rires). C’est pas faux. J’essaie de dire des choses mais sans plomber l’ambiance. L’exemple du single Chaleur humaine l’illustre parfaitement : voilà une chanson pop solaire, lumineuse, qui a été diffusée en radio tout l’été, et qui parle de réchauffement climatique, un problème environnemental préoccupant évidemment.
« J’étais l’enfant qui joue à côté du fumoir. Et reçoit un cadeau quand il est courageux ». Dans Peace of Mind #2, vous vous mettez à nu… Il s’agit en effet d’un morceau autobiographique basé sur un poème, IRM, que j’ai écrit il y a deux ans. Ado, entre 13 et 19 ans, j’ai passé pas mal de temps dans les hôpitaux, pour des tumeurs sur le système nerveux central. Depuis, je me suis retapé !
Dans Watching The Cars, vous nous interpellez : « will they kill another kid ? » … Je parle des choses que je vois. Dans un monde merveilleux, je chanterais l’amour et les oiseaux. Mon seul désir : écrire des chansons qui touchent le public, qui résonnent en lui. Même quand tout va mal, il ne faut pas se laisser gagner par l’obscurité. J’ai écrit et composé un album lumineux car l’espoir doit prévaloir. J’ai la lucidité du constat mais je crois en l’optimisme de l’action. Tous les Trump du monde ne peuvent pas gagner. Nous devons agir, à quelque niveau que ce soit.
Vous écrivez et chantez en français et en anglais, à la croisée de deux traditions… En effet. Je rencontre un franc succès en France notamment, car le Français défend l’expression de sa culture. Et le fait que je chante en anglais également confine, à ses yeux, à un certain exotisme…(rires).
Lubiana « Je considère mon métissage comme un cadeau »
Lubiana
« Je considère mon métissage comme un cadeau »
Mots : Servane Calmant
Photos : Diane Moyssan
Fruit de deux ans de voyages en Afrique, Terre rouge, le nouvel album de la chanteuse belgo-camerounaise Lubiana, sonne comme un message d’espérance et d’amour. « La Blanche », comme on la surnomme au Cameroun, se confie sur sa double culture, sur le lien qu’elle entretient avec la kora, cet instrument traditionnellement réservé aux hommes, et sur son parcours musical, aussi élégant que singulier…
Lubiana signifie bien-aimée. Tout le monde n’a pas la chance de porter un prénom aussi poétique que le vôtre ! C’est un prénom qui fait en effet écho à l’amour. L’amour que l’on donne, l’amour que l’on se donne aussi. C’est un héritage précieux qui m’accompagne tant dans ma vie personnelle que professionnelle. Je mesure chaque jour la chance de porter un nom qui parle d’amour…
Vous êtes née en Belgique, d’un père camerounais et d’une mère belge. Que vous a transmis ce métissage ? J’ai grandi dans une maison qui cultivait une double culture. Ma mère écoutait Mozart et Beethoven ; mon père, Manu Dibango et Youssou N’Dour. Mais au-delà de cet éclectisme musical qui m’a nourrie, mon métissage m’a offert une vision plurielle du monde qui inspire la tolérance. J’ai appris à voir la richesse dans les différences. Pourtant, à 16 ans, j’ai rejeté le Cameroun, ce pays où je passais tous mes étés sans jamais m’y sentir vraiment chez moi. Pendant dix ans, je n’ai plus mis les pieds en Afrique …
Qu’est-ce qui vous a donné envie d’y retourner ? Mon grand-père disait souvent : pour savoir où l’on va, il faut savoir d’où l’on vient. En 2019, j’ai ressenti ce besoin de retour aux sources. Depuis, je m’y rends chaque année. C’est là-bas que reposent mes ancêtres. J’ai d’ailleurs appris le Bangoua, la langue de mon grand-père et de ma famille camerounaise, pour me rapprocher davantage de mes racines. Longtemps, je n’ai pas compris la valeur de mon métissage, mais désormais, je le considère comme un cadeau.
