La consécration de MERYLL ROGGE
Mots : Barbara Wesoly
Photos : Jorre Janssens, Alessandro Garofalo
Du prestigieux grand prix de l’ANDAM Fashion Awards à la direction artistique de Marni, 2025 résonne comme l’année du sacre de Meryll Rogge. Celle du rayonnement international mais aussi de la reconnaissance ultime d’une esthétique constamment réinventée, d’une voix singulière et d’une créativité libre. Après des années passées à New York aux côtés de Marc Jacobs puis un retour à sa Belgique natale auprès de Dries Van Noten et la création de son propre label, la designer entame une nouvelle ère radieuse sous le ciel milanais.
Cinq ans après le lancement de votre marque, vous prenez la tête de Marni, succédant à Francesco Risso, qui en définissait les codes depuis près d’une décennie. Où l’identité de la maison italienne fait- t-elle résonance avec votre univers ? L’essence de Marni tient à ce formidable mélange d’ADN milanais et d’expérimentation de forme et de matérialité, à cet esprit éclectique, alliant sophistication et excentricité. Nous partageons notamment le goût des couleurs fortes et des imprimés, des contrastes assumés et des associations inattendues. Je me reconnais pleinement dans ce vestiaire audacieux, qui brouille les frontières et entremêle le classique et l’expérimental.
Cette nomination représente un profond virage, à titre privé, par votre déménagement à Milan en famille, mais aussi d’un point de vue stylistique et créatif. Comment se conciliera-t-il avec vos racines et votre héritage belge ? C’est en effet un grand bouleversement, enthousiasmant non seulement pour moi mais aussi pour mes proches. Cette nouvelle vie est une promesse d’ouverture avec la découverte d’une ville, d’une atmosphère, d’un quotidien différent. C’est une page passionnante qui s’ouvre et je n’aurais pu rêver mieux. Cela n’empêche pas la Belgique de rester un ancrage inaltérable. Mes créations se nourrissent de cette identité, au carrefour des langues et des cultures, qui ouvre naturellement le champ des possibles. Leur approche conceptuelle et leur touche de surréalisme puisent leur source dans mes racines belges. Mais mon travail reste surtout profondément hybride et empreint de nombreuses influences, inspirations et références, ainsi que d’une réflexion fondamentalement indépendante.
L’audace, le mélange des genres et la fantaisie sont une part prégnante de la signature de votre label. Qu’est-ce qui nourrit ce langage à contre-courant, qui se joue des codes masculin-féminin ainsi que des époques ? Je me sens profondément libre, dans mon esthétique comme dans ce que je désire exprimer chaque saison. Cela tient sans doute au fait d’avoir toujours entretenu une distance saine avec l’effervescence de la mode et de ses tendances. D’avoir cultivé une pensée singulière ainsi qu’une grande curiosité pour la musique, la littérature, le cinéma, tout en ayant des références très populaires. Je ne me mets pas de limites, pas de barrières et développe simplement ce qui me semble intéressant. Cela peut être une alliance de couture et de streetwear, une part de punk ou au contraire une forme de poésie. Des courants artistiques multiples et une ode au vintage comme des twists inattendus et des tissus ou des volumes détournés. Tout cela me permet de concevoir ma propre forme d’expression, non-conformiste et spontanée, où la narration tient une place centrale.
Avoir gagné le Grand Prix de l’ANDAM 2025 est-il une consécration ou un tremplin vers une nouvelle ère pour Meryll Rogge ? C’est un accomplissement immense, pour moi, comme pour tous ceux qui m’accompagnent dans cette aventure. J’ai la chance d’être entourée d’une équipe formidable, composée en majorité de femmes. Cela s’est fait naturellement mais influence forcément notre démarche et nous apporte une approche pragmatique. Nous concevons des vêtements que nous pouvons porter au quotidien et réalisons des essayages de production sur différentes morphologies, directement au studio. Cela entraîne une exigence particulière en termes de construction et de coupe. Nous demeurons une petite structure, avec des moyens limités mais une créativité et une énergie collectives très fortes. Et être reconnu à cette échelle, internationale et prestigieuse est le plus beau compliment qui soit.
Que ressentez-vous aujourd’hui en repensant à la jeune fille que vous étiez, qui à quinze ans esquissait des dessins de mode pendant ses cours au lycée ? C’est assez vertigineux. Adolescente, je rêvais d’une carrière dans la mode, mais elle me paraissait totalement hors d’atteinte. Je n’avais aucune connexion dans ce milieu, je ne venais pas d’une famille artistique. Aujourd’hui, après avoir travaillé pour certains de mes modèles comme Dries Van Noten et Marc Jacobs, je m’apprête à diriger une maison que j’admirais déjà quand j’étais étudiante à l’Académie royale d’Anvers. C’est un véritable rêve de jeunesse devenu réalité. Un honneur immense. À la mesure de mon engage- ment dans ces projets d’avenir, qu’il s’agisse de continuer à faire grandir mon label ou d’écrire une nouvelle page de l’histoire de Marni.

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