Salvatore Minni - Le maître du thriller addictif
Salvatore Minni
Le maître du thriller addictif
Mots : ariane Dufourny
Photo : Cécile Quantum
Avec « Emprises », son quatrième thriller, Salvatore Minni nous plonge dans l’enfer d’une relation toxique où chaque page resserre l’étau. Une descente glaçante au cœur de la manipulation, de la peur et de la survie. Salué par la critique pour son style percutant et la force de ses intrigues, il signe ici un thriller psychologique machiavélique, impossible à lâcher.
Si vous deviez décrire votre univers littéraire en trois mots, quels seraient-ils ? Psychologique, sombre et humain.
Vos romans incarnent pleinement l’essence du thriller psychologique. Quelles sont vos principales sources d’inspiration ? La vie ! Ça peut sembler cliché, mais c’est pourtant la réalité. J’observe ce qui m’entoure, j’écoute ce que les autres disent, et surtout, je m’écoute moi-même. Je me connais bien et je mets des mots sur ce que je ressens. Et je ressens beaucoup de choses.
Vos propres expériences ont-elles nourri vos histoires ? À une période, j’ai vécu une forme d’oppression. C’est ce qui a nourri mon premier roman, « Claustrations ». Il parle de l’enfermement parce que je me suis senti littéralement enfermé par les mauvaises nouvelles, les imprévus douloureux. Le choc émotionnel, on en connaît tous. C’est inévitable. Malheureusement, personne n’échappe aux épreuves de la vie. J’ai perdu mes parents en l’espace de neuf mois. Le drame de ma vie ! Dans mon esprit, neuf mois, c’est le temps d’une grossesse ; normalement annonciatrice d’une bonne nouvelle. Mais qui, pour ma sœur et moi, a marqué deux décès consécutifs. Le deuil m’a amené à écrire « Désobéissance ».
Pourquoi avez-vous choisi d’aborder l’emprise sous la forme d’un thriller ? L’emprise est bien plus présente qu’on ne le croit. Il suffit d’ouvrir les yeux, d’écou-ter autour de soi. On se rend compte que parmi nos proches parfois, quelque chose ne va pas. On perçoit un problème sans toujours pouvoir le nommer.
J’ai voulu exploiter ce thème à ma manière, en en faisant un thriller et non un pamphlet. Loin d’un simple récit sur la manipulation, j’ai pris un tournant que je pense inattendu. Car au final, dans « Emprises », on ne sait plus vraiment qui manipule qui…
Le confinement joue un rôle clé dans l’intrigue ? Qu’est-ce qui vous a poussé à choisir ce contexte ? L’absence de discussion sur l’impact psychologique du confinement m’a marquée. Les médias parlaient des morts, mais pas de ceux qui mouraient à petits feux, dans le silence, enfermés avec des proches violents. Cette réalité a été complètement occultée, ce qui m’a semblé inadmissible.
Dans vos thrillers, le danger ne vient pas d’un tueur en série, mais des relations humaines elles-mêmes. Qu’est-ce qui vous amène à explorer ces mécaniques psychologiques ? J’ai toujours été fasciné par la psychologie humaine, par ce qui motive vraiment les gens. À l’époque de mes études, j’ai hésité entre la psychologie et la traduction, avant d’opter pour cette dernière. Écrire des thrillers psychologiques, c’est une autre façon d’explorer l’esprit humain. J’aime comprendre : pourquoi dit-on certaines choses ? Que cherche-t-on réellement à exprimer ?
En 2022, vous relevez un nouveau défi : faire frissonner les plus jeunes avec « Mystère en Belgique », une série qui s’est enrichie en février, d’un sixième tome, « Panique au musée ». Qu’est-ce qui vous a donné envie d’écrire pour un public jeunesse après vos thrillers pour adultes ? Je ne me destinais pas à écrire pour la jeunesse, mais certaines opportunités tombent du ciel. La maison d’édition Auzou m’a remarqué et a contacté mon agent pour lancer une collection 100 % belge, une première du genre. Mon agent m’a proposé le projet. Surpris ! J’en ai alors parlé à ma nièce Lisa (comme l’héroïne), très proche de moi. Son enthousiasme m’a convaincu. J’ai ensuite envoyé un extrait pour tester mon style adapté aux enfants. Dans l’heure, l’éditrice m’a répondu : « On signe, je vous envoie le contrat. »
Que révèle l’écriture sur vous-même ? On dit souvent de moi que je suis quelqu’un de lumineux, solaire, toujours souriant. Et pourtant, comme tout le monde, j’ai une part d’ombre – peut-être plus sombre qu’il n’y paraît. L’écrire, c’est une manière de l’accepter, de l’expulser, et peut-être même de trouver un équilibre. J’ai l’impression que cela me permet de rester en phase avec l’homme que je suis : quelqu’un de joyeux, qui aime faire la fête… et un auteur qui a besoin d’explorer la noirceur humaine. Plonger dans ces mécaniques est captivant. On écrit ce qu’on aime lire. J’adore les thrillers, en livres comme en films. The Others est mon préféré. Côté lecture, j’ai beaucoup lu Dean Koontz, dont certains romans me semblent parfois supérieurs à ceux de Stephen King.
Écrire, c’est aussi une manière d’exorciser ses émotions, ses peurs, ses injustices. Au fond, on partage tous les mêmes angoisses, même si on les vit différemment.
Si l’un de vos livres était adapté à l’écran, lequel choisiriez-vous ? J’adorerais voir un de mes romans porté à l’écran, en série ou au cinéma. Ce dernier ou « Désobéissance » se prêterait particulièrement bien à la réalisation. Et je rêverais de voir « Mystère en Belgique » prendre vie en dessin animé !
Emprises de Salvatore Minni, Les Presses de la Cité
Youssef Swatt’s - « Ce n’est pas un aveu de faiblesse de parler de choses profondes»
Youssef Swatt’s
« Ce n’est pas un aveu de faiblesse de parler de choses profondes»
Mots : Jason Vanherrewegge
Photos : Pierre Daschier
Le rappeur tournaisien de 27 ans Youssef Swatt’s, de son vrai nom Youssef Reziki, est entré dans une nouvelle dimension à l’issue de sa victoire dans la troisième saison de l’émission « Nouvelle École » sur Netflix. Désormais installé à Paris, l’éducateur de formation continue de transmettre sa passion et clôt le chapitre de sa première vie dans l’EP « Chute Libre ».
De la perte de contrôle aux sensations fortes en passant par le déclin et le changement, le titre de votre dernier EP (le troisième après avoir sorti également trois albums) « Chute libre » peut laisser place à de multiples interprétations. Quelle est la vôtre ? C’est avant tout cette idée de saut dans le vide, de saut dans l’inconnu qui implique beaucoup de sensations fortes. Ça représente une parfaite métaphore de tout ce que j’ai pu vivre ces derniers mois. L’attente avant la diffusion de « Nouvelle École », le fait que ça sorte et que tout aille très vite. Ça peut à la fois faire peur et c’est en même temps beau à vivre. Pour l’anecdote, l’idée m’est venue quand je tournais le clip pour « Turbulences » dans lequel je saute en parachute. L’objectif était alors de rapper pendant la chute libre. C’est en rentrant de ce tournage que je me suis rendu compte que je voulais ce titre.
