La chaleur du minimalisme selon Nicolas Schuybroek
Mots : Agnès Zamboni
Photos : DR
Depuis 10 ans, cet architecte bruxellois développe une démarche où l’émotion et le sentiment de quiétude occupent le centre de ses projets. Dans un esprit d’œuvre totale, ses réalisations révèlent une recherche de perfection dans le travail des matières et le sens du détail.
Quelle est votre vision de l’architecture ?
Il y a environ 20 ans, j’ai connu, dans mon parcours, un moment charnière, en découvrant Le Couvent de la Tourette, une œuvre en béton de style brutaliste, réalisée par Le Corbusier, qui y avait aussi introduit tout l’art des couleurs primaires. Grâce à ce bâtiment, j’ai changé de perspective et rencontré la dimension humaine qui manque souvent à l’architecture contemporaine, en vivant une véritable expérience sensorielle. Une émotion semblable m’a traversé en découvrant le travail de Hans van der Laan, architecte et moine bénédictin originaire des Pays-Bas. En visitant ses architectures, j’ai ressenti un sentiment de quiétude, lié à la vie religieuse, que j’ai alors souhaité retranscrire dans mes propres réalisations. Et j’ai compris que le traitement particulier des espaces, des volumes et de la lumière, rehaussé par une palette restreinte de matériaux, caractéristique dans ce type de construction, peut se décliner en tous lieux.
Quelles sont les particularités de votre démarche ?
Dans une idée d’œuvre totale, j’intègre le bâtiment dans un contexte, un paysage, un jardin. Je dirige mon attention du plus grand au plus petit, travaillant à différentes échelles, dans une démarche linéaire. Aux matériaux dominants de l’architecture, j’associe généralement une sélection limitée de matériaux intérieurs (pierre, bois, enduits, métal) dont la richesse des textures et patines compense le nombre restreint. Avec ses matières, qui sont autant des matériaux de construction que d’architecture intérieure, je dessine un fil rouge, qui dès que l’on pousse la porte, installe un sentiment de calme et de sérénité. Les proportions sont essentielles dans cette démarche. La notion de proportion est très difficile à expliquer car elle ne se voit pas nécessairement mais participe à l’équilibre de l’ensemble d’un édifice. Chacun de mes projets est le fruit d’une architecture sur-mesure, façonnée comme une robe haute couture, prenant en considération le lieu et le site qui forment le canvas de base. A la façon de Victor Horta, Adolf Loos ou Josef Hoffmann, et sur le modèle du Palais Stoclet, je reviens toujours à cette notion d’œuvre totale. Il ne s’agit pas de développer une approche totalitaire mais d’aboutir à un travail extrêmement personnalisé et très étudié jusque dans les moindres détails.
Quelles sont vos influences et inspirations ?
Il n’y a pas que les architectes et l’architecture, mais aussi d’autres disciplines et mouvements artistiques comme le Constructivisme russe et notamment le peintre Malevitch, les artistes du Land Art
avec Hansjorg Vöth ou Michael Heizer, dans les années 1960, les artistes minimalistes tels Donald Judd. La danse contemporaine m’inspire aussi car elle offre souvent une puissance visuelle avec peu de moyens. Je pense notamment au chorégraphe Alexander Vantournhout qui développe la mécanique et la mathématique du corps, au travail de Peter Suter… Il y a également toutes les influences inconscientes qui agissent en vous et que l’on ne perçoit pas toujours.
Quelles matières aimez-vous travailler ?
La pierre, bien sûr, qui permet de créer un lien entre l’enveloppe du bâtiment, pour aller de l’extérieur à l’intérieur. Je recherche toujours des matières qui ont une profondeur, une âme, une patine, une qualité particulière pour capturer la lumière et qui font référence à l’architecture.
Entre design et architecture, quelle différence ?
Je ne fais justement pas de différence entre les projets. Pour moi, la démarche est identique, seule l’échelle change. Tout objet de design ou pièce de mobilier est une microarchitecture. La matière choisie induit la fonctionnalité.
Dans votre travail, quelles sont les étapes plus complexes ?
Aujourd’hui et depuis un an et demi, ce sont la gestion et la logistique des projets à l’étranger qui sont les plus difficiles à gérer. Les plans ne suffisent pas pour exprimer toute la délicatesse et la précision des détails, l’alignement des joints… Toute la philosophie de mon travail, que je dois transmettre au maître d’œuvre et aux entrepreneurs, réclame un dialogue que l’éloignement ne permet pas. Il n’est pas aisé de faire passer le degré élevé de la perfection, qui est proche de l’obsession, et que je souhaite atteindre dans mes projets.
La réalisation la plus importante de votre carrière ?
C’est toujours la dernière ou la prochaine… A l’agence, nous avons 16 voire 17 projets en route, dont un peu plus de la moitié sont localisés en Belgique. Immeuble atypique de logements à Anvers, maison linéaire de 60 m de long en Flandre, rénovation d’une maison des années 1950 à l’orée de la forêt de Soignes, maison musée pour abriter une collection d’art privé d’exception, nouvelle série d’objets pour la marque when objects work, un nouveau modèle cuisine pour la firme Obumex, des bureaux, une réalisation d’envergure dans un domaine de chasse, une maison privée dans les environs de Courtrai, une autre à Anvers. A l’étranger, la liste s’allonge ! L’ouvrage monographique, qui paraît fin octobre, représente aussi une étape importante. Avec un regard large, il montre mon approche globale où l’architecture, les intérieurs et l’ameublement sont conçus comme un tout, à travers une diversité de lieux, maisons, bureaux, hôtels, objets…
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