Cette réconciliation avec l’Afrique, elle passe par la kora … Absolument, c’est la kora, un instrument que l’on trouve partout dans l’Afrique de l’Ouest et qui se transmet oralement de père en fils, qui m’a permis de retrouver mon lien avec l’Afrique. Quand j’ai découvert la kora à 21 ans, ce fut une révélation. Je suis retournée au pays pour l’apprendre et j’ai senti l’Afrique vibrer en moi. Comme un appel, une évidence.
Etes-vous la seule femme à jouer de la kora sur scène ? Non, il y a également Sona Jobarteh, une artiste gambienne extraordinaire, qui a été la toute première femme à devenir une virtuose professionnelle de la kora. Elle a ouvert la voie. Je crois savoir que nous sommes les deux seules femmes à jouer de cet instrument en public …
Qu’est-ce qui rend la kora si spéciale ? La kora est plus qu’un instrument. Elle porte une histoire millénaire et les griots disent qu’elle vibre au rythme de l’âme du musicien et que c’est la kora qui choisit son maître. Toumani Diabaté (l’un des plus grands joueurs de la kora, récemment décédé – nda) m’a offert sa bénédiction, en me disant que la kora m’avait élue, après m’être apparue en rêve. Je pense que nous nous sommes choisies mutuellement. Les musiciens de la kora sont d’ailleurs très bienveillants avec moi ; leur plaisir de partage et de transmission est total car je suis à l’écoute de leur héritage musical…
Dans la chanson La Blanche, vous vous décrivez comme « étrangère pour vos frères », tout en célébrant ce « mélange qui tisse les liens » … Au Cameroun, on m’appelle La Blanche, partout, tout le temps. Pour beaucoup de Camerounais, ce surnom n’est pas offensant, c’est juste un constat. J’ai donc ressenti assez tôt que je serais toujours La Blanche en Afrique et la métisse en Europe où on continue de m’interroger sur mes racines. Paradoxalement, je ne suis chez moi nulle part et partout à la fois. Mais, aujourd’hui, je ressens mon métissage comme une richesse, comme un cadeau qui m’a permis d’ouvrir mon esprit, d’acquérir une véritable curiosité de l’autre et un respect profond des différences.
Votre nouvel album comporte une chanson très touchante, Farafina Mousso, sur laquelle vous avez invité l’artiste franco-rwandais Gaël Faye … Farafina Mousso signifie Femme d’Afrique en bambara, la langue principale du Mali. C’est un titre qui célèbre toutes les femmes d’Afrique : nos mères, nos sœurs, nos filles. Ces femmes sont les plus invisibilisées sur terre, pourtant elles font preuve d’une résilience incroyable ! Au Rwanda, Gaël Faye et moi-même avons rencontré des femmes extraordinaires qui font preuve d’un courage exemplaire, malgré la douleur indicible causée par les viols subis et le génocide rwandais. Nous voulions leur rendre hommage, célébrer leur force, leur beauté. En tant qu’artistes et en tant que descendants de l’Afrique, il était essentiel pour Gaël, pour Toumani Diabaté que j’ai également invité sur cet album, et pour moi, de mettre en lumière ces femmes et de porter ce message d’humanité et de reconnaissance.
Pourriez-vous vous installer définitivement en Afrique ? Non, je suis une nomade. Mais où que j’aille, mes ancêtres vivent en moi.
SOPHIE CLAUWAERT
SOPHIE CLAUWAERT
L’art, une alliance subtile entre émotion et investissement
Mots : Olivia Roks
Photo : Sébastien Vandenwouwer
Sophie Clauwaert, Art Advisor chez Puilaetco, oriente les collectionneurs passionnés et les investisseurs dans leurs acquisitions d’œuvres d’art. Elle les accompagne dans la recherche de l’équilibre entre émotion esthétique et acquisitions réfléchies, une approche qui séduit de nombreux Belges.
L’art est votre passion depuis toujours. D’où vous vient cet intérêt, devenu votre métier ?