Dans « Turbulences », justement, vous évoquez le fait que vous êtes « peut-être sur terre pour dénoncer un tas de drames ». Votre volonté reste la même qu’à vos débuts il y a plus de dix ans, c’est-à-dire faire passer des messages ? C’est intrinsèque à la personne que je suis mais ce n’est pas une condition sine qua non de ma musique. Je n’ai pas de ligne éditoriale précise quand je me mets à écrire. Je le fais spontanément, à l’instinct, car il y a certaines causes qui me tiennent à cœur. Ce n’est toutefois pas une obligation et il y a d’ailleurs certaines chansons où je parle juste de moi ou d’autres choses.
Vous définissez votre style comme un « nouveau rap à l’ancienne », Qu’entendez-vous par là ? Beaucoup de gens me collent l’étiquette de rap à l’ancienne et cette appellation est venue d’un ami en studio qui a désigné mon style de la sorte. Ça me définit assez bien. Quand on écoute ma musique, on sent les influences d’un rap plutôt années 90-2000 dans la manière de poser, d’écrire ou encore dans la voix. Mais dans « Turbulences »,par exemple, on ramène des beats un peu bump up (des instrus énergiques, puissantes et qui donnent envie de bouger – nda). Il y a donc un mélange de sonorités modernes avec des propos un peu à l’ancienne.
Vous accomplissez un rêve sur cet EP en réalisant un featuring avec Youssoupha. Un artiste qui rappe depuis 1993, soit cinq ans avant votre naissance, comme il le rappelle sur « Demain tout ira mieux » et qui vous a surtout donné l’envie de faire ce métier. C’est assez incroyable ! Au-delà du rêve, c’est une rencontre humaine et pas seulement artistique. Nous sommes très connectés. On a passé beaucoup de temps sur le morceau et on a essayé beaucoup de choses. Je suis très content. C’est une jolie case cochée sur ma liste.
Vous avez croisé la route d’autres légendes de la scène dans l’émission avec Aya Nakamura, SDM ou SCH. En quoi vous ont-ils aidé pour la suite de votre carrière ? Ils m’ont tous les trois donné à peu près le même conseil pendant le tournage : « Tu viens de gagner mais la plus grosse épreuve c’est celle qui t’attend ». J’ai pris conscience que le succès ne devait pas être une zone de confort dans laquelle je me repose. J’ai encore beaucoup de choses à prouver.
Dans « L’ordre des choses », vous montrez à nouveau que votre musique est très personnelle en évoquant votre amour pour votre famille. En quoi l’éducation permet-elle de résister plus facilement aux dérives de la notoriété ? Il n’y a pas de formule secrète pour se prémunir même si l’éducation est l’un des remparts les plus solides. Il est essentiel de se sentir protégé par son entourage. J’ai eu six, sept mois pour me préparer à tout et ça a été vraiment le meilleur bouclier.
Votre mélancolie est tout particulièrement présente dans votre duo avec le virtuose Sofiane Pamart sur « Épilogue ». Cette forme de fragilité affirmée depuis le début de votre carrière n’est-elle pas une arme pour les autres rappeurs ? Je vois quelque chose de beau dans le fait de parler de sensibilité, de mélancolie, de nostalgie, de choses tristes…Il y a un côté très solide et, on en revient à l’éducation, ce n’est pas un aveu de faiblesse de parler de choses profondes.
Vous affirmez dans « Générique de fin » que l’EP n’est que la fin d’un chapitre. À quoi ressemblera le prochain ? J’ai envie de fermer la parenthèse de tout ce que j’ai pu vivre grâce notamment à « Nouvelle École » et aussi des douze dernières années où je me suis battu pour mon rêve. J’ai déjà fait plein de belles choses qui ont changé ma vie mais j’ai désormais envie de regarder vers l’avenir. J’ai de nouveaux projets, de nouvelles ambitions, comme l’écriture en ce moment d’un nouvel album.
Frédéric Ernotte - « J’aime surprendre et captiver là où on ne m’attend pas »
Frédéric Ernotte
« J’aime surprendre et captiver là où on ne m’attend pas »
Mots : Barbara Wesoly
Photo : Christophe Wautelet
A la noirceur de ses romans, Frédéric Ernotte oppose un enthousiasme lumineux et une écriture qui se fait le terrain de jeu des dilemmes et des voltes-face les plus ingénieuses. Dans « Le malheur des uns », son captivant dernier thriller, il imagine ainsi une agence confidentielle auprès de laquelle tout un chacun peut commanditer sa vengeance, au risque d’amorcer un glaçant dérapage incontrôlé.
Dans « Le malheur des uns », l’on contacte l’équipe de Schadenfreude, afin de prendre sa revanche sur un proche ou une connaissance, sans se salir les mains. A titre personnel, auriez-vous le fantasme de faire appel à un tel organisme ? Plutôt de le créer ! J’ai un jour découvert par hasard la Schadenfreude, ce terme allemand, qui se définit comme : « la joie que l’on ressent face au malheur d’autrui » et il m’a fasciné. Il résumait à merveille cette forme malsaine de plaisir que l’on a tous un jour ressenti à voir le destin égratigner une personne qui nous avait blessé. Et je trouvais passionnante l’idée de rendre ce principe voulu, prémédité et organisé.
Permettre aux victimes de devenir à leur tour bourreaux est le leitmotiv de Schadenfreude. Une expression de toute-puissance qui prend pourtant la forme de petites mesquineries ou d’opérations insolites. La vengeance devait-elle être douce pour être d’autant plus réaliste ? Il est bien plus fréquent d’en vouloir à son patron d’avoir refusé une augmentation ou à son voisin dont le chien aboie toutes les nuits, que de croiser un tueur en série. Les représailles devaient donc sembler inoffensives ou drôles pour se révéler plausibles et dès lors vraiment effrayantes. Remplacer un coup de couteau par un café macchiato qui vous tombe dessus peut prêter à sourire. Mais lorsque l’acte se répète au quotidien, sans que l’on sache d’où, de qui et quand il viendra, cela devient une forme de violence psychologique aussi subtile que cruelle. On peut, à première vue, y voir des scénarios cocasses, jusqu’à s’imaginer en proie plutôt qu’en bourreau et se savoir dans un viseur invisible. Au fond, même si j’ai écrit des récits bien plus sanglants, celui-ci par sa mesquinerie humaine est peut-être le plus noir de tous.
Vos personnages oscillent sans cesse entre actes illégaux et principes moraux, double vie et syndrome de justicier. Le mensonge est-il finalement le véritable héros de cette histoire ? C’est en effet l’élément central du livre. Et surtout, à mesure qu’il s’étoffe, il force à jongler entre les réalités. Tous les protagonistes ont un secret, le conserver tourne à l’obsession, jusqu’à prendre les décisions les plus extrêmes. Et puis, tout y est subjectif, à commencer par l’injustice et par le désir de rétablir un pseudo-équilibre. Mon souhait était que tout au long des pages, l’on se demande ce qui à nos yeux fait pencher la balance entre la légitimité et l’inacceptable.
