Frédéric Ernotte
« J’aime surprendre et captiver là où on ne m’attend pas »
Mots : Barbara Wesoly
Photo : Christophe Wautelet
A la noirceur de ses romans, Frédéric Ernotte oppose un enthousiasme lumineux et une écriture qui se fait le terrain de jeu des dilemmes et des voltes-face les plus ingénieuses. Dans « Le malheur des uns », son captivant dernier thriller, il imagine ainsi une agence confidentielle auprès de laquelle tout un chacun peut commanditer sa vengeance, au risque d’amorcer un glaçant dérapage incontrôlé.
Dans « Le malheur des uns », l’on contacte l’équipe de Schadenfreude, afin de prendre sa revanche sur un proche ou une connaissance, sans se salir les mains. A titre personnel, auriez-vous le fantasme de faire appel à un tel organisme ? Plutôt de le créer ! J’ai un jour découvert par hasard la Schadenfreude, ce terme allemand, qui se définit comme : « la joie que l’on ressent face au malheur d’autrui » et il m’a fasciné. Il résumait à merveille cette forme malsaine de plaisir que l’on a tous un jour ressenti à voir le destin égratigner une personne qui nous avait blessé. Et je trouvais passionnante l’idée de rendre ce principe voulu, prémédité et organisé.
Permettre aux victimes de devenir à leur tour bourreaux est le leitmotiv de Schadenfreude. Une expression de toute-puissance qui prend pourtant la forme de petites mesquineries ou d’opérations insolites. La vengeance devait-elle être douce pour être d’autant plus réaliste ? Il est bien plus fréquent d’en vouloir à son patron d’avoir refusé une augmentation ou à son voisin dont le chien aboie toutes les nuits, que de croiser un tueur en série. Les représailles devaient donc sembler inoffensives ou drôles pour se révéler plausibles et dès lors vraiment effrayantes. Remplacer un coup de couteau par un café macchiato qui vous tombe dessus peut prêter à sourire. Mais lorsque l’acte se répète au quotidien, sans que l’on sache d’où, de qui et quand il viendra, cela devient une forme de violence psychologique aussi subtile que cruelle. On peut, à première vue, y voir des scénarios cocasses, jusqu’à s’imaginer en proie plutôt qu’en bourreau et se savoir dans un viseur invisible. Au fond, même si j’ai écrit des récits bien plus sanglants, celui-ci par sa mesquinerie humaine est peut-être le plus noir de tous.
Vos personnages oscillent sans cesse entre actes illégaux et principes moraux, double vie et syndrome de justicier. Le mensonge est-il finalement le véritable héros de cette histoire ? C’est en effet l’élément central du livre. Et surtout, à mesure qu’il s’étoffe, il force à jongler entre les réalités. Tous les protagonistes ont un secret, le conserver tourne à l’obsession, jusqu’à prendre les décisions les plus extrêmes. Et puis, tout y est subjectif, à commencer par l’injustice et par le désir de rétablir un pseudo-équilibre. Mon souhait était que tout au long des pages, l’on se demande ce qui à nos yeux fait pencher la balance entre la légitimité et l’inacceptable.
« Le malheur des uns » est votre quatrième ouvrage, 13 ans après « C’est dans la boîte », qui marquait vos premiers pas d’auteur. Vous étiez-vous toujours imaginé romancier ? Absolument pas. J’ai écrit mon premier livre en réponse à un pari avec l’un de mes professeurs d’université, alors que j’étudiais le journalisme. Après lui avoir rendu une nouvelle, il m’a mis au défi de m’attaquer à un roman. Je ne sais pas pourquoi j’ai dit oui, sans doute par goût du challenge. Cinq ans plus tard sortait « C’est dans la boîte », qui s’est écoulé à des milliers d’exemplaires et s’est retrouvé en tête des ventes. C’était tellement improbable. Mais j’y ai découvert un immense plaisir à raconter des histoires et d’autant plus lorsqu’il s’agit de brouiller les cartes. J’aime être là où on ne m’attend pas.
On vous qualifie d’ailleurs souvent de barman littéraire, pour votre capacité à mixer les genres, en un cocktail captivant. Quels en sont les ingrédients ? La curiosité, qui m’amène à me poser constamment mille questions sur le monde et puis un côté espiègle, empreint d’humour noir. J’aime aussi travailler par couches successives, imaginer ce qui se cache sous la surface, jouer de ces réalités multiples. Et laisser une part de mystère pour permettre à chacun de s’approprier les lieux et les personnages et de les rendre ainsi d’autant plus vrais.
Un nouveau projet est-il déjà sur les rails ? Pas encore. Je suis un peu comme une voiture dont on remplit le réservoir pour écrire et qui a besoin de temps pour se recharger une fois le livre achevé. Et puis pour promouvoir « Le malheur des uns », j’ai entamé ce que j’appelle une « tournée improbable ». Des évènements insolites qui permettront d’échanger autrement autour du roman. Le premier a pris la forme d’une table d’hôte avec un caviste et un chef, où l’on pouvait venir bien manger et parler littérature. Je pense aussi à une rencontre et un séjour dans une maison d’hôtes Namur. Et puis un mini-golf ou une descente de la Lesse, je ne place aucune limite. Pour peu que ce soit surprenant et à contre-courant.
J’écris des thrillers, mais j’aspire à créer un maximum de souvenirs lumineux avec ceux qui m’accompagnent. Et quand mes batteries seront à nouveau pleines, je reviendrai vous jouer de mauvais tours.
Le malheur des uns de Frédéric Ernotte, Editions Phénix Noir.

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