Félix Radu
« Roméo et Juliette, c’est le porno de l’âme »
MOTS : JASON VANHERREWEGGE
PHOTOS : JON VERHOEFT
COIFFEUR ET MAKE-UP ARTIST : LUC DEPIERREUX
STYLISME : JULES DEPIERREUX
Comédien, dramaturge et désormais chanteur, le Namurois Félix Radu, installé à Paris, sortira en septembre prochain son tout premier album « Infini + 3 ». Une ode à l’amour tirée en grande partie de ses cartes blanches déclamées sur La Première et bercées d’une douce mélodie sur les réseaux sociaux.
Du théâtre à la radio en passant par la littérature et la musique, vous semblez apprécier toutes les plateformes de communication. Laquelle a votre préférence ? J’ai envie de m’exprimer partout. Mais il y a une distinction à faire entre ce qui nous plaît et ce en quoi on est bon. Je pense que la frontière est mince (rires). Je tâtonne énormément, je fais plein d’erreurs mais l’histoire est bien faite car on retient bien souvent que les succès. L’important, au final, est de garder l’aspect ludique. C’est la raison pour laquelle j’ai arrêté la radio. Le format plaisait mais j’estimais n’avoir plus grand-chose d’intéressant à raconter. Je ne voulais pas devenir une caricature de moi-même. Orelsan disait qu’il ne voulait pas finir comme le mec enfermé dans son costume au Parc Astérix. C’est un peu ça.
En parlant du rappeur français, vous avez affirmé sur le plateau du JT de RTL que ceux qui l’écoutent apprécieront Alfred de Musset. Pour les adeptes de Félix Radu, il faut lire quel dramaturge ? Si tu aimes bien ce que je fais, il faut lire du Alfred de Musset aussi parce que ce n’est pas si éloigné en théâtre. En musique, Jacques Brel, j’espère. Ce sont deux hommes qui m’ont énormément inspiré. En musique classique, j’écoute énormément Frédéric Chopin. Il doit y avoir une forme rythmique volée à Chopin dans mon écriture.
Ce n’est pas courant d’avoir de telles références à votre âge. Quand des mots sont bien ajustés, ils te perforent le cœur. C’est pareil en cuisine. Il n’y a pas d’amour des œufs mais on les aime quand ils sont bien utilisés dans la Délicatisserie de Nina Meteyer.
La littérature vous fait-elle davantage chavirer qu’un film ou une série ? Ce sont des sentiments différents. C’est comme boire et manger. Les deux peuvent te satisfaire mais pas du tout de la même manière. Dans la lecture, il y a un vrai rapport à l’ennui. Je trouve que ça fait partie de l’exercice de sauter des lignes car les auteurs s’écoutent parfois lire. À l’inverse, il y a des passages qui te font raccrocher le wagon.
Comment expliquez-vous cette passion ? Comme beaucoup de parents, les miens me lisaient des histoires quand j’étais petit. L’école, par contre, a tout fait pour nous dégoûter de la lecture. On dirait qu’ils font énormément d’efforts pour que tu ne lises plus jamais après. Je trouve ça bien dommage. Mais j’expliquerai cette passion par le fait que j’étais très seul quand j’étais petit. Je subissais énormément de violence à l’école et il y avait une certaine incompréhension parentale. Cette solitude, je l’ai traversée avec des livres. Quand tu lis et que quelque chose te fait rire, tu installes une connexion avec l’auteur et tu te fais ton cercle de poètes disparus. Tu rencontres des gens qui parlent la même langue que toi.
Venons-en à votre album. Vous y évoquez la puissance des mots dans l’amour. Est-ce plus attirant qu’un physique ? Il faut demander à Cyrano de Bergerac. Il répondra non dans un premier temps et oui dans un deuxième. Je pense qu’il ne faut pas délaisser l’un ou l’autre. Ce serait mentir de dire qu’il n’existe que la métaphysique, que la parole et le charme. Nous sommes tous sensibles à ce que l’on projette chez les autres. Après, c’est important que ce ne soit pas une fin en soi. J’ai longtemps eu un effet de halo, autrement dit une tendance à apporter des qualités aux gens que je trouve beau. En grandissant, j’ai appris à nuancer mon rapport à la beauté.
La maturité semble modifier notre définition de l’amour. Tu te détaches en tout cas des stéréotypes qu’on te transmet quand tu es enfant : du visage parfait, du boys band ou de la James Bond girl. Tu te diriges vers tes propres sensibilités.
À l’heure actuelle, pensez-vous que l’amour mène forcément à la tragédie ? Non et heureusement ! J’ai longtemps recherché l’amour du théâtre, c’est-à-dire les grandes passions, les grandes déclarations, les sentiments incontrôlables qui mènent souvent à des fins tragiques. Je me suis ensuite rendu compte que l’amour constructif, ce n’était pas celui-là. C’est beaucoup plus discret, bienveillant et on peut parfois s’ennuyer dans une histoire d’amour saine. Je me suis alors mis en colère contre le théâtre en me disant qu’on y vendait que du mensonge. Mais ce n’est pas le cas au final. Au théâtre ou dans un film, si tu ne proposais que des histoires saines, ce serait très ennuyant. Le théâtre a besoin d’être excessivement tragique. Il faut rendre au théâtre et à la vie ce qui leur appartient. C’est comme faire l’amour et le porno. Roméo et Juliette, par exemple, c’est le porno de l’âme. Ça ne ressemble pas à comment on doit s’aimer mais c’est extrêmement jouissif à regarder. Il faut savoir distinguer le fantasme de la réalité.
Vous ne croyez donc pas au coup de foudre ? L’âme sœur a pris une nouvelle définition dans ma vie. C’est quelqu’un qui décide avec toi que vous allez vous aimer parce que vous avez plein de choses à vous apporter et qui fera les concessions nécessaires pour que ça se passe. Il y a le concept de la qualité innée et acquise. Il y a beaucoup plus d’importance et de charme à donner à quelqu’un qui a fait les efforts.
La sensibilité est-elle innée ou acquise ? Tout le monde naît sensible et on essaye ensuite de l’inhiber à cause de la pression sociale et paternelle. La chance que j’ai, c’est que mon père est un mauvais élève. Il a essayé de répéter ces préceptes-là mais il l’a mal fait. Ça se voyait qu’il n’y croyait pas trop. J’ai toujours été très sensible. Quand tu es à tel point à côté de la plaque, tu ne peux que vivre avec.
Vous utilisez en grande majorité le slam pour vous exprimer dans votre opus. Le maître en la matière, Grand Corps Malade, l’a défini comme un moment de rencontre avant d’être un genre musical. Je me suis moins interrogé sur le format que sur ce qu’il fallait dire. Le slam s’est imposé tout seul. À la base, je viens du théâtre. Dans cet art, on écrit des textes et on vient les déclamer. Parfois, je mettais une musique derrière parce que ça donnait un rythme différent avec les paroles. Mais plus encore que du slam, ça s’appelle du « spoken » quand tu ne respectes pas les temps comme le rap peut le faire et que tu parles juste en surfant sur une musique.
D’où vous vient cet amour des mots au final ? Je suis surtout amoureux des gens et les mots sont le meilleur moyen de rentrer en contact avec eux. Il ne faut pas confondre le moyen et la fin. Tout le projet est mis en œuvre pour essayer de construire quelque chose qui peut atteindre l’autre, lui tendre une main ou en nécessiter une.

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