Les explorations exaltantes d’ISABELLE WÉRY
MOTS : BARBARA WESOLY
PHOTO : LAETITIA BICA
Elle se joue des étiquettes, baladant sa fantaisie au gré des planches comme des écrits, parmi lesquels Rouge Western, son dernier roman. Si Isabelle Wéry n’aime rien plus que les récits qui emportent vers des ailleurs entre réalité et imaginaire, elle est aussi une voyageuse exaltée par sa découverte du monde.
Tout comme votre dernier livre, Rouge Western, cette interview revêt elle aussi une dose de surréalisme, puisque vous vous trouvez actuellement à l’endroit même de son intrigue, dans la province d’Almería, en Espagne. En effet, la fiction rejoint la réalité ! J’ai un amour fou pour ce lieu, où j’ai atterri pour la première fois en 2015, lors d’une résidence d’écriture. Une terre très étrange, encore bercée par le passage des Romains et des Phéniciens, il y a des milliers d’années. Et étonnante à explorer, notamment le désert de Tabernas où de très nombreux films ont été tournés et dont les paysages sont hantés par le cinéma. Une histoire culturelle très riche, qui me passionne tant qu’elle risque d’être aussi le cadre d’un second ouvrage.
Dans ce roman, on suit le périple de Vanina, en Andalousie. Une dame âgée, mordante, attendrissante et un brin excentrique. Une sorte d’al- ter ego ou au contraire tout droit sortie de votre imagination ? Elle est un concentré de femmes que j’ai observées dans ma vie personnelle et mon métier. Il s’agissait de créer une figure fantastique, sorte de sage parmi les sages, âgée de mille ans mais toujours aussi curieuse de l’existence. Je trouve le passage du temps fascinant. J’ai cinquante-trois ans et quelle richesse d’avoir derrière moi toutes ces aventures et expériences passées. C’est pourtant une période de la vie dont on a tendance à peu parler, surtout en matière de féminité et c’est l’un des thèmes prégnants de Rouge Western. J’ai grandi dans un milieu patriarcal et j’ai été en guerre contre ces inégalités depuis l’enfance. Jouer Les Monologues du Vagin d’Eve Ensler au théâtre a aussi représenté une véritable prise de conscience vis-à-vis ma propre histoire mais aussi à la vision que la société à du corps de la femme et au harcèlement et au sexisme que subissons trop souvent. J’ai voulu aborder ces questions difficiles en les mêlant à un univers solaire et léger, aux intrigues rappelant un western hollywoodien.
Ce séjour, organisé pour le grand anniversaire de Vanina se transforme en effet rapidement en périple initiatique, aux airs de vendetta. Quel est votre propre rapport au voyage, vous qui avez aussi publié Selfie de Chine, racontant vos quelques mois sur place ? Lorsque j’étais petite, nous logions un appartement dans le sud de l’Espagne. Lors de ces vacances, je côtoyais des enfants venant de nombreux pays et cela m’a donné le goût du voyage et le rêve de le vivre via mon métier. J’ai eu la chance de faire de nombreuses tournées théâtrales dans le monde et avoir gagné le prix de littérature de l’Union européenne en 2013 m’a permis de découvrir la Chine, les pays de l’Est et nombres de régions peu touristiques. C’est pour moi un puissant moteur de créativité.
De nouveaux voyages font-ils partie de vos projets pour les mois à venir ? En effet, je prépare pour le prochain Festival international de la littérature de Montréal une performance à partir de Rouge Western. Elle revêtira la forme d’une “sieste sonore”, créée avec la musicienne Sarah Espour et avec pour décor des œuvres du plasticien Marcel Berlanger. Il s’agira d’un patchwork de sons, musiques et voix à partir d’une adaptation du texte, que je jouerai sur scène. Et je suis également invitée à la Foire internationale du livre de Guadalajara, au Mexique, l’une les plus importantes d’Amérique latine. J’y représenterai la Belgique, via l’Union Européenne. Ce sera aussi l’occasion de réaliser une résidence à Mexico. Encore un très beau terrain d’exploration.
Y a-t-il un ou une artiste tous azimuts, qui vous inspire particulièrement ? La chanteuse espagnole Rosalía. C’est une artiste et une performeuse à l’univers incroyable. De même que j’étais une grande fan de David Bowie, qui m’a énormément influencée par son andr gynie et son art de la transformation. En tant qu’artiste et créatrice, ce qui m’intéresse est d’architecturer des mondes qui vont surprendre l’imaginaire du lecteur ou du spectateur. Et ainsi de l’embarquer vers un cinéma intérieur.
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