« Le malheur des uns » est votre quatrième ouvrage, 13 ans après « C’est dans la boîte », qui marquait vos premiers pas d’auteur. Vous étiez-vous toujours imaginé romancier ? Absolument pas. J’ai écrit mon premier livre en réponse à un pari avec l’un de mes professeurs d’université, alors que j’étudiais le journalisme. Après lui avoir rendu une nouvelle, il m’a mis au défi de m’attaquer à un roman. Je ne sais pas pourquoi j’ai dit oui, sans doute par goût du challenge. Cinq ans plus tard sortait « C’est dans la boîte », qui s’est écoulé à des milliers d’exemplaires et s’est retrouvé en tête des ventes. C’était tellement improbable. Mais j’y ai découvert un immense plaisir à raconter des histoires et d’autant plus lorsqu’il s’agit de brouiller les cartes. J’aime être là où on ne m’attend pas.
On vous qualifie d’ailleurs souvent de barman littéraire, pour votre capacité à mixer les genres, en un cocktail captivant. Quels en sont les ingrédients ? La curiosité, qui m’amène à me poser constamment mille questions sur le monde et puis un côté espiègle, empreint d’humour noir. J’aime aussi travailler par couches successives, imaginer ce qui se cache sous la surface, jouer de ces réalités multiples. Et laisser une part de mystère pour permettre à chacun de s’approprier les lieux et les personnages et de les rendre ainsi d’autant plus vrais.
Un nouveau projet est-il déjà sur les rails ? Pas encore. Je suis un peu comme une voiture dont on remplit le réservoir pour écrire et qui a besoin de temps pour se recharger une fois le livre achevé. Et puis pour promouvoir « Le malheur des uns », j’ai entamé ce que j’appelle une « tournée improbable ». Des évènements insolites qui permettront d’échanger autrement autour du roman. Le premier a pris la forme d’une table d’hôte avec un caviste et un chef, où l’on pouvait venir bien manger et parler littérature. Je pense aussi à une rencontre et un séjour dans une maison d’hôtes Namur. Et puis un mini-golf ou une descente de la Lesse, je ne place aucune limite. Pour peu que ce soit surprenant et à contre-courant.
J’écris des thrillers, mais j’aspire à créer un maximum de souvenirs lumineux avec ceux qui m’accompagnent. Et quand mes batteries seront à nouveau pleines, je reviendrai vous jouer de mauvais tours.
Le malheur des uns de Frédéric Ernotte, Editions Phénix Noir.
Isabelle Bary - La grâce du doute
Isabelle Bary
La grâce du doute
Mots : Barbara Wesoly
Photo : Olivier Charlet
Qu’est-ce qui définit réellement, intimement, ceux que nous sommes ? Et comment délier notre identité de celle par laquelle le monde nous détermine ? Dans son nouvel ouvrage, « Le second printemps », Isabelle Bary questionne avec délicatesse les loyautés qui construisent les êtres et nous entraîne dans un voyage intérieur tendre et sensible.
Ce roman, le 9e, marque votre retour, 7 ans après « Les dix-sept valises ». Quel en a été le point de départ ? C’est la vie qui m’inspire, amène un sujet vers moi et me donne envie de le creuser. Pour « Le second printemps », il s’agissait des questionnements que traversaient les femmes de mon entourage et de l’ambivalence qu’entraîne le fait de vieillir au féminin, entre les injonctions à s’accepter et le diktat du jeunisme. Et puis, ils ont progressivement laissé place à une réflexion sur la liberté, dans sa globalité. Car, au fond, quand peut-on être véritablement libre ? Réellement soi et pas une vision modelée par la société ? C’est ainsi qu’en parallèle à Adèle, mon héroïne, qui à 52 ans se cherche vraiment pour la première fois, j’ai imaginé des compagnons de tous âges et origines, masculins comme féminins. J’ai la certitude que cette crise identitaire peut toucher chacun d’entre nous.
Cette histoire est en effet celle d’ébranlements intérieurs. D’Adèle, qui, en pleine cinquantaine, se confronte à la vision étriquée de l’âge dans laquelle on enferme les femmes. Mais aussi d’Emma, trentenaire qui tente de donner un sens à sa vision de la foi. Y avait-il une part de vous en chacune d’elles ? En tant qu’écrivain, on habite toujours ses personnages, mais pas forcément au sens littéral. Ce n’est pas un livre autobiographique, mais toutes les deux posent en effet le même regard sur le monde que le mien. Un regard qui interpelle et refuse les certitudes. Nous avons tous nos chaînes et nos loyautés. Pour moi, elles prennent la forme d’une méritocratie et d’une obligation de productivité, héritée de mon éducation. Mais si l’on retire ce que l’on m’a inculqué, qui suis-je ? Si l’on met de côté ces liens qui me rattachent aux autres, qui font de moi une enfant, puis une épouse, une mère, une travailleuse, avec un certain statut social et une origine, qu’est-ce que je souhaite vraiment ? Et qu’est-ce que le bonheur pour moi ? C’est ce chemin complexe qu’empruntent Adèle, Emma et ceux dont elles croisent la route.
Vos personnages marchent vers l’Espagne, réalisant un voyage initiatique à la rencontre d’eux-mêmes. Pourriez-vous entreprendre un périple comme le leur ? Je l’ai fait, mais contrairement à eux, mon voyage n’a duré qu’une semaine et non des mois, durant laquelle j’ai réalisé une étape du Chemin de Compostelle avec mon fils aîné. Pas dans un but religieux mais pour la marche en elle-même. Nous sommes toujours connectés à notre smartphone, à internet et aux réseaux. Sans cesse confrontés au bruit. Et c’est par une forme de silence que l’on peut aller chercher qui l’on est vraiment. En quittant ces rails du quotidien. C’est à la fois indispensable et terriblement difficile. Ralentir est devenu un acte militant. Et quand on chemine à pied, on a l’obligation d’écouter son rythme, sinon on s’essouffle. Il n’y a pas de distraction autre que la nature, le paysage, ceux qui nous entourent et soi surtout. C’est une émancipation incomparable.
Le voyage était déjà au cœur de votre premier récit, Globe Story. Il l’est à nouveau dans celui-ci. Résonne-t-il finalement dans tous vos ouvrages ? C’est certain, d’autant qu’il a été d’une certaine façon à l’origine de mon écriture. J’ai achevé très jeune des études d’ingénieure commerciale puis j’ai directement rejoint une agence de publicité. Mon compagnon, qui allait devenir mon mari, travaillait dans l’audit. Après trois ans, nous avons décidé de tout lâcher, d’aller à contre-courant de ce schéma qui veut que l’on trouve un emploi, que l’on s’installe et fonde une famille. Et sommes partis à l’aventure, pour un tour du monde d’un an, avec nos sacs sur le dos. C’était une expérience extraordinaire. Sur place, j’ai débuté un carnet de voyage littéraire, un rappel de ces cahiers de poésie que je tenais dans l’enfance. On est finalement revenus, à une vie plus rangée, un boulot et pour moi, à la création d’une société d’événementiel. Mais l’écriture continuait de m’accompagner et lorsque j’attendais mon premier enfant, j’ai décidé d’arrêter mon entreprise et un deuxième livre s’est imposé comme une évidence. Je n’ai plus jamais arrêté depuis.