L’art est dans l’ADN de ma famille. Dès mon plus jeune âge, j’ai été immergée dans cet univers. Mes parents n’étaient pas collectionneurs, mais de grands amateurs d’art. On m’emmenait dans les foires, les musées, et à la maison, j’étais entourée d’objets d’art. Cela éveille inévitablement les sens et stimule la curiosité. J’ai donc naturellement choisi d’étudier l’Histoire de l’art. Ensuite, j’ai approfondi mes connaissances avec un second master à Londres, au Sotheby’s Institute, suivi de plusieurs stages, notamment au Victoria & Albert Museum et chez Sotheby’s à Paris. En 2009, je me suis lancée comme conseillère en art indépendante, offrant mes services aux collectionneurs, galeries, bureaux de notaires et sociétés d’assurances, en les accompagnant tout au long du cycle de vie d’une collection. Après une dizaine d’années, lorsque je suis devenue maman, j’ai souhaité me recentrer sur un poste en entreprise. C’est à ce moment que je suis arrivée chez Catawiki, la plus grande plateforme d’enchères en ligne. Fin 2023, une nouvelle opportunité s’est présentée chez Puilaetco, chez qui ils recherchaient un Art Advisor. Cela tombait à point nommé.
En quoi consiste votre mission de conseillère en art au sein d’une banque privée ?
Puilaetco, en plus d’être une banque privée, possède elle-même une collection d’art. Le service auquel j’ai été rattachée existe depuis plus de 10 ans, mais il avait besoin d’être revitalisé, ce que j’ai entrepris. Mon travail repose sur trois axes principaux. Le premier, et le plus important, est la gestion des collections : de l’achat à la vente, en passant par l’assurance, la conservation, et ce jusqu’à la transmission. J’ai développé une gamme de services pour répondre à chaque étape de ce processus. Le deuxième axe est orienté vers le networking et l’organisation d’événements. Enfin, le troisième concerne la gestion et le développement de la collection d’art de la banque et du groupe Quintet auquel elle appartient.
Comment accompagnez-vous les clients dans leurs acquisitions d’œuvres d’art ?
Accompagner est vraiment le mot juste. Mon rôle est de faire le lien entre le client et des experts de confiance, qu’ils soient internes ou externes. Je les accompagne en fonction de leurs besoins, de leur profil, et du stade de développement de leur collection. Une collection d’art passe par plusieurs phases : avant l’achat, pendant la période où l’œuvre fait partie de la collection (gestion, stockage, conservation, prêt en musée, etc.), et enfin, la phase de transmission ou de revente. Bien entendu, mes clients peuvent également me poser des questions ponctuelles, à n’importe quel moment.
L’art peut-il être considéré comme un actif financier comparable à d’autres investissements traditionnels ?
L’art est effectivement un actif, puisqu’il immobilise du capital. Toutefois, je préfère éviter de parler d’investissement pur. C’est avant tout un investissement passionnel. Cela demande de la curiosité, du suivi, et un réel engagement. C’est bien plus qu’une question d’argent : soutenir un artiste, se plonger dans un univers créatif, profiter d’une œuvre chaque jour… J’aime dire à mes clients : choisissez avec votre cœur, mais achetez avec votre tête. Je peux les orienter dans leurs choix, mais l’art reste une affaire d’émotion, profondément personnelle.
Les Belges sont-ils particulièrement attachés à l’acquisition d’œuvres d’art ?
Absolument. Le Belge est connu pour avoir la « brique dans le ventre », mais il est aussi un collectionneur passionné. Dès le 17e siècle, les cabinets de curiosités apparaissaient à Anvers et ailleurs en Belgique. On dit même que la Belgique et Taïwan possèdent le plus haut pourcentage de collectionneurs d’art par habitant. Outre ce côté collectionneur, il y a une dimension artistique forte : depuis des siècles, la Belgique est reconnue pour son rayonnement artistique à l’international.
Quels conseils donneriez-vous à un collectionneur débutant qui souhaite investir dans l’art ?
Le marché de l’art étant complexe et souvent difficile à naviguer, il est donc essentiel de bien s’entourer. La première étape est de définir un budget clair, pour savoir quelle somme on est prêt à investir. Ensuite, il faut explorer et affiner ses goûts, ce qui n’est pas toujours évident étant donné la diversité de l’offre. Je recommande de se construire un réseau de confiance : suivre des gale- ries, des artistes et d’autres collectionneurs, visiter des expositions, et surtout prendre le temps d’éduquer son regard. Une fois que l’on a trouvé un artiste dans lequel on souhaite investir, il est crucial de ne pas tout miser sur lui : il faut diversifier ses achats, tant en termes d’artistes que de médiums. Comme en finance, il ne faut pas mettre tous ses œufs dans le même panier.
