ALBERT BARONIAN
50 ans d’art
Mots : Olivia Roks
Photos : Fabrice Schneider, Leila Johnson
Figure majeure de l’histoire des arts visuels en Belgique, Albert Baronian est aussi à l’origine d’une des plus anciennes galeries belges en activité. Cette année, elle fête ses 50 ans avec une exposition anniversaire à la fondation CAB. Échange avec ce galeriste atypique.
Comment vous êtes-vous épris d’amour pour l’art et plus particulièrement l’art contemporain ? Après mes études, pour apprendre l’an- glais, mes parents m’avaient envoyé à Londres où j’étais garçon au père. Pendant mon temps libre, comme tout touriste, je visitais la ville. Je me suis rendu à la Tate Gallery et je suis tombé sur des tableaux de Rothko. J’étais étonné car le musée était plutôt sérieux, tout comme les Anglais. En quittant le musée, je suis passé à la boutique et je suis reparti avec des livres sur l’art abstrait. De retour en Belgique, je cherchais à croiser la route de l’art contemporain… C’est devenu un virus. Je n’ai pas fait histoire de l’art mais des études en sciences politiques et sociales. Mais parallèlement, j’étais obsédé par l’art contemporain. J’ai appris seul, sur le tas, par passion, par amour.
Et vous voilà cette année à fêter vos cinquante ans de galerie, un chiffre incroyable, rappelez-nous vos débuts, la naissance de la galerie… J’ai fait la rencontre de Jo Delahaut, peintre abstrait, décédé aujourd’hui. Il m’a permis de rencontrer d’autres artistes. En septembre 1973, j’ai proposé à Antonio Odias de faire une petite exposition d’éditions dans mon appartement bruxellois boulevard Saint-Michel mais il est arrivé avec des œuvres uniques. De fil en aiguille, tout s’est enchaîné : plusieurs expositions à l’appartement, des œuvres qui s’accumulent jusqu’à la cuisine et enfin le besoin de chercher un autre espace pour exposer. Je me suis retrouvé dans un magnifique espace rue des Francs et ensuite les lieux se sont succédé jusqu’à celui-ci, rue Isidore Verheyden, dans le quartier Louise.
Au fil de ces années, quelle a été l’évolution de vos choix artistiques ? Au début je m’intéressais beaucoup à la peinture analytique, ensuite est venu l’arte povera, un mouvement fort et très politisé à l’époque. Mais dès le départ je n’avais pas de ligne conductrice stricte, j’étais plutôt dans l’éclectisme, avec une certaine rigueur et un choix très personnel. A l’époque, avec moins de collectionneurs, moins de galeries, moins d’artistes, le choix était, il me semble, plus facile, il y avait des évidences. Aujourd’hui, l’art contemporain (avant appelé art d’avant-garde) est devenu très à la mode, il y a une pléthore d’artistes, de galeries… L’art est aussi un bien économique. L’émergence de pays comme le Brésil, la Chine, le Japon a amené la spéculation des artistes et cette spéculation est aussi amplifiée par les salles de ventes. De jeunes artistes peuvent avoir des cotes folles en quelques années. Je le dis souvent, ces dernières années, le marché de l’art a pris le pas sur l’histoire de l’art…
Autodidacte, éclectique, vous avez un profil de galeriste atypique… Dans le paysage bruxellois belge, c’est vrai, on me l’a déjà dit, je revendique en quelque sorte cet atypisme. Je viens d’une famille d’immigrés arrivés en Belgique en 1930, mes parents ont travaillé pour que leurs cinq enfants fassent des études. Ils ne viennent pas du milieu de l’art mais ma mère nous a inculqué le goût des belles choses. Je suis devenu galeriste sans savoir ce qu’était être le métier de galeriste en amont, j’ai commencé avec rien. Aujourd’hui devenir galeriste, c’est bien différent…
A travers ces années, quelle est votre plus grande fierté ? La fierté d’être toujours là cinquante ans plus tard. La fierté aussi d’avoir fait connaître certains mouvements importants, d’avoir eu l’amitié de Jan Hoet…
Depuis début septembre, une expo- sition à la Fondation CAB retrace vos cinquante années de galerie, qu’allons-nous y découvrir ? J’ai voulu montrer une trentaine d’artistes qui ont été importants pour moi à un moment dans mon histoire, des artistes qui prouvent aussi que j’ai aussi été précurseur en les choisissant comme Lynda Benglis, Lionel Estève, Gilbert & George, Matt Mullican, Alain Séchas, Philippe Van Snick, Stanley Withney entre autres. Une condition du directeur, Hubert Bonnet : pas d’artistes figuratifs. Le CAB est très minimal, conceptuel. Donc ce n’est pas une rétrospective, il manque nombreux artistes pour retracer idéalement mon parcours. Une exception tout de même pour Gilbert & George qui ont répondu présent à mon invitation à l’inauguration de l’exposition. Je me suis dit « mon Dieu, ils ne peuvent pas être là sans la présence d’une de leurs œuvres », surtout après quatre ou même cinq expositions sur leur travail ! Quand Gilbert & George vous offrent une exposition, c’est un cadeau, il ne faut jamais oublier cela !
En parallèle, qui peut-on venir découvrir à la galerie actuellement ? De septembre à novembre, on retrouve Gilberto Zorio, sculpteur, Giulio Paolini, vraie star à l’époque et Giorgio Griffa, peintre, trois artistes de la même génération.
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