Antoine Wauters
« J’ai cessé d’opposer l’écriture à la vie »
MOTS : BARBARA WESOLY
PHOTOS : JON VERHOEFT
COIFFEUR ET MAKE-UP ARTIST : LUC DEPIERREUX
Il capte la poésie des paysages intérieurs, fait résonner le tumulte des silences et puise l’humanité dans l’indicible. Écrivain, philosophe, voix bouleversante, Antoine Wauters dévoile, avec son roman « Haute-Folie », un récit universel au fil des générations, entre déracinement, mémoire et lien.
« Haute-Folie » raconte le destin de Josef et au-delà, l’impossibilité d’échapper à son histoire familiale, inscrite en soi comme une seconde peau. Pensez-vous que nous sommes tous forgés par cet héritage ? Oui, je suis convaincu que nous en sommes tous les porteurs. Les garants des générations qui nous ont précédées, dont nous charrions les bagages, parfois très beaux, ou au contraire empreints de souffrance et de non-dits. Dans ce livre, j’ai plutôt sondé cette veine-là. Racontant l’existence de Josef, orphelin qui, jusqu’à l’âge adulte, grandit à l’ombre de son histoire, ignorant qui sont ses vrais parents ni quel fut leur destin. Et la douleur, issue non pas du vécu, mais du silence qui l’accompagne. Nombreux sont ceux qui se rendent un jour compte qu’on leur a caché les premiers moments de leur propre vie et de la difficulté à se défaire de ses fantômes. L’histoire de l’humanité n’est au fond que cela. Une tentative de s’extraire de la transmission ou d’en conserver le meilleur. Il faut plusieurs générations pour pardonner les vestiges de son héritage. Mais écrire est une façon d’essayer de penser ces plaies-là. Josef, malgré le filtre de la fiction, est à la fois un personnage très proche de moi mais aussi de membres de ma famille.
Le roman puise donc ses origines dans une histoire personnelle ? Certaines parts en tout cas. Parfois la vie prend du retard sur l’écriture. Par des sentiments, des situations, dont on pressent qu’il faut attendre de les avoir connus pour qu’ils puissent surgir. Ce livre parle ainsi de la filiation et la distance avec ceux que l’on aime. Les premières images m’en sont venues alors que j’allais être papa pour la première fois. J’ignorais à l’époque que je ne vivrais pas tous les jours avec mes enfants. Ce roman m’a accompagné quinze ans avant que je parvienne à l’écrire. Non pas à essayer de coucher les mots sur une feuille, mais à être un père qui découvre leur absence dans le quotidien, un manque violent et déstabilisant. Tout a alors pris son sens. Il y a énormément d’intensité dans ces expériences qui nous façonnent et qui sont à la fois sombres et lumineuses. Dans les chemins que l’on emprunte, comme dans ceux de nos paysages intérieurs.
Haute-Folie, c’est aussi le nom de cette ferme au cœur du drame de plusieurs générations, est-elle en définitive le personnage principal du livre ? J’aime l’idée qu’un endroit puisse contenir des destins et que son nom même puisse influencer l’histoire de ses habitants. Il existe véritablement une ferme de la Haute-Folie, dans la province de Liège où j’habite. Je m’y suis rendu à plusieurs reprises. Rien ne la discerne visuellement d’une autre, mais en la découvrant pour la première fois sur une carte topographique j’ai été fasciné par ce terme. L’on flirte tous en permanence avec des états de sagesse et d’autres borderline. La folie, c’est le pays des souffrances qui n’ont plus nulle part où aller. Cette phrase du roman le raconte finalement à elle seule.