Etes-vous déjà repartie sur le chemin d’un autre livre ? J’ai plusieurs histoires qui patientent dans des tiroirs. L’une d’elles notamment rend hommage aux hommes et parle de la difficulté qu’implique d’être dans leur peau. Plus que le sujet lui-même, ce qui m’anime c’est une réflexion à contre-courant. J’ai la certitude que le débat est ce qui nous enrichit. Je n’écris pas pour tenter de transmettre une vérité mais en espérant donner l’envie de douter.
Le second printemps d’Isabelle Bary, 180°Editions.
CHARLES - La double identité
CHARLES
La double identité
Mots : Jason Vanherrewegge
Photos : DR
Après le succès de son premier album « Until we meet again », l’auteure-compositrice-interprète Charlotte Foret, plus connue sous le pseudonyme CHARLES, bouscule ses propres codes avec un double EP intitulé « Sabotage » qui a pour particularité de contenir des morceaux entièrement déclinés en anglais et en français. Une œuvre introspective et percutante, toujours aussi ancrée dans l’univers dark pop, pour une artiste davantage éveillée sur la réalité de son monde.
Vous vous êtes longtemps refusée à chanter en français. Aujourd’hui, à 24 ans et après cinq ans dans le métier, la langue de Molière représente une nouvelle arme pour vous exprimer. Pourquoi avoir changé votre fusil d’épaule à ce moment-ci de votre carrière pour votre troisième projet ? J’étais jusqu’à présent matrixée par la musique anglaise. J’ai d’abord été forgée par les pop stars américaines et anglaises avant de dévier vers le rock. Mais en étant dans le milieu de la musique en Wallonie et en bossant avec des artistes qui chantent en français, je me suis rendu compte qu’il y avait plein de choses hyper cool. À côté de ça, mon label m’a orienté vers le français et j’ai accepté de tester sans pour autant forcer les choses.
Quelles difficultés avez-vous rencontrées dans l’élaboration de ces titres ? Au début, j’avais du mal à me mettre dedans. Je n’avais jamais écrit en français. Parler et écrire un texte en français, ça n’a rien à voir. Il faut trouver les mots sans être trop « cucul » et sans être trop métaphorique. Il fallait que je trouve mon identité. Je n’ai pas tout fait toute seule car c’est difficile d’arriver et de s’improviser poète.
La langue de Shakespeare, elle, vous est plus familière depuis vos débuts dans la chanson. La grande majorité des titres a d’ailleurs tout d’abord été pensée en anglais. Effectivement, j’avais aussi envie de garder l’anglais car je suis amoureuse de cette langue. C’est ma culture et je n’avais pas envie de mettre ça sur le côté. J’ai donc proposé deux versions de chaque chanson. Toutes les chansons sont d’abord sorties en anglais sauf « le marbre ». C’est la seule chanson que j’ai écrite en même temps dans les deux langues.
Après l’exploration de thématiques fortes comme les violences conjugales ou la boulimie dans vos premières œuvres, vous abordez cette fois-ci les abus psychologiques (sur « Inner Peace »/ « silence ») ou encore l’addiction à la drogue (sur « Marble »/ « le marbre »). L’utilisation de votre langue maternelle ne semble pas avoir d’emprise sur votre volonté de faire preuve de sincérité. Certains artistes chantent en anglais par pudeur. Cela n’a jamais été mon cas. En français, c’est la même chose et c’est même encore plus poignant. Je n’ai pas peur de poser des mots crus et très imagés. Après, c’est vrai que tout le monde comprend désormais ce que je dis. Je parle de trucs un peu trash parfois mais je ne m’en cache pas. Je partage avant tout mon histoire. Mes chansons, c’est mon journal intime.
Le titre de l’EP “Sabotage” est un mot compréhensible aussi bien pour les francophones que pour les anglophones. Selon la définition du dictionnaire, cela se traduit par le fait de détériorer volontairement et clandestinement quelque chose. Expliquez-nous le processus de réflexion derrière le choix de ce terme. Chaque chanson est l’évolution de la période du Covid et de sa sortie. « Insecure », par exemple, je l’ai écrit quand j’avais 19 ans. J’étais vraiment dans ma bulle. Je m’autosabotais à ce moment-là. J’avais beaucoup de troubles du comportement alimentaire, je faisais des crises d’angoisse… Le déconfinement a lui été une période des excès et des extrêmes. Je me suis détruit un peu la santé en me mettant dans de gros états de fatigue. « Silence », elle, parle de quelqu’un qui me sabote dans le sens où j’étais dans une relation toxique. Chaque track a ainsi ce truc d’autosabotage et de sabotage extérieur.
Le double EP parle en dernier lieu de la quête de soi à travers « Mon ombre » (« Insecure ») donc et « Le mal en personne » (« Bad Person »). Il y a trois facettes dans ma personnalité musicale. Il y a la CHARLES qui adore faire des ballades, celle qui adore faire de la grosse pop électro et celle qui adore faire du rock. J’essaye de regrouper à chaque fois ces trois personnalités dans mes projets. Dans cet EP, je suis plus dans une vibe badass électro et sur une vibe ballade. Plus que rock car je l’avais déjà explorée. « Mon ombre », c’est l’une des toutes premières chansons que j’ai écrites dans ma vie. J’étais à mon pic de vulnérabilité. Je ne savais pas où j’allais être dans les années futures. Dans ce titre, j’ai choisi de personnifier mon anxiété. Pour « Le mal en personne », j’avais envie de terminer avec une touche de légèreté à l’accent pop country. J’y évoque des petites conneries qu’on a tous faites, ou presque, et qui me font me demander si je suis une bonne personne. J’ai trop peur de la crise de la quarantaine et je ne sais pas pourquoi.
Iliona - La rupture assumée
Iliona
La rupture assumée
Mots : Jason Vanherrewegge
Photos : DR
Renforcée par le succès de ses deux premiers EPs (« Tristesse » en 2020 et « Tête Brûlée » en 2022), Iliona Roulin, simplement dite Iliona, dévoile un premier album intitulé « What If I break up with u? » dans lequel la Bruxelloise de 24 ans fait fi du regard des gens en acceptant pleinement sa personnalité excentrique.
Votre premier album ne laisse pas beaucoup de place à l’interprétation et marque véritablement un changement de chapitre. Quelle est la volonté première derrière cet opus ? Ce n’est pas un album que j’ai écrit dans le but d’être un album. Ce sont surtout des chansons que j’ai écrites pour moi, pour extérioriser les choses que je n’arrivais pas à dealer toute seule. J’ai écrit l’album en plus ou moins un an. Une année synonyme de gros changements dans ma vie. J’étais un peu perdue au milieu de tout ça et écrire ces chansons m’a aidé comme une boussole pour passer chaque étape.
Vous abordez de différentes manières l’amour toxique. Comment écrit-on dessus sans déverser un torrent de haine ? J’ai écrit vraiment mot pour mot ce que je ressentais. Ce n’était pas forcément tout le temps de la colère ou de la tristesse. Il y avait surtout beaucoup de questionnements et de frustration sur des réponses que je cherchais à recevoir. On dirait que c’est un album où je m’adresse à quelqu’un mais, en réalité, je m’adresse à moi-même. Dans l’album, je suis plus dans la phase après la rupture où tu es solo et que tu dois un peu te guérir tout seul. Tu dois répondre à tes propres questions.
