Myriam Leroy
« La honte et le déshonneur sont très volatils »
Mots : : Jason Vanherrewegge
Photo : Romain Garcin
Dans sa nouvelle pièce de théâtre « Cellule de crise », comédie sur fond de thriller politique née sur les braises d’une hypothétique cancel culture, la dramaturge Myriam Leroy nous offre un huis clos aussi drôle que grinçant dans lequel un homme vivant dans la terreur de tout perdre et d’être annihilé suite à un scandale potentiel de harcèlement sexuel au sein de son ministère a une heure pour écrire un communiqué de presse.
Vous avez tenu à le préciser d’entrée de jeu : nous sommes loin du théâtre à message pour votre nouvelle pièce. Je déteste le premier degré. Il n’est pas interdit que ça me joue parfois des tours d’ailleurs. Ici, il n’y a pas un personnage qui est particulièrement plus moral que les autres. Il y en a un qui se présente comme tel mais on se rend compte au fur et à mesure que chacun est humain et a peut-être quelque chose à défendre qui ne serait pas forcément de l’ordre de la vertu. C’est clairement un spectacle politique sur les dominations, notamment sexistes, mais il n’y a pas un immonde prédateur et de formidables angelots qui sont là pour défendre une idée de justice pure et universelle.
Les spectateurs, même s’ils seront mis parfois dans l’inconfort, vont pouvoir rire. Les personnages qui ne sont pas très conscients de ce qu’ils sont, c’est toujours drôle. Même si les sujets abordés sont plutôt durs, grinçants ou éruptifs. Les personnages ont des morceaux de bravoure à défendre et c’est là aussi que se niche la comédie.
L’ironie est-elle la meilleure manière de dénoncer et de conscientiser sur ce genre de problématique ? À part dans les essais, qui ne touchent généralement qu’un public déjà convaincu, le premier degré n’est pas toujours une bonne solution. Ça peut avoir tendance à braquer les gens, les pousser dans l’idée qu’ils sont jugés pour des comportements qui ne seraient pas conformes à la norme. Je préfère y aller par des chemins détournés.
Vous y voyez une forme de vulgarisation ? Dans les faits, il y a une forme de vulgarisation dans le spectacle. Il y a trois personnages et chacun incarne un archétype contemporain très marqué. Il y a l’homme de pouvoir, la féministe énervée et la femme anti-féministe. Ce sont des archétypes qui sont partout dans l’espace public, notamment sur les réseaux sociaux. En parallèle, il y a pas mal de personnes qui vont passer complètement à côté de ce que je raconte parce que c’est avant tout un théâtre à texte avec des relations humaines. Finalement, je ne pense pas que ce soit de la vulgarisation mais davantage de la mise en situation de concepts dont on parle beaucoup.
Cinq ans après le début de l’écriture de votre pièce, la réalité ne semble pas avoir tant changé que cela. On a surtout fait beaucoup de retours en arrière idéologiques et sociétaux. Le conservatisme est vraiment revenu en force avec des paroles virulemment anti-féministes et anti-progressistes. Cela a conduit d’ailleurs à modifier une partie du spectacle. On pouvait envisager à l’époque de voir quelqu’un accusé d’inconduite sexiste et sexuelle vraiment vivre dans la terreur de tout perdre mais ce n’est plus le cas aujourd’hui. La réélection de Donald Trump aux États-Unis, alors qu’il venait d’être condamné, en est la preuve éclatante. La honte et le déshonneur sont très volatils.
Cela fera bientôt dix ans que vous avez écrit votre première pièce « Cherche l’amour ». Que vous apporte de plus le théâtre par rapport à vos débuts dans le journalisme ? La coopération avec des comédiens, une metteuse en scène, le fait d’être tous tendus vers un même but, une même envie… Ça a été une découverte assez fondamentale par rapport au journalisme qui est un exercice solitaire. Ça m’a aussi convaincue que la fiction pouvait être un vecteur de restitution du réel parfois plus fin que la simple restitution par les médias traditionnels. Tout simplement parce qu’on a plus le temps. Dans des temps d’une telle cacophonie comme aujourd’hui, la fiction permet de raconter clairement les choses.
La transmission est quelque chose d’important pour vous qui avez débattu à plusieurs reprises avec des adolescents dans les écoles. Pensez-vous que les mentalités ont évolué au fur et à mesure des années depuis la sortie de votre roman « Les Yeux rouges » (2019) et de votre film documentaire « #SalePute » (2021) ? Il y a toute une partie de la jeunesse qui tend vers plus de progressisme, qui a des idéaux d’égalité très marqués, et en même temps une partie qui est très réfractaire à cela. Beaucoup de jeunes filles sont très militantes, lisent énormément de bouquins et elles cohabitent souvent avec des jeunes garçons qui sont biberonnés à des contenus masculinistes. Avec les années, je remarque que les positions sont de plus en plus polarisées. D’autre part, il faut quand même se réjouir qu’il y ait toute une partie de la population qui soit extrêmement éclairée. Cela n’existait pas il y a dix ans.
Cellule de crise au Théâtre de la Toison d’Or du 16 octobre au 29 novembre 2025

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