De « Nos mères » à « Mahmoud ou la montée des eaux » et aujourd’hui à « Haute-Folie », l’absence s’impose dans vos ouvrages. L’absence à soi ou au monde, des autres comme de paix. Quelle place prend-elle dans votre existence ? Je crois que la personne que je suis est apparue quand j’avais huit ans. Dans un moment de révélation, dont les enfants en ont le secret. J’en ai parlé dans mon roman autobiographique « Le plus court chemin ». Alors que j’allais voir mes grands-parents à vélo, j’ai eu l’envie terriblement forte de me jeter droit dans le mur qui bordait leur jardin. Je ne sais pas d’où est venu ce désir soudain et étrange d’autodestruction. Et ensuite cette pensée que non, je ne le ferais pas, car je tenais à moi. Déjà à huit ans, j’avais l’impression de traverser l’existence comme un fantôme et encore aujourd’hui j’ai le sentiment de ne pas être là pour moi mais pour capter des courants, des ambiances, des sons. Certains connaissent une position intermédiaire, entre la vie et la mort, le visible et l’invisible, la joie et la non-joie. Je fais partie de cet équipage-là. Et j’écris pour tenter de communiquer ces états qui nous traversent tous.
Dans cet ouvrage, vous affirmiez d’ailleurs « quelqu’un qui écrit revient toujours de loin, c’est un revenant ». Les mots sont-ils pour vous une forme d’oubli ou de retour à soi ? Un peu des deux. La possibilité de descendre dans nos profondeurs et de se mettre à distance. Avant, écrire un livre me donnait l’impression de gravir l’Everest et quand j’arriverais au sommet, je me disais que je ne recommencerais pas. Que c’était trop coûteux en énergie, en temps, en renoncement. Aujourd’hui je peux passer six à huit mois de l’année sans noter une ligne, mais ensuite soudain cela va très vite et je considère désormais l’écriture comme une voie d’accès extraordinaire, notamment à mes grands-parents disparus. Comme une forme d’absence à moi-même qui me permet une vraie présence aux autres, à ce qui m’entoure, à ce qui vient. Grâce à cela, j’ai cessé d’opposer l’écriture à la vie.
L’on ne quitte pas indemne vos personnages d’une profondeur et d’une sensibilité rares. Quelle marque laissent-ils en vous ? Je suis caché en chacun de mes personnages, même si c’est parfois à des degrés infimes. Il ne s’agit pas véritablement d’autobiographie. Tout y est moi, à moi, mais d’une façon que je choisis de doser. Je remets beaucoup en question la notion d’identité. J’estime que nous avons le droit de nous transformer, d’embrasser ces métamorphoses que nous ressentons en une journée comme en toute une vie. Mais, Josef, comme le personnage de Mahmoud ou les jeunes auteurs de pamphlets du « Musée des contradictions » vivront toujours en moi. Chacun a marqué un cycle d’existence, une plongée dont on revient ensuite comme d’un long voyage, en ayant vieilli. Nous sommes des millefeuilles de tous nos âges.
Vous faut-il un temps de silence après avoir apposé le mot « fin » ? Un temps loin des récits ? On peut se remettre directement à vivre. A écrire non. J’aimerais un jour réussir à noter le mot fin à un livre et puis rien. Ne pas avoir besoin de publier, ne pas rechercher d’approbation extérieure. Avoir trouvé suffisamment de sagesse en moi pour me dire que la beauté d’un texte se suffit à elle-même. Et en même temps je prends énormément de plaisir à rencontrer et partager avec les gens autour de mes ouvrages. En parallèle à « Haute Folie », j’ai achevé un second livre, dont la sortie est prévue dans un an et demi et pour l’instant, je m’offre de lire, de m’imprégner pleinement du monde. Je suis heureux car j’ai atteint une période de mon existence où tout ce qui avait été opposé, écrire, vivre, s’immerger en profondeur ou au contraire faire la fête, s’est finalement réconcilié. J’ai acquis une forme de légèreté, quitté cette croyance qu’il faut être sérieux dans tout ce que l’on fait. Tout est un jeu en réalité. Écrire est un jeu, un immense plaisir, un espace où on se révèle à soi. Je souhaite à chacun de trouver un lieu qui lui permette d’être à ce point lui-même.
Haute-Folie d’Antoine Wauters, Gallimard.

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