Vous jonglez entre la réalité et la fiction avec, notamment, le titre « Le Lapin ». En quoi cet aspect poétique et le fait de vous envoler dans un autre monde ont-ils nourri la cause ? Que ce soit dans le sound design (le processus de création d’un paysage sonore, nda), les bruitages ou dans certains mots de vocabulaire, j’avais trop besoin de m’évader dans un monde imaginaire et enfantin sur l’album pour affronter ce que je raconte qui est parfois un peu dur. Dans mes textes, je m’interdis de mentir. Et, parfois, mettre un peu de distance par ce prisme-là, c’est aussi de la pudeur.
Avez-vous trouvé un remède pour ne plus être confrontée à votre problématique ? La musique a toujours été mon remède. À chaque fois, je me dis que ce sera la dernière fois mais ça revient. Je compose tous les jours et c’est vraiment mon endroit où je peux guérir de tout. Quand je n’en ai pas besoin, je n’en ai pas besoin. Et je me dis que, peut-être, je n’aurai plus besoin de faire de la musique. Mais en fait, si. Je ne le fais pas parce que c’est mon travail mais parce que j’en ai besoin.
Cela ne vous a pas empêché de faire une pause de pas moins de deux ans. À ce moment-là, je n’ai fait que composer et écrire. Je ne me suis pas arrêtée un seul jour de l’année. Pour faire un album de dix chansons, j’en ai commencé 250.
Ce n’est pas si étonnant quand on sait que, au-delà de l’écriture, vous composez, enregistrez, mixez, réalisez et supervisez sur votre propre label Jevousamour. Pourquoi ressentez-vous ce besoin de tout maîtriser ? En vrai, c’est parce que je kiffe. Si je ne fais pas tout ça, je m’ennuie.
On entend souvent les artistes affirmer que leur plus grand plaisir c’est la scène. Cela ne semble pas être votre cas. Complètement ! C’est beaucoup plus le studio et la création de chansons. J’adore être dans ma tête, inventer des histoires…
Depuis votre première ballade au piano-voix avec « Moins joli » en 2021, votre style a bien évolué. Sur cet album, vous ajoutez d’autres cordes à votre arc avec de la drum’n’bass (« 23 »), des accords folk (« Fishsticks ») ou encore du post-punk (« Le Lapin »). Ça part dans tous les sens dans ma tête. Ça me ressemble d’avoir exploré plein de styles différents. Si j’arrive à faire une chanson qui me plaît, le lendemain il faut que j’en fasse une différente. Si j’avais fait dix chansons qui se ressemblent, je me serais ennuyée.
Cette peur de la monotonie, qui s’exprime à travers vos nombreuses influences (Lily Allen, Barbara, Françoise Hardy, Angèle, Drake…), vous force à redoubler d’efforts dans votre processus d’écriture. Les mélodies me viennent assez instinctivement. Je les laisse vivre et, si je les aime encore quelques jours, quelques semaines ou quelques mois plus tard, je les garde.
La mélancolie, elle, reste toujours présente. Pourtant, vous êtes quelqu’un d’optimiste de base. Quand je vais bien, je n’ai pas envie d’écrire. Je l’exprime et je le partage avec les gens autour de moi. J’ai envie que l’on soit tous ensemble et on organise des trucs. Quand je ne suis pas bien, par contre, je suis très pudique. Je ne suis pas du genre à m’exprimer et à demander de l’aide. Je m’enferme alors dans ma musique.
Entre les paroles et les mélodies, quel est votre premier cheval de bataille ? Ce sont plutôt les mélodies et ensuite le texte. C’est drôle parce que l’on parle beaucoup de mes textes alors que je suis beaucoup plus une compositrice qu’une autrice. Je ne me pose pas 36 000 fois la question de ce que j’écris dans mon texte mais je le fais pour les accords que je mets. Je suis beaucoup plus exigeante à ce niveau-là.
Dans « Stp », l’autotune est très présent. Pourquoi ce choix ? C’est la première chanson de l’album que j’ai écrite. Elle m’a fait comprendre que je m’étais retrouvée. C’est d’ailleurs ma chanson préférée de l’album. Je ne sais pas pourquoi j’ai utilisé l’autotune à ce point mais j’avais besoin que ce soit radicalement différent de ce que j’avais fait avant. C’est comme un nouveau départ dans un truc où je m’excusais de rien.
Vous n’étiez pas vous-même à vos débuts ? Si mais j’allais plus dans tous les sens. J’étais plus jeune et je faisais plus des exercices de style. C’était trop amusant mais c’étaient des EPs. Avec l’album, si je continuais comme ça, je n’allais pas être bien. Il fallait que j’arrête de réfléchir à ce que les gens vont penser.
Helena « Je n’avais pas envie d’être une pop star »
Helena
« Je n’avais pas envie d’être une pop star »
Mots : Jason Vanherrewegge
Photos : Jon Verhoeft
Make-up Artist : Luc Depierreux
Stylisme : Jules Depierreux
Nouvelle reine de la pop belge, Helena nous invite à entrer encore un peu plus dans son intimité avec son tout premier album intitulé « Hélé ». Un surnom qui lui colle à la peau depuis toujours et qui renforce l’idée de proximité que l’artiste de 23 ans veut conserver à la fois avec son public et avec ses proches.
Comment êtes-vous passée de la petite fille qui chantait à l’abri des regards à l’artiste assumée depuis son passage à la Star Academy qui s’apprête à faire la tournée des Zénith, à se produire à l’Ancienne Belgique et, surtout, à Forest National ? Je n’arrive pas à m’expliquer pourquoi j’ai voulu m’ouvrir aux autres et au public du jour au lendemain alors que j’ai toujours trouvé ça très intime. Ma passion pour le chant, je l’ai toujours tellement gardée pour moi. Mais, au final, c’est un peu ce qui fait mon histoire. Je ne peux pas passer à côté. Même les gens qui ont suivi la Star Academy ont vu mon évolution entre le moment où je suis rentrée au château et le moment où j’en suis sortie. Je trouve que mon histoire, si je la raconte à une petite fille de six ou dix ans, ça fait trop rêver. Moi qui n’ai jamais osé rêver, je trouve ça complètement fou. Parfois, je me dis que c’est un storytelling digne d’un film. Autant continuer à faire rêver les gens et à leur faire comprendre que, oui, j’ai changé de vie et elle n’est plus comme avant mais je reste une fille complètement normale de 23 ans comme les autres. C’est ce qui me permet de rester proche des gens. Je n’avais pas envie d’être une pop star.