Quelles sont, selon vous, les grandes tendances actuelles du marché de l’art ?
Les artistes émergents et l’art contemporain continuent d’être très prisés. Les résultats des enchères ont explosé pendant la période du Covid, mais ils connaissent aujourd’hui un léger ralentissement. Les antiquités et les tableaux anciens sont particulièrement impactés. En revanche, on assiste à un intérêt croissant pour les artistes femmes, qui bénéficient désormais d’expositions dédiées dans les musées, ainsi que pour les artistes issus d’autres cultures, notamment africaines. Une autre tendance intéressante à suivre est celle de la céramique, un art qui mêle tradition et modernité, et qui est en plein essor.
Baptiste Cuvelier - à la croisée des époques et des univers
Baptiste Cuvelier
A la croisée des époques et des univers
Mots : Barbara Wesoly
Photos : Baptiste Cuvelier
On pourrait croire certaines de ses photographies issues d’un autre siècle, ayant figé des jours depuis longtemps révolus. Tout comme on en perçoit dans d’autres des instants vibrants, vivants, semblant tout juste saisis. Alternant noir et blanc et couleurs profondes, navigant entre l’argentique et le digital, Baptiste Cuvelier magnifie l’arrêt sur image.
Vos photos paraissent jouer à pile ou face. Pile, des véhicules rétro qu’on croirait sortis d’un film d’époque. Face, des images de chevaux fougueux et de parties de polo. Révèlent-elles une dualité en vous ? Plutôt deux parts de moi qui se côtoient. Je suis passionné par les voitures de collection et tout ce qui touche aux moteurs, pourvu que ce soit vintage. Quant aux chevaux, ils m’ont accompagné toute mon existence. Je n’aurais donc pu trouver meilleurs modèles. Je suis cavalier professionnel et j’ai pratiqué très longtemps avant de lancer une société de rénovation de maisons. Aujourd’hui, je reviens à ces premières amours, puisque ma compagne et moi avons racheté une fermette avec une écurie, pour y travailler ensemble.
Vous capturez également des paysages et animaux à la beauté indomptée. Est-ce la photo qui vous a amené à la nature ou l’inverse ? J’ai eu la chance de passer mon enfance à observer des chevreuils et des sangliers. Notre maison donnait sur la forêt et les champs et après l’école, j’enfilais mes bottes et partais en courant jouer dans les bois. En grandissant, j’ai commencé à voyager en mode baroudeur, fasciné par les animaux sauvages, je les immortalisais avec mon téléphone. Puis un jour, il m’est venu l’idée d’emmener un vrai appareil. Je me suis alors formé progressivement en autodidacte. J’ai d’abord photographié des renardeaux, puis des ours, des baleines, des meutes de loups. Et cet hiver, j’ai prévu d’aller en Bosnie-Herzégovine à la rencontre de chevaux des montagnes.
Capturer ce type de clichés demande-t-il de mettre le monde en pause ? Oui, totalement. Je n’ai jamais voulu aller me poster dans des affûts, où l’on appâte les animaux pour saisir l’instant parfait. Ce qui me plaît, c’est de me fondre en toute discrétion et en solitaire dans leur environnement. J’ai ainsi déjà dormi en forêt pour ne pas quitter un spot, patienté des heures jusqu’à me faire oublier et obtenir deux minutes d’une lumière unique. Je suis parti en Norvège pour photographier des bœufs musqués, avant de devoir rebrousser chemin sous moins 40 degrés. Les souvenirs qui en ressortent sont d’une intensité rare.
