ANTOINE WAUTERS
«Tout vient de là»
MOTS : SERVANE CALMANT
PHOTO : LORRAINE WAUTERS
L’écrivain ardennais Antoine Wauters plonge dans ses souvenirs d’enfance, évoquant par petites touches, par fragments, à la façon des polaroïds, son village wallon, sa découverte de l’écriture, et les années 80 où l’on n’était pas obligé de se mettre en avant … « Tout vient de là » rythme avec une nostalgie agissante son précieux nouveau roman, « Le plus court chemin ».
Vous écrivez en page 117 que vous n’aimez pas faire la promo de vos livres. De quoi va-t-on parler ? (Rire) C’est une boutade.
Vraiment ? En partie. Ecrire est un exercice très intime et très solitaire. Quand on assure la promotion d’un livre, on s’éloigne inévitablement du travail d’écriture, de ce territoire silencieux.
Il y a un an, vous recevez le Goncourt de la nouvelle pour « Le Musée des contradictions » et une flopée de prix pour « Mahmoud ou la montée des eaux ». 2022 a dû changer votre vie ! Jusque-là, je rencontrais un succès d’estime, avec des livres qui se vendaient à quelques milliers d’exemplaires. « Mahmoud ou la montée des eaux » est en cours de traduction dans 15 pays… Mais je n’écris pas des livres qui ont pour finalité de remporter des prix, même si recevoir le Goncourt reste terriblement gratifiant.
Avec « Le plus court chemin », vous remontez le fil d’argent de votre propre enfance. Vous vous racontez, vous vous livrez. Mais quelle est la part de l’intime et la part romancée dans ce pan d’histoire ? Mon nouveau roman est basé sur des souvenirs, sur des témoignages, sur des lettres de mes parents, sur de longues déambulations dans ce village de Fraiture qui m’a vu grandir. Mais même en essayant d’être le plus fidèle possible à mes souvenirs, j’ai fourni une réécriture du passé, une recomposition, parce que la mémoire est imparfaite et parce qu’écrire, c’est toujours une médiation. J’ai donc tenu à garder la mention « roman » car si tout y est vrai, le filtre qui se pose sur le contenu biographique vient forcément le modifier légèrement.
C’est un livre qui revendique le droit d’être nostalgique … Je parle de la nostalgie heureuse, agissante, pas d’une nostalgie qui accable, une nostalgie de regrets qui fige. Ma nostalgie est liée à notre société, à notre époque, où l’espoir que ça ira mieux demain a disparu. La faute à la crise énergétique, climatique, économique … A travers ce roman, par petites touches, à la manière de polaroids, d’instantanés de vie, j’essaie de montrer comment des petites choses du quotidien, le travail de la terre et les savoirs anciens notamment, pourraient nous aider à nous réapproprier le présent sous une forme plus apaisée. En ce sens, oui, j’aime cette nostalgie agissante.
Vous écrivez : « On vivait la vie que les gens vivaient alors, une vie où s’il y avait bien une chose qui n’existait pas, c’était l’envie de se mettre en avant ». Comment faites-vous, Antoine, pour vivre dans une époque obsédée par les réseaux sociaux ? Quand j’ai écrit « Nos mères », publié en 2014, je n’étais pas sur les réseaux et je n’avais pas d’attente. Je vivais chaque jour de promotion avec ce qu’il comportait de bonnes nouvelles ou de rien, juste le silence. Pas de retour, pas d’article. Ce silence, c’était charmant. J’aime les relations avec les lecteurs mais je n’ai pas besoin de les voir sur Facebook avec la couverture de mon livre. Dans les années 80, avant la cassure, avant l’accélération des années 90, les réseaux sociaux n’existaient pas. Ne pas être obligé de se mettre en avant est une vertu qu’il faudrait peut-être se réapproprier aujourd’hui.
« Tout vient de là », s’il me fallait résumer votre livre en une phrase, ce serait celle-là. Parfois pourtant, il faut savoir partir de là … Evidemment. Le roman est d’ailleurs lié à un départ. J’ai étudié à Bruxelles, enseigné à Bruxelles, j’y ai vécu, j’ai voyagé grâce à mes livres. Ce n’est qu’aujourd’hui que je suis en mesure de revenir sur les terres qui m’ont vu grandir, et d’y puiser ce qui m’aide à tenir dans le grand chaos dans lequel on se trouve aujourd’hui…
Pourquoi y revenir aujourd’hui ?
Parce que c’est lié à un changement dans ma manière d’envisager la littérature. Pendant longtemps j’ai écrit des fictions, ce qui suppose non pas de se détacher du monde réel, mais de créer un monde qui transforme cette réalité, qui l’amène ailleurs. Ma décision de revenir en Ardenne belge coïncide avec une volonté de retourner au réel, de parler de moi, de ce qui m’entoure, d’histoires locales, de réveiller des mémoires enfouies dans ces lieux-là. « Le plus court chemin » s’apparente à un documentaire à la manière de Raymond Depardon au cinéma.
Enfant, vous étiez un solitaire. Est-ce toujours le cas ? Je le crois, je le crains. Je me suis probablement mis à écrire pour me cacher du bruit. L’écriture me sert de refuge. Et cet enfant qui avait des difficultés à se lier aux autres, oui, il est toujours présent en moi.
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