Vous exprimez ce sentiment dans « Tout a changé (Rien n’a changé) ». Pourquoi cette crainte de voir la notoriété vous changer ? On vit dans un monde complètement bizarre maintenant. On est invité à des événements incroyables, on reçoit énormément de cadeaux… Il y a quelque chose qui se passe et tu te dis que tu dois te rendre compte de la chance que tu as parce que tu aurais rêvé d’avoir tout ça par le passé. Mais, en fin de compte, c’est un monde ultra-superficiel. C’est hyper cool en soi mais il ne faut pas vivre à travers ce monde-là et que ça devienne ton monde réel à toi. Dans la chanson, je dis que j’ai besoin d’avoir mes proches et ma famille avec moi. C’est un besoin vital pour moi et, grâce à eux, je garde toujours les pieds sur terre. Et si jamais un jour ça tourne mal, je sais qu’ils seront là pour me taper sur les doigts.
Dès l’entame de l’opus et « Mon piano et moi » difficile de ne pas faire un parallèle avec une certaine Angèle qui a débuté également très jeune en solitaire avec son instrument de prédilection. On entend d’ailleurs son nom et l’un de ses titres phares « Balance ton quoi » dans votre morceau. C’est une artiste que j’adore, je ne m’en suis jamais cachée. Ça fait partie des premiers concerts que j’ai pu aller voir avec mes copines. Angèle, quand je la voyais sur scène, je rentrais chez moi et je me disais que ça ne m’arriverait jamais. J’étais presque nostalgique et un peu frustrée. Mais ça reste un honneur d’être comparée à elle. Je l’ai fait pendant tout un temps aussi. Aujourd’hui, je l’ai rencontrée, elle m’a envoyé des messages et je trouve ça dingue.
Votre premier album comporte 13 chansons, un chiffre qui a toujours une haute valeur symbolique. La chanson « Karma » est là pour le rappeler, vous êtes quelqu’un qui croit très fort au destin. À mes yeux, tout arrive pour une raison. Que ce soit positif ou négatif, on apprend toujours de nos épisodes. Le destin m’a aussi beaucoup sauvé dans la perception que j’avais de la vie. C’est une manière de penser que j’adore car on peut vite être rongé par les remords ou les regrets dans le cas contraire.
Vous invitez dans « Hélé » à vous écouter dans l’ordre de la tracklist. Avec « Karma », l’ovni « Mauvais Garçon » ou même « Gentil Garçon », vous montrez que vous n’êtes pas réduite aux ballades et que vous êtes également prête à faire bouger le public sur des beats et sur des thématiques fortes comme les relations et la masculinité toxiques. Je me suis cassée la tête sur la tracklist car je voulais que l’on écoute mon histoire. Pas que l’on se prenne quatre ballades et puis un up. À la base, je voulais faire une tracklist chronologique mais ça ne collait pas. J’ai donc trouvé ma ligne directrice en jouant avec les sonorités et la musicalité des chansons.
Pourquoi ne pas avoir mis votre tout premier succès « Aimée pour de vrai » et « Nouveau cœur » sur l’album ? À la base, elles y étaient mais je trouvais qu’on sortait de l’album. C’est une autre époque. « Aimée pour de vrai », c’est le single after Star Ac. J’ai essayé de mettre ma patte dedans mais c’est compliqué comme la chanson existait déjà. Elle a des sonorités plus variété alors que l’album est assez pop. Je n’arrivais pas à les mettre dans la tracklist mais ce n’est pas parce qu’elles n’y sont pas que je ne les aime pas. Je sais que « Nouveau cœur » on l’appelle « l’enfant du milieu » sur les réseaux sociaux et il faut aussi le respecter.
L’auteur-compositeur Vincha (connu pour son travail sur certains titres de Mentissa, Ben Mazué ou encore Barbara Pravi – nda), avec qui vous avez co-écrit l’album, désigne votre style comme une mélancolie heureuse. Qu’en pensez-vous ? C’est un super terme ! Je ne l’utiliserai cependant pas pour toutes les chansons. Il y a des titres sur l’album qui sont hyper pop et joyeux. Mais c’est vrai qu’il y a des textes un peu deep.
Écrirez-vous à terme en solitaire ? Vincha et moi, nous sommes vraiment sur un travail en commun hyper efficace. Je le considère comme mon co-auteur. Mais c’est vrai que j’adorerai, un jour, voir juste « Helena » sur un titre. C’est mon objectif personnel. Il faut toutefois que je m’améliore à ce niveau-là. Après, ça fonctionne trop bien pour l’instant donc je ne vois pas pourquoi je changerai.
Sur « Boule au ventre » et « Mélatonine », vous faites part de vos angoisses. Avez-vous des astuces pour y faire face ? Quand j’écris ces chansons, je découvre l’anxiété. Je ne suis pas une personne anxieuse à la base, j’ai très rarement fait des crises d’angoisse. C’est vraiment à un moment précis de ma vie où elles se sont enchaînées assez fréquemment. C’était très compliqué pour moi de réguler tout ça. Ma manière de faire, c’est d’être bien entouré. De peut-être en parler autour de soi aussi et de l’extérioriser avec, pourquoi pas, des pleurs.
« Mauvais Garçon », « Bonne Maman », « Summer Body » ou encore « Adieu mon amour » abordent également des thématiques très fortes. Comptez-vous changer votre ligne directrice par la suite ou rester dans ce registre ? J’avais 22 ans quand j’ai commencé l’écriture de mon tout premier album. J’ai donc 22 ans de ma vie à raconter et je n’ai jamais écrit de chanson. Je vais aller forcément prendre les épisodes les plus marquants. Et si c’est marquant, c’est parce que c’est deep. À long terme, j’essayerai d’aller chercher des moments de vie un peu plus joyeux (rires).
Les œuvres d’âme de Renato Nicolodi
Les œuvres d’âme de Renato Nicolodi
Mots : Barbara Wesoly
Photos : Renato Nicolodi
Ses sculptures et installations évoquent un autre temps. Un temps qui résonne de l’écho de la guerre et de ses vestiges collectifs, autant que des récits qui ont marqué son enfance. Par une réappropriation de l’architecture, Renato Nicolodi mêle la rationalité au sensible et invite, avec une profonde humanité, à une réflexion sur le rôle de la mémoire.
Votre travail est en lien direct avec l’histoire. Celle qui s’écrit avec un grand H comme celle, plus personnelle, de votre famille. Où ces deux récits se rencontrent-ils ? Pendant la Seconde Guerre mondiale. C’est elle qui a déterminé le destin de mes grands-parents et imprégné ma vie par la même occasion. J’ai grandi en les écoutant raconter cette période dramatique. Mon grand-père paternel italien était orphelin et a connu la dictature de Mussolini avant de rejoindre la Belgique. Il y fut fait prisonnier par les Allemands, placé dans des camps de concentration puis de travail, avant de finalement s’évader et intégrer la Résistance. Ma grand-mère maternelle était belge et a été victime d’un voisin dont elle avait refusé les avances et qui, après la guerre, l’a dénoncé pour collaboration. Elle s’est retrouvée enfermée pendant un an, par pure injustice. Ils en parlaient librement, même au petit garçon que j’étais. Avide de comprendre, je leur ai posé mille questions. Très tôt, j’ai craint que leurs mots m’échappent et, à 12 ans, je les ai donc enregistrés sur des cassettes audios. J’ai aussi couché leur témoignage sur papier. A travers eux, j’essayais de donner un sens à la vie et d’y trouver ma place.