Vos images sont empreintes d’une atmosphère vintage et vous en photographier une bonne part en argentique. Êtes-vous au fond un nostalgique ? Ce qui m’importe c’est de capter le véritable caractère d’un moment. Lorsque j’immortalise du sport mécanique avec des ancêtres, cet effet rétro me permet de les replacer dans leur époque. J’aime le grain de l’argentique, notamment en noir et blanc mais aussi ses tonalités pastel, un peu passées. Et même lorsque je photographie en numérique, je refuse d’accumuler des centaines de clichés. J’analyse longuement avant de presser sur le déclencheur. Je suis ainsi revenu de Suède avec seulement 5 clichés. Pour moi, c’est la rareté et l’attente qui donnent aux photos toute leur valeur.
Vous avez rejoint le catalogue des cadres photos digitaux IONNYK, pionnier belge. Une façon de proposer un autre biais esthétique pour votre travail ? La qualité en est absolument incroyable et je suis honoré de prendre part à cette collection d’artistes prestigieux. C’est aussi l’occasion de voir mes photos voyager et de concevoir d’autres formes de projets, puisque je propose désormais aux possesseurs de voitures de collection ayant un modèle IONNYK, une journée de shooting dédiée, dont ils pourront conserver le résultat unique sur leur cadre. Pour moi qui n’aime rien tant que les récits qui se rattachent aux photos, c’est une expérience exceptionnelle.
Instagram @baptiste.cuvelier
www.ionnyk.com
Astrid Whettnall - « J’ai échappé aux rôles clichés de ‘mère de’ ou ‘femme de’ » …
Astrid Whettnall
« J’ai échappé aux rôles clichés de ‘mère de’ ou ‘femme de’ » …
Mots : Servane Calmant
Photo : Sylvia Galmot
Saluée pour sa récente performance dans la mini-série « De Grâce », tragédie familiale ancrée dans le monde des dockers, la pertinente Astrid Whettnall sera à l’affiche d’une nouvelle série-événement, «Winter Palace», épopée du premier palace en montagne diffusée sur Netflix cet hiver. Papote avec une actrice belge inclassable.
Winter Palace, cette série télévisée suisse ambitieuse sera diffusée prochainement sur Netflix. Quel est son pitch ? Nous sommes en 1899, André Morel, jeune hôtelier visionnaire, rêve de créer le tout premier palace alpin 5 étoiles d’hiver. Pour réussir ce pari fou, il s’allie à un aristocrate britannique… A l’heure où je vous parle, « Winter Palace » est en compétition au Festival de la fiction de la Rochelle. C’est donc une fresque très attendue, en effet. Elle est inspirée de faits réels et réalisée par Pierre Monnard (à qui l’on doit notam-ment la série « Hors-Saison » – nda). Les personnages qui peuplent l’hôtel affichent tous un profil très différent, ce qui permet à « Winter Palace » d’offrir aux spectateurs une analyse sociologique pertinente des différentes strates sociales… Pour ma part, je joue une aristocrate autrichienne qui se prend pour une grande artiste internationale. C’est un personnage extravagant dans une série-chorale divertissante qui mêle avec brio ambition, amour, féminisme aussi, et une touche d’intrigue policière. Le tout tourné dans des pala-ces historiques de Montreux, en costumes d’époque. Cet hiver, préparez-vous à être ébloui.e…
Le luxe des palaces vous fait-il rêver ? Honnêtement, non. Je suis plutôt « roots », mais j’ai adoré tourner dans le cadre enchanteur des Alpes suisses.
Vous jonglez entre ciné et télé. Prochainement, vous serez à l’affiche de « Ma mère, Dieu et Sylvie Vartan », un long-métrage de Ken Scott, et vous venez d’achever le tournage de la série « La rebelle, les aventures de la jeune Georges Sand ». On dit qu’un film serait l’œuvre d’un cinéaste ; une série, le fruit d’un scénariste. Qu’en pensez-vous ? Les règles ont bien changé avec l’essor des plateformes comme Netflix ou Amazon Prime Video. Aujourd’hui, on parle volontiers de séries d’auteur/d’autrice. J’ai récemment tourné dans des séries comme « Baron noir » ou « De Grâce » où le scénario est excellent et où l’univers visuel est également très marqué. Mais c’est vrai que pour tenir une série sur plusieurs saisons, il faut un « page turner », des rebondissements captivants, sans quoi…
Le principal atout du format série pour un acteur/actrice ? Le luxe de pouvoir développer un personnage dans le temps et de l’emmener dans mille et une aventures …
Est-il aisé de passer d’un format à l’autre ou est-on vite catalogué ? Heureusement, j’ai commencé par le cinéma. Plus sérieusement, aujourd’hui, la frontière entre cinéma et télévision est ténue, pour peu évidemment que l’acteur/actrice fasse les bons choix. J’ai eu la chance de jouer tellement de rôles différents, qu’on arrive difficilement à me cataloguer.