Ce besoin de transcrire le passé sous forme de création vous est également venu très tôt. D’abord par la peinture. Quand a-t-elle laissé la place aux installations architecturales ? J’ai toujours beaucoup dessiné. A 13 ans, j’entrais à Saint-Luc, à Bruxelles, pour suivre une formation artistique. C’est ce qui m’a amené à la peinture, que j’ai continué à pratiquer durant mes études. Et puis, vers la fin de mon cursus, je me suis retrouvé face à des bunkers des années 40, lors d’un voyage en France. Ils m’ont rappelé les récits de mon grand-père, forcé d’y travailler comme main-d’œuvre. J’ai ressenti le besoin de les raconter. Mais pour cela, il me fallait une technique à même d’en représenter toute la dimension. Ça a marqué le point de départ de mon travail actuel.
Vous créez des bunkers, mais aussi des sanctuaires, des temples ou encore des atriums, qu’est-ce qui amène à leur choix ? Mes œuvres sont souvent conçues pour des expositions ou pour être le rappel d’un fait historique ou culturel. Elles sont fondamentalement archétypales et font du passé un fil conducteur. Les références y sont présentes partout, à commencer par leur titre, souvent en latin, comme De Profundis ou Mausoleum. Elles sont empreintes d’une profonde dualité, célébrant une architecture monumentale, tout en en rejetant la mégalomanie nazie à l’origine de celle-ci. Mais aussi de contrastes, entre ombre et lumière, dont les différents degrés de lecture poussent à l’introspection.
Votre travail évoque la pureté et la sobriété à leur extrême, notamment par l’utilisation du béton. Et possède pourtant une forme de mélancolie. Quelle y est la place de l’humain ? Partout. Dans ma recherche d’une forme de langage universel. Tout comme une critique silencieuse de l’humanité. J’espère tendre aux spectateurs un miroir les mettant face à leurs choix comme à leur impuissance. Un principe que les nombreux corridors, escaliers, passages clos et ouverts viennent renforcer. C’est une exploration intérieure à travers le prisme du passé. Le trou noir présent dans nombre de mes créations se veut d’ailleurs un espace réflectif. Certains spectateurs y voient la mort. Mais ce néant a au contraire à mes yeux, une signification positive, puisqu’il peut être comblé par les idées et la mémoire. C’est un lieu où tout peut s’écrire.
Aimeriez-vous continuer cette démarche d’une documentation créative ou vous imaginez-vous emprunter une autre voie ? Nous avons le devoir à veiller à ce que les erreurs dramatiques du passé ne se reproduisent pas, y compris en préservant leur souvenir via l’art. J’ai publié il y a quelques années un livre noir, qui tout en présentant mes œuvres était un hommage, puisqu’il contenait des reproductions des trois carnets où mon grand-père écrivait pendant la guerre et des photos des cassettes d’enregistrement de ma grand-mère. On y retrouvait également des textes d’auteurs abordant l’architecture et l’histoire. Le prochain, sur lequel je travaille actuellement, sera blanc. Il exposera les créations que j’ai réalisées depuis, mais aussi une démarche plus politique et engagée. Je ne me vois pas dans autre chose, tout comme on ne peut changer son passé. Mais plus que tout, c’est une philosophie de paix que je souhaite propager. Au-delà de la douleur de la guerre, c’est cet espoir d’un lien profondément humain qui doit être préservé.
Mara Taquin - « Je refuse de me laisser enfermer dans une case »
Mara Taquin
« Je refuse de me laisser enfermer dans une case »
Mots : Servane Calmant
Photo : Guillaume Kayacan
Sélectionnée parmi les révélations des Césars 2024, Mara Taquin s’apprête à défendre plusieurs longs métrages en 2025, dont le très attendu Nino dans la nuit, film belge adapté du roman éponyme à succès. A 27 ans, l’actrice bruxelloise a tout d’une grande, dont une farouche envie d’aborder chaque nouveau projet comme si c’était le premier…
Si Mara Taquin avoue s’être lancée dans le cinéma un peu par hasard, « la réalisatrice, Camille Mol, m’a remarquée devant mon école… », son parcours l’a rapidement conduite à multiplier les rôles marquants dans plusieurs séries télévisées (Ennemi Public, Fils de, Sambre) et à côtoyer les grandes figures du cinéma, Vincent Cassel (Hors normes), Adèle Exarchopoulos (Rien à foutre), Isabelle Huppert (La Syndicaliste) ou encore Fabrice Luchini (La Petite)…
En seulement cinq ans, vous êtes passée de « révélation prometteuse » à celui d’actrice confirmée. Aujourd’hui, on vous voit partout ! Comment vivez-vous cette ascension remarquable ? C’est surtout le calendrier de sortie des films qui donne cette impression d’omniprésence …Tant mieux, car chaque film est enrichissant. Mais rassurez-vous, j’ai encore du temps libre. Et lorsque je ne tourne pas, il m’arrive de douter et de douter encore …
Douter de quoi ? Rien n’est jamais acquis. Mais le temps que je passe à douter me permet d’apprécier encore davantage les opportunités qui s’offrent à moi … (rires). Je n’étais pas vraiment préparée à ce que je vis en ce moment, alors je ressens une profonde reconnaissance envers le monde du cinéma qui continue de me solliciter. J’essaye également de préserver une certaine fraîcheur, afin d’aborder chaque nouveau projet avec le même enthousiasme que le tout premier…
A quel moment votre carrière a-t-elle pris son envol ? Projeté au Festival de Cannes, le film Hors normes réalisé par Olivier Nakache et Eric Toledano (les mêmes réalisateurs que Intouchables – nda) m’a permis de me faire connaître en France, en m’ouvrant les portes de nouveaux castings. Avant, je passais des auditions où se rendaient 500 comédiennes; aujourd’hui, j’ai accès à des castings plus ciblés…
Pour se faire connaître, il faut passer par la case Paris … C’est vrai. Il y a plus d’opportunités à Paris qu’à Bruxelles. Pour autant, je ne compte pas faire une croix sur le cinéma belge ! Bien au contraire…
Et que dit-on aujourd’hui sur les Belges, dans les castings parisiens ? « Vous êtes trop mignons, trop gentils, adorables… » (Rires). Tant de clichés ! En Belgique, l’absence de star-system et de culte de l’image pousse sans doute les acteurs à se concentrer davantage sur le jeu …
Vous venez d’achever le tournage de Nino dans la nuit, réalisé par le Belge Laurent Micheli. Il s’agit de l’adaptation d’un premier roman générationnel français qui a rencontré un vif succès … Comme le roman (signé Capucine et Simon Johannin – nda), le film plonge dans l’univers d’une jeunesse en marge, ces laissés-pour-compte du système qui enchaînent les petits boulots précaires et cherchent leur place dans une société qui leur en offre peu. Laurent Micheli, auquel on doit Lola vers la mer, impose un point de vue fort, destiné à interpeller, bousculer, chambouler le public. C’est un film belge qui ne laissera personne indifférent. Sa sortie chez nous sera calée sur le calendrier des festivals. Parallèlement, j’ai tourné Au bord du monde, réalisé par le duo belge Sophie Muselle et Guérin Van de Vorst, qui explore les conditions d’accueil, de soin et de traitement des patients en psychiatrie.
Quels sont vos critères pour choisir un rôle ? Je ne suis jamais dans le calcul, je marche à l’instinct, et cela me réussit plutôt bien. L’important, c’est la rencontre avec le personnage. Si je sens que ce personnage fait sens, que je peux lui apporter quelque chose, alors je signe des deux mains. En revanche, je pourrais rejeter un scénario qui me propose un rôle trop proche d’un personnage que j’ai déjà campé. Je refuse de me laisser enfermer dans un rôle, d’être figée dans une case. Je veux surprendre, continuer à prendre des risques.
Vous travaillez souvent à Paris, mais vous êtes toujours attachée à Bruxelles, votre lieu de vie … Mon métier m’amène à voyager fréquemment et à côtoyer beaucoup de personnes. Quand je rentre chez moi, j’apprécie de retrouver mes proches, ma famille et mes amis d’enfance qui ne sont pas dans le milieu du cinéma. C’est ma petite bulle, un espace qui me protège et m’aide à garder un certain équilibre.
Avec quel réalisateur belge souhaite-riez-vous tourner prochainement ? Sans vouloir faire de jaloux : Michaël R. Roskam (réalisateur de e.a. Bullhead – nda), Delphine Girard (Quitter la nuit) et le couple Ann Sirot et Raphaël Balboni (Une Vie démente). Même si je suis plus attachée au projet, qu’au réalisateur…
Julien Leclercq - L’aventurier belge fasciné par l’Islande
Julien Leclercq
L’aventurier belge fasciné par l’Islande
Mots : Olivia Roks
Photos : Julien Leclxercq
Depuis toujours, Julien Leclercq nourrit un rêve d’évasion. À seulement 24 ans, il quitte la Belgique pour partir à la découverte du monde. Dix ans plus tard, il vit en Islande, subjugué par la nature à l’état brut. Aujourd’hui guide et photographe, il mène une vie qu’il ne troquerait pour rien au monde. Rencontre avec cet aventurier moderne au parcours inspirant.
À 34 ans, vous avez déjà parcouru un chemin extraordinaire. Qu’est-ce qui vous a poussé à quitter la Belgique pour explorer le monde ? J’ai toujours été attiré par l’idée de voyager. À l’école, je n’étais pas un élève modèle : rester assis derrière un bureau me semblait insupportable. Mon adolescence n’a pas été facile : le divorce de mes parents a été un coup dur. J’ai sombré dans la dépression et j’ai développé des comportements autodestructeurs. Un matin, j’ai eu une révélation : je devais tout laisser derrière moi et partir.
En regardant un globe terrestre, j’ai cherché le point le plus éloigné de la Belgique et je suis tombé sur la Nouvelle-Zélande. Là-bas, j’ai travaillé dans une ferme entourée de vergers et de chevaux. Ironiquement, j’avais une peur bleue de ces animaux. Mais le destin m’a mis au défi : on m’a confié la mission de prendre soin d’une jument affaiblie. Cette expérience a bouleversé ma perception. J’ai non seulement vaincu ma peur, mais je suis tombé amoureux des chevaux.
De là, l’aventure s’est poursuivie en Australie : j’ai été cowboy dans un ranch, gardien de zoo où j’avais la responsabilité de m’occuper du plus grand crocodile du pays. Je découvrais ces emplois grâce au concept du « woofing » (via helpx.net), un système fondé sur l’échange et le partage. Il s’apparente à du volontariat : en échange de mon travail, on m’offrait le gîte et le couvert.
De retour en Belgique après l’expiration de mon visa, je n’ai tenu que trois semaines avant de repartir, cette fois pour la Suède, où j’ai découvert la vie dans une ferme western. Ensuite, près d’Oslo, j’ai appris à murmurer à l’oreille des chevaux auprès des Indiens Lakotas. J’ai continué mon aventure en Norvège, où j’ai pratiqué la pêche. C’est là que j’ai rencontré un Islandais qui cherchait de l’aide pour sa ferme. Sans hésiter, je l’ai suivi.
L’Islande, ce pays de glace qui m’a envoûté, est aujourd’hui le cadre de ma vie. Après avoir enchaîné des expériences variées dans des fermes et des ports, j’exerce désormais un métier qui me comble : guide (conduite et glacier) pour Ice Pic Journeys et photographe. Chaque jour, je capture la magie unique de cette terre fascinante. Je ne pouvais pas rêver mieux.
Une aventure fabuleuse ! Les chevaux semblent avoir une place spéciale dans votre parcours. Ils vous ont aidé à surmonter des épreuves ? Absolument. Les chevaux sont comme des meilleurs amis, capables de ressentir nos émotions. Leur tendresse et leur capacité à communiquer presque télépathiquement m’ont sauvé. Je suis quelqu’un d’introverti, souvent en proie à la dépression. Sans eux, je ne serais probablement plus là aujourd’hui. Cette connexion avec les chevaux et la nature me nourrit et m’apaise au quotidien.
Vous semblez épanoui en Islande. Parlez-nous de votre passion pour la photographie. Depuis mon arrivée en Nouvelle-Zélande jusqu’à aujourd’hui en Islande, j’ai capturé de nombreux moments avec mes téléphones Samsung. Un jour, en échangeant sur Instagram avec Samsung Iceland, j’ai partagé quelques-unes de mes photos. Ils les ont adorées. Depuis, l’entreprise me fournit du matériel, et je réalise des prises de vue pour eux. Cette collaboration m’a non seulement permis de gagner en confiance, mais elle a aussi transformé ma photographie, qui a considérablement évolué grâce à leur soutien.
J’aime capturer des détails de la nature, faire des photos qui semblent irréelles alors qu’elles sont authentiques et à peine retouchées. Je photographie surtout des glaciers, des animaux, et des volcans en éruption. L’Islande est un véritable terrain de jeu pour un photographe : tout y est vivant, en perpétuel mouvement. C’est magique !
Qu’est-ce qui vous manque le plus de la Belgique ? Mes parents savent que je suis heureux ici, et quand ils veulent me voir, ils viennent me rendre visite. Franchement, c’est plus fun qu’un voyage en Belgique ! Ce qui me manque, c’est un magasin Décathlon ! Le plus proche est au Danemark, et en Islande, le matériel sportif coûte une fortune.
Comment envisagez-vous votre avenir dans dix ans ? J’aimerais créer ma propre entreprise de tours sur mesure. Mon idée est de proposer des expériences privées, limitées à quatre participants, pour favoriser des échanges sincères et authentiques. J’ai déjà trouvé un collègue et un véhicule ; il ne me reste plus qu’à continuer d’économiser (rires).
Quelles expériences incontournables recommanderiez-vous de vivre en Islande ? Une randonnée à cheval avec Mister Iceland, avec nuit en cabanes pittoresques et dîner viking, une expérience unique ! Il y a aussi l’observation des baleines à bosse et des orques qui offre un spectacle fascinant ou encore une expédition sur un glacier, que je peux organiser et qui permet d’explorer des paysages glacés uniques. Enfin, les aurores boréales et les volcans en éruption, bien que dépendants des conditions naturelles, sont des moments incroyables.