Votre Magritte pour « La route d’Istanbul » de Rachid Bouchareb (où Astrid joue le rôle d’une mère qui part au Moyen-Orient à la recherche de sa fille radicalisée) a-t-il changé votre carrière ? C’est toujours difficile de mesurer l’impact d’un prix. Une certitude : le Magritte apporte un coup de projecteur sur le film lauréat et ses interprètes. C’est aussi un gage de confiance pour un producteur, notamment international.
En France, à peine 6 % des actrices de plus de 50 ans décrochent des rôles. Que vous inspire ce constat ? C’est un constat alarmant mais pas surprenant. Ce phénomène de déclassement touche aussi les productrices, les réalisatrices, les techniciennes, et plus largement les femmes en entreprise. Mais je suis convaincue que quand la vieille garde sera partie, la nouvelle génération saura déconstruire cette discrimination. Elle a déjà commencé.
Vous semblez plutôt épargnée par ce déclassement … C’est vrai ! J’ai débuté ma carrière cinématographique vers 40 ans, donc le petit milieu du cinéma n’a pas eu le temps de me voir vieillir… (rires). Paradoxalement, on me propose aujourd’hui des rôles plus intéressants et variés qu’à mes débuts. Grâce à des réalisateurs comme Rachid Bouchared et Vincent Lannoo qui m’ont offert des personnages forts, j’ai échappé aux rôles clichés de « mère de » ou « femme de ». La nouvelle génération réalise des films sur la société d’aujourd’hui, expurgée des valeurs patriarcales. Tant mieux pour nous, les actrices et les femmes.
Qu’avez-vous découvert sur vous-même grâce à vos rôles ? Chaque rôle m’offre un nouveau regard, une nouvelle perspective sur le monde. J’ai une seule vie, mais avec le cinéma, j’en vis des centaines par procuration.
Un réalisateur belge avec lequel vous rêveriez de travailler ? Ils sont nombreux ! Lukas Dhont, Bouli Lanners, Delphine Girard, sans distinction nord-sud. J’adore le cinéma belge. Il est à l’image de notre pays, honnête, authentique, sincère, jamais pompeux, et résolument ouvert sur le monde.
Salomé Dewaels - « L’éclectisme, j’y tiens, il me nourrit »
Salomé Dewaels
« L’éclectisme, j’y tiens, il me nourrit »
Mots : Servane Calmant
Photo : Sarah Salazar
Révélée par «Illusions perdues» de Xavier Giannoli, Salomé Dewaels s’invite sur nos petits écrans avec «Ça, c’est Paris !», nouvelle série de Dominique Besnehard, l’homme derrière «Dix pour cent». L’actu de l’actrice bruxelloise de 27 ans se bouscule également sur grand écran. Rencontre avec une jeune femme qui a le vent en poupe.
Salomé Dewaels monte sur les planches dès 8 ans, en voyant jouer ses sœurs. C’est pourtant à l’écran (le petit et le grand) qu’elle se fait un nom. A 25 ans, elle multiplie les collaborations, séduit le public et la critique avec son interprétation dans la mini-série franco-belge, «L’Absente» de Karim Ouaret, et dans «Illusions perdues» de Xavier Giannoli qui lui vaut une nomination aux César et aux Magritte, dans la catégorie Meilleur espoir féminin. C’était en 2022. Depuis, le Meilleur espoir a encore fait du chemin…
Du haut de vos 27 printemps, vous avez déjà donné la réplique à Cécile de France, Sara Forestier, Mathilde Seigner, François Damiens, Gérard Depardieu, Bouli Lanners, Vincent Lacoste, Xavier Dolan, Sergi Lopez, Albert Dupontel … Avez-vous la sensation que tout va très vite ? Trop vite ? Ou que vous tenez un bon rythme de croisière ? Je tiens le bon rythme. Mon succès actuel est le fruit d’années de travail. J’ai commencé à 14 ans en poussant la porte du court-métrage et aujourd’hui, il est vrai, je joue avec des actrices et acteurs que j’admire. Derrière cette réussite, se cachent également des castings qui n’ont pas marché et, heureusement, beaucoup de belles rencontres…
Le jeu (théâtral et cinématographique) vaut-il la chandelle ? Oh oui, c’est un métier de passions et vivre de sa passion est un énorme privilège. C’est sur un plateau de cinéma que je me sens le plus épanouie. Evidemment, il y a des hauts et des bas.
Quels sont-ils ces moments merveilleux ? Quand le film est terminé et que l’équipe va à la rencontre du public, lors d’une avant-première ou d’un festival. Etre à l’écoute du ressenti des gens, de leurs émotions, rebooste énormément quand je suis traversée par toutes sortes de doutes.
Pourquoi doutez-vous parfois ? Quand je reçois moins de propositions, je me demande si le cinéma veut encore de moi. Ce ne sont pas des moments très joyeux.
Etes-vous une bosseuse ou une actrice instinctive, voire un peu des deux ? Les deux. J’aborde mes rôles avec beaucoup de spontanéité mais je bosse énormément aussi, c’est dans mon tempérament.
Vous avez toujours revendiqué votre attachement à la Belgique. Mais combien de fois prenez-vous le TGV pour Paris par semaine ? Une fois par semaine, en moyenne, pour des rendez-vous et des castings. Au début de ma carrière, j’ai travaillé avec des réalisateurs belges, puis les bonnes opportunités sont venues de France … Mais je reste une actrice belge qui travaille à Paris, et c’est plutôt un atout. Souvent j’entends : «les Belges sont trop sympas» ou «Les meilleur(e)s acteurs/trices français(es) sont des Belges» … Cela me fait rire, car il fut une époque où le Belge était le sujet favori des blagues françaises… Désormais, le talent des Belges est reconnu. Et, par contrecoup, quand un Belge connaît le succès en France, il réussit alors en Belgique…
A Bruxelles, vous reconnaît-on dans la rue ? Pas forcément. Mais je ne boude pas mon plaisir à être complimentée pour tel ou tel rôle lors des festivals…
En décembre prochain, vous vous invitez dans notre petit écran (sur La Une-RTBF puis sur France 2) avec «Ça, c’est Paris !», la nouvelle série produite par Besnehard («Dix pour cent»). Dites-moi tout. C’est une fiction sur le monde du cabaret. Gaspard – Alex Lutz, le rôle principal – a hérité d’un cabaret mythique et flamboyant mais il n’a pas réussi à perpétuer la notoriété de l’établissement. Un nouvel investisseur entre en jeu… Il s’agit d’un récit choral où, à l’instar de «Dix pour cent», tous les personnages s’entrecroisent et sont importants. J’incarne une jeune danseuse belge de revue. C’est un rôle qui a demandé une énorme préparation physique, de la danse, du sport.
Le scénario est-il aussi piquant que celui de «Dix pour cent» ? Oh oui, la série est truffée de situations incongrues et portée par des personnages excentriques et par des guest-stars qui jouent leur propre rôle, notamment Monica Bellucci. Le scénario se révèle drôle et touchant à la fois, car il porte un véritable regard sur notre société.
Quelle est le reste de votre actu ? Je fais le grand écart, car je n’ai nullement l’intention de me cantonner à un seul registre cinématographique. Donc après «Ça, c’est Paris !», j’ai accepté avec enthousiasme des projets fort différents : «Une fille sans histoire» un drame d’auteur émouvant de Nicolas Keitel avec Cécile de France. Ensuite, il y aura «Nino» de Pauline Loques et le rôle principal dans un film d’époque, «l’Ile de la Demoiselle» de Micha Wald.